Chants populaires de la Basse-Bretagne/L’enfant du lépreux
Celui qui veut avoir de la pitié,
Qu’il aille lundi à Châteauneuf,
Et il verra pendre et brûler
La plus belle jeune femme qui y soit ;
La plus belle jeune femme qui y soit,
La fille du fermier de Leshildri, (1)[1]
Dans le lit de laquelle on a trouvé un enfant,
Avec un couteau nu dans le côté ;
Et on lui a attribué le crime,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable.
L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :
— Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin !
Ma mère sera pendue et brûlée,
Et mon pauvre père est lépreux ! —
La pauvre enfant disait
Au grand Sénéchal, ce jour-là :
— Monsieur le Sénéchal, si vous m’aimez,
Vous me rendrez ma mère chérie ;
Vous me rendrez ma mère chérie.
Je mourrai pour elle, s’il le faut. —
Le grand Sénéchal disait
A l’enfant de cinq ans, en ce moment ;
— Ce temps-là n’est pas encore venu,
Où l’un meurt pour l’autre. —
La pauvre femme disait
Alors à son enfant de cinq ans :
— Ma pauvre enfant, retire-toi,
Je me retrouverai à la maison dans trois jours ! —
L’enfant de cinq ans disait.
En arrivant à la maison :
— Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;
Ma mère a été pendue et brûlée.
Et mon pauvre père est lépreux !
J’ai un petit frère sur la montagne
A qui l’on a bâti une maison neuve ;
Une maison neuve, peinte en blanc,
Comme celles que l’on bâtit aux lépreux.
L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :
— Je vais laver sa chemise à mon père,
Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée ;
Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée.
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur lui ! —
L’enfant de cinq ans disait,
En arrivant à la porte de son père :
— Mon père chéri, dites-moi,
Voulez-vous que je vous lave votre chemise ?
Voilà trois ans qu’elle n’a été lavée,
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur vous. —
Son pauvre père demandait
Alors à l’enfant de cinq ans :
— Que vous est-il donc arrivé,
Que vous êtes venue si jeune me voir ? —
— Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;
Ma mère a été pendue et brûlée,
Et vous, mon père, vous êtes lépreux ! —
— Et quel crime a-t-elle donc commis,
Pour avoir été pendue et brûlée ? —
— Un petit enfant a été trouvé dans son lit,
Avec un couteau tout nu dans le côté ;
Et on le lui a attribué,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable, —
Son pauvre père disait
Alors à l’enfant de cinq ans ;
— Mon enfant chérie, retire-toi.
De peur d’attraper la lèpre, par le trou de la serrure !
L’enfant de cinq ans, en entendant cela,
A mis la tête à la fenêtre ;
Elle a mis la tête à la fenêtre.
Et leurs cœurs à tous les deux se sont brisés !
La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes,
Ils sont allés tous les deux devant Dieu !
Plouaret, 1863.
- ↑ (1) Je ne sais s’il y a quelque corrélation entre ce gwerz et celui de Fantik Pikart ; l’introduction de la fille du fermier de Leshildry dans ce début m’a tout l’air d’une interpolation.