Chants populaires de la Basse-Bretagne/Isabelle Le Cham

ISABELLE LE CHAM
Première version
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I

  Il fallait voir Isabelle Le Cham,
À genoux devant sa mère !

  Et devant son père elle va aussi (à genoux),
Demandant leur bénédiction à tous les deux ;

  Pour demander leur bénédiction à tous les deux,
Pour épouser le clerc de Krec’h-Menou.

  Isabelle Le Cham disait,
Un jour, au clerc de Krec’h-Menou :

  — Je n’ai que mauvaise vie
À cause de toi, tous les jours, tous les jours.

  — Vous n’aurez pas mauvaise vie à cause de moi,
Car vous viendrez avec moi à ma maison ;

  J’ai chez moi une sœur Marie,
Qui est une fille sage comme vous.

II

  Le clerc de Krec’h-Menou disait,
Un jour, à Isabelle Le Cham :

  — Je vais à présent à Tréguier,
Pour apporter mes livres à la maison.

  — Si c’est à Tréguier que vous allez,
Faites mon cercueil avant de partir.

  Et donnez-moi l’extrême-onction,
(Avec) un cercueil de quatre planches.

  — Vous me surprenez, Isabelle,
En voyant comme vous parlez ;

  Jamais messe je ne dirai,
Quand j’aurai eu celle que j’aime :

  Jamais messe je ne dirai,
Quand j’aurai celle qui me plait !


III

  Isabelle Le Cham disait,
Un jour, à sa sœur Marie :

  — Venez avec moi dans les chambres,
Pour choisir les plus beaux habits,

  Et une douzaine de mouchoirs
Pour lui, pour sécher ses larmes ;

  Pour lui, pour sécher ses yeux,
Car il pleurera, je le sais bien.

IV

  Le clerc de Krec’h-Menou disait,
En arrivant à la maison :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison.
Qu’y a-t-il de nouveau ici ?

  Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que vos coiffes sont dans cet état ?[1]

  Ce n’est pas à défaut d’épingles
Que vos coiffes sont en deuil ;

  Quand je fus à la foire de Tréguier,
Je vous en apportai trois milliers.

  — Je ne puis vous le nier, mon frère,
Isabelle Le Cham est morte !

  Quand le clerc de Krec’h-Menou entendit (cela),
Il tomba trois fois évanoui à terre ;

  La dernière fois qu’il se releva.
Il courut au cimetière ;

  Il courut au cimetière,
Pour déterrer sa femme.

  Quand il l’eût déterrée et retirée de son cercueil,
Il la posa sur ses genoux ;

  Il la posa sur ses genoux,
Et lui donna deux baisers.



  Elle lui sourit,
Et son cœur se brisa en deux !

  Voilà les deux corps sur les tréteaux funèbres,
Que Dieu pardonne à leurs âmes !

  Les voilà tous les deux dans le même tombeau,
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit !


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ISABELLE LE CHAM
Seconde version
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I

  S’il vous plaît, vous écouterez
Un gwerz qui a été nouvellement composé ;

  Un gwerz qui a été nouvellement composé,
C’est à Isabelle Le Cham qu’il a été fait.

  Isabelle Le Cham demandait
À son père et à sa mère, un jour :

  — Je vous demande votre bénédiction à tous deux,
Pour me marier au clerc de Crec’h-Menou ?

  — Vous n’aurez pas notre bénédiction pour aller (vous marier)
Mais vous aurez notre malédiction.

  — Voilà un bon commencement de ménage,
Avoir la malédiction de sa mère et de son père !

  Nous sommes jeunes, et nous prendrons de la peine,
Et Jésus, qui est dans le ciel, nous aidera.

II

  Isabelle Le Cham disait
Au clerc de Crec’h-Menou, un jour :

  — Je ne peux résister avec mes parents,
A cause de vous, mon bien-aimé.

  — Si vous ne pouvez résister avec vos parents,
Je vous conduirai chez les miens ;

  Je vous conduirai à Tréguier,
Chez mon frère, qui est greffier ;

  Ou encore chez ma sœur Marie,
Qui est une honnête fille, comme vous.

  — Je n’irai pas chez vos parents,
Car on parlerait de nous deux.

  — Je vais étudier à Paris,
Et je ne tarderai à revenir, en aucune façon.


  — Si vous allez étudier, comme vous le dites,
Faites (faire) mon cercueil, avant de partir ;

  Faites (faire) mon cercueil avant de partir,
Car je serai dedans quand vous retournerez.

III

  Isabelle Le Cham disait
À sa sœur Marie, un jour :

  — Ma belle-sœur, si vous m’aimez,
Vous irez pour moi à Saint-Hillion ;[2]

  Dites au prêtre de venir (habillé) en blanc,
Et d’apporter le sacrement de l’extrême-onction.

  Sa belle-sœur Marie disait,
En arrivant dans la maison du recteur :

  Monsieur le recteur, si vous m’aimez,
Vous viendrez voir ma belle-sœur ;

  Il vous est recommandé de venir (habillé) en blanc,
Et d’apporter le sacrement de l’extrême-onction.

  — Qu’est-il arrivé à ta belle-sœur ?
Je l’ai vue, dimanche dernier ;

  Je l’ai vue, dimanche dernier,
Qui parlait à son doux clerc.

  Le recteur de Saint-Hillion disait,
À Isabelle Le Cham. ce jour-là :

  — Consolez-vous, Isabelle et ne pleurez pas,
Quand vous serez guérie, vous serez mariée ;

  Quand vous serez guérie, je vous marierai
Au plus beau jeune homme du pays.

  Le recteur de Saint-Hillion disait
À Marie Crec’h-Menou, là, en ce moment ;

  — Hâtez-vous d’allumer la chandelle,
Je crains beaucoup qu’elle soit morte ;

  Hâtez-vous d’allumer la chandelle bénite,
J’ai grand’peur qu’elle soit décédée !



IV

  Le clerc de Crec’h-Menou demandait,
En arrivant chez sa sœur Marie :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Isabelle ?

  — Elle est allée à Saint-Hillion,
Pour réciter ses vêpres.

  — Quand J’ai passé par Saint-Hillion,
Je n’y ai absolument rien vu ;

  Je n’y ai absolument rien vu,
Si ce n’est une vieille pelle, sous le porche.

  Qu’y a-t-il donc ici de nouveau,
Que les coiffes (des femmes) sont ainsi rabattues ?

  Ce n’est pas le défaut d’épingles
Qui vous empêche de relever vos coiffes,

  Car avant de partir, à la foire de Tréguier,
Je vous en avais acheté trois milliers ?

  — Vous ne l’apprendrez que trop tôt,
Votre douce Isabelle est morte !

  Quand le clerc de Crec’h-Menou entendit (cela),
Il courut au bourg de Saint-Hillion ;

  Il courut au bourg de Saint-Hillion,
Et se mit à ouvrir la tombe.

  Et quand il eût ouvert la tombe,
Il la (Marguerite) plaça sur ses genoux :

  Puis il la serra dans ses bras,
Et expira sur la place !

  Dieu pardonne à leurs âmes,
Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres ;

  Ils sont allés chacun dans une tombe,
Et que la bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes !

V

  Le recteur de Saint-Hillion disait,
Au prône de la grand’messe, le dimanche suivant :


  — Je ne finirais pas ma grand’messe,
Si je savais que le vieux Le Cham fût ici ;

  Si je savais que le vieux Le Cham fût ici,
Car il est cause de la mort des deux !


Chanté par Marguerite Philippe,
de Pluzunet. — Octobre 1871.







  1. Dans les campagnes de l’arrondissent de Lannion, les femmes en deuil laissent tomber sur leurs épaules les deux ailes de leurs coiffes blanches. — Dans certaines localités du Finistère les coiffes de deuil sont en toile jaune.
  2. Je ne connais en Basse-Bretagne aucune commune du nom de Saint-Hillion.