Chants populaires de la Basse-Bretagne/Appendice


APPENDICE
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Je donne dans cet appendice trois pièces qui sont venues à ma connaissance pendant que s’imprimait ce volume, et qui, pour cette raison, n’ont pu y être insérées dans leur ordre logique. Bien que j’en aie fourni moi-même des versions, dans le présent volume, ou le précédent, j’ai cru devoir les reproduire, tant à cause de l’importance des sujets auxquels elles se rattachent, que pour montrer que le caractère général des poésies vraiment populaires est à-peu-près toujours et partout le même, quand on les doit à des collecteurs fidèles et consciencieux ; et qu’elles ne se présentent jamais à nous avec la perfection de forme et de goût, et la précision historique que leur prête certaine école contemporaine.

À ces trois morceaux dignes d’intérêt, qui m’ont été communiqués par M. Anatole De Barthélémy, j’aurais pu en ajouter quelques autres, par exemple, une version de Ar Jouiz braz (voir page 31 du présent volume), recueillie par mon ami J.-M. Le Jean, le poëte breton, et qui a été publiée dans le numéro d’Octobre 1873, de la Revue de Bretagne et de Vendée, une des trop rares publications qui donnent parfois des poésies en langue bretonne, tant anciennes que modernes. On aurait pu voir que cette version, recueillie à Guingamp, donne Jouiz, comme la mienne, et que M. Le Jean interprète ce mot comme moi, c’est-à-dire par juif, — traduction qui m’a été reprochée par certaines personnes. Une autre version du même gwerz, recueillie à Ploegat-Guerrande par M. Guillaume Lejean, le voyageur-géographe, et dont il est fait mention dans son remarquable travail publié dans la Revue Celtique, 2e volume, 1873, — sous le titre de : La Poésie Populaire en Bretagne, — donne Souiz', au lieu de Jouiz, — ce qu’il traduit par Suisse, comme je l’aurais fait moi-même. — Quelle est la bonne leçon ? Je l’ignore, et c’est à la critique qu’il appartient de le décider ; mais je persiste à croire que nous avons eu raison, et M. G. Lejean et M. J.-M. Le Jean et moi, de reproduire fidèlement ce que nous donnaient les chanteurs populaires, que ce fût Jouiz ou Souiz.


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Brezhoneg


LE COMTE GUILLOU
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I

  ……………………………………………………………………
Avec lui sont quatre cents cavaliers de concert,
Venant épouser la petite comtesse de Œto (Poitou ?) (bis)

Quand le seigneur comte venait avec son armée,
Il entend une bergère chantant dans la montagne, (bis)

Et la bergère disait si gentiment par sa chanson :
— Le comte Guillou arrive, il arrive dans le pays ! (bis)

La petite comtesse de Œto (Poitou) a eu un fils,
Et elle n’a pas dit qui en est le père, (bis)

Le seigneur comte Guillou, sitôt qu’il a entendu,
Est allé promptement trouver la bergère : (bis)

— Allons donc, bergère, chantez votre chanson,
Celle que vous chantiez tout-à-l’heure à tue-téte. (bis)

— Sauf votre respect, dit-elle, sauf votre respect, je ne le ferai pas,
Par le comte de Œto (Poitou ?) j’en serais punie, (bis)

— Chantez votre chanson, chantez-la, vite,
Ou je vous ferai mourir là sur-le-champ. (bis)

— La petite comtesse de Œto (Poitou) a eu un fils,
Et elle n’a pas dit qui en est le père, (bis)

— Tenez, bergère, voilà cent écus
Pour votre chanson écrite sur le papier, (bis)

II

La vieille disait, dans la chambre de sa fille ainée :
— Seigneur Dieu, ma fille, que faire ici ? (bis)

Ô Dieu, dit-elle, ma fille, que faire,
Le comte vient, il faudra paraître (devant lui), (bis)

— Tenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez à mon cabinet chercher mes parures ; (bis)

Et apportez-moi ma robe écarlate,
Afin de la revêtir à ma sœur, qui me ressemble ; (bis)


  Et apportez-moi ma plus belle ceinture,
Afin que je sois légère et mince pour paraître devant lui. (bis)

III

  Quand il entra dans la salle, elle le salua :
— Salut à vous, dit-elle, monseigneur le comte mon époux, (bis)

  Salut à vous, dit-elle, monseigneur le comte mon époux,
Voici sept ans passés que je ne vous avais vu. (bis)

  — Et à vous pareillement, dit-il, demoiselle effrontée,
Vous n’êtes pas celle qui m’était fiancée. (bis)

  Vous n’êtes pas celle que j’avais choisie pour épouse,
C’est la fille aînée d’ici que je veux voir, (bis)

  — Je crois, dit-elle, que vous êtes troublé par le vin,
Je suis la fille aînée qui vous est fiancée, (bis)

  — Retire-toi, vite, de devant mes yeux,
Ou je vais tremper mon épée dans ton sang ! (bis)

IV

  La vieille disait, dans la chambre de sa fille aînée :
— Dieu ! dit-elle, ma fille, que ferons-nous, à présent ? (bis)

  Dieu ! dit-elle, ma fille, il faudra paraître devant lui. (bis)
Votre sœur est dans la salle, il menace de la tuer ! (bis)

  — Tenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez me chercher mon habit noir de deuil ; (bis)

  Et allez me chercher mon habit noir de deuil,
Il sera bon assez pour aller à la mort ! (bis)

  Quand elle entra dans la salle, elle l’a salué :
— Salut à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux ; (bis)

  Salut à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux,
Voici sept ans passés que je ne vous avais vu. (bis)

  — À vous pareillement, dit-il, princesse, comment vous portez-vous ?
Vous êtes bien timide, puisque vous n’approchez pas. (bis)

  Je vous trouve bien changée depuis que je ne vous ai vue,
Votre joue est bien bleue, et le coin de votre front est rouillé ; (bis)


Votre joue est bien bleue, et le coin de votre front est rouillé ;
Où est le fils que vous avez mis au monde ? (bis)

— Je demande à fondre, comme du beurre roussi,
Si jamais j’ai donné le jour à fille ou à fils. (bis)

— Princesse, avouez-moi la vérité,
Et vous n’aurez pas de mal, à cause des vôtres. (bis)

— Je demande à fondre (ici), comme beurre sur le plat,
Si jamais j’ai donné le jour à fille ou fils, (bis)

Alors, il mit la main sur sa poitrine,
(Si rudement), que le lait en jaillit sur sa robe de satin, (bis)

— Allons mes sonneurs (musiciens), sonnez une gavotte,
Afin que ma princesse et moi nous allions sur la place, (bis)

……………………………………………………………………………

Si vous aviez voulu, princesse, ne pas me tromper,
Je vous aurais épousée, (vous) la plus belle fille de ce pays, (bis)

Ce n’est pas de moi que vous deviez vous moquer,
Je ne suis ni un voleur, ni un coquin ! (bis)

……………………………………………………………………………

Allons ! mes sonneurs (musiciens), sonnez le deuil,
Le voilà encore veuf, le seigneur comte Guillou !


Recueilli par M. P. Chardin,
Au château de la Roche-Jagu,
commune de Ploezal (Côtes du Nord),
le 22 avril 1871.
Communiqué par M. Anatole De Barthélémy.[1]







Brezhoneg

LE GÉANT LIZANDRÉ


SEIGNEUR DE LA NOËVERTE, EN LA PAROISSE DE LANLOUP
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  Entre Coatarsant et Lizandré
Est convenue une rencontre.

  Que Dieu leur donne bon voyage,
Et à ceux qui sont au logis, bonne nouvelle.

  Le seigneur de Coatarsant disait
Au seigneur de Lizandré, en le saluant :

  — J’ai eu une lettre du roi
Pour avoir guerre avec toi, Lizandré.

  — Si tu as lettre pour avoir guerre avec moi,
Montre moi ta lettre, que je la lise.

  — Le dernier soldat de ma bande
N’allongerait pas la main vers toi, âne.

  — Si je suis âne, assurément,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Je ne suis pas âne de nature,
Mon père était renommé comme homme sage.

  Si vous n’avez pas connu mon père,
Tout-à-l’heure vous connaîtrez son fils.

  Selle, petit écuyer, ma haquenée blanche,
Mettez-lui une bride d’argent en tête,

  Et une selle dorée sur le dos,
Qu’elle soit belle pour porter un âne.

  Et quand mon cheval tomberait à chaque pas,
Il me faut aller cette nuit à Vannes.

  Le seigneur de Lizandré disait,
À Sainte Anne, quand il arrivait :

  — Bonjour à vous, Sainte Anne de Vannes,
Je suis venu encore une fois vous voir.

  En dix-huit combats je me suis trouvé,
Et maintenant je vais au dix-neuvième.

  Faites encore un miracle en ma faveur,
De crainte que je ne sois blessé.

  Je vous donnerai, ô mère de la Vierge chérie,
Sept parements pour vos sept autels.

  Il n’avait pas achevé ces mots
Que Sainte Anne lui parla (de la sorte) :

  — Oh ! oui, tu es toujours mon fils à moi,
Retourne vite chez toi, Lizandré.

  N’emmène personne avec toi à ce combat,
À l’exception de ton jeune écuyer.

  Le seigneur de Lizandré disait
À son jeune écuyer, ce jour-là :

  — Aiguise ton épée contre la mienne,
Et viens au combat avec moi :

  Tenons-nous tous les deux côte-à-côte,
Et nous couperons de l’acier comme le vent.

  Le seigneur de Coatarsant dit
À Lizandré, quand il le vit :

  — Vous n’êtes pas dans votre pays un homme aimé,
Puisque vous n’êtes pas venu avec des soldats.

  À peine avait-il prononcé cette parole,
Que Coatarsant tombait sur place.

  Avec cinquante de ses soldats,
Cinquante autres avaient pris la fuite.

  Et le jeune écuyer, de son côté,
En a tué tout autant.

  Le roi, quand il a appris (l’affaire),
A dit à son jeune page :

  — Page, mon petit page, hâtez-vous
D’aller aujourd’hui à Saint-Brieuc,

  Pour parler au seigneur de Lizandré
Et lui dire de venir jusqu’à moi.

  Le petit page du roi disait,
En arrivant à Saint-Brieuc :

  — Bonjour et joie aux habitants de cette ville,
Le seigneur de Lizandré où est-il ?


  Le vieux chevalier, quand il l’entendit,
Mit la tête à sa fenêtre :

  — Si c’est Lizandré que vous demandez,
Jeune page, c’est à lui-même que vous parlez.

  — Tiens, voilà une lettre, Lizandré,
Qui t’est envoyée de la part du roi.

  — Si c’est le roi qui me l’a écrite,
Donnez-moi la, pour que je la lise.

  — Il vous mande, reprit le petit page,
D’aller jouter contre son maure.

  — Enseigne moi donc, petit page,
La manière et les ruses de guerre de son maure.

  — Pour cela, je ne vous le dirai pas,
De peur que je fusse dénoncé.

  — Aussi vrai que j’ai la mort à passer,
Petit page, je n’en parlerai jamais.

  — Le maure sauvage, quand il sera entré dans la salle,
Jettera ses vêtements à terre sur-le-champ :

  Faites comme lui ; et quand il fera un saut en l’air,
Présentez votre épée pour le recevoir.

  Aussitôt que vous le verrez dégainer,
Jetez-lui de l’eau bénite ;

  Quand il vous demandera de se reposer,
Ne lui donnez point de relâche.

  Car celui-là a avec lui des herbes
Qui ne sont pas longtemps à guérir les blessures.

  — Tenez, jeune page, voilà cent écus.
Puisque vous m’avez averti avec vérité ;

  Sans vous, j’eusse été tué,
Et ma pauvre mère en eût été désolée.

  Le seigneur de Lizandré disait,
En arrivant dans la ville de Paris :

  — Bonjour à vous, seigneur roi,
Pourquoi avez-vous besoin de Lizandré ?

  — Je t’ai fait dire de venir jusqu’à moi
Pour jouter contre mon maure sauvage.


  Quand arrive le maure à l’entrée de la lice,
Comptant bien gagner le prix,

  Il jette ses vêtements à terre,
Et Lizandré jette les siens pardessus ;

  Puis, quand il en vient à dégainer,
Il lui jetait de l’eau bénite.

  Quand le maure nageait dans l’air,
Il mettait son épée pour le recevoir.

  Le maure du roi est tué,
Et la manœuvre de Lizandré en est cause.

  Quand le roi vit cela,
Il parla au vainqueur en ces termes :

  — Hâte-toi fort, dit-il, Lizandré,
De retirer ton épée de mon maure sauvage.

  — Je ne daignerais pas porter une épée
Qui a été dans le (corps du) maure du roi ….

  Je me suis trouvé en bien des batailles,
Et j’ai vaincu plus de dix mille (hommes),

  Jamais je n’ai eu autant de mal
Qu’à jouter contre le maure.

  Dame Sainte Anne, ma mère chérie,
Vous faites des miracles en ma faveur.

  Je vous élèverai un oratoire
Sur une hauteur, entre le Léguer et le Guindi.[2]


Communiqué par M. Anatole De Barthélémy.








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LE GÉANT LES AUBRAYS


Seigneur de la Noë-verte, en Lanloup
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  Entre Coat-ar-Skinn et Les Aubrays[3]
A été convenue une assemblée (rendez-vous) ;

  A été convenu un combat,
Que Dieu leur accorde bon voyage ;

  Que Dieu leur accorde bon voyage,
Et aux leurs, à la maison, bonne nouvelle !

  Le seigneur de Coat-ar-Skinn disait
Au seigneur Les Aubrays, en le saluant :

  — J’ai reçu lettre du roi
(Commandant) d’avoir guerre contre toi, Les Aubrays.

  — Si tu as lettre (commandant) d’avoir guerre contre moi,
Montre ta lettre, que je la lise.

  — Le moindre papier qui est dans ma valise,
Je ne le donnerais pas à lire à un âne (comme toi.)

  — Si je suis âne, sûrement,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Mon père était général d’armée,
Et son fils Les Aubrays le sera aussi.

  Seigneur de Coat-ar-Skinn,
(Je désire) aller à Sainte Anne de Vannes ;

  (Je désire) aller à Sainte Anne de Vannes,
J’ai promis d’y aller encore une fois.

  — Bonjour à vous, Sainte Anne de Vannes,
Je suis venu vous voir une fois encore :

  J’ai combattu dix-huit combats,
Et j’en ai gagné dix-huit ;

  Je les ai gagnés tous les dix-huit,
Grâce à vous, Sainte Anne de Vannes.

  Je vais, à présent, au dix-neuvième,
Faites encore un miracle à mon endroit ;

  Et je vous ferai un présent
Qui sera agréable, le jour de votre pardon ;

  Je vous donnerai et calice
Et habillements (parements) pour vos sept autels.

  Le seigneur Les Aubrays disait
À son petit page, ce jour-là :

  — Mon petit page, préparez-vous,
Il nous faut aller au combat :

  Si je manque au rendez-vous,
On me prendra pour un poltron.

  — Mon maître, si vous m’obéissez,
Nous n’irons pas à ce combat-là.

  Il y a dix-huit cents soldats,
Et autant de dragons ;

  Et autant de dragons,
Nous sommes bien sûrs d’étre tués.

  — En dépit de la langue de celui qui parlera,
Nous irons à ce combat.

  Le seigneur Les Aubrays disait
À son jeune page, là, en ce moment :

  — Aiguisez votre épée contre la mienne.
Puis, venez avec moi au combat ;

  Tenons-nous tous les deux l’un contre l’autre,
Nous couperons du fer comme le vent.

  Et au bout d’une heure de là,
Les Aubrays en avait tué cinquante ;

  Et son jeune page, de l’autre côté,
En a tué tout autant.

  L’armée du roi a été tuée (détruite),
Et c’est le seigneur Les Aubrays qui en est cause.

  Le roi, quand il a appris (cela),
A dit à son jeune page :

  — Mon petit page, préparez-vous
À aller, à présent, à Saint-Brieuc ;


  Afin que vous alliez à Saint-Brieuc, aujourd’hui,
Pour parler au seigneur Les Aubrays ;

  Pour parler au seigneur Les Aubrays,
Et lui dire de venir jusqu’à moi.

  Le page du roi disait,
En arrivant à Saint-Brieuc :

  — Je dis bonjour à cette ville,
Le seigneur Les Aubrays où est-il ?

  Quand le seigneur Les Aubrays a entendu (cela),
Il a mis la tête à la fenêtre ;

  Il a mis la tête à la fenêtre.
Et il a dit au page du roi :

  — Salut à vous, page du roi,
Pourquoi avez-vous besoin de Les Aubrays ?

  — Je suis venu de la part du roi
Pour vous dire de venir jusqu’à lui ;

  Pour vous dire de venir jusqu’à lui,
Pour combattre contre son maure sauvage.

  — Page du roi, dites-moi,
Qu’est-ce que ce maure dont vous parlez ?

  — Si vous promettez de ne pas me dénoncer,
Je vous ferai connaître son secret :

  Ce maure-là, mon pauvre homme,
A sûrement de la magie du Diable.

  Quand il jettera ses habits par terre,
Vous jetterez les vôtres dessus ;

  Et quand il vous visera,
Lancez-lui de l’eau bénite.

  Quand le maure ira (sautera) en l’air,
Présentez votre épée pour le recevoir.

  — Tenez, petit page, voilà cent écus,
Puisque vous m’avez averti ;

  Puisque vous m’avez averti,
Sans vous, j’aurais été tué.

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant dans le palais du roi :


  — Bonjour à toi, dit-il, sire,
Qu’as-tu besoin de Les Aubrays ?

  — Je t’ai fait dire de venir jusqu’à moi,
Pour combattre contre mon maure sauvage.

  Quand le maure arrive dans la salle,
Il jette ses habits à terre :

  Il jette ses habits à terre,
Les Aubrays jette les siens pardessus.

  Quand il vient à le viser,
Il lui lance de l’eau bénite ;

  Quand le maure sautait en l’air,
Il présentait son épée pour le recevoir.

  Le maure du roi est tué,
Et c’est Les Aubrays qui en est cause.

  Quand le roi a vu (cela),
Il a dit à Les Aubrays :

  — Hâte-toi, dit-il, Les Aubrays,
De retirer ton épée de mon maure sauvage.

  — Je ne daignerais pas porter une épée
Qui a été dans (le corps) du maure du roi.

  Quand le roi a entendu (cela),
Il a dit à ses courtisans :

  — Mes courtisans, préparez-vous,
Car il faut que Les Aubrays soit tué !

  Quand Les Aubrays a entendu (cela),
Il a fait un saut par la fenêtre ;

  Il est monté sur son cheval,
Et a pris le grand chemin.

  Comme il s’en retournait, sur la route,
Il rencontra des gens qui charroyaient du foin ;

  Il rencontra des gens qui charroyaient du foin,
Et il demanda au maître :

  — Mettez mon cheval au timon (de la charrette),
Et jetez-moi sur le foin.

  Les gens du roi demandaient.
En passant (par là), tôt après :

  — Maître des faneurs, dites-nous,
N’avez-vous pas vu Les Aubrays ?

  — Nous n’avons pas vu Les Aubrays,
Nous ne connaissons pas cet homme-là.

  Quand ces gens-là furent passés,
Les Aubrays leur a dit (aux faneurs) :

  — Si j’arrive encore à la Noë-Verte,
J’ai là quatre grands canons ;

  Avec l’aide de Dieu et de mes deux bras,
Je soulèverai les troupes du roi en l’air.

  Quand il arriva à Saint-Brieuc,
Il écrivit lettre au roi :

  — Vous ne trouverez personne dans le pays
Pour parler contre Les Aubrays ;

  Pour parler contre Les Aubrays,
Pour faire plaisir au fripon de roi ![4]







  1. Cette pièce, où quelques personnes croient voir un d’Avangour, comte de Goëlo, revenant de la croisade, — et les deux versions qui suivent « le Géant Lesobré », et « le Géant Lizandré », m’ont été communiquées par M. Anatole de Barthélémy, qui s’intéresse vivement à tout ce qui peut éclairer les points obscurs ou controversés de notre histoire, et dont l’érudition est aussi étendue et consciencieuse qu’elle est appuyée sur une bonne méthode critique, dépouillée des chimères de l’imagination, ordinairement si dangereuses en histoire.
  2. Le Guindi est une petite rivière qui se jette dans le Jaudy, à Tréguier. C’est à tort que M. De La Villemmarqué a dit :

    « Etre bek Leger hag Indy. »

    Je ne connais en Bretagne aucun autre cours d’eau du nom de « Indy. »

    Le héros de cette ballade ne peut être que Jean de Lannion, châtelain des Aubrays, en Machecoul, seigneur de Lizandré, en Plouha, et de la Noë-Verte (en breton Goas-Glaz) en Lanloup, arrondissement de Saint-Brieuc, du chef de sa mère, Julienne Pinart, dame de Lizandré et de la Noë-Verte. Coatarsant, (que les chanteurs ont altéré en Coat-ar-Skinn), nom de son premier adversaire, est aussi celui d’un manoir en Lanmodez, paroisse voisine de Plouha et de Lanloup. Ce manoir appartenait alors à Claude Le Saint, sieur de Coatarsant et petit fils de Catherine Pinart.

    Note extraite d’une lettre, du 10 février 1866, de M. Pol De Couroy à M. Anatole de Barthélémy.
  3. Selon M. Pol De Courcy, si compétent en tout ce qui concerne les anciennes familles bretonnes, « Coat-ar-Skinn » serait une altération pour « Coat-ar-Sant. »
  4. Cette version a été recueillie dans la commune de Lanloup, où se trouve le château de la Noë-Verte qui appartenait au seigneur Des Aubrays.

    J’ai cru utile de reproduire littéralement ces deux versions, non recueillies par moi, mais qui concordent parfaitement avec celles du même gwerz que j’ai données dans le premier volume des « Gwerziou », pages 287, 91 et 97, — afin que l’on puisse faire plus facilement la part de ce qui appartient à la tradition populaire, dans le beau poëme de « Lez-Breiz », du « Barzaz-Breiz », et celle qui appartient à l’auteur de ce recueil célèbre.