Chansons populaires du Canada, 1880/p066

Texte établi par Robert Morgan,  (p. 66-69).


C’est dans la ville de bytown.


Il y aura bientôt quatorze ans, par une délicieuse matinée de juillet, un jeune homme avec qui je suis intimement lié, partait de Trois-Rivières pour se rendre à sa paroisse natale, la Rivière du Loup, en haut. Le jeune homme était musicien, et, comme il n’avait que dix-sept ans, il devait naturellement se croire très-fort dans son art. Chemin faisant, voilà que son cocher, ému sans doute par les beautés du soleil levant, et stimulé aussi, peut-être, par le chant des coqs et le bêlement des génisses, se met à entonner : C’est dans la ville de Bytown avec un accent rustique des plus prononcés. Grand plaisir chez notre artiste en herbe, qui, en vrai musicien de notre siècle, cherche aussitôt à harmoniser la mélodie, dans son esprit, à mesure qu’elle sort du rude gosier de son compagnon. Mais voilà notre jeune ami tout déconcerté ! … Impossible d’harmoniser cela ! Il a beau solliciter toutes les formules harmoniques, toutes les modulations à lui connues… impossible d’arriver à rien !

De la leçon toute pratique que donnait à notre ami son brave compagnon de route, il ressortait clairement ce principe : qu’il peut exister une musique reposant sur d’autres lois que sur celles qui régissent la tonalité qui nous est familière. Mais il ne tira pas cette conclusion tout d’abord. Assurément il fut frappé de l’étrangeté de la mélodie qu’il entendait, mais ce qui lui parut infiniment plus étrange encore, ce fut de se voir, lui, mis à quia par un pauvre cocher !

« Les airs populaires… dit M. Wekerlin, offrent quelquefois de véritables difficultés d’harmonisation, étant faits complètement en dehors des vues d’un accompagnement, et contraire souvent à nos lois harmoniques sur les modulations. Quelques-unes de nos chansons populaires datent d’une époque assez reculée, cela est incontestable ; plusieurs d’entre elles, celles où la note sensible n’existe pas, par exemple, remontent au moins à 1500, puisque ce n’est que tout au commencement de 1600 que Monteverde trouva l’accord de septième de dominante. Or cet accord de septième détermina réellement le sentiment de la note sensible, c’est-à-dire le demi-ton qui précède la tonique. Même sans ce trait caractéristique, beaucoup de chansons populaires font constater l’ancienneté de leur origine, rien que par leur allure méthodique, leur similitude avec le chant grégorien. »

Je ne partage pas entièrement la manière de voir du distingué compositeur dont je viens de citer les paroles, et je ne serais pas prêt à croire, comme lui, à l’ancienneté d’une mélodie uniquement parce qu’elle se rapproche de la tonalité grégorienne. Cette tonalité n’a jamais eu accès au théâtre, et l’harmonie dissonante l’a chassée complètement des salons, c’est vrai ; mais dans certaines campagnes, (je parle des campagnes du Canada), surtout dans celles où il n’y a ni orgue, ni harmonium dans les églises, et où l’on n’entend jamais d’autre instrument que le violon, elle règne encore en souveraine ; c’est dans cette langue musicale que les chanteurs populaires improvisent et composent. Il est possible que la mélodie de C’est dans la ville de Bytown, qui appartient au premier mode authentique de la tonalité ancienne, soit de composition fort antérieure à celle des paroles qui l’accompagnent, mais il est aussi fort possible que paroles et musique aient été composées en même temps : ce qui alors ne pourrait remonter bien haut.

On a fait un grand nombre de chansons où figure la ville de Bytown (aujourd’hui Ottaoua). M. LaRue, dans son étude sur nos chansons populaires, en a cité une très-remarquable dont je regrette de ne pas connaître l’air. Bytown a été longtemps le poste avancé de la civilisation dans la belle vallée de l’Ottaoua, le dernier souvenir qu’emportaient les voyageurs-forestiers dans leurs lointaines excursions au delà des îles Calumet et Allumettes.





\version "2.18.0"
\layout {
  indent = #10
  line-width = #150
  ragged-last = ##t
}
 \relative c'' {
 \key f \major
 \time 2/4
 \autoBeamOff
 \set Score.tempoHideNote = ##t
 \override Score.BarNumber.break-visibility = #all-invisible
 \override Staff.TimeSignature.break-visibility = ##(#f #t #t)
 \override Staff.Rest.style = #'classical
 \tempo 4 = 110
 \set Staff.midiInstrument = #"piccolo"
% Ligne 1 
  d4.. e16 | f8. d16 \stemUp c8. a16 | g4 a8. a16 | \stemNeutral d4.. e16 \break
% Ligne 2
  e8. d16 c8. a16 | \stemUp bes16( g4..)~ | g4 bes8.\rest g16 | \stemNeutral c4.. a16 | c8. c16 c8. c16 | \break
% Ligne 3
  \time 3/4 d8. bes16 d4->~ d8. d16 |  \time 2/4 d8. d16 d8. d16 | e8. g,16 \tuplet 3/2 {g8[ f] g8} | \break 
% Ligne 4
  a2 | d4 c8. d16 | g,4 bes8. d16 | c8. a16 f8. a16 | \stemUp bes16( g4..)~ \break
% Ligne 5
  g8 bes16\rest g16 \tuplet 3/2 {g8[ f] g8} | a2 | \stemNeutral d4 c8. d16 | g,4 bes8. d16 \break
% Ligne 6
  c8. a16 f8. a16 | \stemUp bes16( g4..)~ | g4 r4 \bar "||"
 }
\addlyrics { 
% Ligne 1 
  C’est dans la vill’ de Bail -- ton- ne, Là ious -- que
% Ligne 2
  j’ai’ té faire un tour; Là ious -- que ya des jo -- lies
% Ligne 3
  fil- les, Qui sont par -- fait’ et gen -- till’, Mais yen a 
% Ligne 4
  t-an’ que, par’ sus tout, Z-on dit que j’y fais l’a -- mour.
% Ligne 5
  Mais yen a t-an’ que, par’ sus tout, Z-on dit 
% Ligne 6
  que j’y fais l’a -- mour.
}

 
C’est dans la vill’ de Bailtonne
Là iousque j’ai’ té faire un tour ;
La iousque ya des jolies filles
Qui sont parfait’ et gentilles,
Mais yen a-t-an’ que, par’ sus tout,
Z-on dit que j’y fais l’amour.