XVI

Pour la troisième fois, Lesquent pressa sur la feuille d’acanthe de pierre qui servait à déclencher le mécanisme de la cheminée, mais, cette fois encore, le mur du fond ne bougea pas.

Il s’essuya le front et pensa avec angoisse :

« Si le mur n’allait pas se lever ? Si le mécanisme était brisé ? »

Avec soin, s’appliquant à presser bien horizontalement, mais cependant sans forcer, il essaya encore. Ce fut en vain.

« Ne nous affolons pas. Que peut-il arriver ? Que je ne parvienne pas à faire lever le mur et qu’elle reste prisonnière pour l’éternité… serait-ce ma faute ? L’ai-je obligée à entrer dans la cheminée ? L’ennui serait que la police s’inquiétât de sa disparition. Bien sûr, ils ne retrouveraient rien, mais ils me questionneraient… »

Lesquent s’avança dans la cheminée et cogna sur le mur du fond, puis attendit.

Il crut entendre un coup sourd et recommença à frapper. Il mit alors son oreille contre le mur et entendit plus distinctement les heurts. Pour faire comprendre à Colette qu’il l’avait entendue, il redonna quelques coups.

« Voilà qui va l’encourager… »

Puis il réfléchit et, après de nouveaux essais infructueux, décida d’employer les grands moyens percer le mur mobile. Il sortit du château pour aller chercher des outils : pic, marteau, pioche, qui lui permettraient d’entailler la pierre et de desceller quelques moellons.

Il trouva une pioche rouillée dans un bâtiment à demi ruiné et prit dans la trousse de son auto un marteau et un burin. Il allait attaquer la pierre au burin, quand l’idée lui vint qu’il pourrait être, à son tour, pris au piège. En descellant des pierres, n’allait-il pas rompre l’équilibre entre les deux murs mobiles ? Sans doute, le mur allégé se lèverait-il, ce qui ferait tomber celui de devant, et lui, Lesquent, se trouverait également enfermé sans pouvoir espérer que quiconque vienne à son secours.

Le moyen d’éviter cet accident était d’étayer sous le premier mur. Deux rondins de bois feraient l’affaire. Il pensa en trouver dans le bûcher et, laissant ses outils à pied d’œuvre, il sortit à nouveau du château.

Lesquent n’eut aucune peine à découvrir ce qu’il cherchait. Deux rondins, d’environ deux mètres de haut et de dix centimètres de diamètre, lui semblèrent suffisants. Il les chargea sur son épaule et montait l’escalier du perron quand il entendit le crissement des pneus d’une auto sur le gravier de l’allée. Il se retourna et reconnut avec ennui la voiture de Chavanay.

« J’ai bien envie de lui dire, à celui-là, que le château n’est plus à vendre. »

À la vérité, Chavanay ne pensait absolument pas au château en cet instant.

Il sortit de sa voiture avec assez de nervosité pour montrer que son humeur n’était plus à la plaisanterie.

— Je voudrais voir Mlle Semnoz, fit-il en entrant dans le hall.

Lesquent, qui venait de déposer son étai près de la porte de la bibliothèque, entrevit en un instant mille menaces. Mais il n’était pas homme à se démonter pour si peu. Il jugea qu’il devait continuer à jouer le jeu de tout à l’heure.

— Je vous ai dit qu’elle était en montagne, ou, plus exactement, c’est ce qu’elle m’a écrit il y a quelques jours.

— Monsieur Lesquent, je veux ignorer quels motifs vous ont incité à me raconter des histoires. Sachez que je viens de chez Me Lemasle. Il n’a fait aucune difficulté pour me donner l’adresse de Mile Semnoz. Elle habite rue du Mont-Cenis, à Paris.

Lesquent écartait déjà les bras et, prenant un visage conciliant, s’apprêtait à dire :

— Eh bien ! puisque vous connaissez son adresse, allez la voir.

Chavanay ne lui en laissa pas le temps.

— Je vous arrête, mon cher, mais je sais également que Mlle Semnoz est ici. Je vous prie donc de me conduire près d’elle… ou de l’appeler.

Ce mot, à lui seul, rassura Lesquent. Il démontrait que Chavanay ne soupçonnait pas que Colette pût être prisonnière. Cependant, l’actuel maître de Grandlieu était inquiet de cette insistance que le Parisien mettait à vouloir rencontrer sa cousine.

Il hasarda :

— Je vous prie de m’excuser, monsieur. Colette, en effet, était ici quand vous êtes venu tout à l’heure. Si je vous ai dit qu’elle n’y était pas, si je vous ai donné une fausse adresse, ce ne fut que pour suivre ses ordres formels… Mlle Semnoz ne veut absolument pas être importunée par la vente du château.

— Vous lui avez fait part de ma visite ?

— Oui, fit Lesquent d’un ton évasif.

— Et que vous a-t-elle dit ?

Lesquent haussa les épaules.

— Pour vous avouer le fond de ma pensée, je suis très ennuyé, car ma cousine ne semble plus désireuse de vendre Grandlieu.

— Que m’importe Grandlieu ! N’a-t-elle pas manifesté le désir de me voir ?

Le visage de Lesquent trahit son étonnement.

— Ne vous a-t-elle pas dit que nous nous connaissions ?

— Je l’ignorais, fit Lesquent avec franchise.

— Veuillez la prier de venir.

— Je vous ai dit tout à l’heure qu’elle était repartie. Juste après votre départ. Vous auriez pu la rencontrer à Pont-Audemer, un fermier voisin l’y a emmenée.

— Monsieur Lesquent, vous mentez mal. Je sais que Me Semnoz est encore ici.

— Je vous assure…

— … Et je veux la voir.

Avec un certain goût du risque qui, parfois, perçait sa prudence coutumière, Lesquent lança :

— Si vous en êtes si sûr, cherchez-la…

Du geste, il indiquait l’escalier et, au-delà du hall, le salon. Mais Chavanay marcha vers lui et, le bousculant presque, entra dans la bibliothèque.

— Elle est repartie nu-tête, fit-il en saisissant le chapeau de Colette. Très étonnant de sa part en cette saison et pour un tel voyage.

Il fit le tour de la pièce, s’assit dans ce fauteuil que, lors de leur premier entretien, Lesquent lui avait offert.

— Votre château, je m’en moque maintenant. Seulement, je n’aime pas être berné… Veuillez donc aller chercher votre cousine, je n’ai que fort peu de choses à lui dire, mais je tiens absolument à ce qu’elles soient dites.

Lesquent, qui était mal à l’aise, réfléchit avec intensité.

— Venez avec moi au salon, dit-il enfin.

Sans dire un mot, Chavanay le suivit. Quand ils y furent entrés, Lesquent le pria d’attendre et, sans rien dire d’autre, se dirigea vers l’escalier.

Il monta rapidement à l’étage et, là, se penchant sur la rampe, observa si Chavanay sortait du salon. Celui-ci n’ayant pas bougé, Lesquent s’éloigna dans un couloir et appela plusieurs fois Colette. Entre temps, il revenait à son poste d’observation. Tout en jouant cette comédie, il se demandait quel pouvait être le degré de relations entre Chavanay et Colette.

Enfin, il redescendit et, d’un air navré, dit :

— Excusez-moi, je ne la trouve pas, mais je crois savoir qu’elle ne tient pas du tout à vous rencontrer.

— Peut-être…

— Si vous ne me croyez pas, cherchez vous-même.

La colère, qui animait Chavanay lors de son arrivée, était tombée. Il se leva, fit quelques pas en direction de la porte, puis s’arrêta.

— Vous me disiez donc que le château n’est plus à vendre ?

— Je ne peux pas vous dire exactement, car je suis toujours désireux de le vendre, c’est ma cousine qui n’y est plus décidée.

— Tout ceci est bien étrange, fit Chavanay.

Avec gêne, Lesquent dut subir le regard pénétrant de son interlocuteur.

Chavanay hocha la tête en guise de salut et il s’en alla. Lesquent s’assura qu’il ne faisait pas de fausse sortie et, après avoir tiré les verrous de la porte d’entrée, retourna vers la cheminée.