Catriona/31
Hachette, (p. 311-314).
CONCLUSION
Dès que nous fûmes en sûreté sous les murs de Dunkerque, nous tînmes conseil sur notre situation. Nous venions d’enlever une fille à son père et la loi était contre nous ; il s’agissait d’éviter la prison dans le cas où il plairait à James More de nous dénoncer. Il est vrai que nous avions entre les mains la lettre du capitaine Palliser, mais pas plus Catriona que moi n’aurions aimé à la produire en public. Tout compte fait, il était prudent d’aller à Paris remettre la jeune fille à la garde de son oncle Mac Gregor de Bohaldie, qui ne demanderait pas mieux que de lui donner asile et qui, d’autre part, ne serait pas désireux de déshonorer James. Le voyage fut long ; Catriona n’était plus habituée à monter à cheval et n’avait jamais essayé depuis 1745. Nous arrivâmes à Paris un samedi matin, nous cherchâmes aussitôt le domicile de Bohaldie, que nous découvrîmes facilement avec l’aide d’Alan.
Il était bien logé et vivait avec aisance, car il jouissait d’une pension sur les fonds écossais, outre ses ressources personnelles. Il reçut très bien Catriona et la traita en parente, mais sans manifester autre chose que de la politesse et en demeurant assez réservé.
Nous lui demandâmes des nouvelles de son cousin.
« Pauvre James ! » fit-il seulement, en secouant la tête, comme un homme qui en sait plus qu’il n’en dit.
Nous lui montrâmes la lettre du capitaine Palliser et sa figure s’allongea.
« Pauvre James ! répéta-t-il, il y a de pires individus que lui, mais cela est bien mal ! Vraiment, je ne l’en aurais pas cru capable ! Voilà une triste lettre et je ne vois pas en effet l’avantage que nous aurions à la rendre publique. « C’est un vilain oiseau que celui qui souille son propre nid. » Ne sommes-nous pas tous Écossais et Highlanders ? »
Sauf peut-être Alan, nous en fûmes d’accord et nous le fûmes encore plus sur la question de notre mariage, que Bohaldie prit en mains comme si James More n’eût pas existé. Il conduisit Catriona à l’autel avec de belles manières et d’aimables compliments en français. Ce ne fut qu’après la cérémonie et quand tous eurent bu à notre santé, qu’il nous confia que James était à Paris où il nous avait précédés de quelques jours ; il ajouta qu’il était malade et en danger de mort.
Je lus aussitôt sur le visage de ma femme quelle était sa pensée.
« Allons le voir, lui dis-je.
— Merci d’y consentir », répondit-elle.
Il était logé dans le même quartier que son cousin ; on nous indiqua une grande maison d’angle et le son de la cornemuse nous guida jusqu’au grenier où nous le trouvâmes : pour charmer son ennui, il avait emprunté à Bohaldie son cher instrument de musique et, bien qu’il fût loin d’avoir le talent de son frère Rob, il jouait bien et les Français s’arrêtaient dans l’escalier pour l’écouter. Il était couché sur un petit lit et au premier regard, je vis qu’il ne s’en relèverait pas ; triste lieu pour mourir assurément, mais malgré tout, je sentis que j’aurais de la peine à le supporter jusqu’à la fin. Sans aucun doute, Bohaldie l’avait informé de notre mariage ; il nous fit compliment et nous donna sa bénédiction, comme un patriarche.
« Je n’ai jamais été compris, nous dit-il, je vous pardonne tous les deux du fond du cœur. »
Après cela, il se mit à causer de diverses choses, fut assez bon pour nous jouer un air sur la cornemuse, et n’oublia pas de m’emprunter une petite somme avant de nous laisser partir. Je ne pus découvrir la moindre trace de honte dans sa manière d’être, mais il pardonna sincèrement et il semblait que cela fût pour lui un soulagement. À chaque entrevue, il répéta son pardon et quatre jours plus tard, il mourut comme eût fait un saint, ce qui mit le comble à mon exaspération. Nous prîmes soin de ses obsèques, mais quand il fut question de l’épitaphe, je ne pus me décider à en faire figurer une sur sa tombe et je trouvai que la date seule de sa mort était suffisante.
Nous renonçâmes à retourner à Leyde où nous avions passé pour frère et sœur, et quand j’eus recouvré tous nos bagages nous nous embarquâmes pour l’Écosse sur un bateau des Low Lands.
Et maintenant, miss Barbara Balfour, et master Alan Balfour, cadet de Shaws, voilà l’histoire finie ; il doit vous sembler que vous avez connu tous ceux qui y ont joué un rôle. Pour commencer par les dames, la bonne qui agitait vos berceaux afin de vous endormir n’était autre qu’Alison Nastie de Limekilns, qui vous accompagna plus tard dans vos promenades lorsque vous fûtes plus âgés. Cette belle dame, la marraine de miss Barbara, c’est miss Grant, qui se moquait si bien de David Balfour chez l’avocat général Prestongrange. Vous souvenez-vous aussi d’un gentilhomme qui vint à Shaws un soir, coiffé d’une vieille perruque ? On vous éveilla, on vous apporta au salon pour lui être présentés, et on vous dit qu’il se nommait M. Jamieson. Alan Balfour a-t-il oublié ce qu’il fit ce soir-là, à la prière de M. Jamieson ? C’était un acte compromettant pour lequel, d’après la loi, il méritait d’être pendu : il s’agissait de boire à la santé du roi exilé de l’autre côté de la Manche ! N’était-ce pas un drôle de procédé dans la maison d’un whig ? Mais M. Jamieson avait tous les privilèges et aurait mis impunément le feu à mes greniers. En France, on l’appelle le chevalier Stewart.
Et maintenant que l’histoire de David et de Catriona Balfour est terminée, je vais vous surveiller de près ces jours-ci, mes enfants, et je verrai si vous êtes assez hardis pour vous moquer de vos parents. Il est vrai qu’ils ne furent pas toujours aussi sages qu’ils eussent dû l’être et qu’ils se sont fait de la peine bien inutilement, mais vous vous apercevrez bientôt en grandissant que miss Barbara et master Alan auront de la peine à faire mieux que leurs père et mère. La vie est une vraie comédie. On parle des anges qui pleurent ; j’ai toujours pensé, au contraire, qu’ils se tiennent les côtes en voyant ce qui se passe sur notre globe ; mais je m’étais promis de dire toute la vérité, quand j’ai entrepris cette histoire, et j’ai tenu ma promesse.