Catéchisme d’économie politique/1881/02


Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 5-9).
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Chapitre II.

Ce que c’est que l’Utilité, et en quoi consiste la Production des Richesses.


Qu’entendez-vous par l’utilité ?

J’entends cette qualité qu’ont certaines choses de pouvoir nous servir, de quelque manière que ce soit.

Pourquoi l’utilité d’une chose fait-elle que cette chose a de la valeur ?

Parce que l’utilité qu’elle a la rend désirable et porte les hommes à faire un sacrifice pour la posséder. On ne donne rien pour avoir ce qui n’est bon à rien ; mais on donne une certaine quantité de choses que l’on possède (une certaine quantité de pièces d’argent, par exemple) pour obtenir la chose dont on éprouve le besoin. C’est ce qui fait sa valeur.

Cependant, il y a des choses qui ont de la valeur et qui n’ont pas d’utilité, comme une bague au doigt, une fleur artificielle ?

Vous n’entrevoyez pas l’utilité de ces choses, parce que vous n’appelez utile que ce qui l’est aux yeux de la raison, tandis qu’il faut entendre par ce mot tout ce qui est propre à satisfaire les besoins, les désirs de l’homme tel qu’il est. Or, sa vanité et ses passions font quelquefois naître en lui des besoins aussi impérieux que la faim. Lui seul est juge de l’importance que les choses ont pour lui, et du besoin qu’il en a. Nous n’en pouvons juger que par le prix qu’il y met ; pour nous, la valeur des choses est la seule mesure de l’utilité qu’elles ont pour l’homme. Il doit donc nous suffire de leur donner de l’utilité à ses yeux, pour leur donner de la valeur.

L’utilité est donc différente selon les lieux et selon les circonstances ?

Sans doute ; un poêle est utile en Suède, ce qui fait qu’il a une valeur dans ce pays-là ; mais en Italie il n’en a aucune, parce qu’on ne s’y sert jamais de poêle. Un éventail, au contraire, a une valeur en Italie, et n’en a point chez les Lapons, où l’on n’en sent pas le besoin.

L’utilité des choses varie de même dans un même pays selon les époques et selon les coutumes du pays. En France, on ne se servait pas de chemises autrefois, et celui qui en aurait fabriqué n’aurait peut-être pas réussi à en faire acheter une seule ; aujourd’hui, dans ce même pays, on vend des millions de chemises.

La valeur est-elle toujours proportionnée à l’utilité des choses ?

Non, mais elle est proportionnée à l’utilité qu’on leur a donnée.

Expliquez-vous par un exemple.

Je suppose qu’une femme ait filé et tricoté une camisole de laine qui lui ait coûté quatre journées de travail ; son temps et sa peine étant une espèce de prix qu’elle a payé pour avoir en sa possession cette camisole, elle ne peut la donner pour rien, sans faire une perte qu’elle aura soin d’éviter. En conséquence, on ne trouvera pas à se procurer des camisoles de laine, sans les payer un prix équivalent au sacrifice que cette femme aura fait.

L’eau, par une raison contraire, n’aura point de valeur au bord d’une rivière, parce que la personne qui l’acquiert pour rien, peut la donner pour rien ; et, en supposant qu’elle voulût la faire payer à celui qui en manque, ce dernier, plutôt que de faire le moindre sacrifice pour l’acquérir, se baisserait pour en prendre.

C’est ainsi qu’une utilité communiquée à une chose lui donne une valeur, et qu’une utilité qui ne lui a pas été communiquée ne lui en donne point.

N’y a-t-il pas des objets qui ne sont capables de satisfaire immédiatement aucun besoin, et qui cependant ont une valeur ?

Oui ; les fourrages ne peuvent immédiatement satisfaire aucun des besoins de l’homme, mais ils peuvent engraisser des bestiaux qui serviront à notre nourriture. Les drogues de teinture ne peuvent immédiatement servir ni d’aliment, ni d’ornement, mais elles peuvent servir à embellir les étoffes qui nous vêtiront. Ces choses ont une utilité indirecte ; cette utilité les fait rechercher par d’autres producteurs, qui les emploieront pour augmenter l’utilité de leurs produits ; telle est la source de leur valeur.

Pourquoi un contrat de rente, un effet de commerce, ont-ils de la valeur, quoiqu’ils ne puissent satisfaire aucun besoin ?

Parce qu’ils ont de même une utilité indirecte, celle de procurer des choses qui seront immédiatement utiles. Si un effet de commerce ne devait pas être acquitté, ou s’il était acquitté en une monnaie incapable d’acheter des objets propres à satisfaire les besoins de l’homme, il n’aurait aucune valeur. Il ne suffit donc pas de créer des effets de commerce pour créer de la valeur ; il faut créer la chose qui fait toute la valeur de l’effet de commerce ; ou plutôt il faut créer l’utilité qui fait la valeur de cette chose.

Les choses auxquelles on a donné de la valeur ne prennent-elles pas un nom particulier ?

Quand on les considère sous le rapport de la possibilité qu’elles confèrent à leur possesseur d’acquérir d’autres choses en échange, on les appelle des valeurs ; quand on les considère sous le rapport de la quantité de besoins qu’elles peuvent satisfaire, on les appelle des produits. Produire, c’est donner de la valeur aux choses en leur donnant de l’utilité ; et l’action d’où résulte un produit se nomme production.