Catéchisme d’économie politique/1881/03

Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 9-14).
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Chapitre III.

De l’Industrie.


Vous m’avez dit que produire c’était donner de l’utilité aux choses ; comment donne-t-on de l’utilité ? comment produit-on ?

D’une infinité de manières ; mais, pour notre commodité, nous pouvons ranger en trois classes toutes les manières de produire.

Quelle est la première manière dont on produit ?

C’est en recueillant les choses que la nature prend soin de créer, soit qu’on ne se soit mêlé en rien du travail de la nature, comme lorsqu’on pêche des poissons, lorsqu’on extrait les minéraux de la terre ; soit qu’on ait, par la culture des terres et par des semences, dirigé et favorisé le travail de la nature. Tous ces travaux se ressemblent par leur objet. On leur donne le nom d’industrie agricole, ou d’agriculture.

Quelle utilité communique à une chose celui qui la trouve toute faite, comme le pêcheur qui prend un poisson, le mineur qui ramasse des minéraux ?

Il la met en position de pouvoir servir à la satisfaction de nos besoins. Le poisson dans la mer n’est d’aucune utilité pour moi. Du moment qu’il est transporté à la poissonnerie, je peux l’acquérir et en faire usage ; de là vient la valeur qu’il a, valeur créée par l’industrie du pêcheur. De même, la houille a beau exister dans le sein de la terre, elle n’est là d’aucune utilité pour me chauffer, pour amollir le fer d’une forge ; c’est l’industrie du mineur qui la rend propre à ces usages, en l’extrayant par le moyen de ses puits, de ses galeries, de ses roues. Il crée, en la tirant de terre, toute la valeur qu’elle a une fois tirée.

Comment le cultivateur crée-t-il de la valeur ?

Les matières dont se compose un sac de blé ne sont pas tirées du néant ; elles existaient avant que le blé ne fût du blé ; elles étaient répandues dans la terre, dans l’eau, dans l’air, et n’y avaient aucune utilité et, par conséquent, aucune valeur. L’industrie du cultivateur, en s’y prenant de manière que ces diverses matières se soient réunies sous la forme d’abord d’un grain, ensuite d’un sac de blé, a créé la valeur qu’elles n’avaient pas. Il en est de même de tous les autres produits agricoles.

Quelle est la seconde manière dont on produit ?

C’est en donnant aux produits d’une autre industrie une valeur plus grande par les transformations qu’on leur fait subir. Le mineur procure le métal dont une boucle est faite ; mais une boucle faite vaut plus que le métal qui y est employé. La valeur de la boucle pardessus celle du métal, est une valeur produite, et la boucle est un produit de deux industries : celle du mineur et celle du fabricant. Celle-ci se nomme industrie manufacturière.

Quels travaux embrasse l’industrie manufacturière ?

Elle s’étend depuis les plus simples façons, comme celle que donne un grossier artisan villageois à une paire de sabots, jusqu’aux façons les plus recherchées, comme celle d’un bijou, et depuis les travaux qui s’exécutent dans l’échoppe d’un savetier, jusqu’à ceux qui occupent plusieurs centaines d’ouvriers dans une vaste manufacture.

Quelle est la troisième manière dont on produit ?

On produit encore en achetant un produit dans un lieu où il a moins de valeur, et en le transportant dans un lieu où il en a davantage. C’est ce qu’exécute l’industrie commerciale.

Comment l’industrie commerciale produit-elle de l’utilité, puisqu’elle ne change rien au fonds ni à la forme d’un produit, et qu’elle le revend tel qu’elle l’a acheté ?

Elle agit comme le pêcheur de poisson dont nous avons parlé, elle prend un produit dans le lieu où l’on ne peut pas en faire usage, dans le lieu du moins où ses usages sont moins étendus, moins précieux, pour le transporter aux lieux où ils le sont davantage, où sa production est moins facile, moins abondante, plus chère. Le bois de chauffage et de charpente est d’un usage et, par conséquent, d’une utilité très bornée dans les hautes montagnes, où il excède tellement le besoin qu’on en a, qu’on le laisse quelquefois pourrir sur place ; mais le même bois sert à des usages très variés et très étendus lorsqu’il est transporté dans une ville. Les cuirs de bœuf ont peu de valeur dans l’Amérique méridionale, où l’on trouve beaucoup de bœufs sauvages ; les mêmes cuirs ont une grande valeur en Europe, où la nourriture des bœufs est dispendieuse et les usages qu’on fait des cuirs bien plus multipliés. L’industrie commerciale, en les apportant, augmente leur valeur de toute la différence qui se trouve entre leur prix à Buenos-Aires et leur prix en Europe.

Que comprend-on sous le nom d’industrie commerciale ?

Toute espèce d’industrie qui prend un produit dans un endroit pour le transporter dans un autre endroit où il est plus précieux, et qui le met ainsi à la portée de ceux qui en ont besoin. On y comprend aussi, par analogie, l’industrie qui, en détaillant un produit, le met à la portée des plus petits consommateurs. Ainsi, l’épicier qui achète des marchandises en gros pour les revendre en détail dans la même ville, le boucher qui achète les bestiaux sur pied pour les revendre pièce à pièce, exercent l’industrie commerciale ou le commerce.

N’y a-t-il pas de grands rapports entre toutes ces diverses manières de produire ?

Les plus grands. Elles consistent toutes à prendre un produit dans un état, et à le rendre dans un autre où il a plus d’utilité et de valeur. Toutes les industries pourraient se réduire à une seule. Si nous les distinguons ici, c’est afin de faciliter l’étude de leurs résultats ; et malgré toutes les distinctions, il est souvent fort difficile de séparer une industrie d’une autre. Un villageois qui fait des paniers est manufacturier ; quand il porte des fruits au marché, il fait le commerce. Mais, de façon ou d’autre, du moment que l’on crée ou qu’on augmente l’utilité des choses, on augmente leur valeur, on exerce une industrie, on produit de la richesse[1].


  1. Grâce à de judicieuses observations de Ch. Dunoyer, nous avons maintenant une classification plus complète, en ajoutant aux trois classes de travaux que vient d’annoncer l’auteur : l’Industrie extractive et l’Industrie voiturière, plus les diverses classes d’actions, de professions agissant sur l’homme physique, intellectuel et moral, et celles ayant pour objet la production de la sécurité, et dont J.-B. Say parle au chapitre IX. J. G.