Carnets de voyage, 1897/De Besançon à Strasbourg (1863)

Librairie Hachette et Cie (p. 145-146).
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1863


DE BESANÇON À STRASBOURG


Le chemin de fer longe une rapide rivière de montagne dans une vallée étroite ; il est suspendu sur une route frayée à la mine et traverse un tunnel toutes les demi-heures.

Ce pays est charmant ; les montagnes fraîches et boisées font un plaisir dont on ne se lasse pas. Leurs attitudes varient à l’infini ; à chaque quart d’heure, c’est un nouveau site. Elles me semblent toujours vivantes, avec des ventres et des échines, renversées ou debout, d’un caractère sérieux et noble.

Parfois le soleil tombe en pluie de rayons sur un pan de prairies de velours qui étincellent. Ce vert mouillé singulier, avec un fond de pâleur et de transparence passagère, laisse un vague sentiment de tristesse. Tout cela va mourir et renaître. Comme le Midi est plus propre au bonheur !

Vers Mulhouse, je crois, commence la plaine, une grande plaine fertile, trempée d’eau, terne. Les tabacs, les plantes fourragères pullulent. Je les ai retrouvés au delà de Strasbourg, jusqu’à Saverne. Le pays est un très grand potager comme la Flandre. Au sortir du Midi, on est frappé de la lourde fécondité, grossière et bourgeoise. Les gens du Nord songent à beaucoup manger, à s’emplir copieusement. Cela est visible d’après les têtes. Quels balourds que ces gendarmes ! Quel trop-plein de chair dans les petites religieuses boulottes et rouges ! Ils sont grossièrement et grandement charpentés et comme taillés à coups de hache. Le divin charpentier a fait les choses au gros tas. Voyez, par contraste, les alertes et fins Méridionaux de Toulouse, pomponnés, tirés à quatre épingles. — Mais les Vosges noires, montant les unes par-dessus les autres, et le soleil couchant avec son jet de flèches d’or, sont bien beaux.