Traduction par Benoît Malon.
Librairie du progrès (p. 199-276).


CHAPITRE QUATRIÈME


ANALYSE OBJECTIVE DU CAPITAL. — ASSOCIATIONS PRODUCTIVES


Il nous reste à développer le plus brièvement possible l’idée objective du capital.

Nous pourrons le faire d’autant plus brièvement que partout, dans nos développements positifs, nous avons déjà établi les bases de cette idée et que nous l’avons élucidée dans un exposé concret. (Voir page 131 et suiv.)

Si nous disions : Le capital est une catégorie historique, tout serait dit le plus brièvement possible, mais bien peu des lecteurs nous comprendraient.

Il faut donc que nous procédions plus graduellement.

Examinez, monsieur Schulze, les définitions du capital que nous avons vues jusqu’à présent ; je ne parle pas de votre définition favorite, que le capital est la partie épargnée du revenu, que vous donnez d’après Bastiat ; cette définition est trop absurde, et elle a été suffisamment réfutée.

Mais examinez cette autre définition que vous donnez également et qui se condense dans ces paroles : le capital, c’est les instruments de travail, ou cette autre généralement donnée par les économistes : le capital c’est du travail accumulé. Ou bien encore celle que je vous donnai plus haut (page 96) : le capital c’est l’ensemble des produits employés à une production ultérieure.

Jetez de nouveau un coup d’œil sur l’Indien qui, dans les forêts vierges de l’Amérique, son arc en mains, chasse pour gagner sa vie.

Cet homme est-il un capitaliste ? Cet arc est-il un capital ?

Vous voyez que les trois définitions sont exactes. L’arc est en effet un instrument de travail. Il est aussi du travail accumulé et un produit employé à une production ultérieure.

Et pourtant, monsieur Schulze, ce sera contraire à votre propre conviction d’appeler cet Indien un capitaliste.

Ainsi vous voyez que toutes ces définitions doivent être encore fausses, puisqu’elles ne renferment pas en elles le juste et le distinctif.

Mais peut-être — car qu’y a-t-il d’impossible pour vous ? — peut-être faites-vous violence à votre sentiment et vous dites : Oui, l’arc est un capital et l’Indien est un petit capitaliste.

Mais il serait très facile de vous démontrer que cet arc n’est pas un capital et que l’Indien n’est pas un capitaliste.

Pour mieux comprendre cela, transportez-vous pour un moment avec un arc semblable dans ces mêmes forêts. L’arc vous mettrait à même de pouvoir tirer le gibier ; il vous aiderait — et c’est pourquoi il s’appelle instrument de travail — dans votre propre travail, dirigé immédiatement vers l’acquisition de vos moyens d’existence ; mais si, comme il est à craindre, vous vous lassez à la fin de parcourir les forêts en concurrence avec les bêtes féroces, vous ne trouverez aucun moyen de donner à cet arc la faculté d’acquisition et comme le caractère absolu du capital est la faculté d'acquisition, vous voyez bien que cet arc est un instrument de travail, mais qu’il n’est pas un capital.

J’admets le cas où vous voudriez échanger l’arc contre une autre valeur, parce que le travail accumulé en lui ne peut pas se capitaliser à cause de sa forme, et que, dans ce but, vous le proposiez à l’Indien mentionné.

Il est tout à fait possible que l’indien consentirait à votre proposition, si l’arc lui convenait. Il vous donnerait alors en échange un gibier abattu ou une pelleterie, ou, peut-être même dans une contrée aurifère, un gros monceau d’or.

Mais vous n’avez aucune possibilité d’employer tous ces objets à une acquisition postérieure. Pour rendre ces valeurs productives, pour leur faire rapporter des rentes, vous devriez vous rendre dans d’autres pays, dans des conditions européennes. Mais dans les conditions historiques définies où je vous ai transporté, cela ne vous aurait pas été possible.

Même en possession de cette nouvelle valeur échangée contre l’arc, du gibier, de la pelleterie, un morceau d’or, vous vous trouveriez dans une position plus désavantageuse qu’auparavant ; l’arc pouvait vous seconder au moins dans vos efforts pour gagner votre vie par la chasse.

Retenez donc bien, monsieur Schulze, le distinctif et le caractéristique que nous avons appris à connaître de cette observation : il y a des conditions historiques dans lesquelles il y a des instruments de travail, dans lesquelles on peut même échanger, mais dans lesquelles néanmoins, il n’y a pas encore de capital.

En suite de nos expositions précédentes (page 130 et suiv.) vous vous dites peut-être ici : quoiqu’il y ait des instruments de travail, il n’y a pas encore de capital, parce qu’il n’y a pas de division de travail ; c’est pourquoi, ce n’est que l’instrument de travail dans la main du travailleur, on en d’autres termes, ce n’est que le travail lui-même qui est productif.

Il en découle la proposition suivante : la productivité autonome de capital, sa productivité dans la séparation du travail n’est possible que sous un système de division du travail dont il est le résultat.

Jetez un coup d’œil sur les États civilisés de l’antiquité. Il y règne une certaine division de travail quoique nulle en comparaison de celle d’aujourd’hui, et une grande richesse. Mais vous voyez l’antique propriétaire posséder les biens-fonds, les esclaves et tous les instruments et les produits de travail.

Cet homme est-il un capitaliste ? Non, monsieur Schulze. Quand vous contemplez un ancien schah de Perse, auquel appartiennent non seulement tout le pays qu’il gouverne, mais aussi toutes les richesses et tous les hommes qui s’y trouvent, direz-vous : cet homme était un grand capitaliste ? Certainement non ! Car vous sentirez qu’il a été plus que cela.

Il en est de même de l’ancien propriétaire. Celui à qui appartenait de droit non seulement l’instrument de travail, mais le travailleur lui-même, ne peut pas être appelé un capitaliste ; car sa part dans le produit de la production sociale est basée, non sur sa possession dés instruments de travail, mais du travailleur lui-même. L’esclave dont il se sert pour exécuter le travail n’est pour lui qu’un autre levier et le levier un autre esclave.

De ce manque de démarcation et de distinction il résulte qu’il y avait des maîtres (Herren) mais non des capitalistes, des valeurs et des richesses, mais non des capitaux.

Vous pouvez l’observer plus loin en détail, si vous examinez activement les traits caractéristiques de l’économie antique. L’ancien propriétaire des biens-fonds et d’esclaves fait produire avant tout, et par excellence les valeurs d’usage nécessaires dans sa propre maison. Il ne vend que les produits excédants et ce n’est que par exception et dans la classe inférieure[1] des citoyens qu’on voit faire travailler les esclaves pour vendre leurs produits. Car cette production d’autrui est, elle-même, le résultat naturel de l’excédant de la propre production de cet autre producteur, c’est pourquoi elle n’a pas encore besoin du système de crédit moderne, qui ne peut se former que dans une société produisant exclusivement des valeurs d’échange.

Alors même que les occasions pour des placements de ce genre commencent déjà à se présenter, la manière de voir, les mœurs et les coutumes du peuple s’y opposent ; à leur tour elles ne sont que la conséquence de l’état économique que nous venons de décrire, état qui a dominé pendant si longtemps et qui prédomine encore à l’époque dont nous parlons.

Vous concevez bien maintenant pourquoi l’intérêt du capital a eu tant de difficultés à se frayer une voie dans les conceptions des anciens peuples, pourquoi il était considéré dans le sens antique comme honteux, inconvenant et indigne d’un homme libre (inhonestum).

Quand Aristote, Cicéron, Sénèque, les Pères de l’Église et le droit canonique considèrent l’intérêt du capital comme déshonorant et synonyme de l'usure, quand au temps de la République romaine l’intérêt était interdit par la loi, quand Caton fait l’éloge du statut des ancêtres qui portait la punition du voleur au double et celle du receveur d’intérêts au quadruple[2], quand l’Église catholique refusait aux receveurs d’intérêts la communion, le droit de tester et la sépulture, et quand, au contraire, Jérémie Bentham et avec lui toute l’économie libérale ne voient dans l'usure que le droit naturel le plus sacré, le plus inaliénable de l’homme, ces deux antithèses s’expliquent de la manière la plus simple. Le juriste, disent les juristes romains, ne prend en considération que id quod plerumque fit, ce qui arrive le plus souvent. Ceci peut s’appliquer encore plus à ces conceptions morales des peuples, qui résultent de leurs conditions économiques, qu’ils ne soient que dans « ce qui arrive le plus souvent ».

Dans l’antiquité, comme chez nous, on empruntait aussi. Mais comme alors, pendant longtemps, le motif et l’occasion de placer son prêt d’argent dans une production d’ autrui manquaient complè- Cato, de re rust. praef. ; majores ita in legibus posuerunt, furem dupli condemnari, feneratorem quadrupli. tement, cette production d’autrui étant fondée généralement sur un simple excédant, et cet excédant étant formé parle procès naturel, les emprunts d’argent se firent pendant longtemps presque exclusivement dans des buts de consommation.

C’étaient donc les besoins et les embarras personnels qui faisaient faire ces emprunts, lors même qu’il s’agirait, par exemple, des embarras d’un édile romain, qui veut faire tapisser de pourpre, et à ses frais, tous les gradins du cirque pour les spectacles publics qu’il va donner au peuple et qui n’a pas toute la somme nécessaire dans sa caisse.

Un prêt fait dans le simple but de consommation ne rendra nullement l’emprunteur plus riche qu’il n’était ; vouloir exploiter à son profit le besoin et rembarras personnel d’un homme est déshonorant en tout cas ; l’antiquité et l’Église l’ont justement senti.

Il est vrai que dans les temps modernes on fait aussi des emprunts dans des buts de consommation. Mais les prêts productifs, les prêts faits par les emprunteurs dans le but de placement des entreprises productives, prédominent de beaucoup. Ce genre de prêt provient aussi d’un embarras, mais de l’embarras unique de s’enrichir et le prêteur en conséquence.se décide à partager cet embarras avec l’emprunteur à l’amiable. En d’autres termes : le prêt destine à la production est, économiquement parlant la part au produit de l’entreprise[3], et l’opposition entre la conception antique et la conception Bourgeoisie de l’intérêt ; chacune des deux est définie par le caractère économique du prêt, dominant à son époque, et trouve ainsi après un véritable examen historique sa solution naturelle.

Ainsi quand l’occasion pour un placement productif d’argent commence à se présenter de plus en plus sous la forme du prêt, il trouve un puissant obstacle dans l’interdiction religieuse et dans la conception morale du peuple qui combattent dans la pratique ses progrès. Le placement de fonds dans la production d’autrui — l’ancien propriétaire étant, comme je l’ai dit, un maître et non un capitaliste — ne forme qu’une partie relativement très insignifiante des anciens placements de fonds. « Beaucoup le biens-fonds et un peu de rentes » voilà ce qui constitue beaucoup plus tard, au temps de Pline, la fortune d’un sénateur romain[4]. Même pour un homme d’une richesse proverbiale comme Crassus (sa fortune estimée parles anciens à 7100 talents, — le talent d’alors valant à peu près 1400 thalers ; constitue la somme de 9 940 000 tha1ers[5]). Plutarque dit en faisant l’inventaire de ses biens, de ses mines d’argent, de ses terres et de la quantité d’esclaves qui les cultivaient, de ses maisons, etc. » Tout cela n’est rien encore en comparaison de la valeur de ses esclaves domestiques ; il en possédait un très grand nombre et d’excellents, parmi lesquels il avait des lecteurs, des scribes, des contrôleurs d’argent, des inspecteurs, des officiers de table, etc[6].

Presque tous ces esclaves étaient des moyens de jouissance. C’est dans de pareils moyens de jouissance et non en capitaux que se résout l’ancienne économie qui dans sa forme industrielle est la domination absolue (Herrschaft) et non l’économie capitaliste. Il y a dans le monde antique des instruments de travail, des moyens de jouissance, des valeurs et des richesses, mais point de capitaux encore. Déterminée par cette forme dominante des conditions générales, la productivité du capital n’est pas encore donnée quand même, par exemple, le père de Sophocle fait exercer la fourbisserie par SOS esclaves. Par cette fabrication qui s’écoule dans le commerce, l’antique économie perd seulement son caractère d’économie naturelle ; d’un côté cette production garde le caractère de la domination (Herrschaft). d’un autre coté, cette fabrication ne s’écoule que dans le commerce qui, comme nous l’avons dit, est déjà assez développé ; ces esclaves produisent maintenant tous les objets de consommation nécessaires à leurs maîtres sous la forme de glaives, échangés contre ces objets de consommation ; mais tous ces glaives ne se résolvent encore qu’en moyens de jouissance, ou en argent comme moyen d’achat de tous les autres moyens de jouissance, dont ils sont les représentants. Mais ces glaives ne se manifestent pas encore sous la forme acquérante du capital, sous la forme de productivité libre et autonome, et de la faculté d’accumuler intérêts sur intérêts. Cette production dirigée vers l’échange des valeurs, c’est le premier pas fait. Mais ce premier pas est empêché dans ses conséquences par toute la connexion générale du monde antique. Les richesses et l’or de l’ancien monde sont le capital-embryon d’où naîtra plus tard le capital. En attendant, le développement de ces richesses n’a pas encore eu lieu, elles n’ont pas encore pris la forme spécifique et particulière du capital.

Jetez les yeux sur une autre époque de civilisation : observez le propriétaire du moyen âge, le seigneur dans ses châteaux-forts et dans ses métairies, au milieu de ses serfs, de ses colons, des villes et des villages, ses tributaires à différents degrés. Cet homme était-il un capitaliste ?

Il ne faut pas avoir l’idée grossière, très répandue, M. Schulze, qu’on ne vivait alors que des produits de l’agriculture ! La production était assez développée, le luxe considérable, les moyens de jouissance nombreux, variés et raffinés. Lisez, par exemple, la description que nous donne le minnesaenger, le chevalier Ulric de Lichtenstein (au treizième siècle) de la réception que lui fit sa femme dans sa chambre (kemenate) « La vierge, — dit-il dans son poème[7] — était assise sur un lit et me reçut pudiquement ; elle me souhaita la bienvenue. La gracieuse beauté portait une petite chemise et par dessus une sukenia d’écarlate[8] doublée d’hermine, son manteau était vert, et par dessous elle avait un beau tablier (Chürsen). Auprès d’elle se trouvaient huit femmes, mises aussi très-bien sur le lit était un matelas de velours, recouvert de deux garnitures de soie, pardessus une magnifique couverture, un délicieux traversin et deux ravissants coussins ; l’échafaudage du lit disparaissait complètement sous les riches tapis qui en formaient le ciel ; au pied du lit brillaient deux lumières sur deux candélabres gigantesques et aux murs scintillaient au moins une centaine de chandelles.

Lisez aussi la description que fait notre chevalier quand il parcourt les pays travesti en dame Vénus : « Je passai ici l’hiver, et me fis tailler des habits de femme ; on me fit douze robes et trente manches de femme avec des petites chemisettes ; j’y acquis quelques tresses que j’entourai de perles, qu’on vendait là en quantité surprenante ; on me tailla aussi trois manteaux de velours blanc ; les selles des chevaux étaient blanches comme l’argent ; (l’ouvrier y avait mis beaucoup de peine et de travail) ; les caparaçons en drap blanc étaient longs et superbes, et les brides magnifiques. On tailla aussi de beaux habits de drap blanc pour douze écuyers ; on me fit cent lances blanches comme V argent ; tout ce que ma suite portait était blanc comme la neige ; mon casque était blanc, et blanc mon bouclier ; je fis couper de cinq pièces de velours blanc, trois couvertures devant servir d’habillement d’armes de mon coursier, ma cotte d’armes à moi, devait être un petit jupon bien plissé et faite d’un fin drap blanc[9].

Vous voyez, M. Schulze, qu’on ne se refusait rien alors. Et pourtant le propriétaire de toutes ces belles choses, le seigneur du moyen âge, était-il un capitaliste ?

Point du tout ! Et j’espère, si toutefois vous avez la patience de me lire, pouvoir vous le prouver peu à peu, tout aussi clairement, que je vous l’ai prouvé au sujet de l’antiquité.

L’esclavage est aboli et la servitude qui l’a remplacé se modifie elle-même dans le courant du moyen âge, en un système de servage personnel à des degrés divers, et forme une mosaïque d’obligations diverses. C’est ce qui donne précisément au moyen âge son type caractéristique.

J’ai déjà expliqué ailleurs que c’est la particularité qui caractérise le moyen âge sous le rapport historico-philosophique. Ce n’est plus l’homme dans son ensemble, mais sa volonté et les actes particuliers de sa volonté qui sont considérés comme propriété privée.[10] Dans le domaine économique cela donne le système des services particuliers, un système de rapports de droits d’un individu particulier à un autre individu particulier, qui se résolvent en toutes sortes d’actes particuliers et de produits particuliers (Valeur d’usage, à distinguer de la valeur d’échange générale : l’argent). Tel est le système des services et des prestations qui détermine principalement l’économie et la production du moyen-âge.

Examinez de plus près, quoique rapidement, la manière d’être du propriétaire féodal du moyen-âge.

Abstraction faite des serfs de la glèbe, le labour des champs du seigneur se fait par des corvées de chevaux et des corvées manuelles plus ou moins précises, par des colons libres et non libres, le tout à des degrés divers ; car les Mansi (colons) libres sont aussi sujets à ces corvées, comme les non libres ; ces derniers trois jours dans la semaine tandis que les premiers ne donnent, en général, que cinq à six semaines par an[11].

Mais, abstraction faite de la culture des terres, il n’existe aucun genre de services que sous le système féodal, les colons (Mansi) libres et les serfs, les bourgs corvéables à différent degrés, et les bourgeois des petites villes, ne soient obligés de rendre au seigneur.

Figurez-vous un jour de paiement de redevances, où le noble seigneur féodal perçoit les revenus qui lui incombent. Quelle abondance de seigle, d’orge, de poules, de jambons, de bœufs, de porcs, d’œufs, de beurre, d’huile, de fruits, de cire, de bougies, de miel ! On voit même des gâteaux, des bouquets de fleurs et des chapeaux de rose[12]. Les tailleurs, les cordonniers de la ville qui se trouvent sous sa suzeraineté — rappelez-vous le principe : nulle terre sans seigneur — lui apportent les habits et les souliers qu’ils ont fait pour lui et ses gens, pendant les semaines de corvées[13]. De même les gantiers, les faiseurs de gobelets, les fendeurs de bois et les charpentiers doivent travailler pour lui, sans salaire (sine mercede) ; les maréchaux ferrants et les serruriers doivent lui fournir des chaînes et des flèches, et en outre une certaine quantité de fers de chevaux et des clous[14]. Dans les temps les plus reculés du moyen-âge, s’il y avait dans les terres seigneuriales des artisans et des artistes de tout genre (mecanici et artifices), des bouchers (carnificer), des corroyeurs (cerdones), des tonneliers (doliatores), des pelletiers (pellifices et pelliparii), des charrons (curifices et carpentarii[15]), des merciers (insistores), des architectes (æditui), des tailleurs de pierres et des maçons ( cœmentarii et lacipidæ), des peintres (pictores) et même des marchands (negotiatores), des orfèvres (aurifices) et des graveurs en bois (lignorum cæsares[16]), tous étaient obligés de travailler pour lui ; en général le seigneur féodal avait droit à un ouvrier de tous les métiers établis dans sa propriété foncière, — n de tout métier un artisan » — et lorsque à une époque plus avancée du moyen-âge, les artisans et les artistes cessent d’habiter les manoirs, ils doivent, en souvenir de ce rapport originel, livrer ou faire livrer au suzerain, par leurs subordonnés, des produits de leurs métiers, des couteaux de toutes sortes, des ciseaux et des tenailles (cultelli, rosaria forcipes et forfices), des pioches et des haches (picarii), des plats (scutellae), gobelets (picaria), de la vaiselle de tous genre (craterœc), des selles et autres ustensiles (sellacet cœtera ustensilia[17]). Quand le boucher vend un bœuf, la langue et les pieds reviennent de droit au seigneur ; il prélève des taxes équivalentes sur le vin, la bière et les autres boissons[18]. Mais que ferait-il du vin de la bière, s’il n’avait pas de tonneaux ? Et les tonneaux (tunnac) avec ou sans charette, les douves qui en font partie (dovac), les cercles (circuli),les plaques (patellae), les chaudrons de fer et de cuivre[19], conjointement avec les bardeaux et les autres matériaux nécessaires à la réparation doivent lui être délivrés[20]. Et les encaveurs[21] sont obligés de descendre dans la cave le vin et la bière gratuilement pour le gracieux seigneur et les jaugeurs à jauger gratuitement les tonneaux de bière et de vin du gracieux seigneur.

Et les forgerons doivent lui fournir des éperons et les tisserands une nappe de table de la longueur de six aunes, et un essuie-mains[22].

Vous pouvez penser, M. Schulze, que dans ce zèle général de bien approvisionner cet homme, les femmes ne restent pas en arrière.

La femme de chaque colon doit livrer une pièce de toile et une pièce d’étoffe en laine (camisilem I et sarcilem I) ; elle doit préparer du malt et cuire du pain[23]. Il y en a qui doivent fabriquer la toile et l’étoffe de leur propre fil (pannos ex proprio lino[24]) d’autres ne doivent que leur travail (si datur eis linificium, faciunt camsilos, etc.)[25], et c’est pourquoi d’autres Mansi sont obligés de lui fournir, avec les marcassins, la graine de lin et les lentilles, aussi une botte de lin dans sa maison de travail[26]. Les pêcheurs doivent lui livrer le saumon et d’autres poissons (poisson de corvée) péchés dans des intervalles de temps déterminés[27] ; ils doivent le conduire, conjointement avec les meuniers, en barque sur les fleuves, partout où il voudra ; mais le privilège des messages particuliers, du service de poste et d’estaffettes appartient aux bouchers[28].

Je, pourrais continuer encore pendant longtemps l’énumération de cet inventaire économique, monsieur Schulze, si je ne craignais de vous fatiguer.

Encore quelques exemples seulement pour vous prouver que vous ne sauriez imaginer un besoin quelconque qui, avec ce système de services en nature, ne trouvât sa satisfaction dans une obligation particulière. Chaque besoin particulier a ses obligés particuliers qui sont tenus à rendre ce service in natura.

Quand on a des affaires qui nécessitent un conseil on prend chez nous un avocat à grands frais Mais le seigneur du moyen-âge n’en a pas besoin ; tous les bourgeois des communes placées sous sa suzeraineté, sont obligés, en cas de besoin, de l’assister de leurs conseils dans la mesure de leur entendement[29].

Nous payons bien cher pour voir le ballet, ou pour aller chez Wallner ou dans des lieux de ce genre. Mais le seigneur féodal n’en a pas besoin ! Il y a des gens juridiquement obligés de jouer les uns, un homme ivre[30], d’autres à faire des sauts comiques[31], les troisièmes à chanter une chanson équivoque devant leur dame[32].

Nous voilà maintenant dans le domaine de la particularité ; et comme il est tout à fait naturel que chaque goût particulier tende à être satisfait, — le goût étant la particularité qui d’après le proverbe populaire ne se laisse même pas discuter — il pouvait arriver un jour, quoique j’espère que cela n’arrivait pas souvent, que quelqu’un eût eu le goût tout à fait particulier d’entendre un — comment le nommer… un… eh bien… un pet Sur le champ on trouve, sous la main, parmi les tributaires du seigneur, une jeune fille qui a le devoir féodal de lui faire entendre le jour des redevances, en réunion publique. .. un pet ! [33]).

Maintenant vous devez décidément avoir compris, monsieur Schulze, ce qu’est cet homme !

C’est un homme riche, très riche, mais il ne peut pas — ce qui fait son malheur quand vous le comparez à votre ami Reichenheim — et ce qui les distingue en même temps — c’est qu’il ne peut pas capitaliser le pet ! Ainsi ni pet ni gambades de bouc, ni les obscénités, ni les services de messages, ni la cire, ni les œufs, et non plus les poules, le miel, les bœufs, les plats, les assiettes, le lin, la toile, les gobelets, les cerceaux, les barils, les pelleteries, les chaudrons, le saumon, les étoffes de laine, le vin, la bière, les selles, etc., etc. ; encore moins les services que les jaugeurs, les encaveurs, les charrons, les tanneurs, les maçons, les forgerons, les orfèvres, les graveurs et les peintres, etc., sont obligés à lui rendre.

Avec toutes ces choses, il peut mener une vie joyeuse et magnifique. Ainsi fait-il ! Car Maurer a raison quand il dit[34] : « Dans un temps où la poésie n’avait pas encore disparu delà vie, comme de nos jours, où elle est remplacée par la raison glacialement froide, par l’esprit calculateur avant tout, dans un temps pareil c’était un besoin pour chacun, après avoir passé la journée à chevaucher, chasser ou faire des exercices, ou en occupations plus sérieuses, de se récréer le soir par la musique et la danse, ou du moins par les plaisirs d’une société joyeuse. « Et il cite les jolis vers de Tristan (3725-30) :

Le jour il faut chevaucher, chasser,
La nuit rentrer à la maison,
S’occuper de choses joyeuses ;
Jouer de la harpe, danser, chanter
Tu le peux, fais-le pour moi.
Je peux jouer, je Iq ferai pour toi.

Tous ces moyens de jouissance qui entourent le seigneur en abondance, il peut les consommer, et c’est ce qu’il fait honnêtement ; il en jouit avec plénitude, avec insouciance et gaîté, et beaucoup plus humainement que cela n’a lieu aujourd’hui ; vous le savez bien par l’exemple de votre ami Reichenheim qui, en écoulant Beethoven ou Mozart à l’Opéra, est subitement pris par les soucis de la capitalisation, qui empoisonnent tout son plaisir.

Mais tous ces moyens de jouissance, le seigneur ne peut que les consommer, ou les conserver pour une consommation future ; il ne peut pas les faire multiplier par eux-mêmes.

Car, par la nature de ses rapports, le seigneur n’aboutit qu’à la valeur d’usage particulière ou le service, ce qui est la même chose ; il n’est pas encore en face de la valeur d’échange générale, de l’argent ; il ne contemple pas encore Dieu le Père en personne, face à face. Le service était le lien général qui liait tous les membres de l’État entre eux et au chef suprême de l’État, dit Maurer avec raison (Gesch. der Frohnhöfe, I, 376). En effet, si l’absurde invention du service de Bastiat était vraie à un point de vue quelconque, elle le serait (mais dans un tout autre sens que lui donne Bastiat) pour le moyen-âge, en temps que la valeur d’échange n’y existe pas encore, tandis que, d’après cet illuminé, le service doit servir de principe de la valeur d’échange.

Ce propriétaire foncier lève, il est vrai, aussi des intérêts d’argent, qui successivement, de plus en plus, s’établissent au lieu et place des redevances en nature ; mais cet argent ne peut suffire qu’à acquérir les produits de luxe qui existent dans le commerce universel, et qui ne sont pas fabriqués dans ses domaines fonciers, et quand même il aurait des rentes d’argent superflues, il ne pourrait pas les capitaliser et les multiplier dans sa propre production.

Car, par sa forme, tout cet ensemble est tellement stable et immobile, avec son système des services réciproques déterminés, sa précision de toutes les forces de travail, des modes d’utilisation, des devoirs, des droits et des charges en nature, que cet ordre de choses n’offre nulle part l’espace ni la possibilité pour un placement et une multiplication de ce genre.

Il est manifeste, par exemple, qu’il serait plus lucratif de semer tel champ de froment plutôt que de seigle ou de fourrage ; ou bien de trèfle et de luzerne, plutôt que de froment. Mais ce champ est grevé d’une redevance en nature de dix muids de seigle, ce qui fait que le champ doit toujours rester un champ de seigle. Ou peut-être, tel bois gagnerait à être défriché et converti en un champ de froment. Mais avec ces rapports de services réciproques en nature, qui lient le seigneur féodal avec les colons, les communes, l’Église, etc., ce bois est grevé de tant de redevances en nature, de tout genre, qu’on ne peut pas même songer à un changement de culture. La particularité engendre nécessairement avec le système des services particuliers et en nature[35], la propriété germanique ou la propriété divisée (dans le sens juridique en propriété supérieure et propriété inférieure, en dominium et en usufruit) et chaque changement ou augmentation de culture, est dans tout état de cause rigoureusement empêché.

Vous pensez peut-être que les choses se passaient autrement dans les villes ?

En apparence, dans les villes, le bourgeois et maître du moyen âge se trouve dans une tout autre situation que le propriétaire foncier.

Mais, en réalité, ce sont les mêmes conceptions, qui produisent le même résultat caché, quelquefois sous d’autres formes.

Je ne m’arrête pas aux premiers temps du moyen âge, quand la production se faisait dans les villes par des patriciens, moyennant leurs artisans-serfs (v. plus haut, p. 124) cette production étant aussi basée sur la domination. Je ne veux examiner que les temps postérieurs, quand l’organisation des corps de métiers s’est déjà développée. Je ne veux pas non plus entrer dans les détails pour ne pas vous fatiguer.

Un rapide coup d’œil vous fera tout comprendre.

Le maître de jurande qui a son droit de maîtrise parce que son père était déjà pelletier[36], ou parce qu’il répond à une des autres conditions particulières, à la multiplicité desquelles l’organisation des jurandes du moyen âge a enchaîné le droit de maîtrise, ce maître exerce cette production à raison d’un droit particulier, d’une prérogative particulière, et non, comme le fabricant actuel, simplement en vertu de rapports positifs.

Mais s’il est privilégié, c’est-à-dire s’il possède des privilèges particuliers, il y a nécessairement, — cela va de soi, — à côté de lui d’autres personnes particulières qui, en cette qualité, doivent aussi être priviliégiées, et dont le droit particulier rétrécit partout le sien, s’entrecroise avec lui, le limite et ne le laisse se développer librement en aucun temps, en aucun lieu. De cette simple définition émanent toutes les innombrables prescriptions du moyen âge sur les matières premières que le producteur doit employer, sur les méthodes de travail qu’il doit suivre, sur les modes industriels qu’il doit employer, sur les heures de travail auxquelles il doit se borner, sur les salaires qu’il doit payer, sur la qualité qu’il doit livrer, sur les prix et le maximum dont il doit se contenter, etc., etc.

Lisez les statuts et les redevances du moyen âge, et vous y trouverez toutes ces limitations et beaucoup d’autres[37]. En cas de besoin, je mets à votre disposition une riche collection de livres. Ici, je ne prends en considération que deux limitations généralement connues et qui l’emportent sur toutes les autres.

Le maître possède son droit de maîtrise comme une prérogative particulière. Mais deux sortes d’autres privilégiés lui sont nécessairement opposés. D’abord les titulaires de tous les autres métiers qui sont également privilégiés comme lui — et c’est pourquoi nul maître n’ose exercer deux branches de métier, si grande que soit l’affinité entre elles et quand même leur jonction serait nécessaire à la production. Ensuite, tous les maîtres de ^on propre métier lui sont opposés comme également privilégiés — c’est pourquoi il n’ose pas déployer plus de forces de travail que tout autre maître de son métier dans cette ville, c’est-à-dire le nombre d’auxiliaires qu’un maître peut avoir dans un métier est juridiquement défini dans chaque ville, pour chaque métier.

Il est clair qu’avec ces deux limitations on ne peut pas même songer à une capitalisation du revenu de la production.

Les inventions les plus ingénieuses doivent se briser contre cette démarcation juridique des différentes branches de travail qui ne souffre aucune agglomération entre les mains d’un seul et même fabricant ; cette démarcation empêche la production à bon marché et avec celle-ci la production en masse qui aurait entraîné un bon marché plus grand encore[38]. Et si malgré tout cela, malgré toutes les limitations juridiques qui gênent le producteur industriel dans le choix de son travail, dans les prix, etc., il réussissait à gagner plus que le maître son voisin, — que peut-il entreprendre avec ce revenu de sa production ? Il ne peut pas l’employer productivement dans sa propre production parce qu’il ne peut pas augmenter ses forces de travail déterminées par les statuts pour tous les maîtres ; il ne peut pas augmenter le nombre do ses auxiliaires, et, par conséquent, il ne peut pas agrandir son entreprise. Pour cette même raison il ne peut pas le prêter au maître son voisin ni à d’aures maîtres du différents métiers, qui pour cette même cause ne peuvent pas augmenter leur production.

De cette manière, dans la production industrielle du moyen âge, la faculté de capitaliser le revenu de la production est annulée. Le thaler gagné par le maître est un thaler mort qui ne fait pas de petits. Il est excellent comme moyen de consommation, ou pour être conservé, comme trésor pour une consommation ultérieure. Mais il n’a pas encore acquis sa force vivante, génératrice. Le revenu de la production dans l’industrie s’écoule donc, comme chez le propriétaire foncier, en moyens de consommation.

Il y a au moyen âge un seul point où le capital commence à se développer comme tel. C’est le commerce universel qui a lieu principalement avec l’Orient par l’entremise des Vénitiens. Dans les temps ultérieurs du moyen âge ces démarcations statutaires limitantes se détachent ici en partie ; et celles qui restent encore ne peuvent pas étouffer dès sa naissance la faculté génératrice, qui s’accroît sans cesse, du capital.

Quand les Portugais eurent ouvert la voie maritime des Indes parle doublement du cap de Bonne-Espérance, les Fugger[39] d’Aushourg gagnent, dans une seule expédition qu’ils y envoient, outre la couverture des frais de 100,000 ducats, un profit net de 175,000 ducats (175 pour 100)[40].

Des gains énormes de ce commerce universel se développèrent aussi les gains de l’usure financière qui, pendant longtemps, fut exercée au moyen âge, principalement sous la forme de prêts snr gages et sur hypothèque[41].

Le capital-embryon du moyen âge est successivement enfant et adolescent, et il va attendre ]e moment d’avoir la force de briser ses chaînes pour se manifester homme fait, capital développé !

Chaque événement, chaque découverte et invention, chaque progrès dans la division du travail, chaque épargne de frais dans la production, chaque élargissement du cercle de débit, les instruments de production, bref tout le développement bourgeois concourt à ce qu’on ne puisse absolument plus produire dans les anciennes conditions[42].

L’adolescent, peu à peu devenu fort, brise enfin ses chaînes[43] ; la Révolution française éclate ; toutes les limitations juridiques disparaissent ; la concurrence libre est conquise et le géant déchaîné le capital — se dresse, pour la première fois, devant nous, dans sa réalité vivante développée. La liberté bourgeoise est conquise, et cette liberté consiste en ce qu’il est légalement permis à tout le monde, sans distinction, de devenir millionnaire.

Observons en peu de mots les traits distinctifs de cette nouvelle période, sur lesquels repose la force capitalisante de la production, et qui se résument tous (comme ils en découlent), dans la concurrence libre.

Le producteur bourgeois n’est plus, ni sous le rapport industriel, ni sous le rapport agricole, sur le terrain des privilèges particuliers. Toutes les distinctions et toutes les conditions juridiques ont disparu pour faire place à une seule condition purement positive, celle d’avoir en mains l’avance nécessaire à la production : le capital.

Toutes les limitations dans la production supprimées, ce sont les services de la division du travail qui dominent, et la production se décompose en une série infinie d’opérations partitives et de productions en masse pour le marché universel, qui toutes se résolvent en valeurs d’échange, de sorte que, comme nous l’avons exposé plus haut, chacun produit à présent ce qu’il n’emploie pas et ce qu’il ne peut pas employer, ainsi qu’à l’opposé des services et de la production des valeurs d’usage directes (production naturelle) du moyen âge, les choses circulent désormais toujours et indéfiniment à travers la forme argent, et la valeur d’échange est devenue l’état réel des choses, devant lequel leur véritable raison d’être, la valeur d’usage, s’est retirée dans l’ombre et ne trouve plus de place dans le système des conditions économiques. Il en est de même de la production agricole comme de la production industrielle qui marque toute notre époque de son caractère dominant. Car celui qui produit à présent du blé pour le marché universel, et non pour son propre usage et celui des cercles de débit voisins, et par conséquent ne peut plus remplir ses propres obligations en livraisons naturelles, celui-là dépend (qu’il soit grand ou petit producteur) des prix des grains de Londres et d’Amsterdam, de Berlin, de Cologne et de Paris. Le grand agriculteur, celui qui produit avec un grand capital pour pouvoir couvrir ses grands frais et ses déboursements, et pour pouvoir remplir ses propres grandes obligations, et le petit agriculteur, avec ses petits rapports et ses petites obligations qui n’en sont que plus écrasantes, ne produisent tous les deux que des valeurs d’échange, et la production pour le propre usage, ou la valeur d’usage proprement dite, tend également à disparaître de plus en plus dans les travaux agricoles.

Il résulte en outre que la loi de Ricardo : le prix des produits est égal à leurs frais de production[44], est absolument vraie pour le présent, mais ne l’était pas autant pour la production du moyen âge.

Dans l’organisation des corps de métiers du moyen âge, les prix dépendaient en grande partie de la détermination (résolution) des producteurs qui pouvaient s’en tenir à un profit correspondant à la position sociale, et avec le débit limité que chacun pouvait atteindre, vu la limitation de ses forces de travail, ils n’avaient aucun motif d’en démordre. Les fréquents maximum de prix qui furent décrétés prouvent qu’ils ne maintenaient que trop cet intérêt. Sous la domination nivellatrice de la concurrence libre, cela se modifie. Chacun offre à meilleur marché que l’autre, pour lui enlever son débit, ou bien il est forcé par celui-ci d’offrir à meilleur marché. Ainsi le prix de vente du produit doit, en effet, forcément baisser, à la longue, aux frais de production. Gela donne au consommateur un avantage réel : la modicité des prix. Or, cette modicité, cet amoindrissement de profit sur chaque pièce isolée, ou l’offre à prix toujours plus bas de la part des vendeurs, ne se rétablit que par l’agrandissement du débit ou l’augmentation de la somme des produits sur laquelle profite chaque vendeur, en sorte que la réduction de la quote-part de profil qui tombe sur la pièce isolée, est plus que compensée par la quantité plus grande de marchandises sur lesquelles il profite. 11 en résulte naturellement que l’agrandissement du débit nécessite une production sur un pied plus grand, une plus grande réunion de forces de travail dans les mêmes mains, une fourniture de plus grandes masses de matières premières, bref un grand déboursement ou un grand capital.

En d’autres termes : sous le régime de la concurrence libre, tout capital a une attraction naturelle vers le grand capital, qui nécessairement décapitalise[45] le petit capital, l’attire à lui et l’engloutit.

En même temps, par cet agrandissement continuel du procès de production et de ses avantages, est trouvée la voie de la force capitalisante de la production. Le thaler acquis aujourd’hui dans la production engendre demain un autre thaler ; c’est un thaler vivant, il pond ! Il se multiplie par lui-même en vertu de la loi moderne de l’échange.

Enfin, depuis que chaque branche de production et chaque producteur ont le besoin et la faculté d’agrandir indéfiniment leur fond de capital, il s’est établi un système de crédit extrêmement compliqué, permettant à chacun de placer productivement son capital dans sa production et son excédant constant ou momentané dans la production d’autrui, sous différentes formes, prêts, lettres de change, commandites ou actions, etc., etc.

Voici d’abord dans leurs contours les plus serrés, — les seuls qui peuvent être exposés ici, — les linéaments essentiels de la production sous le régime de la concurrence libre.

Jusqu’ici, nous n’avons examiné le producteur que dans sa forme simple concentrée, que comme exclusivement producteur.

Pour mieux distinguer les traits dont la concurrence libre empreint la production sociale, observons-le dans sa forme double réelle, comme entrepreneur et comme travailleur.

Le sort des deux est naturellement déterminé par le prix que le produit trouve dans son aliénation et par le contingent que la concurrence libre donne à chacun des deux dans ce produit de production.

Il a été question plusieurs fois de cette loi du prix, et nous l’avons déjà exposée.

La valeur des produits apparaît d’abord dans le phénomène comme prix de marché, c’est-à-dire qu’elle dépend, dans chaque moment donné, isolé du rapport entre l'offre de ces produits et leur demande.

C’est la loi générale qui, intervenant dans le phénomène, détermine, sous la concurrence libre, tous les prix.

Mais, comme nous l’avons également déjà dit, cette loi se résout dans une autre, qu’elle a pour base et qui détermine ce rapport ; dans la loi que le prix des produits devient à la longue égal à leurs frais nécessaires de production. Car si l’offre de produits quelconques surpassait la demande, en tant que leur prix baisserait au-dessous de leurs frais de production, la production cesserait ou se ralentirait jusqu’à ce que le rapport normal soit rétabli.

Si, au contraire, en suite d’une forte demande d’un produit quelconque, le prix de marché était, pendant un temps assez long, assez élevé pour rapporter plus que le profit normal de production, les capitaux, en vertu de la concurrence libre, se jetteraient sur cette production et en augmenteraient l’offre jusqu’à ce que le prix retombât nécessairement au niveau des frais de production.

Les frais de production nécessaires d’un produit quelconque, en déterminant la fourniture du marché et le rapport de l’offre et de la demande en dernière instance, constituent ainsi, sous la concurrence libre, la véritable loi intrinsèque qui définit le prix des produits.

Les frais de production ne sont, comme nous l’avons déjà expliqué plusieurs fois, que l’expression pratique des quantum de temps de travail nécessaire à la production d’un produit. La réduction des frais de production en quantum de temps de travail est l’œuvre brillante et scientifique de Ricardo.

Les quantum de temps de travail nécessaire à un produit sont la vraie mesure de la valeur, la conscience de la production bourgeoise, bien que cette conscience, comme nous le disions plus haut, ne se manifeste que dans sa lésion, dans les oscillations des prix du marché, dans l’alternance du trop ou du trop peu.

Cette éternelle tromperie du marché (rappelez-vous ce que je vous ai dit au commencement sur ce jeu de hasard que présente toute la production d’aujourd’hui) peut avoir des suites très désagréables et ruineuses pour l’entrepreneur ou le capitaliste isolé. L’entrepreneur ou le capitaliste isolé peut être obligé de vendre sa marchandise au marché, à tout prix, si le pendule oscille vers la baisse, et il ne pourra plus être au marché si le pendule oscille vers la hausse. Mais cela n’atteint que l’entrepreneur ou le capitaliste isolé, jamais la classe des entrepreneurs (Unternehmerstand) ou le capital, qui au contraire, tandis que les petits entrepreneurs et les petits capitalistes sont écrasés par le jeu de ces oscillations du pendule et éloignés de la concurrence, manifeste le jeu libre de ses forces ou l'absorption du petit capital par le grand.

Pour le capital, ces oscillations du pendule sont aplanies en moyenne par la loi qui les détermine, — le temps de travail.

Pas une heure de travail, pas une goutte de sueur du travailleur n’est perdue pour l'ensemble des entrepreneurs, pour le capital, dans le prix des produits. Goutte par goutte, tout lui est finalement payé par le consommateur.

Si telle est la situation des entrepreneurs vis-à-vis des consommateurs, comment se détermine dans la répartition du profit de production, qui a lieu entre l’entrepreneur et le travailleur, la part définitive de chacun, l’entrepreneur ayant entre ses mains, dans la forme individuelle actuelle de production, le produit, et par conséquent le montant de ce produit ?

Je l’ai dit dans ma Lettre ouverte : la moyenne du salaire de travail dans les conditions de production d’aujourd’hui est, par une inexorable nécessité, limitée à l'entretien nécessaire en usage dans le peuple.

Vous et vos partisans, avez protesté contre cette loi. Vous m’aviez objecté que ce n’était que le rapport de l’offre et de la demande qui déterminait les prix des salaires de travail.

C’est parfaitement vrai ! Mais c’est justement la grande et repoussante hypocrisie de votre part et de la part de MM. Wirth, Faucher, Michaelis et de toute votre coterie, que de prendre l’air de vouloir dire autre chose que moi, tandis qu’en d’autres termes vous dites exactement la même chose. Pendant que vous déterminez le salaire de travail exclusivement par l’offre et la demande, vous le traitez — et cela de nos jours avec plein droit historique — comme une marchandise.

Gomme le prix de toutes les autres marchandises, le prix du travail est déterminé par les rapports de l’offre et de la demande. C’est parfaitement vrai. Mais qui est-ce qui détermine, en tout temps, ce prix du marché de chaque marchandise, ou la moyenne du rapport de l’offre et de la demande d’un article quelconque ? Les frais nécessaires à sa production, comme nous venons de le voir et comme d’ailleurs vous le dites vous-même parfois. Le marché est quelque chose de singulier, insensible et qui n’a rien avoir avec l’esthétique, M. Schulze ! Une livre de fil filé de la propre main de Mme la Duchesse — dit l’ancien économiste écossais sir James Stewart[46] — vaut au marché autant et pas plus qu’une livre de même fil filé par une pauvre servante qui ne consomme pas six pences par jour. Le marché est tout à fait indifférent à l’essence des marchandises ; peu lui importe que ce soit de la porcelaine de Chine, ou du coton d’Amérique, d’infectes peaux de veau marin, de l’assa fœtida, de jolies esclaves circassiennes, ou du travail, c’est-à-dire, les bras des travailleurs européens. II n’a qu’une mesure et qu’une conscience : la demande et l’offre, dont le rapport est déterminé, en dernière instance, par les frais nécessaires de production.

D’après cela, combien pourrait coûter au marché, en moyenne, un travailleur, M. Schulze ?

Evidemment une somme égale à l’entretien habituel de tout autre travailleur et de sa famille ! Donnez-lui de quoi satisfaire à cette nécessité et soyez sans souci, il produira assez d’autres travailleurs, bien que ce ne soit pas précisément pour favoriser l’entrepreneur ! Il n’a pas même besoin, comme les autres fournisseurs du marché, d’être stimulé par l’appât du profit à la production de cet article !

Le salaire de travail réglé par la concurrence libre ou les frais de production du travail consistent donc précisément dans les frais de production du travailleur ![47]

Quand l’usage s’introduit de faire travailler les enfants dans les fabriques, le marché commence de nouveau à calculer. Il trouve que le travailleur-père n’a plus besoin de gagner dans ces brandies de fabrication, l’entretien complet d’une famille moyenne, mais qu’il peut se contenter de moins, puisque les enfants contribuent à leur propre entretien [48]

Ainsi parle et agit le marché ! Et il ne peut pas parler autrement, sous la loi de la concurrence libre qui domine son langage et qui pour vous et votre clique est ie cri de guerre, le service divin que vous voudriez introduire dans tous les rapports moraux et humains !

De tous ceux qui livrent au marché leurs marchandises, le travailleur qui livre sa marchandise, le travail, est placé le plus défavorablement dans la concurrence ; ceci ne demande môme aucune explication. Où en arriveraient les vendeurs des marchandises, s’ils n’étaient pas en état de résister une, deux ou trois semaines en face d’une demande désavantageuse pour leur prix ?

Le vendeur de la marchandise travail n’est pas en état de le faire. Il doit rabattre, forcé qu’il est par la faim !

Cette marchandise, dans ses oscillations, hausse beaucoup plus difficilement et dans une proportion beaucoup moins considérable[49], et lors même qu’elle hausse, elle ne sert quelquefois, par la forte impulsion qu’elle excerce sur l’augmentation ouvrière, qu’à aggraver leur situation et à la rendre plus triste qu’auparavant.

Il est également inutile, M. Schulze, de mentionner qu’il n’y a pas d’entrepreneurs, si magnanimes soient-ils, qui puissent changer ces rapports, et celui qui l’essayerait sentirait son bras arrêté par le voisin, et le poignard de la concurrence libre, avec laquelle il ne pourrait plus marquer le pas, lui traverserait la poitrine.

Sous le régime de la concurrence libre, l’entrepreneur regarde donc le travailleur comme une marchandise ! Le travailleur, c’est le travail, et le travail c’est un produit de la somme de frais nécessaires à la production.

Voilà ce qui détermine sous la concurrence libre, la physionomie sociale de notre époque. Les rapports antérieurs du maître et de l'esclave de l’antiquité, du seigneur féodal et du serf ou du vassal, étaient, malgré tout, des rapports humains.

Humains ! M. Schulze, non pas dans le sens philanthropique du mot (c’est-à-dire dans le sons des relations plus ou moins bonnes), je n’en parle pas ici, quoique les travailleurs de notre temps soient loin d’avoir le même sort que les Grecs et les Romains, avec leur sens humanitaire, faisaient ordinairement à leurs esclaves. Mais humains relativement à l’idée fondamentale qui détermine le rapport même, et de laquelle découle tout le reste.

Ces rapports étaient des rapports humains, dis-je, car c’étaient des rapports de dominateurs à dominés, ce qui est toujours un rapport absolument humain. C’étaient des rapports humains, parce que c’étaient des rapports de tel individu à tel autre individu. C’étaient des rapports humains, et même les mauvais traitements auxquels étaient exposés les esclaves et les serfs, le constatent. Car la colère et l'amour sont des relations humaines, et quand même je maltraite quelqu’un dans ma fureur, je le reconnais et le traite encore comme un être humain, sans quoi il ne pourrait exciter ma colère.

Le rapport froid, impersonnel, de l'entrepreneur au travailleur considéré comme chose, chose qui comme toute autre marchandise se produit au marché, d’après la loi des frais de production — voilà la physionomie absolument caractéristique et tout à fait inhumaine de la période bourgeoise ! De là, cette haine de notre bourgeoisie libérale contre l’État, non pas un État défini, mais contre la notion de l’État en général, qu’elle voudrait volontiers anéantir et voir se dissoudre dans la société bourgeoise, c’est-à-dire qu’elle voudrait le pénétrer de toutes parts de la concurrence libre. Car dans l’État les travailleurs sont encore considérés comme hommes, tandis que dans la société bourgeoise, où règne la loi de la. concurrence libre, ils sont considérés comme chose seulement d’après le prix des frais de production, c’est-à-dire comme une marchandise.

De là surtout la profonde haine de la bourgeoisie contre tout État fort, quelle que soit son organisation et sa constitution ; ne pouvant l’abolir complètement, elle voudrait au moins, sur tous les points possibles, le résoudre dans l’individualisme de la concurrence libre, l’assimiler, autant que possible, à la société bourgeoise, et le mettre sous la domination inhumaine de cette loi impérieuse !

Voulez-vous vous élucider encore toute cette antithèse des périodes de civilisation par des exemples brefs et frappants ?

Savez-vous ce que pensait de ses esclaves ce même Marcus Crassus, dont je vous ai dit qu’il était possesseur de 9.900.000 thalers et que pour cette raison vous saluez probablement chapeau bas ?

Plutarque nous en parle. Après avoir parlé de la légion d’esclaves que possédait Crassus, il dit[50] : « Il était présent quand ses esclaves prenaient leurs leçons, écoutant aussi bien qu’enseignant lui-même ; en général il pensait que les premiers soins du maître étaient dus aux esclaves, comme organes vivants de l’économie. Et Crassus avait raison quand il disait : Tout le reste pouvait être dirigé par les esclaves, mais les esclaves devaient être gouvernés par lui-même[51] ».

Voyez seulement en passant, quelle saine conscience économique, quelle plénitude de connaissances économiques il a en comparaison de vous et de Bastiat cet antique Romain, qui vivait deux mille ans avant nous.

Il considère les esclaves comme les pourvoyeurs et les producteurs de ses biens et de ses richesses ; quant à lui, il se sent leur souverain politique et leur éducateur.

Donnons vite un démenti à ce Marcus Crassus, qui croyait » remplir un devoir gouvernemental en assistant aux leçons de ses esclaves et en les enseignant lui-même.

« Des fabricants suisses se sont vantés qu’ils pouvaient travailler à plus bas prix que les fabricants allemands, parce que la Suisse n’avait pas l’instruction obligatoire. » — Paroles du professeur libéral Roscher[52].

Combien coûte la production d’un travailleur au marché ? C’est la principale question d’intérêt de la période bourgeoise[53].

Dominé encore sous le rapport politique comme autrefois, le travailleur, sous le rapport social, est passé à l’état de chose[54].

Arrivons aux conclusions !

Nous avons vu de nouveau, sans parler de nos démonstrations précédentes et d’une manière systématique, que la moyenne de salaire de travail est inévitablement réduite à l’entretien strictement nécessaire, puisque le prix du travail comme celui des bas est déterminé à la longue par les frais nécessaire de la production. C’est la loi de la libre concurrence, et c’est en faveur de cette loi que vous tâchez d’enthousiasmer les travailleurs et la leur représentez avec emphase comme l’humanitarisme parfait !

Si la moyenne du salaire de travail est toujours réduite à l’entretien strictement nécessaire, il en résulte évidemment que tout l’excédant du revenu de la production, acquis par la vente des produits et qui surpasse l’entretien nécessaire des travailleurs pendant la durée de la production, reste entre les mains de l’entrepreneur qui, d’après de nouvelles lois que nous ne pouvons pas examiner ici, le partage entre lui et le capitaliste. (Intérêt et rente foncière au propriétaire du fond, sur les lois desquels nous pouvons encore moins nous arrêter ici.)

Tout l’excédant du produit de travail sur l’entretien nécessaire usuel chez le peuple revient au capital dans ses diverses formes : — C’est la prime du capital.

Vous connaissez, — pardon M. Schulze, si pour la forme je vous traite parfois en homme qui comprend quelque chose dans les choses économiques — vous connaissez l’intéressante catégorie économique des physiocrates, nommée l’excédant du produit. Les physiocrates appelaient productif seulement le travail qui rapportait un plus grand revenu que celui dont le travailleur avait besoin pendant la durée du travail pour son entretien nécessaire. Ils appelaient stérile tout travail qui ne procurait que cet entretien. De ce principe, les physiocrates tirèrent la fausse conséquence qu’il n’y avait que l’agriculture qui soit productive, et que tout travail industriel est stérile. Mais le principe lui-même est assez juste dans les circonstances actuelles. Si le travailleur doit toujours laisser entre les mains d’autrui cette partie du produit de son travail qui n’est pas absorbée par ses besoins d’existence, partie de produit qui va toujours en grossissant et dont le placement est toujours productif, tandis que lui, le travailleur déshérité, ne profite en rien de ce produit sans cesse croissant de son propre travail, et qu’il est réduit aux moyens d’existence indispensables : dans ces conditions, son travail est improductif pour lui. L’entretien, l’esclave aussi devait l’avoir, et l’esclave antique l’avait plus abondamment que nos travailleurs mal nourris. Et la contradiction est d’autant plus forte et d’autant plus intolérable que cet esclave moderne est juridiquement déclaré homme libre. C’est dans l’improductivité du travail qu’est le secret de la productibilité du capital et vice versa. Dans la différence des quantum de travail qui sont payés dans le prix des produits et des salaires de travail, — différence que vous omettez si naïvement plus haut (p. 160) se trouvent ces deux choses : le profit revenant toujours au capital, la prime du capital, la force productive du capital se multipliant toujours par elle-même, étant perpétuellement génératrice, c’est-à-dire sa productivité qui s’est enfin manifestée par la concurrence libre.

Pas une goutte de sueur d’un travailleur, avons-nous dit, qui ne soit payée au capital dans le prix des produits ; tandis que le travailleur lui-même est réduit aux moyens d’existence nécessaires en usage chez le peuple, comme nous l’avons déjà démontré. Il n’est pas un thaler, entre les mains de l’entrepreneur, qui ne doive procréer demain un autre thaler, par un nouveau placement dans la production. Ces deux proposition se résument maintenant en dernière analyse dans la proposition suivante : Aucun thaler, c’est-à-dire aucune goutte de sueur du travailleur qui ne doive engendrer demain une nouvelle goutte de sueur stérile pour le travailleur et un nouveau thaler au capital ! Cette productivité croissante du travail ne profite donc en rien au travailleur, et nous voyons que plus les denrées de consommation, et par conséquent les besoins d’existence du travailleur, sont à bon marché, plus s’accroit la force capitalisante de notre production. Reichenheim peut aujourd’hui ce que nul seigneur féodal ne pouvait. Il peut capitaliser chaque goutte de sueur d’un travailleur, c’est-à-dire la convertir en source d’une nouvelle goutte de sueur pour le travailleur et d’un nouveau thaler pour lui-même !

La différence des salaires de travail ou du prix de travail et des quantum de travail, qui sont payés au capital dans le prix des choses, amène nécessairement ce fait, que les travailleurs, ceux de la pensée comme ceux des bras qui ont contribué à la production d’un produit, avec tous leurs salaires réunis ne peuvent plus acheter le produit de leur propre travail, ce qui pour le moment, n’est qu’une autre forme de la triste vérité que nous venons de développer. Ne me dites pas, monsieur Schulze, que ce sont les machines qui ont produit ce résultat par leur plus grande productivité.

Cette objection serait absurde. Les machines sont des produits de travail aussi, et en parlant des travailleurs j’entends tous ceux qui ont contribué à la production, les mécaniciens, les ouvriers en matières premières, les mineurs, etc. Oui, et cette conclusion est encore plus clairement exprimée en ces termes : plus est productive l’activité des travailleurs, étant donné l’invariabilité de leurs frais d’entretien, — d’autant moins ils peuvent racheter les produits de leur propre travail, d’autant plus grande devient la différence entre le revenu et le salaire de travail, d’autant plus pauvres — (riche et pauvre ne sont, du reste, que des notions relatives qui expriment un rapport relativement au revenu de production d’une certaine époque) — d’autant plus pauvres deviennent les travailleurs !

Et n’essayez pas, M. Schulze, comme vous l’avez certes déjà essayé, de faire accroire aux travailleurs que le profit qui revient toujours au capital n’est que la rémunération du travail intellectuel de l’entrepreneur, le salaire pour la gestion intellectuelle des affaires. Ce n’est qu’une partie tout-à-fait insignifiante du revenu de l’entrepreneur qui peut être considérée comme telle, et cette toute petite partie n’est nullement comprise par moi dans ce que j’appelle profit du capital[55].

Que ce salaire pour le travail intellectuel de l’entrepreneur, ne forme qu’une partie insignifiante de son revenu d’entreprise, c’est d’ailleurs ce que la science sait depuis longtemps[56] et les économistes libéraux l’ont admis assez souvent[57]. Les économistes anglais, avec une franchise très louable, ont toujours considéré le profit d’entreprise comme prime du capital et ils ont complètement négligé, à cause de son peu d’importance, cette partie du profit d’entreprise, qu’on pourrait considérer comme salaire de travail intellectuel. Ce n’est que dans la tendance soi-disant humanitaire des économistes français, qu’a son origine ce mensonge qui veut présenter le profit d’entreprise comme salaire du travail intellectuel[58].

En outre, voulez-vous faire ressortir, en pratique, la part absolument insignifiante du revenu de l’entrepreneur que représente ce salaire pour la gestion intellectuelle ? Vous n’avez qu’à regarder autour de vous. Combien y a-t-il de propriétaires fonciers, combien de gros fabricants et de négociants qui font gérer leurs biens et mener leurs affaires par des intendants, des gérants, des directeurs, etc., tandis qu’eux-mêmes voyagent en Italie, en Orient ou ailleurs, et ne s’occupent guère de la gestion de leurs affaires. Le traitement de ces gérants, si insignifiant comparativement au profit des entrepreneurs, indique la somme à laquelle ces messieurs peuvent évaluer leur propre activité intellectuelle, quand ils mènent leurs affaires eux-mêmes.

Dans les grandes entreprises modernes par actions, telles que chemins de fers, banques, etc., cette division se manifeste même nécessairement. Le capitaliste ou V entrepreneur composé d’une pluralité de personnes ne peut, précisément en raison de cette pluralité, mener ses affaires lui-même et il prend un directeur à gages. Si le profit de l’entreprise consistait dans la rémunération de l’activité intellectuelle de la gestion des affaires j d’où viendraient les 13 % de dividende que les actions du chemin de fer de Cologne-Minden rapportent à leurs entrepreneurs (actionnaires) qui ne se soucient pas le moins du monde de la gestion des affaires ! D’où viendraient les 17 o/** de dividende du chemin de Magdeburg-Leipzig ? D’où viendraient les 25 o/* de dividende du chemin de Magdeburg-Halberstadt ?

Dans les entreprises de ce genre on paye souvent aux directeurs et pour des raisons particulières, des traitements tout à fait extravagants. Néanmoins pour avoir une idée de l’étonnante insignifiance relative de la rémunération pour la gestion des affaires, comprise dans le revenu d’entreprise, comparez seulement le traitement des directeurs de ces chemins de fer et celui des conseils d’administration avec la somme du profit de capital que rapportent ces chemins de fer[59]

Enfin, comme il résulte de notre développement précédent, tous ceux qui s’évertuent[60] à ramener le profit de l’entrepreneur sur la personnalité de l’entrepreneur, tombent dès l’abord dans une erreur ridicule.

La personnalité de l’entrepreneur, son zèle, sa paresse, son esprit d’entreprise ou sa bêtise, etc., tout cela, ce sont des qualités qui, assurément, ont beaucoup d’influence, s’il s’agit de savoir de combien l’entrepreneur Pierre l’emportera sur les entrepreneurs Paul et Guillaume dans le profit du capital annuel revenant à l’ensemble des entrepreneurs. En d’autres termes : c’est une question de concurrence entre les entrepreneurs, qui contribue à déterminer la part de chaque entrepreneur isolé, dans la quote-part du revenu annuel de production qui revient aux entrepreneurs en général. Mais, comme cela résulte du développement précédent, cette question n’a aucune influence sur la quotepart générale qui revient à la classe des entrepreneurs de la nation.

La somme totale, la somme donnée de revenu de travail d’une année = A. La somme nécessaire de la moyenne de l’entretien de la classe travailleuse, la somme de tous les salaires de travail = Z. Que les entrepreneurs aient été tous paresseux ou appliqués, intelligents ou bêtes, A — Z reviendra toujours à l’ensemble des entrepreneurs, et il ne reste que la question, en combien de parts sera partagé A — Z et dans quelle proportion, entre les entrepreneurs isolée, en égard à leurs qualités personnelles.

Par l’activité des entrepreneurs la somme totale du revenu annuel de production peut être augmentée ; ainsi de A elle peut être transformée en A + B, et cela a lieu si les entreprises n’ont pas été faites à l’étranger, parce que les quantum de travail donnés par la nation ont été multipliés. Quand même cette augmentation de quantum de travail aurait effectué une augmentation de la somme totale des salaires de travail, ce qui d’ailleurs n’est pas nécessaire, cela aurait pour cause ou pour conséquence une augmentation correspondante de la population ouvrière. (Et ceci est la raison intrinsèque de l’accroissement de la population européenne). La somme totale des salaires de travail dans la nation est augmentée, mais cette somme totale augmentée se répartit désormais (c’est dans la logique des faits) entre un nombre de travailleurs considérablement augmenté, parfois même plus que le total des salaires en proportion. Le salaire revenant à chaque travailleur isolé, n’a donc pas augmenté d’une façon permanente. Quand même le quantum des produits qui revient à l’ensemble des travailleurs a augmenté, si toutefois, comme c’est ordinairement le cas, la lucrativité de leur travail s’est encore élevée à un plus haut degré, la quote-part qu’ils reçoivent dans le salaire de leur propre produit de travail peut encore avoir baissé ! L’Angleterre est le pays où le paupérisme des travailleurs est le résultat de cet incontestable esprit d’entreprise des entrepreneurs.

Pour la science économique il n’y a que la question suivante qui peut être l’objet de recherches : Quelle part du revenu de production touche la classe des entrepreneurs vis-à-vis du travailleur ? et relativement à celui-ci : Quel quantum de produits touche le travailleur isolé et quelle quote-part de son produit de travail touche toute la classe des travailleurs ?

La recherche des qualités personnelles par lesquelles un entrepreneur peut attirer vers lui, aux dépens d’un autre entrepreneur, une plus grande part de ce revenu de production qui revient à la classe des entrepreneurs en général, cette recherche est en partie du ressort des écoles pratiques de commerce, en partie du ressort des secrets de bureaux (comptoirs), et la glorification de ces qualités personnelles peut être faite dans les banquets des riches conseillers de commerce, mais ne doit pas entrer dans l’économie politique. C’est la confusion de l’économie politique et de l’économie privée qui, passant par toute votre économie bourgeoise, a produit ces erreurs et tant d’autres et conduit à de fausses conclusions, la question ayant été d’abord mal posée.

Vous aurez vu, monsieur Schulze, par ce long développement, combien est grande l’erreur commune des économistes bourgeois qui considèrent le capital, ainsi que toutes les autres catégories économiques, comme des catégories logiques, éternelles. Les catégories économiques ne sont point des catégories logiques, mais des catégories historiques. La productivité du capital n’est pas une loi de la nature j mais un effet de conditions historiques définies, qui, dans d’autres conditions historiques, peut et doit disparaître[61].

En même temps, vous aurez peut-être une idée vague de la vérité que Goethe vous adresse dans ces vers :

Que celui qui, de trois mille ans,
Ne sait pas se rendre compte,
Reste dans la nuit sombre
Et vive au jour le jour.

Et vous voyez maintenant comme il est dangereux de faire l’érudit, quand on ne répond pas à cette condition préliminaire !

Mais pour rendre ce long développement instructif, en effet, un résumé concis est nécessaire.

Comparez le commencement et la fin du long procès historique que j’ai déroulé devant vos yeux.

Dans l’état primitif du travail individuel y} sole ^ dont nous sommes partis, l’instrument de travail — l’arc de l’Indien — n’était productif que dans la main du travailleur lui-même ; par conséquent, ce n’était que le travail qui était productif. Par la division du travail — et n’oubliez pas que la division du travail, pour le distinguer du travail de l’Indien, s’appelle déjà travail commun, production commune, quoique les déboursements, et par conséquent la répartition du revenu de travail qui en résulte, soient encore individuels (c’est-à-dire soient encore dans les mains de ceux qui font ces déboursements) — par la division du travail, disions-nous, par son résultat, la transformation successive et nécessaire de la production en un système de valeurs d’échange, enfin par la libre concurrence qui doit amener, étant donné les déboursements individuels, cette production de valeurs d’échange, on aboutit nécessairement à un effet opposé au point de départ que : l'instrument de travail, dans sa scission d’avec le travailleur, est devenu autonome, et que, suçoir économique, il attire à lui toute la productivité du travail, et réduit le travail à une rémunération strictement nécessaire aux besoins de la vie pendant la durée du travail, et rend par conséquent le travail improductif.

Comme avant, ce n’était qve le travail ; à présent, ce n’est que l'instrument du travail, séparé du travailleur, qui est productif.

Cet instrument de travail devenu autonome, qui a changé de rôles avec le travailleur, réduisant le travailleur vivant à un instrument inerte de travail, et se développant, lui, l’instrument de travail inerte, en un orgayie générateur vivant, — c’est le capital[62]

La division du travail est la source de toutes les richesses. La loi : que la production ne devient toujours plus abondante et plus à bon marché que par la division du travail — cette loi qui repose sur la nature du travail est la seule loi économique qui pourrait être désignée comme une loi naturelle. Cependant ce n’est pas une loi naturelle, car elle n’appartient pas au domaine de la nature, mais à celui de l’esprit ; mais elle est revêtue de la même nécessité que l’électricité, la gravitation, l’élasticité de la vapeur, etc. C’est une loi sociale naturelle !

Et parmi toutes les nations, une poignée d’individus sont venus et ont confisqué à leur profit individuel cette loi sociale naturelle qui n’existe que par la nature intellectuelle de tous, en ne laissant aux nations stupéfaites et indigentes, garrottées par des liens invisibles de leur produit de travail toujours croissant et s’accumulant toujours plus, que la même part que, dans des circonstances favorables, l’Indien gagnait déjà avant toute civilisation, c’est-à-dire l’équivalent strict des besoins matériels de la vie ! C’est comme si quelques individus avaient déclaré que la gravitation, l’élasticité de la vapeur, la chaleur du soleil, sont leur propriété ! Ils nourrissent le peuple comme ils chauffent et graissent leurs machines à vapeur, pour les entretenir dans un état propre au travail ; la nourriture du peuple n’est considérée que comme frais de production nécessaires !

Bastiat a recours à son dernier moyen en lançant contre Proudhon l’argument suivant[63] :

« Les capitaux sont des instruments de travail. Les instruments de travail ont pour destination de faire concourir les forces gratuites de la nature. Par la machine à vapeur, on s’empare de l’élasticité du gaz ; par le ressort de montre, de l’élasticité de l’acier ; par des poids ou des chutes d’eau, de la gravitation ; par la pile de Volta, de la rapidité de l’étincelle électrique ; par le sol, des combinaisons chimiques et physiques qu’on appelle végétation, etc., etc. Or, confondant l’utilité avec la valeur, on suppose que ces agents naturels ont une valeur qui leur est propre, et que, par conséquent, ceux qui s’en emparent s’en font payer l’usage, — car valeur implique paiement. On s’imagine que les produits sont grevés d’un item pour les services de l’homme, ce qu’on admet comme juste, et d’un autre item pour les services de la nature, ce qu’on repousse comme inique. Pourquoi, dit-on, faire payer la gravitation, l’électricité, a vie végétale, l’élasticité, etc. ?

« La réponse se trouve dans la théorie de la valeur. Cette classe de socialistes qui prennent le nom d’égalitaires, confond la légitime valeur de l’instrument, celle d’un service humain, avec son résultat utile, toujours gratuit, sous déduction de cette légitime valeur ou de l’intérêt y relatif. Quand je rémunère un laboureur, un meunier, une compagnie de chemin de fer, je ne donne rien, absolument rien, pour le phénomène végétal, pour la gravitation, pour l’élasticité de la vapeur. Je paie le travail humain qu’il a fallu consacrer à faire les instruments au moyen desquels ces forces sont contraintes à agir ; ou ce qui vaut mieux pour moi, je paie l’intérêt de ce travail. »

En face de Proudhon, qui fut autrefois un homme d’esprit, mais nullement un économiste, cette passe ridicule pouvait être bonne. Mais vous voyez, monsieur Schulze, que le fleuret impuissant de votre maître Bastiat n’atteint que l’espace vide.

Oui, nous avons appris du grand économiste anglais que dans les prix des produits, le travail humain seulement est payé par le consommateur, et non pas les forces de la nature[64] ; nous l’avons appris beaucoup mieux que Bastiat, qui l’ignore complètement, comme nous l’avons vu !

Mais nous avons vu en même temps que ce paiement du travail humain, par la différence des salaires de travail et des quantum de travail qui déterminent les prix, revient nécessairement et toujours à ceux qui ne le méritent pas ; que si le travail est payé, il ne l’est pas aux travailleurs ; que le produit de ce travail est sucé par l’éponge du capital, qui de toute la pluie abondante de notre production no laisse au peuple que l’humidité nécessaire à une existence nécessiteuse. Si le capitaliste n’a pas confisqué l’utilité de la valeur, de la gravitation, de l’électricité, il a, ce qui est tout aussi mal, confisqué à son profit exclusif l’utilité de la division du travail et de sa productivité toujours croissante — de cette grande loi sociale naturelle. Dans le fond, c’est même bien pis, car si quelqu’un, par exemple, s’était emparé du soleil et se l’était approprié, il ne se serait approprié qu’une chose, qui selon les juristes romains, res nullius, n’est ni la propriété ni le produit de personne. Tandis qu’en s’emparant des avantages d’une loi sociale naturelle les capitalistes s’emparent directement des produits du travail des autres^ ils s’approprient la force du travail humain et sa productivité toujours croissante !

Par la scission fondamentale entre le travail et la productivité échue à l’instrument de travail devenu autonome, est créé nécessairement un état social de propriété où chacun n’appelle sien que ce qui n^est pas le produit de son travail !

Ceci pourrait paraître d’abord concerner seulement le capital et le travail, les capitalistes et les travailleurs les uns vis-à-vis des autres. Mais ce serait une grande erreur et une impossibilité. Le principe sur lequel repose un état social de production, doit passer par toutes ses sections et se réaliser également dans la classe des entrepreneurs et des capitalistes elle-même.

Et c’est ici que vous devez vous souvenir de ce que je vous ai expliqué au commencement de ce livre sur les enchaînements sociaux, moyennant lesquels chacun est responsable de ce qu’il n’a pas fait ; exactement comme nous venons de voir la raison de cette fatalité dans ce fait que chacun appelle sien, ce qui n’est pas le produit de son travail.

Ce n’est qu’à ce moment que ce développement de l’effet des enchaînements sociaux apparaît sous son vrai jour ; ce n’est qu’ici que, relu de nouveau, il gagne en clarté, et ce n’est qu’à présent qu’il aurait dû être fait. Mais vous comprenez que ce n’est pas ma faute, si, en commençant par la fin, vous m’avez obligea vous suivre dans voire marche. D’ailleurs si vous avez suivi attentivement nos débats, vous verrez clairement par quelles voies (notamment la valeur d’échange et le prix du marché) celte iniquité sociale, en vertu de laquelle chacun appelle sien ce qui n est pas le résultat de son travail a produit ce fait que dans le milieu entrepreneur lui-même, chacun est également responsable de ce qu’il n’a pas fait ; qu’un état de production transformé en simple jeu de hasard joue au ballon avec les hommes et avec les capitaux, et le seul grand courant qui traverse impassiblement le tourbillon de ce hasard, c’est l’absorption du petit capital par le grand qui le décapitalise constamment.

Les soucis des entrepreneurs, leurs luttes constantes et impuissantes contre le grand capital, les modifications perpétuelles (qui atteignent même les petits rentiers vivant complètement retirés et en dehors de toutes affaires), modifications de leurs rapports de propriété par les rapports sociaux, qui sont tout à fait en dehors de leur action et de leur responsabilité, les pertes qui, dans bien des entreprises spéculatives, sont la conséquence de calculs justes, les gains qui souvent récompensent des calculs faux[65], ce continuel persiflage de l’esprit d’entreprise par les faits : telle est la vengeance conséquente qu’éprouve le capitaliste lui-même et la perpétuation d’un état de choses où il est établi, comme premier principe, que chacun appelle sien ce qui n est pas le résultat de son travail.

C’est le ricanement du chœur des démons en iace du capital qui veut se démener dans la personne du capitaliste, comme individu autonome, dans un état de choses qui, a priori, repose sur la disindividualisation de toute propriété.

N’est-ce pas comique, monsieur Schulze, de voir MM. Bastiat, Thiers, Troplong, etc., bref, tous les économistes et les juristes qui entrent en campagne contre les socialistes, justifier toujours la propriété d’aujourd’hui en la désignant comme les fruits du travail du possesseur, tandis, au contraire, comme nous venons de le prouver fondamentalement et sans possibilité d’objection, que chacun appelle sa propriété ce qui n’est pas le produit de son travail.

N’est-il pas bien risible de voir ces messieurs recourir pour justifier cette propriété à l’idée qui lui est diamétralement opposée ?

La propriété est devenue l’appropriation du bien d’autrui[66], c’est la thèse dans laquelle pourrait se résumer notre démonstration critique !

Chaque état social tend à développer des phénomènes dans lesquels ce qui forme sa base fondamentale s’exprime de la manière la plus nette et la plus transparente.

Le phénomène le plus clair de l’état actuel, c’est Vagiotage et la bourse, c’est le placement des richesses en actions, en titres de crédit, ou sur l’Etat.

Par un événement quelconque, en Turquie ou au Mexique, par la guerre ou la paix, et non seulement par la guerre et la paix, mais par un simple courant d’opinion publique qui se produit par chaque bavardage de journaliste et par chaque dépêche menteuse, par chaque emprunt à Paris ou à Londres, par les récoltes de grains au Mississipi et les mines d’or de la Polynésie, — en un mot par chaque événement objectif et toutes sortes de mouvements purement objectifs de la société comme telle, dans le domaine politique, financier ou mercantile, etc., se déterminent journellement à la bourse le mien et le tien des individus. Mais ce qui devient évident ici, n’est pas quelque chose de particulier ou de spécifique, non, ce n’est qu’un tableau, plus transparent, de ce que nous avons vu au commencement dans les valeurs de biens-fonds et des établissements, dans la hausse et la baisse des prix de produits agricoles et industriels, etc., etc. Là aussi, par les enchaînements sociaux de tous genres et la valeur d’échange qu’ils déterminent, le mien et le tien dans la société varient à tout moment, et, d’après les mouvements objectifs de la société elle-même, toute propriété individuelle est toujours répartie de nouveau d’une manière tout à fait impersonnelle.

Comment définiriez-vous le socialisme, monsieur Schulze ? Evidemment ainsi : Partage des propriétés par la société.

Eh bien, c’est précisément aujourd’hui que cet état de choses existe, comme je vous l’ai démontré.

C’est précisément aujourd’hui que, sous la simple apparence de la production individuelle, règne une répartition de propriété continue, toujours déterminée à nouveau par le hasard, par les mouvements purement objectifs de la société, une répartition de la propriété de par la société. C’est précisément aujourd’hui que règne un socialisme anarchique ! Ce socialisme anarchique, c’est la propriété bourgeoise.

Ainsi ce que veut le socialisme, ce n’est pas abolir la propriété, mais au contraire introduire la propriété individuelle fondée sur le travail.

Même en voulant faire abstraction de cette propriété de capital une fois formée (supposons, légalement et d’accord avec les conditions établies, aussi peu légales que celles-ci puissent être elles-mêmes), nous avons du moins le droit le plus incontestable de façonner en propriété de travail la propriété de l’avenir non existante encore, en donnant une autre forme à la production.

Il faut espérer que messieurs les bourgeois ne voudront pas soutenir l’opinion féodale : que les travailleurs sont leurs glebæ adscripti, leurs serfs, et que même, le secret de la production d’aujourd’hui étant dévoilé, le peuple doive continuer ce mode de production et rester l’esclave du capital. Malheur à eux, s’ils soutenaient une pareille opinion, ou s’ils amenaient le peuple à la conviction qu’ils la soutiennent !

Mais — demanderez-vous peut-être — comment changer cet état de choses et faire que l’instrument de travail mort change de rôle avec le travailleur vivant, et que celui-ci attire à lui son produit de travail, puisque, comme nous l’avons développé nous-même, ce produit n’est que le résultat nécessaire de la division du travail ?

C’est très simple ! Il ne s’agit nullement de rompre avec la division du travail, cette source.de toute civilisation, mais seulement de dégrader le capital, d’en faire de nouveau un instrument de travail mort. Il ne s’agit pas de supprimer la division du travail, mais plutôt de la développer le plus possible.

La division du travail est déjà en elle-même un travail commun, un concours social pour la production. Ce qu’elle est en elle-même doit lui être appliqué. Ainsi dans la production générale il est nécessaire d’annuler les avances individuelles de production (en suite desquelles tout le produit de production et l’excédant sur l’entretien des travailleurs revient à l’entrepreneur), d’exercer le travail commun de la société sur la base de déboursements communs et de partager le produit de production entre tous ceux qui y ont contribué dans la mesure de leurs services.

Le moyen transitoire le plus modéré, le plus facile, ce sont les associations productives des travailleurs avec le crédit de l’État.

Et c’est pourquoi ces associations doivent se faire et elles se feront, monsieur Schulze, quand vous et tout le monde en devriez crever de dépit : car notre peuple souffre la faim et s’abrutit ! Il est déjà abruti au point de vous prendre pour un champion de ses droits, et vous comprenez, monsieur, cela ne doit pas être !

C’est là le moyen transitoire le plus modéré ; mais ce n’est nullement encore, comme je l’ai fait ressortir dans mon Manuel des travailleurs (p. 41), la solution de la question sociale qui demande le concours de générations ; mais c’est le grain organique de sénevé dont la vitalité irrésistible se développe d’elle-même[67]

Que pourriez-vous objecter contre ce moyen ?

Vous-même, sous la pression de mon agitation, vous vous êtes déjà déclaré, non seulement pour les associations productives ; mais, dans une session de la société ouvrière de Berlin du 21 juin 1863 (voir V olckszeitung du 23 juin 1863), vous avez fait part de l’obtention de 100.000 thalers venant de possédants, pour faire naître de pareilles associations. II est vrai que, depuis, on n’en a plus entendu parler, et on ignore quelles sont les associations productives qui ont été fondées avec cet argent. Mais, abstraction faite de cela, ne voyez-vous pas que dans ce cas vous avez abandonné votre principe de l’aide-toi, dont vous avez reconnu la fausseté et l’impossibilité, et que vous m’avez accordé par là tout ce que je pouvais désirer ?

Ainsi, vous avez reconnu que l’état travailleur ne peut progresser par le seul aide-toi, bien que vous le donniez continuellement y dans votre Catéchisme^ comme une condition absolue[68]. Puisque vous convenez maintenant que l’aide-toi n’aide en rien, que le prolétariat doit chercher l’aide du capital ou du crédit en dehors de lui, il vaut mieux pour lui de le chercher plutôt auprès du pouvoir législatif, pour rester homme libre^ que chez les hommes de Manchester, pour devenir le serviteur soumis et châtré de Monseigneur (le capitaliste). Ne voyez-vous pas qu’avec une somme aussi mesquine que celle que vous avez réunie grâce à la générosité des conseillers de commerce libéraux, pour mieux fasciner les travailleurs, on pourrait peut-être venir en aide à une poignée de travailleurs, les transformer en bourgeois, en les transportant dans des conditions bourgeoises, mais jamais on ne pourrait améliorer la situation du prolétariat[69], jamais briser les chaînes du capital, analysées précédemment ?

Mais même cette poignée de travailleurs n’au- raient pu être secourus ; car, comprenez-le bien, dans chaque état social tout prend la direction du courant principal et en subit la loi. Id quod plerumque fit — vous en rappelez-vous encore ? — ce qui arrive généralement détermine chaque cas isolé. C’est pourquoi les questions économiques ne se laissent jamais résoudre en détail, elles exigent toujours des mesures générales. Rien ne serait plus facile à la concurrence libre que d’écraser une poignée de travailleurs associés.

Comme les gros bataillons sur le champ de bataille, ce sont toujours les grandes masses de travail, les grands capitaux qui, sur le champ économique, décident de la victoire. C’est pourquoi rien ne serait plus facile que de transformer la concurrence libre, qui étouffe aujourd’hui le travailleur, en un instrument de sa délivrance.

Mais il faudrait pour cela placer les gros bataillons du côté des travailleurs, du côté des associations, ce qui n’est au pouvoir que de l’Etat, lequel sur le champ économique, comme sur le champ de bataille, est le seul qui par le crédit de l’État puisse mettre en mouvement les gros bataillons de travail et par là déterminer la victoire.

De cette manière l’objection sur laquelle vous insistez et qui vous paraît de la plus haute importance se réfute d’elle-même. Comment l’Etat peut-il l’entreprendre à ses risques et périls ? vous écriez-vous. Les risques et périls ne sont qu’une illusion, monsieur Schulze !

En effet, les entrepreneurs Pierre et Paul courent le risque de perdre leur capital dans la production : car il est possible que les entrepreneurs Christohe, Amédée et Jean attirent à eux leur débit.

Mais si le producteur isolé court ce danger, la production ne le court nullement. Elle est accompagnée d’une croissance et d’un profit constants. Lisez là-dessus le premier bon livre de statistique que vous trouverez, et vous verrez dans quelle croissance annuelle constante se trouve le capital national engagé dans la production.

Il vous paraîtra clair que si l’Etat se décidait à une pareille émancipation du travail en gros, il se présenterait dans chaque ville, non pas des travailleurs séparés, mais tous les travailleurs du métier en question, donc toute la corporation, ou au moins tous ceux de ces travailleurs qui voudraient se réunir en associations productives.

Si vous avez le moindre doute à ce sujet, je me permettrai de vous faire observer que déjà à Paris en 1848, quand l’État, après la révolution de juin, voulant faire semblant d’être juste envers les travailleurs victorieusement mitraillés, accorda, par le décret du 5 juillet 1848, la ridicule subvention de 3.000.000 de francs aux associations ouvrières, ce phénomène se manifesta dans toute sa force, grâce à l’instinct des masses.

Ainsi à Paris 30.000 cordonniers se présentèrent pour former une seule association de cordonniers[70].

Il va sans dire que le conseil d’encouragement établi pour la répartition de cette concession, et qui était un véritable conseil de découragement, repoussa la requête des cordonniers.

L'association fraternelle des tailleurs projetée embrassait tous les tailleurs de Paris, au nombre de plus de 20,000 et, le 28 mars 1848, ils avaient même conclu un contrat avec la ville de Paris pour une fourniture de 100,000 uniformes et ils avaient élu domicile, pour l’accomplissement de ce contrat, dans la prison de Clichy devenue disponible par la suppression de la prison pour dettes. Mais sous le prétexte que cette grande agglomération de travailleurs dans un seul endroit était dangereuse pour la tranquillité publique, quelques mois après la bataille de juin, ils furent expulsés de la maison de la rue de Clichy, et la ville, en leur payant une indemnité de 30.000 francs, rompit honteusement le contrat conclu avec eux. Il ne fut même plus question d’une subvention[71].

De même toute la corporation des ferblantiers-lampistes, depuis le 12 mars 1848, avait voulu former une association ; mais l’appui de l’État leur fut également refusé[72].

Vous voyez donc que le prolétariat lui-même tend énergiquement à concentrer toujours dans une ville toute la branche de production en une seule association. En outre, l’Etat seconderait cette tendance en ne faisant dans chaque ville qu’à une association de chaque branche de métier le crédit nécessaire, et en en laissant naturellement l’entrée libre à tous les ouvriers de ce métier.

Il ne viendrait certainement pas à l’esprit de l’État de produire dans le monde travailleur les mêmes phénomènes qui caractérisent la bourgeoisie et de convertir les travailleurs groupés en petites sociétés rivales, en bourgeois concurrents. Ce serait bien la peine ! En un mot, les associations productives (comme je l’ai suffisamment démontré dans ma Réponse publique), par l’union de crédit et d’assurance des associations, c’est l’association productive qui en chaque lieu se divise en différentes branches de production. Il y aurait donc bientôt dans chaque lieu une concentration de toute une branche de production en une seule association, et dès lors toute concurrence entre les associations d’une ville serait a priori impossible ; et par là, comme vous le voyez, le risque que court l’entrepreneur isolé pour son capital, serait écarté pour l’association, qui marcherait d’un pas assuré vers l’épanouissement toujours croissant, propre à la production.

En outre, comme je l’ai déjà dit, j’ai fait dans ma Lettre ouverte l’observation que non seulement une union de crédit devait embrasser toutes les associations ouvrières, mais qu’elles devaient être englobées aussi dans une union d’assurance, soit toutes les associations en général, soit toutes— les associations du même métier, ce qui serait peut-être plus pratique, pour égaliser toutes les pertes éventuelles et les rendre insensibles. La communication réciproque des bilans et des livres de commerce et leur examen dans le sein des associations du même métier de tout le pays, les mettraient à même de pouvoir transporter dans des endroits plus avantageusement situés les branches de travail qui, pour des raisons particulières, ne peuvent pas prospérer dans certaines villes.

Ainsi le risque du capital n’existe pas pour les associations ouvrières, puisqu’il n’existe que pour les producteurs isolés qui se font une concurrence réciproque, ce qui n’a pas lieu pour la production qui est représentée par l’association.

Vous voyez maintenant très clairement comment, pièce par pièce, s’écroule tout l’échafaudage sur lequel vous et l’école libérale voulez fonder le profit du capital.

Le risque serait la principale et légitime raison du profit du capital !  ! Quand même ce serait vrai, ne voyez-vous pas que cela ne concerne que le monde actuel, et qu’il y a un moyen de donner à la production une forme qui fera disparaître tout risque et en même temps toute légitimité du profit du capital ? En d’autres termes : le risque n’est qu’un phénomène purement négatif. Il n’est que, comme je vous l’ai expliqué plus haut, la revanche conséquente de ce fait que le capital s’est fait acquéreur à la place du travail. Supprimez ce mal, et la vengeance négative que vous et les économistes libéraux, avec votre manière d’envisager le monde, transformez en raison légitime positive du mal, tombera d’elle-même !

Pièce par pièce, vous dis-je, s’écroule tout votre échafaudage, et cela si pitoyablement, que les yeux les plus faibles peuvent le voir ; car il en est de môme de la rémunération pour le travail intellectuel de la gestion des affaires qui, selon vous, constitue la nature du profit d’entreprise. Si véritablement messieurs les bourgeois ne tiennent qu’à leur salaire de travail intellectuel (qui en réalité n’est qu’une partie mesquine, tout à fait mesquine, du revenu d’entreprise d’aujourd’hui), ne voyez-vous pas, monsieur Schulze, qu’ils le trouveraient tout aussi bien et même plus abondant dans ces grandes associations ouvrières, et que par conséquent ils n’ont aucun motif de s’emporter contre cette mesure ? Car ces grandes associations auraient aussi besoin de gérants d’affaires, de directeurs industriels et de fabriques, de comptables, de caissiers, en un mot de tous les services intellectuels, et messieurs les bourgeois pourraient s’y rendre très utiles et gagner leur salaire de travail intellectuel, tout aussi bien qu’ils le gagnent aujourd’hui en menant leurs propres affaires. Et même ce salaire pour le travail intellectuel serait beaucoup plus abondant que celui qu’on paye aujourd’hui, ou que celui qui est réellement perçu sur le revenu d’entreprise ; car je vous ai déjà démontré dans mon Manuel des travailleurs (p. 53), comment la hausse du payement de travail ordinaire, non qualifié, doit amener aussi une hausse correspondante du payement de tous les travaux qualifiés et intellectuels.

Dois-je perdre encore un mot à propos de votre magnifique argument, que les finances nationales (Steuersaeckel) seraient bien surchargées par une pareille mesure d’État ? Ces finances nationales n’auraient pas même besoin de rien débourser ! Tout capital est une avance de production, qui se restitue d’elle-même dans la production par le montant des produits et qui se divise en deux parties :

1) Capital circulant, qui se restitue dans la production dans le courant d’une année ou même de quelques mois ; dans la plupart des cas il n’est payé par les entrepreneurs — qui à leur tour jouissent du crédit chez leurs fournisseurs de matières premières — qu’après que cette restitution a eu lieu. Mais ce crédit, les associations ouvrières garanties par l’État le trouveraient tout aussi bien chez leurs fournisseurs de matières premières que les plus riches entrepreneurs privés, et quant aux autres besoins d’argent, ils pourraient être plus que suffisamment satisfaits par une simple garantie de la Banque nationale, qui escompterait les lettres de change de ces associations ouvrières.

2) Capital fixe. Ordinairement dans notre production industrielle il s’amortit aussi dans le courant de quelques années. Et l’avance de ce capital, comme je vous l’ai démontré dans mon Manuel des travailleurs (p. 46), pourrait être facilement effectuée par une Banque d’Etat, en sorte qu’on n’aurait aucun besoin de recourir aux finances nationales pour cette régénération du genre humain.

Je vous ai montré comment l’association productive apporterait à la société l’avantage infini de lui éviter le risque du capital et les pertes réelles de capitaux. Voulez-vous observer rapidement plusieurs autres sources de l’immense enrichissement de toute la société que ferait jaillir ce mode de production ?

Nous avons vu que toutes les associations ouvrières du pays seraient réunies dans une union de crédit et, du moins au commencement, les associations de la même branche de production dans une union d’assurance.

Vous comprendrez que tontes ces associations tendraient bientôt à une organisation unitaire entre elles, ne fût-ce, au moins au commencement, que pour se renseigner mutuellement sur l’état et les conditions de la production commune. (Ici, vous et tout votre monde de petits bourgeois, habitués, pour de bonnes raisons, à cachotter votre trafic, vous vous arrachez les cheveux de rage et de désespoir !) Aussi ce besoin de solidarité de la production dans la classe ouvrière s’est-il manifesté de suite à Paris en 1848. A la fin de 1848, les associations ouvrières de Paris nommèrent cent délégués dans le but de centraliser dans de certaines limites toutes les associations entre elles ; ces délégués se constituèrent en Chambres de travail ; mais le pouvoir les empêcha bientôt de se réunir[73].

Mais le besoin de solidarité était trop vivant dans la classe ouvrière pour reculer devant les premiers obstacles créés par la police. En octobre 1849, ce besoin amena de nouveau la naissance de l’Union fraternelle des associations. Mais le 29 mai 1850, les délégués au nombre de quarante-neuf, s’étant réunis rue Michel-Lecomte pour examiner le rapport sur les travaux de la commission, furent arrêtés pendant la session, incarcérés à Mazas, et, après un emprisonnement de cinq mois, ils furent condamnés par la cour d’assises sous prétexte qu’ils avaient formé une société politique secrète[74].

Vous voyez, monsieur Schulze, que toute votre crapule[75] bourgeoise n’existe encore que grâce à la protection de police que lui accorde l’Etat.

D’abord, dis-je, cette organisation unitaire de toutes les associations du pays entre elles leur servirait au moins pour leurs renseignements mutuels sur l’état et les conditions de la production commune. Les livres de commerce de ces associations réunies et des commissions centrales chargées de l’examen de ces livres, serviraient bientôt de base réelle pour une statistique scientifique des besoins de production, et ainsi serait donnée la possibilité d’éviter la surproduction. Et tant que cela ne serait pas encore tout à fait possible, les surproductions seraient de simples productions anticipées : caries associations avec leurs puissants moyens ne seraient pas exposées à la nécessité de la vente de concurrence à tout prix. Comprenez-vous ce que cela veut dire ? quelle source de prospérité et de richesse ce serait pour toute la société si on la délivrait de la surproduction et de ses crises ?

Jetez les yeux sur un autre enrichissement positif immense pour toute la société qu’amènerait cette production commune.

Avez-vous entendu parler de l'épargne des frais qui a lieu dans la grande production ? Je devrais écrire des in-folio si je voulais rappeler tout ce qui, depuis Arthur Young, a été démontré là-dessus ! Ainsi je ne cite que quelques exemples qui, par hasard, me tombent sous la main. Le comte Rumford a démontré qu’un four qui, à son premier chauffage, exige 366 livres de bois, par un usage non interrompu, après le sixième chauffage n’en exige que 74 livres[76]. Et le conseiller intime Engel a démontré que le seul royaume de Saxe, par la concentration de la cuisson de pain dans les fabriques qui fonctionnent sans cesse, épargnerait annuellement au moins pour un million de thalers de combustible[77]. Le même conseiller intime Engel calcule, entre autres, qu’un thaler de fonds de capital dans les filatures de coton de Saxe est productif de la manière suivante :

Dans les filatures de coton :

Jusqu’à 1000 fus. par an, 17 Ngr 0.9 pf. De 1001 à 2000 » 28 » 4,8 De 5001 à 6000 « 31 » 4,7 De 12,000 et au-dessus 36 » 4,6 »

Avez-vous maintenant une idée — même abstraction faite de la répartition — de l’immense enrichissement positif de toute la société qui résulterait de ces épargnes de frais et de l’augmentation du profit de production amenée par ces grandes associations et par la concentration de la production ?

Vous voyez que non seulement la distribution serait réformée ; mais que, par la suppression de la production émiettée d’aujourd’hui, la production elle-même augmenterait à un degré inespéré[78].

Jetez ici un regard sur le marché universel ! Le marché universel appartiendra à la nation qui se résoudra la première à introduire cette transformation sociale en proportion grandiose. Il sera la récompense méritée de son énergie et de sa force de résolution. La nation qui, en cela, prendra l’initiative, occupera par le bon marché de la production concentrée, vis-à-vis des capitalistes des autres nations, une situation encore bien plus supérieure à celle que l’Angleterre occupe depuis si longtemps vis-à-vis des nations continentales par la plus grande concentration de ses capitaux.

Je vous ai déjà montré trois grandes causes de l’augmentation de richesses de toute la société, comme résultat des associations productives.

Voyons en une quatrième, une cinquième et une sixième.

Nous sommes bien aise de pouvoir noter ici que le plus moderne des économistes anglais, M. Henry Fawcett, se prononce très décidément pour les associations agricoles, dont la possibilité a été mise particulièrement en doute[79].

Nous tâcherons de faire ressortir à la hâte les raisons qui font que les associations productives agricoles ne peuvent arriver à toute leur productivité que lorsque l’agriculture est exercée sur un grand pied. La plupart des améliorations du sol présentent un achat de rentes, une dépense de capital, qui se restitue pendant une longue suite d’années comme rente, mais qui ne peut plus être retirée tout d’un coup comme capital. Mais en vertu de l’obligation de restituer au créancier, après un certain nombre d’années, tout capital emprunté sur hypothèque et par l’amélioration du sol converti en rente, comme capital, le propriétaire foncier, s’il n’est pas un grand capitaliste lui-même (ce qui ne peut être qu’un cas exceptionnel), se trouve dans l’impossibilité de faire les améliorations du sol les plus importantes et les plus lucratives[80].

Ce n’est que l’association productive qui, avec ses grands moyens, serait en état de les exécuter.

Il ne petit être question ici qu’en ce peu de mots de la productivité et des revenus naturels toujours croissants de l’agriculture qui résulteraient de la grande culture.

Mais demandons-nous d’abord pourquoi M. Fawcett regarde l’association productive comme plus avantageuse encore pour l’agriculture que pour l’industrie.

Il dit : The trade to which the coopérative principle is applied ought not to be of a speculative nature : La branche industrielle à laquelle on applique le principe coopératif, ne devrait jamais être de nature mercantile (spéculative).

En y regardant de près, on trouve là une observation très juste, mais qui ne tourne qu’au plus grand avantage des associations productives.

En effet, la bourgeoisie est douée d’un talent tout à fait spécial : celui de la spéculation. Ce talent, dans son sens réel, se résout partout en cette question : Par quelles ruses puis-je attirer à moi la vente ou le profit de mon co-producteur ?

C’est ce talent, résultant de la concurrence libre, qui a pour suite non pas l’augmentation de toute la somme de production, mais sa distribution, son transfert des mains d’un individu dans celles d’un autre. C’est le talent de la tromperie. En cela il faut lui rendre justice, la période bourgeoise est incomparable ! Élevés dès leur jeunesse dans cette atmosphère de concurrence libre, messieurs les bourgeois voient dans cette concurrence leur élément naturel. De même que l’Indien dans les forêts reconnaît la trace du gibier à des indices absolument imperceptibles pour l’Européen, ainsi les bourgeois ont acquis un sens qui leur est propre pour dépister chaque probabilité de gain sur autrui !

Le travailleur est productif, il partage parfaitement le talent productif de la bourgeoisie ; mais ce talent spéculatif, il ne l’a pas et il faut espérer qu’il ne l’aura jamais.

Un motif de plus pour que de petites associations ouvrières, comme se les imagine M. Fawcett, ne puissent qu’être écrasées par la bourgeoisie.

Mais de même que les ruses et les intrigues du renard ne peuvent tenir longtemps contre le coup de griffe du lion, et les sens subtils de l’Indien contre le feu de peloton de l’Européen, de même les grands bataillons de l’association des diverses branches de production et le bon marché qui doit en résulter, réduiront-ils vite à l’impuissance le génie spéculatif de tromperie que possède la bourgeoisie. Et la destruction de ce talent spéculatif serait un grand avantage sous le rapport moral, comme sous le rapport économique ; car il entraîne à sa suite une masse de faux frais, d’annonces, de réclames, de commis-voyageurs importuns, d’étiquettes trompeuses, de falsifications de la qualité des marchandises, de payements aux rédacteurs de journaux, de subornements, etc., etc. ; en un mot, de charlataneries de tout genre auxquelles chacun est plus ou moins forcé de recourir aujourd’hui, parce que son concurrent y recourt, ce qui fait que si l’on gagne dans les cas isolés, par contre au total ce système renchérit singulièrement la moyenne de la production.

Le changement de direction de la production qui serait le résultat des associations productives, deviendrait la source d’une autre grande richesse pour la société ; nous ne pouvons que brièvement le retracer ici. Ce sont les consommateurs qui dirigent, pour la plupart, la production des objets et la déterminent par leur demande. Les consommateurs sans moyens de payer (et toute la classe ouvrière d’aujourd’hui peut être mise dans cette catégorie pour tout ce qui dépasse les moyens d’existence indispensables) ne sont pas des consommateurs.

Tandis que par la distribution modifiée du produit de production les travailleurs seront convertis en consommateurs solvables, et dès lors les objets de production seront conformes aux besoins et aux goûts des travailleurs ; c’est-à-dire que la transformation suivante aura lieu : conformément aux goûts des travailleurs on produira l’utile et le beau[81], et non pas, comme de nos jours, le cher parce qu’il est cher, et que, si peu utile et beau qu’il soit, il sert à faire l’étalage de la richesse de son propriétaire. Cette augmentation de richesse sociale produite par le changement de direction de la production ne doit nullement être considérée comme peu importante.

Ce n’est que par le lien intime de l’État avec la production, qui résulterait des associations productives, que serait donnée la possibilité de réaliser une masse d’entreprises qui auraient d’immenses suites pour la prospérité et la richesse du peuple, et qui actuellement ne peuvent pas avoir lieu. Abstraction faite de tout notre examen, l’idée généralement répandue que la concurrence libre est un moyen d’avancer, de hâter la richesse de la société comme telle, est tout à fait injuste en elle-même ; ceci n’est vrai qu’en tant que la nouvelle richesse qu’on a fait surgir peut être toute à la fois ou en partie confisquée et exploitée par les entrepreneurs privés. Ce n’est qu’à cette condition que, sous la concurrence libre, un individu et un capital ont l’occasion ou la possibilité d’amener une augmentation de la richesse sociale. Mais de grandes entreprises, quand même elles auraient pour conséquence le plus grand enrichissement de la nation, ne peuvent pas être effectuées sous la concurrence libre, si elles ne répondent pas à cette 1. Huber fait ressortir, avec raison (Concordia, p. 20), que l’association des pionniers, à Rochdale, a fait ériger une fontaine publique qui, dans le domaine de l’industrie à vapeur, est presque la seule œuvre d’art remarquable.
Une nouvelle ère pour l’art sera le résultat de ce changement de la face du monde, bien que nous ne puissions pas le développer ici. condition, c’est-à-dire si elles ne sont pas propres à pouvoir verser tout ou une partie de leur profit — pour un temps plus ou moins long — dans la poche d’un individu. Quelques exemples pour expliquer notre pensée : Il y a déjà nombre d’années que notre célèbre physiologiste Burmeister a démontré que rien ne serait plus facile comme d’utiliser pour l’alimentation de nos travailleurs européens, nourris de pommes de terre, les innombrables troupeaux de buffles qu’on voit au Texas et dans l’Amérique méridionale et centrale paître tout près de la côte et qui, tués par les indigènes pour leur plaisir, sont abandonnés jusqu’à ce qu’il pourrissent, personne ne se souciant de leur viande sur les lieux ; abattre et transformer même leur chair en gélatine qui, tout en gardant sa faculté nutritive, pourrait être réduite en très petits volumes, c’est ce qu’il faudrait faire : car le transport de ces masses étonnantes nécessiterait des frais très modiques. Il y a plus de cent ans que le circumnavigateur Cook a déclaré que celui qui avait planté un seul arbre à pain avait fait autant et plus pour l’alimentation du genre humain qu’un travailleur européen qui s’était tourmenté toute sa vie. La substance alimentaire des fruits de l’arbre à pain pourrait tout aussi bien, par des expéditions dans les îles de la Réunion, être concentrée dans de très petits volumes. Pendant la guerre de Crimée, on s’est parfaitement convaincu de la possibilité de fournir des vivres comprimés pour les armées[82]. Notre pauvre peuple qui souffre et endure la faim, les tisseurs silésiens, ceux des montagnes de la Saxe, l’ouvrier des fabriques du Rhin, pour lesquels la consommation malsaine des pommes de terre est souvent trop coûteuse, auraient presque pour rien du pain et de la viande !

Mais comment cela serait-il possible aujourd’hui ? Quel capitaliste ferait les grandes avances de frais pour de pareilles expéditions et de telles expériences ? En supposant même un succès brillant, ce serait une affaire peu lucrative, puisque d’autres capitalistes ou d’autres sociétés de capitalistes se jetteraient également sur cette branche de production, et par la concurrence libre ôteraient tout l’avantage de l’entreprise au premier entrepreneur qui aurait vaincu toutes les difficultés, la peine et les risques d’un coup d’essai, et n’aurait, en somme, travaillé qu’au profit de ses successeurs. Les capitaux ne se prêtent pas à ce rôle humanitaire, et l’œuvre sur laquelle l’individu ne peut pas mettre exclusivement la main au moins pour quelque temps, surtout si elle exige de grandes dépenses, reste nécessairement non entreprise.

Les exemples allégués doivent naturellement être considérés seulement comme des exemples. Mais il y a un millier d’autres exemples de ce.genre. Tout le domaine de la science et son progrès ne sera véritablement fécond pour la nation que lorsque l’Etat, par les associations productives, se sera mis en rapport direct avec la production.

Et… mais on peut quelquefois pousser trop loin les preuves théoriques et augmenter ainsi par leur juste précision les difficultés pratiques qui s’y opposent et qui déjà ne sont que trop grandes.

  1. Ainsi Plutarque nous raconte que le rhéteurr Isocrate fut tourné en ridicule par les acteurs comiques d’Aristophane et de Stratos, parce que son père Théodore faisait fabriquer des flûtes par ses esclaves. (Plut., vita decem orat, t. IV, p. 307, éd. Wyll) : οθεν εις τους αθλους κεκφωμωδηται υπο Αριστοφα ους και Στρατιδος, ou, comme le dit Lessing, les acteurs comiques lui donnent à entendre les flûtes de son père.
  2. Cato, de re rust. praef. ; majores ita in legibus posuerunt, furem dupli condemnari, feneratorem quadrupli.
  3. Une coutume qui tire son origine de l’interdiction mosaïque de l’intérêt en usage chez les juifs orthodoxes russes et dont parle Bonaventure Mayer (les Juifs de notre temps 1842, p. 13), fait ressortir d’une manière très originale ce caractère intrinsèque du prêt. Le créancier, en faisant le prêt, stipule sur la moitié du gain et les parties contractantes la fixent provisoirement à une somme plus ou moins présumable. Si le débiteur déclare plus tard que l’entreprise n’a pas rapporté ce gain, il n’est pas obligé de payer la somme convenue ; mais il perd à l’avenir tout crédit.
  4. Plin. Epp. III, 19. Sum quidem prope totus in prædiis ; aliquid tamen foenere.
  5. Le thaler vaut 3 fr. 75. (Le trad.)
  6. Plutarque, vit. Crans, III, c. 2, p. 250, éd. London : ομος αν τις ηγησαιτο μηδεν ειναι ταυτα παντα προς φτην των οικετων τιμην, κιλ.
  7. Ulric de Lichtenstein, Frauendienst, p. 160.
  8. Sukenia, soscania, le pardessus des femmes ordinairement très riche, tissé d’or et de soie, comp. Ducange, GIoss. s. v. soscania. En russe komnala, chambre, et en polonais suknia, robe, se sont encore conservés de nos jours.
  9. Frauendienst, p. 84.
  10. Voir mon Système des droits acquis. Leipzig, Brockhaus, 1861. T. I, p. 260-264.
  11. Voir, par exemple, Perlz, Monum. hist. Germ. III (Leg. loin I), p. 177 : Respiciunt ad eandem curtem mansi ingenuiles vestiti 23. Ex his sunt 6 quorum unusquisque.... operatur annis singulis ebdomades 5, arat iurnales 3, etc , etc.
  12. V. par exemple : Monteil, Histoire du quatorzième siècle, chap. la Table de Pierre. T. I, p. 84.
  13. Voir le compte rendu par le bailli d’Aval, en 1347, chez Monteil, p. 85.
  14. Maurer, Geschichle der Frohnhöfe, 1862, Bd. II, p. 523 ; Trier. Weisthum, X, 8-10. 3.
  15. Voir Ducange, s. v. currifices.
  16. Voir Maurer, T. II, p. 316.
  17. Voir das Korveische Güterverzeichniss bel Kindlinger, Münster. Beitrage II, 116, 133, 228, 126, 223, 143. — Ducange, s. V. pica.
  18. Voir, par exemple, Monteil, p. 87.
  19. Au moins les deux sont mentionnes dans l’inventaire du château. Voir Pertz ...Caldaria ærea 3, ferrea verro 6.
  20. Siehe das von Guérard (Paris 1844) herausgegebene Polypt. Irminion, Urk. IX. 299, p. 113 : Facit omni ebdomada dies II ; sed pro ipsa mannopera solvit carrum I cum duabus tonnis. Ibid. Urk. XI, 2, p. 119 : ....Solvunt ....pullos IX, ova XXX, asciculos C., et totidem scindolas, dovas XII, circulos VI etc. Ibid. XIII, s. p. 132 : El inter totos qui mansum tenent, asciculos C., scindolas totidem, dovas XII., circules VI., etc.
  21. Michelsen, Mainzer Oberhof zu Erfurt, p. 26.
  22. Beschreibung von 1332 lei Falkenstein, Hist. z. Erfurt p. 198 et 200.
  23. Voir chez Perlz, p. 177 : Uxor vero illius facit camisilem I. et sarcilem I. ; conficit bravem et coquit panem.
  24. Voir Maurer, Gesch. d. Frohnhöfe. Bd. I, p. 395.
  25. Voir le livre de l’abbé Irminon, XII, 109 p. 150 et ib. 110 : omnes iste faciunt camsilos de octo alnis, etc.
  26. Ducange, s. v. Saiga.
  27. Voir Mauser, t. II. p. 223-325.
  28. Voir Mauser, t. II, p. 324 et t. 1, p. 399.
  29. Privilèges du château de simpodium de 1396 dans Monteil. Hist. du XIVe siècle, chap. maître Dalmaze, t. I, p. 39.
  30. Voir Sauval, Antiquités de Paris. Fol. 1724, t. II, liv. 8, chap. Redevances ridicules :…Etoit obligé pour toute protestation de foi et devoir seigneurial de contrefaire l’ivrogne.
  31. Sauval, ib. ib. :…De courir la Quintaine à la manière des paysans.
  32. Sauval, ib, ib. :…De dire une chanson gaillarde à la dame de Lavarai.
  33. Monteil, Mist. du XIVe siècle, chap. la table de Saint-Pierre, t. I, p. 84, qui cite un « adveu rendu par Marguerite de Montluçon des Comptes de la Prévôté de Paris. »
  34. Geschichte der Frohnhöfe, t, II. p. 190.
  35. Voir les détails sur cette connexion dans mon Système des droits acquis. T. 1, p. 260.
  36. Ainsi, en 1352, Ins corps de boulangers de huit villes, entr’autres aussi ceux de Francfort-sur-le-Mein, établirent, par un contrat conclu entre eux, un châtiment pour le cas où un maître enseignerait à un garçon le métier de boulanger, si ce dernier n’était pas né pour ce métier. Voir dans Kriegl, Discordes des bourgeois de Francfort au moyen âge et leur situation. (Francfort, 1868), p. 388.
  37. On rencontre des traits bien amusants ; un exemple seulement : A Vienne, une ordonnance de Charles VI, mai 1391, art. 52, porte que les marchands de vin, avant la St-Martin, ne peuvent vendre le vin qu’à la moitié du prix du vieux vin, et après la St-Martin seulement aux taverniers.
  38. Comp. mon Programme des Travailleurs, p. 16-18. Editions Zurich, Meyer et Zeller
  39. Riche famille de Souabe, qui fit de tels gains dans le commerce, qu’elle put faire des avances considérables aux empereurs d’Allemagne dans les dernières années du quinzième siècle. (Note du traducteur.)
  40. S. v. Stramberg, Art. Fugger bei Ersch und Gruber.
  41. Dans cette connexion, l’origine historique de croissance naturelle dans le système mercantile d’autrefois se manifeste d’elle-même, c’est-à-dire dans cette école économique qui voit le capital d’un pays uniquement dans son argent. Cette conception découle simplement de la réalité historique qui la précédée, comme c’est plus tard le cas dans le système industriel (Adam Smith).
  42. Voir à ce sujet mon Programme des Travailleurs, p. 10-18.
  43. Voir surtout le Manifeste des Communistes, par Marx et Engels (1847), reproduit dans l’Histoire du Socialisme, de B. Malon, p. 410-419. (Note du traducteur.)
  44. Cette loi du prix de coût, que J. B. Say n’a jamais su comprendre et contre laquelle il éclate en diatribes si ennuyeuses, tant dans ses remarques à Ricardo que dans sa correspondance avec celui-ci, a déjà été développée en détail avant Adam Smith, par l’ancien économiste écossais James Stewart (An inquiry into the principles of polit. econ., To. I, lib. II, c. 4, how the prices of goods are determined by trade), mais avec la grande différence que Stewart considère encore le profil du capital et la rente foncière comme des éléments particuliers des frais de production, tandis que chez Ricardo ils sont aussi résolus en quantum de travail.
  45. Entkapitalisirt, c’est-à-dire lui ôte graduellement toute sa puissance productive. (Note du traducteur.)
  46. Principl. of polit, econ. T. I, ib. I, c. XX, p. 83, ed. Bas.
  47. L’économie bourgeoise le sait parfaitement et l’a développé assez clairement. « Qu’on diminue, dit Ricardo, (t. II, c. 30, p. 253, éd. Const.) les frais de fabrication des chapeaux et leur prix baissera au prix naturel (prix de coût), bien que la demande de chapeaux serait double, triple ou quadruple. Qu’où amoindrisse les frais d’entretien des hommes, en diminuant le prix naturel de la nourriture et des vêtements nécessaires à la vie, et l’on verra les salaires de travail baisser, quand même la demande de bras augmenterait considérablement. » Voyez J. B. Say et la longue suite de citations que renferment les endroits allégués (p. 2, N. 3). Déjà sir James Stewart, dans ses observations sur le principe de la population, l'a clairement vu. Voyez, par exemple, Principl. of pol. ce. T. I. lib. I, c. 4, 5, 12, 20, etc.
  48. Sir James Stewart ne connaissait pas encore le travail des enfants dans les fabriques, mais comparez son raisonnement : Comment un homme marié, qui a des enfants à nourrir, peut-il disputer cet avantage à celui qui n’a que le souci de soi-même ? Le célibataire force ainsi les autres à mourir de faim (the unmarried therefore force the others to starve) et la base de la pyramide s’est rétrécie (Principl. T. I, p. 93, éd. Bas).
  49. Comp. Histoire des prix Tooke, éd. Asher. T. I, p. 209 ; « En suite de toutes les expériences, soit qu’elles résultent de nouvelles observations, ou de témoignages historiques, on peut admettre comme certain que, parmi tous les objets d’échange, le salaire de travail est le dernier qui hausse en suite d’un enchérissement ou d’une baisse de l’argent, comme d’autre part le salaire de travail est le dernier qui, en suite d’une surabondance de marchandises ou d’une hausse d’argent, baisse de nouveau. » Comp. mes Impôts indirects et la situation de la classe travailleuse.
  50. Plut., vita Crassii., T. III. p. 250, éd. London.
  51. Et Plutarque dit vrai, quand il ajoute en manière d’explication : « L’économie (την γαρ οικονομικην, la science économique) qui, par rapport aux choses inanimées, s’appelle science industrielle, par rapport à l’homme devient {science gouvernementale) politique. »
  52. Ansichten der Volkswirthschaft. Leipzig, 1863, p. 234.
  53. Et l’on sera seulement conséquent en se faisant cette autre question : Est-il plus lucratif pour le marché de garder les hommes, ou trouverait-on son profit à supprimer les hommes, pour produire d’autres articles ? Lorsque, dans la première moitié de ce siècle, on s’aperçut que dans certaines circonstances la transformation des champs de blé en pacages et en prés était plus lucrative, des populations entières de paysans furent expulsées, surtout par les grands propriétaires écossais, et jetées dans la misère, exposés à mourir de faim. Dans les seuls biens de la comtesse Sutherland, entre 1811 et 1820, on n’expulsa pas moins de 15.000 habitants ; leurs villages furent brûlés, leurs champs convertis en pâturages (V. Sismondi, Études sur l’écon. polit. Par., 1837. T. I, p. 210-225). Mais déjà, en 1820, 131.000 moutons furent la récompense de celte heureuse opération productive ! Voilà en quoi s’étaient nécessairement transformés, sous la période de la concurrence libre et de la productivité du capital, sous la période bourgeoise, les vieux rapports des clans écossais avec leurs Sutherland, Argyles, Hamilton, etc. L’ancien économiste écossais sir James Stewart avait déjà prévu ces événements au milieu du siècle passé. Il les développe dans ses Macchiavelliques (Principl., T. I, p. 178), mais il ajoute qu’il ne croit personne capable d’une pareille inhumanité et il regarde l’accomplissement subit de cette transformation comme impossible. (Though no man is, I believe, capable to reason in so inhuman a style and though the révolution here proposed be an impossible supposition, if meant to be executed all at once). Cependant, lorsque dans une société économiste de Berlin, on parla de cette expulsion, un certain député progressiste et économiste s’écria, m’a-t-on dit : « Qu’importe, messieurs, si la nation avait tant d’hommes de moins, elle avait tant de gras moutons de plus. » Je ne veux pas nommer l’individu, car le fait repose sur un rapport verbal. Mais dans la littérature on pourrait trouver beaucoup de faits semblables. Même Roscher, un jour, dans son cours, s’écrie transporté de colère et de frayeur : « C’est à croire que les hommes existent pour les produits et non les produits pour les homme ». » (Roscher avait en tout cas emprunté ces généreuses paroles à Sismondi et à Droz, N. du Tr.)
  54. Il n’y a aucune voie purement économique pour changer cette situation. Les vains efforts de la chose qui s’efforce de paraître homme se manifestent dans les strikes (grèves) anglais dont le triste résultat est suffisamment connu. C’est pourquoi la seule issue possible pour les travailleurs se trouve dans la sphère dans laquelle ils sont encore reconnus pour des hommes, c’est-à-dire dans l’Etat, mai » dans un Etat qui s’impose pour tâche leur affranchissement, ce qui est inévitable à la longue. De là cette haine instinctive mais illimitée de la bourgeoisie libérale contre l’idée môme de l’Etat dans toutes ses manifestations.
  55. Comparez avec l’endroit cité dans la préface.
  56. Siche von Thünen, der naturgemässe Arbeilslohn, Rostock, 1850, l. Abth., S. 80 ff ; Mario (Professor Winkelblech) System der Welt-Œkonomie, Th. I, c. 4. Th. II, c. 11, 12, 13 ; Sismondi, Nouveaux principes, T. I, p. 359 c. b. d’a.
  57. Parmi les économistes libéraux, voir surtout Nebenius, le Crédit public, chap. 2 ; Herrmann Staatsw. Unters ; N. 204-214 ; Storch, Cours d’écon. pol. T. II, p., 87, ff, éd. St Petersbourg ; Schön, Nouvelles recherches sur l’écon. polit., v. 87 cl 112-116 ; Hiedel, économie politique, § 466-477 et 785 ; Rau, Principes, etc., p. 311-323 et une foule d’autres.
  58. En cela, Say a devancé tous les autres. Il ne faut pas confondre avec cette tendance française prétendue humanitaire, la série des économistes humanitaires parmi les Français, tels que Vauban, Bois-Guilbert, Forbonnais, Necker, Sismondi, Eugène Buret qui font honneur à la France et qui lui donnent sur ce point un avantage sur l’Angleterre.
  59. 1 . Pour vous venir en aide dans votre ignorance des choses, voici un exemple pratique en chiffres. J’ai devant moi le compte rendu imprimé de la Direction de la société de Cologne-Minden pour 1862. D’après ce compte rendu, p. 243, le chemin de fer de Cologne-Minden a rapporté en 1862 un dividende de 1,641,250 thalers. et en outre un intérêt des actions. . . 1,726,271 — Total 3,367,521 thalers. En même temps, je fais abstraction de 521,290 thalers pris comme fonds de réserve, de 73,000 thalers d’amortissement, do 628,952 thalers d’extra-dividende, payables à l’État, qui forment ensemble la somme de 1,223,242 thalers et devraient être additionnés aux 3,367,521 thalers. Au moin» ces 3,367,521 thalers forment la prime du capital sur le revenu annuel de l’entreprise, prime revenant au capital. Quelle serrait d’après vous, M. Schuize, la rémunération payée par cette entreprise à l’administration supérieure ? Vous pouvez le voir p. 262-266. Traitement du directeur du chemin. . . 3,475 thalers. — des directeurs d’exploitation. . 3,200 — — du contrôleur d’exploitation . 1.900 — Traitement du directeur spécial….. 2, 200 — — de son substitut 1.500 — Les traitements payés aux architectes, aux dessinateurs, aux inspecteurs, aux comptables, aux vaguemestres et aux ouvriers, chaque entrepreneur isolé aurait dû les payer aussi.
    Ainsi sur une prime de capital de 3, 300, 000 et même de 4, 500, 000 thalers que rapporte annuellement une entreprise avec cette division en capitalistes-entrepreneurs et en gérants, ces derniers reçoivent pour leur gestion un salaire de 12, 000 thalers. Tant il est vrai, n’est-ce pas, M. Schulze, que le revenu d’entreprise prélevé sur la nation n’est qu’un simple salaire de travail intellectuel ?
  60. Par exemple J. B. Say, Cours compl. Voyez Dunoyer, de la liberté de travail, lib. VII ; Steinlein, Manuel de la science de l’Économie politique. T. I. p. 444 ; aussi Mangoldt, Études sur le profit d’entreprise, Leipzig, 1853, n’en est nullement affranchi.
  61. Ce qui vient d’être dit plus haut, ce qui sera tracé dans le développement suivant prouve que la catégorie économique, capital, et la catégorie juridique, propriété, ne sont également que des catégories de l’esprit historique, comme je l’ai développé relativement à toutes les catégories juridiques dans mon Système des droits acquis (Comp. Préf., p. XVI et p. 69, N. 1, p. 250, N. 1) et dans tout le second volume de cet écrit, dans le Droit d’hérédité (et Droit de famille).
  62. Celui qui se sent blessé par cette définition devrait, pour donner une définition juste, propre à un abrégé, avoir recours à la suivante : Le capital est un déboursement de travail précédent fait sous la division du travail, sous un système de production consistant en valeurs d’échange et sous la concurrence libre, déboursement nécessaire à l’entretien des produc- teurs jusqu’à l’aliénation du produit entre les mains des consommateurs définitifs, et qui a pour résultat que l’excédant du revenu de production sur l’entreticn des travailleurs se répartit entre celui ou ceux qui ont fait le déboursement.
    On trouvera d’abord que dans cette définition la fourniture des matières premières fait défaut, car elles sont aussi nécessaires à la production.
    Mais ce serait à tort ; car ces matières premières ont été produites également et dans les mêmes conditions par des travailleurs et avec le déboursement d’un producteur en matières premières, qui est remplacé ensuite par un producteur industriel qui complète la façon de ces produits. Tout ce que la série des capitalistes a déjà dépensé les uns après les autres, par la fabrication d’un produit, n’est rien autre que l’entretien de la série des travailleurs (ouvriers en matières premières, mineurs, etc.) qui ont concouru à la fabrication du produit. — Toute autre définition qui omet un des indices contenus ici est, comme le prouve notre analyse fausse et incomplète.
  63. Harm. écon., p. 229.
  64. La forme analogue, et néanmoins différente que prend la rente foncière ne peut pas être exposée ici.
  65. Voir page 51.
  66. « Das Eigenthum ist Fremdthum geworden. » Jeu de mots qu’on ne peut rendre littéralement. (N. du T.).
  67. C’est précisément parce que ce moyen transitoire est si facile et si réalisable en pratique, et qu’en outre il renferme en soi le germe organique de tout développement ultérieur, que ma proposition a soulevé dans tous les journaux les cris de rage de la bourgeoisie et a rendu possibles par là les grandes proportions que mon agitation a prises. Cela n’aurait pas eu lieu, si j’étais allé plus loin et si j’avais posé une réclamation abstraite quelconque, que la bourgeoisie aurait accueillie tranquillement par un silence de mort comme une utopie non dangereuse. Une donnée théorique et une agitation pratique, telles que je les ai inaugurées dans ma Réponse publique et dans les discours qui ont suivi ont, sous certain rapport, une loi tout opposée. Plus une donnée théorique est complète et vaste dans ses conséquences logiques, plus elle est puissante. Une agitation pratique, au contraire, est d’autant plus puissante qu’elle est plus concentrée sur un premier point d’où découle tout le reste. Mais ce point doit renfermer en lui toutes les conséquences ultérieures, qui doivent se développer avec une nécessité organique ; sans quoi il n’est pas à la hauteur théorique voulue, c’est-à-dire qu’il n’est a priori qu’un palliatif impuissant, qu’une stupide ressource qui ne peut avoir ni des conséquences fécondes, ni se réaliser, ni réussir en rien ; telles sont, par exemple, toutes les réclamations du parti progressiste qui se fait un point d’honneur de ne pas être à la hauteur théorique et qui regarde cela comme une chose pratique.
    En Allemagne on comprend encore très mal les conditions de l’agitation pratique. C’est pourquoi dans cet amas de critiques libéraux il y en avait aussi de bienveillants, qui me reprochaient de ne vouloir et de n’avoir levé que l’étendard d’un changement dans la répartition du produit de production au lien de l'augmentation de la production.
    En tout cas, de pareilles objections ne sont qu’une suite de l'hypercritique qui règne chez nous, en vertu de laquelle chacun, — après avoir entendu les paroles d’un autre et sans se donner la peine de les examiner jusque dans leurs conséquences nécessaires, — se croit mieux instruit. L’augmentation de la production est une condition indispensable de toute amélioration de notre état social, et elle est en même temps la suite inévitable de l’association productive que je demande et la mesure pratique qui produit cet effet à un haut degré. Cette conséquence n’a pu être développée dans ma Réponse publique, la concision la plus grande étant la première condition des écrits agitationistes.
    Dans le Manuel des Travailleurs (p. 51) elle a déjà été mentionnée énergiquement. Mais ce n’est qu’ici seulement, quand la donnée théorique se joint à l’agitation pratique, que peut avoir lieu le développement de l’augmentation de production comme résultat de l’association. Je vais l’exposer brièvement dans ce qui suit ; quant aux causes de cette augmentation qui se présentent d’elles-mêmes à l’esprit, telles qu’un plus grand zèle et l’épargne des matériaux de la part des travailleurs, en suite de leur propre intérêt, etc., etc., elles peuvent être facilement omises. Comme bannière d’agitation doit servir la réforme de la répartition du produit de production et non pas l’augmentation de la production ; premièrement parce que l’association productive est la mesure matérielle et pratiquement saisissable, dont cette augmentation n’est que la conséquence — et non le contraire ; secondement, précisément parce que la réforme de la répartition du produit de production est un appel agitationiste matériellement concevable, il est susceptible de s’emparer des masses et de les mettre en mouvement. L’augmentation de la production, au contraire, en comparaison de la réforme de répartition, est déjà une réflexion savante, et quiconque nourrit de telles réflexions doit avoir assez de force de pensée pour voir lui-même qu’elle doit être la conséquence d’une association productive.
  68. Voir, par exemple, Catéchisme, p. 8l : « Forts du senti- ment de leur propre énergie, jamais, au prix d’un soutien dont ils n’ont pas besoin, ils ne se laisseront réduire à la dépendance qui atteint quiconque, dans l’importante question de l’existence, s’appuie sur la bonne volonté des autres, sur les secours d’autrui. » Et encore, p. 123 : « Celui qui réclame le soutien d’un autre, fût-ce même celui de l’État, accorde à celui-ci l’arbitrage, la surveillance de sa personne, et il renonce à son autonomie. Ce serait une renonciation à soi-même, un abandon de l’esprit des ancêtres, une trahison de la postérité, » etc., etc.
    Dans ces mots : « …… d’un autre, fût-ce même celui de l’État », vous admettez que l’appui d’un autre est encore pis que celui de l’État. Ainsi vous combattez, p. 78, le soutien qui émane des classes riches de la société. Comp. p. 128 et presque chaque page de votre livre. Après cela, vous commettez tout à coup vous-même la trahison en vous procurant de ces mêmes classes 100.000 thalers !
  69. Partout où nous mettons classe ouvrière ou prolétariat, Lassalle avait mis arbeiterstand (état ouvrier), mot qui, en français, peut prêter à l’équivoque. (Note du traducteur.)
  70. Études sur les associations ouvrières, par M. le vicomte Lemercier, p. 92.
  71. Voir Lemercier, ibid., p. 136-145. J’insiste sur cette observation que le vicomte Lemercier, auquel je m’en rapporte pour ce qui précède et d’autres faits suivants, est un réactionnaire, et qu’en somme il est défavorable aux associations des travailleurs.
  72. Lemercier, ibid., p. 146-149.
  73. Lemercier, Études sur les associations ouvrières, p. 194.
  74. Bonaparte régnant et Dufaure gouvernant, (Note du traducteur.)
  75. Crapule est en toutes lettres, et en français, dans le texte allemand. (Note du traducteur.)
  76. Kleine Schriften, I, Beilage. Nr 28.
  77. Statist. Revue, 1857, v. 54.
  78. Voir, sur l’enrichissement que donnerait la production concentrée par la suppression des frais d’expédition et de transport, le livre de sir William Petty, où il développe les avantages des grandes villes pour l’industrie et le commerce. (Several, Essays in Political Arithmetik, 4e édit. Londres, 1754, p. 29.)
  79. Manual of Political Economy. London, 1863, p. 292.
  80. Comp. la brochure de Rodbertus, la Crise commerciale, et le besoin de crédit des propriétaires fonciers.
  81. Huber fait ressortir, avec raison (Concordia, p. 20), que l’association des pionniers, à Rochdale, a fait ériger une fontaine publique qui, dans le domaine de l’industrie à vapeur, est presque la seule œuvre d’art remarquable.
    Une nouvelle ère pour l’art sera le résultat de ce changement de la face du monde, bien que nous ne puissions pas le développer ici.
  82. A l'exposition industrielle de Londres de 1862 il y avait des modèle» de pareille viande provenant de l’Uruguay, concentrée par le dessèchement et qui avait 1res bon goût. Voir Lothar Bucher Bilder auf dev Fremde, t. II, p. 178 et suiv.