Traduction par Amédée Pichot.
Michel Lévy frères, libraires éditeurs (tome 1p. 167-180).
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XI


Tel fut le sort de miss Émilie Melville. Jamais peut-être la tyrannie ne donna un exemple plus affligeant de l’horreur qu’elle doit inspirer. Il n’y eut pas un seul témoin de cette scène douloureuse qui pût s’empêcher de regarder M. Tyrrel comme le plus odieux tyran qui eût jamais déshonoré l’espèce humaine. Cet acte de cruauté inouïe, qui fut bientôt connu dans la prison, excita l’étonnement et une indignation générale parmi les employés mêmes de ce lieu d’oppression.

Si tels furent les sentiments de ces hommes accoutumés à servir d’instruments à l’injustice, on devine sans peine quels durent être ceux de M. Falkland ; il eut un véritable accès de démence et de désespoir ; il se frappait le front, s’arrachait les cheveux, allait et venait comme pour fuir une horrible image, et s’écriait qu’il avait honte d’appartenir à la même espèce qui avait produit un monstre tel que M. Tyrrel. Dans son indignation, il accusait la Providence et surtout les lois qui lui défendaient d’écraser comme un reptile l’assassin de miss Melville. Il fallut le garder comme un furieux.

Ce fut sur le docteur Wilson que reposa tout le soin de voir et de décider ce qu’il y avait de mieux à faire dans la conjoncture présente. Le docteur était un homme froid et méthodique. Une des premières idées qui se présentèrent à son esprit, fut que miss Melville était de la famille Tyrrel : il ne doutait pas que M. Falkland ne fût très-disposé à acquitter toutes les dépenses qu’exigeaient les tristes restes de cette malheureuse victime ; mais il pensa que les lois de l’usage et de la décence ne permettaient pas de laisser passer un tel événement sans en donner connaissance au chef de la famille. Peut-être aussi le soin de ses propres intérêts, comme médecin, contribua-t-il pour quelque chose à la répugnance qu’il sentait à aller s’exposer au ressentiment d’une personne aussi considérable dans le pays que M. Tyrrel. Cette faiblesse n’empêchait pas qu’il ne fût susceptible des sentiments communs à tous les hommes, et il lui en aurait extrêmement coûté pour se charger du message ; d’ailleurs, il ne croyait pas à propos, dans la circonstance actuelle, d’abandonner M. Falkland.

Le docteur Wilson n’eut pas plutôt laissé entrevoir ses idées à ce sujet, qu’elles parurent faire une impression soudaine sur Mrs. Hammond, qui demanda avec empressement qu’on lui permît de porter elle-même la nouvelle. On ne s’attendait pas à cette proposition ; mais le docteur ne se fit pas beaucoup presser pour y donner son assentiment. Mrs. Hammond était résolue, disait-elle, de voir par elle-même quelle sorte d’impression cette funeste catastrophe ferait sur celui qui en était l’auteur, et elle promit de se comporter avec modération. Le voyage fut bientôt fait.

« Je suis venue, monsieur, dit-elle à M. Tyrrel, vous informer que votre cousine, miss Melville, est morte cette après-midi.

— Morte !…

— Oui, monsieur, je l’ai vue mourir ; elle est morte dans mes bras.

— Morte !…. qui est-ce qui l’a tuée ?…. que voulez-vous dire ?

— Qui ? est-ce à vous de le demander ? C’est votre méchanceté et votre barbarie qui l’ont tuée !

— Moi !… ma… allons, elle n’est pas morte. Cela ne se peut pas… il n’y a pas huit jours qu’elle a quitté cette maison.

— Vous ne voulez pas me croire ? je vous dis qu’elle est morte.

— Madame, madame, prenez garde à ce que vous dites… Ce n’est pas ici matière à plaisanter ; oui, quoiqu’elle ait mal agi avec moi, je ne voudrais pas pour tout au monde la croire morte. »

Mrs. Hammond répondit par un signe de tête affirmatif.

« Non, non… je ne le crois pas… je ne le croirai jamais… non, non, jamais.

— Voulez-vous venir avec moi et vous en convaincre par vos propres yeux ? C’est un spectacle digne de vous ; il y a là de quoi satisfaire un cœur tel que le vôtre… » En parlant ainsi, Mrs. Hammond lui tendait la main comme pour le conduire.

M. Tyrrel recula.

« Mais si elle est morte, est-ce ma faute ? Puis-je répondre de tous les malheurs qui arrivent dans le monde ?… Qu’êtes-vous venue faire ici ? À quel propos venez-vous m’annoncer cette nouvelle ?

— À qui dois-je l’annoncer, si ce n’est au parent de la morte… et à son meurtrier ?

— Son meurtrier !… Ai-je mis la main sur elle ? Lui ai-je porté des coups de couteau ou de pistolet ?… Lui ai-je donné du poison ? Je n’ai rien fait que ce qui est autorisé par la loi. Si elle est morte, personne ne peut dire que ce soit ma faute.

— Votre faute ! monsieur Tyrrel, tout le monde vous maudit et vous abhorre. Parce que les hommes portent quelquefois du respect au rang et à la richesse, seriez-vous assez insensé pour croire qu’un forfait comme le vôtre trouvera une excuse ? Ne vous l’imaginez pas ; on rirait de cette folle prétention. Le dernier mendiant des rues va vous mépriser comme la boue. Ah ! vous avez raison de rester interdit et confondu de ce que vous avez fait. Je publierai votre infamie au monde entier, et il n’existera pas une seule créature humaine dont vous osiez soutenir les regards.

— Bonne femme, reprit M. Tyrrel accablé d’humiliation, ne me parlez pas sur ce ton-là, s’il vous plaît… Emmy n’est pas morte, j’en suis sûr… j’espère… Non, elle n’est pas morte… Avouez-moi seulement que vous avez voulu me tromper, et je vous pardonne tout… Je lui pardonne à elle-même, j’oublie tout… je l’aimerai plus que jamais. Je ferai tout ce que vous voudrez… Je ne lui ai jamais voulu de mal… jamais.

— Je vous dis qu’elle est morte. Vous avez tué la plus douce, la plus aimable créature qu’il y eût au monde. Pouvez-vous lui redonner la vie comme vous avez pu la lui ôter ? Ah ! si vous en aviez le pouvoir, comme vous me verriez à vos genoux, comme je resterais à vos pieds jusqu’à ce que vous me l’eussiez rendue !… Qu’avez-vous fait, misérable ? vous êtes-vous cru le maître de faire et défaire à votre gré, de changer les lois de la nature comme il vous plaît ? »

Les reproches de Mrs. Hammond firent goûter à M. Tyrrel, pour la première fois, la coupe d’amertume que la vengeance céleste lui avait réservée. Ce fut là le commencement d’une longue suite de mépris, d’insultes et d’exécrations qu’il était destiné à endurer. Les paroles de Mrs. Hammond furent prophétiques. Il fut aisé de voir que, si la fortune et la naissance servent de manteau pour couvrir beaucoup de crimes, il en est pourtant qui appellent à si haute voix l’indignation générale, que, semblables à la mort, ils mettent au niveau toutes les distinctions et rabaissent le criminel à l’égal du dernier des hommes. M. Tyrrel ne fut plus regardé que comme le lâche et tyrannique meurtrier d’Émilie ; ceux qui n’osaient risquer d’exprimer tout haut leurs sentiments contre lui n’en étaient que plus profondément pénétrés, et le maudissaient en murmurant, tandis que le reste jetait un cri général d’exécration et d’horreur. Lui-même fut frappé d’étonnement de la nouveauté de sa situation. Accoutumé à voir tous les hommes tremblants et soumis, il s’était imaginé que son empire ne devait pas avoir de fin et que tous les excès possibles de sa part n’auraient jamais la force de briser le charme. Maintenant il regardait autour de lui, et voyait sur chaque visage l’horreur qu’il inspirait, prête à éclater comme un flot impétueux à la moindre provocation, et à briser toutes les barrières de la crainte et de la subordination. Toute sa fortune n’eût pu lui suffire pour acheter quelques témoignages de civilité de ses voisins, des paysans même des environs, à peine de ses propres domestiques. Enveloppé de l’indignation générale, il semblait poursuivi de toutes parts par un spectre qu’il ne pouvait éviter, et l’aiguillon cuisant du remords ne lui laissait pas un moment de paix. Le pays qu’il habitait devint ainsi de plus en plus insupportable pour lui, et il était évident qu’il serait à la fin obligé de l’abandonner. Le dernier trait de noirceur de M. Tyrrel avait rappelé le souvenir de tous ses autres excès, et le jugement qu’on portait sur lui se composait d’une longue liste de vexations et d’injustices passées qui venaient toutes à la fois retomber sur sa tête. On eût dit que le public avait longtemps recueilli tous ses ressentiments en silence pour les laisser éclater à la fin sur le tyran avec plus de violence.

Un châtiment aussi terrible ne pouvait guère frapper une personne moins capable de le supporter. Quoique M. Tyrrel n’eût pas ce sentiment intérieur d’innocence qui nous fait reculer d’effroi devant la haine et l’indignation de nos semblables, comme devant un monstre étranger à notre nature, cependant la trempe despotique de son âme et l’habitude constante de voir tout plier devant lui, l’avaient disposé à ne sentir qu’avec des émotions extraordinaires de courroux et d’impatience l’anathème universel auquel il était condamné. Que lui, qui d’un seul clin d’œil rendait tout le monde muet et immobile, lui que personne n’eût osé aborder dans les accès de sa colère, se vît actuellement traité partout avec un mépris marqué, et accablé de reproches qu’on ne prenait pas même la peine de déguiser ou d’adoucir, c’était une chose dont il lui était impossible de soutenir la pensée. À chaque instant les traits de l’exécration générale venaient l’assaillir, et à chaque coup il tressaillait de douleur et de rage. Il était dans le délire de la fureur ; il repoussait chaque trait avec la férocité d’un tigre exaspéré par ses propres blessures ; mais plus il se débattait avec violence, plus sa situation devenait désespérée. Enfin, il se détermina à recueillir toutes ses forces pour braver ses ennemis et leur prouver qu’il était toujours lui-même.

Cette détermination prise, il résolut de se présenter sans délai au lieu d’assemblée dont j’ai déjà parlé. Il s’était écoulé un mois depuis la mort de miss Melville. Il y avait une semaine que M. Falkland était parti pour un voyage assez éloigné, et on ne l’attendait pas avant une autre semaine. M. Tyrrel ne laissa pas échapper une occasion aussi favorable, dans la confiance que, s’il pouvait une fois reprendre pied dans cette société, il lui serait facile de se maintenir, même en face de son plus formidable adversaire, sur le terrain qu’il avait regagné. Non que ce fût dans M. Tyrrel manque de courage, mais sa démarche allait être dans sa vie une époque trop importante pour qu’il voulût la compromettre par aucun risque.

À son entrée il se fit un bruit général dans l’assemblée, car il avait été convenu entre tous les hommes qui la composaient qu’on refuserait la porte à M. Tyrrel, comme à quelqu’un qu’on ne pouvait plus voir. Cette décision lui avait été notifiée par une lettre du maître des cérémonies ; mais avec un homme de la trempe de M. Tyrrel un pareil avis était plutôt un défi qu’une exclusion. Le maître des cérémonies, qui avait aperçu son équipage, vint au-devant de lui à la porte de l’assemblée, pour lui réitérer l’avertissement ; mais M. Tyrrel l’écarta de l’air du plus grand mépris, et entra d’autorité. Tous les yeux se tournèrent sur lui ; il fut un moment entouré de tous les hommes qui étaient dans la salle. Les uns tâchèrent de le repousser dehors ; d’autres voulurent entrer en explication. Mais il trouva le secret de se débarrasser des uns et de réduire les autres au silence. Sa stature athlétique et cette longue habitude qu’on avait eue de se soumettre à l’ascendant de son esprit étaient autant de circonstances en sa faveur. Il se regardait comme jouant un coup de désespoir, et il avait fait provision d’audace en proportion de l’intérêt de la partie. Débarrassé de tous ces insectes bourdonnants qui l’avaient d’abord assailli, il se mit à traverser la salle en long et en large d’un air de maître ; et, après avoir lancé de tous les côtés des regards sombres et courroucés, il rompit le silence : « S’il y avait quelque personne qui eût quelque chose à lui dire, il saurait lui répondre en temps et lieu convenable. Toutefois, il conseillait fort à cette personne de bien prendre garde à ce qu’elle allait faire. Si c’était de lui personnellement qu’on eût à se plaindre, à la bonne heure ; mais il s’attendait bien qu’il n’y avait là personne qui eût assez peu de discrétion et de savoir-vivre pour se mêler d’affaires qui ne le regardaient pas, et pour s’immiscer dans des intérêts particuliers de famille. »

Ces paroles ayant l’air d’un défi, différentes personnes s’avancèrent pour y répondre. Celui qui était le premier commença à parler ; mais M. Tyrrel, par l’expression de sa contenance, par un ton tranchant, par des mots jetés à propos, par des interruptions adroitement placées, le mit dans le cas d’hésiter d’abord et de finir par se taire. M. Tyrrel semblait marcher à grands pas au triomphe qu’il s’était promis. Toute la société était dans l’étonnement. On sentait toujours la même aversion pour sa personne et la même horreur pour son caractère ; mais on ne pouvait s’empêcher d’admirer l’audace et les ressources qu’il déployait dans cette conjoncture. L’indignation générale qu’il excitait ne demandait qu’à éclater, mais on avait besoin d’un chef.

Ce fut dans ce moment critique que M. Falkland parut dans la salle. Le hasard seul l’avait ramené plus tôt qu’il n’était attendu.

M. Tyrrel et lui rougirent tous les deux à la vue l’un de l’autre. Après une pause d’une minute, celui-ci s’avança vers M. Tyrrel, et lui demanda, d’une voix imposante : « Que venez-vous faire ici ?

— Ici ! que voulez vous dire par là ? J’ai autant de droit d’être ici que vous, et vous êtes le dernier à qui je daignerais rendre compte de ce que j’ai à faire.

— Monsieur, vous n’avez aucun droit d’être ici. Ne savez-vous pas que vous en avez été exclu ? Quels que puissent être vos droits, il n’en est pas que votre infâme conduite ne vous ait fait perdre.

— Monsieur… comment vous appelle-t-on ? si vous avez quelque chose à me dire, il faut choisir un temps et un lieu plus convenables pour cela. Est-ce que vous croyez, à la faveur de la compagnie qui vous soutient, me faire supporter vos airs fanfarons ? Je ne les souffrirai pas, je vous en avertis.

— Vous vous trompez, monsieur, un lieu public comme celui-ci est le seul où je puis avoir quelque chose à vous dire. Si vous ne voulez pas être témoin de l’indignation générale qui s’élève contre vous, ne venez pas dans la société des hommes. Inhumain, impitoyable tyran ! songez à miss Melville. Pouvez-vous entendre prononcer ce nom et ne pas rentrer cent pieds sous terre. Pouvez-vous trouver une solitude où son ombre sanglante ne vienne vous poursuivre ? Pouvez-vous penser un moment à ses vertus, à sa pureté, à son innocence, à la candeur de son âme, sans être bourrelé de remords ? N’est-ce pas vous qui l’avez assassinée à la fleur de son âge ? Pouvez-vous soutenir la pensée qu’elle n’est plus qu’un cadavre insensible, cette victime de votre malice infernale ; celle qui méritait une couronne dix mille fois plus que vous ne méritez de vivre ? Et vous flattez-vous que jamais on oublie ou qu’on pardonne un forfait aussi atroce ?… Fuis, fuis, misérable ; regarde-toi comme trop heureux encore qu’il te soit permis d’éviter l’aspect des hommes !… Vois quelle pitoyable figure tu fais en ce moment ! Si les cris de ta propre conscience ne se joignaient pas aux reproches qu’on t’adresse, y aurait-il rien qui pût faire reculer un misérable aussi endurci que toi dans le crime, et serais-tu assez insensé pour croire que ton audace et ton obstination pourront jamais amortir les reproches de ta conscience ? Va-t’en, va te faire peur à toi-même, et ne reparais jamais devant mes yeux. »

À ces mots, qui le croirait ? M. Tyrrel obéit à la voix impérieuse qui tonnait contre lui. Ses yeux étaient effarés et pleins d’horreur ; un tremblement convulsif s’était emparé de tous ses membres et avait glacé sa langue. Il ne se sentait pas la force de braver ce torrent impétueux de reproches et d’invectives. Il hésitait ; il était honteux de sa défaite ; il aurait voulu résister, mais tous ses efforts étaient vains ; ses forces expiraient à chaque nouvelle tentative. La voix générale s’éleva bientôt pour aider à l’accabler. Plus sa confusion devenait sensible, plus le cri universel d’indignation augmentait, jusqu’à ce que, par degrés, il vînt à croître comme le bruit d’une mer orageuse. À la fin, hors d’état d’endurer plus longtemps le tourment de sa situation, M. Tyrrel se retira de lui-même.

Mais une heure et demie après on le vit reparaître : on n’avait pris aucune précaution contre un pareil incident, qui était la chose du monde à laquelle on s’attendît le moins. Dans l’intervalle il s’était enivré d’eau-de-vie. En un clin d’œil il fut sur M. Falkland, qui était debout dans un des coins de la salle, et d’un coup de son robuste bras il l’étendit à terre. Celui-ci ne fut pas cependant étourdi du coup, et se releva aussitôt. Il est aisé de sentir combien il était inférieur dans une lutte de cette espèce. À peine fut-il relevé que M. Tyrrel lui porta un autre coup. M. Falkland était sur ses gardes, et ne tomba point ; mais les assauts de son adversaire redoublèrent avec une rapidité inconcevable. M. Falkland fut encore terrassé une seconde fois. M. Tyrrel le foula aux pieds et se baissa comme pour le saisir et le traîner sur le plancher ; cette lutte fut l’affaire d’un moment, et se passa avant que les témoins de la scène fussent revenus de leur surprise. Enfin, on se mit entre deux, et M. Tyrrel sortit une seconde fois.

Il serait difficile d’imaginer quelque événement plus terrible que le traitement auquel venait d’être exposé M. Falkland. Toutes les passions de sa vie semblaient faites pour le lui rendre plus insupportable. Il avait mis en usage à différentes fois toutes les ressources de sa prudence et de son énergie pour prévenir que la mésintelligence entre lui et M. Tyrrel entraînât de fâcheuses extrémités ; mais en vain : elle s’était terminée par une catastrophe mille fois plus horrible que tout ce qu’il aurait pu craindre, que tout ce qu’eût pu jamais imaginer la prévoyance même. Pour M. Falkland, le déshonneur était pire que la mort. La plus légère apparence d’insulte l’atteignait jusqu’au fond de l’âme. Que devait-ce donc être de cette scène affreuse où l’ignominie et les humiliations avaient été publiques ? Si M. Tyrrel lui-même eût pu se faire idée du supplice qu’il infligeait à son ennemi, peut-être, à quelque point qu’il fût provoqué, eût-il hésité dans sa vengeance. Le désordre des éléments furieux et en guerre les uns contre les autres donne à peine une image de la situation d’âme de M. Falkland ; tout ce que pourrait inventer la cruauté la plus raffinée eût été méprisable en comparaison de ses tortures. Il eût voulu être anéanti mille fois, être plongé dans un abîme éternel d’oubli et de nullité. L’horreur, l’exécration, la vengeance, un désir inexprimable de secouer le mal qui l’accablait, et une conviction désespérante de l’impuissance de ses efforts, tels étaient les sentiments qui déchiraient son âme.

Un autre événement termina l’histoire de cette mémorable soirée. M. Falkland perdit le seul moyen de réparation qui pût encore lui rester. M. Tyrrel avait été tué à quelques pas du lieu de l’assemblée, et il fut trouvé mort dans la rue par des membres du cercle.