Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
Traduction par anonyme.
(3p. 101-108).



CHAPITRE VIII.

Déclaration.


Cécile retourna chez M. Harrel. Dès que M. Arnott l’apperçut, il fut à sa rencontre en lui disant, votre absence nous a tous alarmés, mademoiselle. Ma sœur n’espérait plus de vous revoir ; son mari craignait que vous n’eûssiez divulgué son prochain départ ; et nous avons tous redouté que votre intention ne fût de ne plus revenir. Je suis fâchée de ne vous avoir pas parlé avant de sortir, dit Cécile ; j’ai pensé que vous étiez trop occupés pour vous appercevoir de mon absence. Je vous avoue que j’ai été préparer tout pour mon changement d’habitation ; je n’ai cependant jamais compté quitter votre sœur sans prendre congé d’elle, ni sans en prévenir le reste de la famille. M. Harrel est-il toujours décidé à partir ? Je le crains, dit-il, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour l’en dissuader, et ma pauvre sœur n’a cessé de pleurer. En vérité, si elle persiste à ne recevoir aucune consolation, je crois que je finirai par consentir à tout ce qu’elle voudra ; car je ne saurais supporter la vue de son désespoir. Vous êtes trop généreux et trop bon, répondit Cécile, et je dois alors vous engager à fuir le danger qui vous menace. Ah, mademoiselle ! s’écria-t-il, le plus grand danger pour moi est de n’avoir pas le courage de fuir.

Il était impossible que Cécile ne le comprît pas. Elle ne l’en plaignit pas moins, et ne voulut pas le punir des sentiments qu’il lui découvrait, en l’abandonnant au péril auquel son cœur l’exposait. Elle lui dit donc, avec douceur : Je veux, M. Arnott, m’expliquer franchement avec vous. Il est facile de s’appercevoir que la ruine inévitable, dont M. Harrel est menacé, est prête à s’étendre jusqu’à son beau-frère ; mais que cet aveuglement sur l’avenir, que nous lui avons si souvent reproché, et dont nous nous sommes affligés pour lui, ne s’empare pas de vous à votre tour. Attendons qu’il ait renoncé à toutes ses liaisons, et qu’il ait absolument changé sa manière de vivre ; sans quoi, tout ce qu’on pourrait faire, et tout l’argent que vous lui avanceriez, finirait par être perdu au jeu. Conservez donc vos bonnes intentions jusqu’au moment où elles pourront lui être de quelqu’utilité : pour le présent, croyez-moi, sa raison est tout aussi altérée que sa fortune. Est-il possible, mademoiselle, répondit M. Arnott d’un ton de surprise et de satisfaction, que vous daigniez vous intéresser à ce que je deviendrai, et que la part que j’aurais à la ruine de cette maison, soit en la partageant, ou en m’en garantissant, ne vous soit pas tout-à-fait indifférente ? Non, certainement, répondit Cécile ; comme frère d’une des amis de mon enfance, je ne serai jamais insensible à votre sort. Comme son frère ! repartit-il ! Ah ! si quelqu’autre lien… Cécile avait des raisons de s’attendre depuis si long-temps à cette espèce de déclaration : cependant elle ne put l’entendre qu’avec un certain attendrissement ; et le regardant avec bonté, elle lui dit : M. Arnott, vos attentions et vos égards pour moi me font honneur, peut-être serait-il à désirer pour l’un et pour l’autre qu’ils n’allâssent pas plus loin ; réglez-les sur mon mérite, et comptez alors sur ma reconnaissance.

Votre refus est si poli, s’écria-t-il, que, n’ayant jamais osé me flatter que vous daignâssiez accepter ma main, je trouve au moins du soulagement à avoir pu vous faire connaître mes sentiments. Permettez-moi, avant que de vous quitter, de vous exposer ma situation et de vous demander des conseils. Je vous avouerai donc que les cinq mille livres que j’avais dans les fonds publics, de même qu’une somme assez considérable entre les mains d’un banquier, ont déjà servi à calmer les créanciers de M. Harrel. Je regarde cet argent comme perdu. Je suis trop faible, je ne saurais refuser ; et il est sûr que ma sœur ne se trouverait pas dans la détresse où elle est actuellement, s’il me restait quelque chose à donner : je n’ai plus que mes terres à vendre, et je n’ai que cette ressource pour tirer M. Harrel de sa funeste situation. Je suis fâchée, répondit Cécile, de me trouver forcée à parler défavorablement d’une personne qui vous touche de si près ; permettez cependant que je vous le demande : pourquoi l’en tirerait-on ? et que ferait-il à présent de mieux ? N’était-il pas menacé depuis long-temps de tous les malheurs qui viènent de l’accabler ? Ne l’en avez-vous pas averti vous et moi ? et les cris de ses créanciers n’ont-ils pas retenti à ses oreilles ? Quel effet cela a-t-il produit ? Il n’a jamais rien voulu changer à sa manière de vivre ; il a continué à satisfaire toutes ses fantaisies ; il n’a ni diminué sa dépense, ni même pu se plier à la moindre réforme. Les excès ont suivi les excès ; il est devenu tous les jours plus prodigue et plus extravagant, et ses extravagances ont toujours été plus dangereuses. Ainsi, il nous a forcés par son affreuse conduite à l’abandonner à sa destinée. Lorsque son sort sera décidé, je vous aiderai moi-même, par considération pour Priscille, à sauver ce qui sera possible des débris de sa fortune. Vos conseils, mademoiselle, sont aussi sensés que généreux ; à présent que je sais ce que vous pensez, je veux m’y conformer entièrement ; je serai, à l’avenir, aussi ferme contre toutes ses attaques, que j’avais été faible jusqu’ici.

Cécile se retirait ; mais l’arrêtant de nouveau, il lui dit : Vous avez parlé, mademoiselle, de changer de demeure ; il est bien temps que vous vous épargniez la vue de ce triste spectacle ; j’espère cependant que vous resterez ici encore aujourd’hui, M. Harrel ayant assuré qu’en le quittant plutôt, vous hâteriez sa ruine totale. Je prie le ciel de l’en préserver, dit Cécile ; car je compte m’en aller aussi-tôt qu’il me sera possible. M. Harrel, répondit-il, ne s’est point expliqué ; j’imagine qu’il craint que, venant à abandonner sa maison dans cette conjoncture critique, vous ne fassiez naître des soupçons du projet qu’il médite de quitter le royaume, et que ses créanciers ne prènent des mesures pour en prévenir l’exécution. À quel triste état, s’écria Cécile, vient-il de se réduire ! je ne veux cependant pas être la cause volontaire de son malheur ; et si vous croyez que ce délai soit si important à sa sûreté, je consens à rester ici jusqu’à demain matin.

M. Arnott, en la remerciant de sa condescendance, eut peine à retenir ses larmes ; et Cécile satisfaite de lui avoir fait cette grâce plutôt qu’à M. Harrel, passa dans son appartement pour écrire à madame Delvile, et pour lui faire entrevoir la position dans laquelle elle se trouvait, sans néanmoins lui faire connaître celle de M. Harrel. La réponse fut telle qu’elle pouvait le désirer, elle se flatta dès-lors que, placée une fois dans la même maison que madame Delvile, quels que fussent les engagements ou la conduite de son fils, elle ne pouvait manquer d’être heureuse.