Ladvocat, libraire (p. 19-28).




ℭhant 𝔓remier.




BYRON.




Toi que déjà nos chants vont chercher dans les cieux,
Toi que la Grèce en deuil ajoute à tous ses dieux,
Astre sitôt perdu, dont la trace enflammée
Ne laisse pas au monde une vaine fumée,
Byron, daigne inspirer ces funèbres adieux.

Il est beau de mourir pour une cause sainte,
De tomber plein de vie en la funèbre enceinte[1],
Au lieu de n’y traîner que des restes éteints ;

Aux fêtes de la vie imprudent qui s’enivre
Sans porter au cercueil l’ivresse des festins !
On peut toujours mourir dès qu’un nom doit survivre,
Alors qu’il doit grandir avec de grands destins.

Bien jeune pour la mort, déjà vieux pour la gloire,
BienSûr de renaître dans l’histoire,
Byron, au sort jaloux tu cèdes sans effroi ;
Après de longs débats, c’est la seule victoire
AprèQu’on l’ait vu remporter sur toi.

Que dis-je ! il lui tardait de proclamer tes titres :
Il sait qu’à nos respects il faut un souvenir :
Que la gloire, ici-bas, n’a que deux grands arbitres
Que Qui sont la mort et l’avenir.

Aux hommages du monde il livre ta poussière ;
Et tous ceux qui naguère ont méconnu tes droits,
Te saluant grand homme, endormi sous la pierre,
T’ouvrent avec respect le sépulcre des rois.

Mais toi qui retiré dans ton âme profonde,
D’un sang presque royal répudiais l’orgueil[2],

Qui fuyant l’embarras des vanités du monde,
Savais tout le néant des pompes du cercueil,
Parmi tant de grandeurs tu ne veux pas descendre ;
Près du toit paternel ton ombre veut errer ;
À ceux qui t’ont aimé tu réserves ta cendre ;
Il te faut un asile où l’on aille pleurer[3].

Je t’ai pleuré, vivant… aujourd’hui je te chante.
Quand le sort t’affranchit des terrestres douleurs,
Ce n’est pas moi, Byron, qui t’offrirai des pleurs ;
Et s’il est sur ma lyre une corde touchante,
Et s’iJe la réserve à tes malheurs.

Ton Je sais qu’en des erreurs funestes
Ton ardente jeunesse égara ses transports,
Que ton cœur ulcéré flétrit des dons célestes,
Que ton malheur enfin fut souvent un remords.

Au tourment de haïr te condamnant toi-même,
Tes pensers dévorans se nourrissaient de fiel ;
Tu souffrais, sans prier, sans regarder le ciel,
Tu sEt ta plainte était le blasphème.


Hélas ! tu retranchais l’avenir à tes jours :
Ta voix les maudissait, et maudire est un crime ;
Tu ne savais donc pas que si le monde opprime,
Dieu venge quelquefois et console toujours.

Mais peut-être (et j’en crois ton sublime génie[4],
J’en crois l’Europe entière honorant ton cyprès)
Nous avons méconnu tes sentimens secrets :
La gloire est tributaire envers la calomnie,
Et de nos vains propos la vérité bannie,
Et deÉclate enfin dans nos regrets.

Tu ne respirais pas librement sur la terre,
Et comme le grand aigle au haut des cieux monté,
Va chercher l’air brûlant qui nourrit le tonnerre,
Le souffle impatient de ton cœur solitaire
Le soAspirait l’immortalité.


Et le monde eût voulu que, d’une âme asservie,
Te courbant humblement sous la commune vie,
Tu suivisses ta route en ce siècle pervers
Sans proclamer ton nom, sans offenser l’envie,
Et sans blesser la foule en secouant tes fers !

Ah ! tu n’étais pas fait pour marcher avec elle,
Puis te laisser conduire à la chaîne attaché :
Non, trop de feu céleste avait été caché
Non,Sous ton enveloppe mortelle.

Quand la poudre enfermée en un frêle roseau
Prend la vie et s’élance en nos fêtes brillantes,
Jetant de tous côtés ses flammes pétillantes,
Courant, se déployant en gerbes, en réseau,
Des cris de peur, joyeux, à ses éclats répondent ;
Les groupes éperdus se brisent, se confondent ;
Car le tuyau qui siffle et serpente enflammé,
Menace en effleurant, brûle ce qu’il caresse,
Se roule sous nos pieds, jusqu’à nous se redresse,
Trouble un jeune quadrille à la danse animé,
Et répand un effroi dont le cœur est charmé.

Tel au milieu de nous tu déployais tes ailes,
Tel, d’un feu dévorant et subtil tour à tour,
Ton vol faisait jaillir les vives étincelles,
Et les vulgaires yeux étaient blessés par elles ;
Car il en est, hélas ! qui se ferment au jour.

De ce monde stérile accusant l’indigence,
Impatient du dieu qui vivait dans ton sein,
Réalisant pour nous ce fabuleux larcin
Que poursuit d’un vautour l’éternelle vengeance,
Tu courais, tu fuyais, tu demandais aux vents
De soulever le poids de ta vie inquiète ;
Du Dieu qui t’emportait magnifique interprète,
Sur les monts, sur les flots ou les sables mouvans,
Comme on cherche un abri, tu cherchais la tempête,
Et le temps et la mort n’avaient pas de retraite
Et leÉtrangère à tes pas vivans.

Où l’Eh quoi ! dans ces belles vallées
Où l’oranger suspend son fruit suave et mûr,
Où les femmes, le soir, se promènent voilées,
Où le Guadalquivir sous des cieux tout d’azur,
À ses bords parfumés verse un flot lent et pur,
Quoi, tes peines jamais n’ont été consolées !…


Soit qu’agitant la rame aux chants du gondolier,
Ta nacelle égarât la fille de Venise,
Soit qu’une belle esclave aux rives du Céphise,
T’offrît, en rougissant, un seuil hospitalier,
Où qu’aux pieds de la tour qui se penche sur Pise
Jetant son ombre au loin comme un grand peuplier,
Une jeune toscane à tes côtés assise,
T’apprît de ces secrets qu’on ne peut oublier,

Heureux d’un mot charmant et d’une main pressée,
D’un humide regard qui se lève sur nous,
D’une voix caressante et soudain oppressée,
N’as-tu jamais senti que vivre était bien doux !…

Oui, le cœur du poète a des bonheurs intimes,
Et tu les as goûtés, et ce sont là tes crimes.
On dit que ton sourire a donné le trépas,
Et l’on t’accuse au nom de tes belles victimes,
Et l’Qui pourtant ne t’accusaient pas.

L’homme aux chants inspirés a des ailes ardentes
Dont il voile aux mortels l’éclat trop radieux :
Vous, du sombre Lara rêveuses confidentes,
Fallait-il exiger, Sémélés imprudentes,
Que le dieu tout entier se montrât à vos yeux !


Et vous, qui de son nom êtes encor parée[5],
Et voToi surtout qu’il a tant pleurée,
Et voEnfant qui pleureras un jour[6].
Oh ! ne l’accusez plus ; toute cendre est sacrée,
Et tout pardon se doit aux faiblesses d’amour.

Le monde entier t’absout, défenseur de la Grèce ;
La Grèce avec transport te proclame innocent :
Déjà mouraient, au loin, ses longs cris de détresse,
Ta voix y répondit avec un noble accent,
Et tu lui prodiguas tes trésors et ton sang.

Les rois qu’elle appelait ne voulaient pas l’entendre,
Et le joug retombait sur ses fils expirans :
Toi qui n’étais pas roi, tu courus les défendre,
Et la Grèce, ô Byron, t’accueillit dans ses rangs
Comme un de ses héros ranimé de sa cendre.

Tyrtée et Périclès sont fiers de t’acquérir :
Des bords où tu naquis abjure la mémoire ;
Ta patrie est aux lieux qui consacrent ta gloire.
La Grèce est ta patrie, elle t’a vu mourir.


Ses mains en ton honneur relèveront ses temples :
Entends crier vers toi tout son peuple éperdu ;
Tu lui lègues ton nom, ta lyre, tes exemples :
Tu lLa Grèce ne t’a point perdu.

Dès long-temps sa vertu que l’Europe abandonne
Lutte avec les secours que le passé lui donne ;
Elle fait un appel à ses morts éclatans,
Et quand vient le péril, ces morts auxiliaires,
Accourus de leur tombe autour de ses bannières,
Viennent compter encor parmi ses combattans.

Tous leurs fils avec eux marchent pleins d’assurance :
Riga fait retentir l’hymne de délivrance[7],
La croix de Constantin redescend dans les airs.
Oui, les grands dévouemens ne sont jamais stériles ;
C’est comme un bouclier qui s’étend sur les villes :
C’est l’ombre de Codrus peuplant ses rangs déserts.
Ô Grèce ! il t’en souvient ; sur la terre et les mers
Qui vainquit le grand roi ? Les morts des Thermopyles.

Byron aussi vaincra…. Son nom déjà sacré,
Se mêle aux chants guerriers que l’enfance répète ;

Qu’à l’égal des trois cents, Byron soit honoré,
Que l’Hellespont bientôt lui voue un jour de fête,
Que Le premier de sa liberté.
Grecs, vengez le soldat ! dieux, vengez le poète !
Poètes, consacrons son immortalité !….




  1. Lord Byron est mort à 36 ans.
  2. On dit qu’il descendait des rois d’Écosse par sa mère.
  3. On sait qu’il a voulu être enterré dans le domaine de ses pères.
  4. Il y a dans quelques parties des ouvrages de Byron des vers qui indiquent un sentiment religieux très profond. Il est malheureux que les agitations de son cœur l’aient jeté quelquefois en des doutes coupables, peut-être malgré lui. Ce cœur était malade comme celui de Rousseau l’avait été… On est presque excusable lorsqu’on est tant à plaindre.
  5. Lady Byron.
  6. Ada sa fille.
  7. On connaît le chant du malheureux Riga, que les Grecs répètent encore.