Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 159-191).

IX

LA COUSINE JANE

Age : vingt ans. Taille : un mètre soixante-quatre, sans les talons. Cheveux : châtains bruns. Visage ovale. Teint blanc. Yeux bleus. Nez droit. Bouche petite. Dents idéales. Menton court et rond.

Ceci dit, et en garantissant l’exactitude absolue de son signalement, nous donnons, sans plus tarder, la parole à Mademoiselle Francine.

— Je ne blague pas : quand j’étais môme, tout le monde me trouvait laide. Et l’on n’avait pas tort. Ça, c’est drôle. Ce qu’on peut changer, tout de même !

J’étais blonde. Comme les blés, c’est le cas de le dire, à dix ans, à douze encore. Oui, d’un jaune paille, mes tifs. Mais, à seize à dix-sept, le ton devenait merveilleux, doré. Et, tout d’un coup, alors, je me suis mise à foncer, à brunir et, maintenant, il n’y a pas à dire, je suis brune. Ce qui aurait dû m’avertir de ce changement, c’est que vers douze, treize ans, ma puberté, foncée ne s’assortissait guère au blond de mes cheveux. Ça, c’est un signe.

Si je voulais, je me les passerais, les cheveux, à l’eau oxygénée. Mais, j’ai horreur de ce qui n’est pas naturel. Corset, ceinture, je ne connais rien de tout cela. Et vous voyez que je me farde à peine, à peine. Juste ce qu’il faut. Tenez : mes lèvres, elles sont cerises, d’elles-mêmes. C’est très rare, vous savez. En connaissez-vous beaucoup qui en pourraient dire autant ?

Papa était Parisien, employé à la Banque. Tout ce qu’il y a de plus Parisien. Maman, elle, de Nantes ; mais, arrivée ici à dix ans.

Nous habitions rue Coquillière. À l’école, dans le deuxième, pas de fessées. Chez mes parents, non plus, jamais par papa. Pas une. Maman m’en a donné quelques-unes, bien sûr. Mais les dernières, à onze ans, douze ans peut-être. Oui, à douze ans, je peux préciser. Mais, pas souvent, neuf ou dix, la dernière année. Donc, pas de fessées, pour ainsi dire, en comparaison des quilles qui en prennent tant. J’en connais une, en ce moment, c’est pas croyable.

Mais, maman, pas plus que papa, n’en pinçait, c’est bien certain. Je vivais donc dans l’ignorance de la question. Chez moi, le goût prononcé que j’en possède maintenant n’a donc rien d’atavique. Ni rien d’acquis, du fait de l’éducation reçue.

J’avais à peu près douze ans quand une cousine, Madame Hébert, fréquenta notre intérieur. Veuve d’un cousin germain de papa, employé comme lui à la Banque, veuve depuis quatre ans, elle avait une belle situation, dans une grande maison de fleurs et plumes, dans le quartier. Première, à la tête d’un atelier de trente ouvrières plumassières et de huit ou neuf apprenties, elle y gagnait douze mille francs par an. Bientôt, c’en devait être quinze mille. À cette époque, c’était magnifique pour une femme. En 1908, cela valait quatre ou cinq fois plus qu’à présent.

Elle venait d’abord de temps en temps chez nous ; mais voilà qu’elle y vint bien plus souvent ; pour commencer, à peu près une fois par semaine, elle dînait à la maison. Elle apportait toujours quelque chose. Selon la saison, c’était un melon, des fruits épatants ou une bouteille de vin fin, un pâté. Nous allions, à notre tour, dîner chez elle. Quelquefois, mais rarement. Très bien installée, rue Sainte-Anne, au troisième, un petit appartement, bien meublé, un petit nid coquet au possible. Une femme de ménage lui suffisait, car elle prenait un de ses repas, le déjeuner, dans sa maison de fleurs et plumes, et ne faisait que dîner chez elle. Quand elle y dînait ? pas souvent, car, d’ordinaire, c’était au restaurant.

Une belle femme, de trente-quatre ans, à l’époque où j’en avais douze. Grande, brune, assez forte, bien bâtie. Elle respirait la santé et l’on sentait, tout de suite, son habitude de commander, rien qu’à son ton autoritaire, à ses manières. Elle parlait avec assurance et en élevant la voix, habitude prise à l’atelier. Intelligente et décidée, ses façons en imposaient et moi, étant gosse, j’en avais peur terriblement.

Elle causait de tout, en personne fréquentant les théâtres et elle tranchait de tout avec nous, sans doute comme avec les placiers qui souvent l’invitaient à dîner. Maman et même papa étaient bien loin d’avoir son assurance et quand la belle Madame Hébert, la belle Jane venait dîner à la maison, cela me rendait encore plus timide et gauche que d’habitude. Il faut vous dire qu’à douze ans, j’étais grande, grande, et d’une minceur extraordinaire. D’une maigreur extraordinaire, devrais-je dire plutôt. Une vraie perche, avec des bras dont je ne savais que faire. Avec cela, mes cheveux jaunes me désolaient.

Et puis, ma figure ne se décidait pas à se former. J’avais un pauvre petit visage, sans nez presque, de gosse trop grande pour son âge et à qui sa taille démesurée donnait l’air bête. Oh ! mon enfance, ce que je me la rappellerai, ce qu’elle m’a semblé longue ! Mes camarades d’école blaguaient la maigreur de mes abatis, la gaucherie de mes gestes, de tous mes mouvements. Tenez, j’y pense ; c’est sans doute ma maigreur qui empêchait maman d’avoir l’idée de me fesser. Qu’est-ce qu’elle aurait claqué chez moi, je le demande ?

Comme je le voyais bien, que Madame Jane me regardait sans sympathie ! Habituée à vivre tout le temps avec des femmes, des jeunes filles, elle devait me trouver insignifiante et laide. Elle nous en parlait, à table, de ses ouvrières, de ses arpètes si parisiennes et, toutes si délurées, plus dessalées les unes que les autres. Elle me prenait certainement pour une gourde, en me comparant, car elle paraissait étonnée chaque fois que mes parents lui annonçaient quelqu’un de mes succès à l’école, lesquels, d’ailleurs ne lui inspiraient pas, à mon égard, le moindre changement dans ses manières.

Elle nous emmenait au concert de temps en temps, quand on lui donnait une loge de cinq places dont elle nous faisait profiter. Pour les music-halls chics, principalement, et le billet venait de son patron qui fournissait les plumes pour les coiffures et les costumes d’oiseaux des vedettes et de la grande figuration.

Elle me parlait sans aménité. Mon air godiche lui déplaisait visiblement, et comme je le sentais, cela ne mettait de moins en moins en confiance avec elle et m’eût enlevé mon peu d’à-plomb si j’en avais eu le moindrement. Je souffrais de me voir dédaignée de cette belle cousine, qui faisait sur moi tant d’impression et, qu’à l’imitation de mes parents, je regardais comme une femme supérieure sous tous les rapports. Je souffrais de me voir traiter constamment comme une gosse ne présentant aucun intérêt. Sûrement, telle était son opinion à mon sujet et ce qui me le prouvait bien, c’est qu’à chaque instant, quand nous étions toutes les deux, maman occupée de son côté et papa non encore arrivé, elle me parlait de fessées. De fessées, que je méritais, disait-elle, pour me tenir comme cela, le dos rond. Pour me coiffer avec si peu de goût, pour me ronger les ongles ou pour je ne sais quoi encore. À l’entendre, c’est tout le temps que j’en eusse mérité et cela m’eût fait du bien d’être secouée un peu. Elle le disait à maman devant moi et cela me vexait encore davantage. Elle me donnait des tapes sur ma jupe, comme si ses paroles avaient eu besoin du geste pour être claires et elle riait, en se moquant, de me trouver, par là, à ce point dénuée de relief. Elle me demandait, les yeux dans les miens, ce que je faisais donc pour être si maigre que cela. Je rougissais, bien que je fusse innocente, oh ! innocente comme l’enfant qui vient de naître ! malgré mon front boutonneux certains jours, mes cernures sous les yeux et ma contenance de coupable.

C’est vers cet âge-là que je commençai à me former. Cela n’alla pas sans peine et demanda un an, dix-huit mois.

À treize ans et demi, ma bonne constitution prévalut en dépit des apparences. Je pris le dessus, comme l’on dit, et voilà que je me mis à me développer dans un sens enfin favorable à l’esthétique de mon ensemble physique qui laissait tant à désirer.

À quatorze ans, je commençai à engraisser. Je grandissais encore ; mais, ayant presque atteint trop précocement la taille que je mesure actuellement, c’est surtout en grosseur que je progressais, fort heureusement.

Ma figure aussi se modelait, se remplissait. Mes parents s’en apercevaient, mais la plus grande joie que j’en eus moi-même, c’est quand la cousine, un soir, à son arrivée, le déclara et c’en fut, pour moi, comme une consécration officielle.

Abandonnant sa triste enveloppe de chrysalide, le papillon que je devenais, à vue d’œil, allait s’envoler. La belle Jane le proclama, avec son autorité coutumière :

— Mais, elle devient jolie, cette petite. Je ne l’aurais pas cru, tu sais !… Oh ! ma pauvre petite, ce que tu étais moche ! ce que tu étais moche !

En même temps, elle me pelotait sans se gêner, devant maman, devant papa.

— Eh ! eh ! elle engraisse sérieusement ! Voilà son derrière qui pousse… Elle aura des fesses, la mâtine !

Dire assez que je fus heureuse de ses compliments, c’est impossible ! Il me semblait que je naissais. Oui, jusque-là, j’avais été dans je ne sais quel état transitoire qui n’était pas la vie véritable. Je m’évadais de je ne sais quelles limbes où j’étouffais…

Je devins coquette, je fis attention à ma coiffure, à mes mains, à mes dents. Je me soignai ; elle me donnait d’utiles conseils.

Mais, je ne veux pas tout de même entrer dans le détail oiseux de l’achèvement de ma métamorphose. Laissez-moi seulement dire en deux mots qu’à seize ans et demi, j’étais — ou à peu près — ce que je suis aujourd’hui, c’est à dire une jeune personne sur qui l’on se retournait.

C’était fini pour moi de surprendre des sourires de pitié, quand ce n’était pas de moquerie, sur les lèvres des passants. Des passantes, surtout, quand j’allongeais, sous ma jupe écourtée, les fuseaux lamentables qui me tenaient lieu de jambes. Maintenant, j’avais des jambes à montrer, de jolis mollets et la cousine ne pouvait plus me reprocher de manquer de fesses, lorsqu’elle les tapotait, chose dont elle ne se privait pas à chaque visite. Je dois dire que c’était de façon ostensible et toute familière, ainsi que le pouvait se permettre une amie de la famille, une parente m’ayant connue enfant.

Et moi, je l’adorais, cette belle femme qui, à trente-neuf ans maintenant n’en paraissait pas plus de vingt-sept ou vingt-huit, cette belle femme que j’admirais autant pour son déduisant physique que pour son caractère. Cette belle femme, si femme des pieds à la tête, si soignée, si élégante et qui, avec cela, montrait des qualités d’homme, la décision, l’énergie, et donnait vraiment de son sexe une idée flatteuse et réconfortante. Elle était bien la femme de notre temps, apte à jouer le rôle d’un homme, possédant les qualités nécessaires pour diriger un atelier. Diriger un nombreux atelier de femmes, croyez-vous que c’est une tâche aisée ? Songez quelles qualités il faut totaliser pour remplir une tâche aussi complexe, alors qu’épiée par chacune des trente ouvrières prêtes à profiter d’un instant de relâchement, il les faut diriger, commander autant pour le bien des intérêts de la maison que pour leur bien à elles toutes, en tenant compte de leurs rivalités, de leurs jalousies en dépit desquelles ces femmes n’en sont pas moins, le plus souvent, disposées à se coaliser contre l’autorité qu’elles subissent en rongeant leur frein !

Ce qu’elle nous racontait de son atelier n’avait pas engagé mes parents à m’y laisser entrer. Malgré ses invitations et la certitude de me savoir auprès d’elle protégée, défendue par sa vigilance, papa autant que maman, craignant pour leur fifille les promiscuités de l’atelier, avaient préféré faire de moi une fonctionnaire. Je préparais les examens de la Banque. En sa qualité de rond-de-cuir, mon père rêvait d’une fille employée également et à la Banque je ne serais pas la seule rejoignant son père, si l’on peut dire, dans un service plus ou moins séparé.

C’était convenu. Madame Jane n’avait pas insisté et, de voir écartées ses offres bienveillantes à mon sujet, cela n’altérait en rien ses bons rapports avec nous et l’affection qu’elle me témoignait, plus chaleureuse de jour en jour.

J’étais positivement comme sa fille ou plutôt comme sa sœur, car elle avait l’air si jeune que la grande jeune fille de dix-sept ans soudain éclose ne semblait séparée que par quelques années de la femme de trente-neuf ans qu’elle était réellement. J’aurais défié n’importe qui de lui donner trente-neuf ans. Habillée toujours avec goût, en suivant de près la mode, sa jeunesse d’allures se retrouvait dans sa voix, dans son regard et dans tout son visage et quand nous sortions on m’eût pris, à son bras, pour sa sœur un peu plus jeune, si mes cheveux, alors blonds dorés, n’eussent été si différents des siens, noirs aux reflets bleus. Mais cette opposition de coloration et celle du teint affirmait le choix judicieux que deux bonnes amies intelligentes élisaient l’une de l’autre pour se faire valoir chacune en s’associant, disparates, et j’étais fière que l’on nous prît pour telles.

C’est d’ailleurs ainsi qu’elle m’appelait. Sa petite amie, sa chère amie, sa préférée, et je me trouvais heureuse qu’elle me le répétât.

Elle me le prouvait par ses attentions, ses cadeaux, d’abord menus, puis plus importants. C’étaient, disait-elle, des échantillons que lui remettaient des représentants : chaque fois qu’elle venait, un parfum, quelque bibelot de toilette. Elle s’ingéniait à m’être agréable et, chaque fois, je lui rendais ses baisers avec une effusion, plus sincère, toujours.

J’étais innocente, je l’ai dit. Mais, cela ne fait rien, il y a des choses qu’on n’a pas à apprendre. On les devine. Que dis-je ? on les devine ?… On les sait.

Donc, je le voyais bien, ma belle cousine me faisait la cour, c’était clair. Pourquoi cela m’eût-il déplu ? pourquoi l’aurais-je découragée ?

Au contraire, je trouvais cela charmant, ses petites attentions, ses caresses si tendres dans leur discrétion, ses baisers dans le cou, derrière l’oreille, dont je frissonnais toute, les pressions de ses mains, emprisonnant les miennes, ou se coulant à ma taille, montant à mes jeunes seins, si douces, puis descendant le long de mes hanches, se posant sur mes reins, sur mes fesses qui devenaient belles et dont, à présent, ne se pouvait plus déplorer l’indigence.

Ses baisers dans le cou et surtout ceux derrière l’oreille me ravissaient et ce sont eux qui éveillèrent mes sens peu précoces. Après son départ, j’y pensais à ses baisers, j’y pensais dans mon lit…

Ah ! non ! tenez, vous êtes tous les mêmes, vous, les hommes ! Qu’y a-t-il donc là de si drôle, de si curieux pour vous ? Eh bien, oui, j’avoue tout ce que vous voudrez, puisque cela vous fait tant plaisir… Mais, moi, ce n’était pas à la façon que vous croyez. Puisque vous voulez tout savoir, moi, je gardais mes deux mains chastement jointes sur ma poitrine virginale… J’avais trouvé cela toute seule, tout naturellement. Oui, à quinze ans. Parfaitement, à quinze ans. Je vous l’ai dit, j’étais en retard.

Mais, laissez-moi donc continuer, sans m’interrompre. Sans cela, j’arrête net ma confession, car c’en est une Et puis, maintenant, j’aborde le plus intéressant.

Donc, un jeudi de mai, en dînant chez nous, elle dit avoir deux fauteuils pour samedi, pour le Français et deux autres pour les Folies. Au Français, on joue Andromaque, et le Malade Imaginaire. Elle m’y emmènera. Papa et maman iront de leur côté aux Folies. Paraît que le spectacle y est assez risqué, cette fois, et que ce n’est pas très convenable pour les jeunes filles.

Parfait. Les parents marchent et l’approuvent. C’est convenu. Samedi, je dînerai avec elle et l’on ira au théâtre ensemble.

Mais il lui vient une idée. Au sortir du Français, je rentrerai coucher avec elle : le lendemain, dimanche, elle me ramènera pour dîner, tous les quatre, rue Coquillière. Elle apportera une langouste, le régal de papa.

C’est entendu. Dimanche, vers quatre heures, on viendra, elle et moi, les prendre pour l’apéritif.

Le samedi arrive. Je vais la chercher chez elle, elle doit m’emmener au restaurant. Rien que cette perspective de dîner au restaurant me transporte. Pour moi, c’est une fête, la plus belle encore de mon existence.

Quand je sonne à son troisième, rue Sainte-Anne, elle me fait un accueil, mais un accueil que je n’oublierai jamais ! Elle me bécotte toute la figure, elle me mange les lèvres et sa langue, pour la première fois, elle ne se contente pas d’en glisser le petit bout entre mes dents comme toujours, non, c’est tout entière qu’elle la darde en moi et j’en savoure, exquis, le fruit parfumé que c’est pour moi qui n’en connaissais pas encore la saveur. Quelle sensation pour moi que cette intrusion chaude et vivante qui emplit la bouche et s’y prélasse ardemment.

C’est délicieux et, en même temps, debout l’une contre l’autre, de sa main droite qui n’est pas encore gantée, elle me prend les fesses. Je devine le bonheur de cette main à me pétrir et, quand elle me les claque ensuite par dessus ma robe, cela ne m’étonne ni ne me choque.

Mais, il est sept heures. C’est le moment d’aller dîner. Elle me conduit avenue de l’Opéra, au premier d’un restaurant dont elle a l’habitude. On y dîne bien. Il est tôt encore et il n’y a pas grand monde. Ce n’est que quand nous en sommes au dessert que la salle s’emplit. On nous regarde et je suis flattée que l’on nous trouve jolies. Les femmes nous lorgnent. Il en est deux, attablées en face, qui parlent de nous, c’est sûr. L’une d’elles semble sensiblement plus âgée que l’autre. Elles nous examinent avec des sourires complices. Cela m’amuse.

La cousine surprend les regards que l’aînée principalement me fait à moi. Elle prend son air des grands jours, l’air qu’à son atelier elle a, quand tout ne va pas à son idée. J’aime la voir ainsi et, en cet instant, il me plaît plus encore que ce soit à cause de moi.

Nous en sommes au café, elle allume une cigarette anglaise et me tend son étui de nacre. J’en prends une. Je suis contente, oh ! contente ! qu’on me prenne pour une poule avec son amie… Mais ne ***voilà-t-il pas que, sans le faire exprès, j’ai dû fixer la femme d’en face qui me répond, faut croire… Ma cousine fronce le sourcil, la foudroie, puis, sur un ton furieux, me jette :

— Dis donc, toi ?… As-tu fini ?

Je suis stupéfaite… Qu’ai-je donc fait ?

Elle donne le signal du départ, se poudre. Dans l’escalier, elle s’arrête à mi-étage, me conduit au petit endroit. En sortant, elle a des yeux que je ne lui connaissais pas et elle me dit :

— Je ne te conseille pas de recommencer. Et tu verras ça, ce soir…

Qu’est-ce que je verrai ?

Nous sommes au théâtre, à l’orchestre, au cinquième rang. On commence par Andromaque. Albert Lambert a le timbre du fruitier d’en bas de chez nous, c’en est épatant. Aux entr’actes, nous allons au foyer. On nous regarde. Mais, je fais attention, j’observe une attitude irréprochable et ne remarque pas plus les regards des belles dames que ceux des messieurs, c’est tout dire. Ma cousine paraît satisfaite et me parle de sa voix la plus doucement enchanteresse.

Maintenant, c’est le Malade Imaginaire. Cette farce ne m’amuse guère. Privée de la Cérémonie, c’est lugubre. J’ai hâte que cela se termine.

Enfin nous sortons.

Il n’y a que deux pas à faire pour aller chez elle. En moins de dix minutes, l’on y est.

Nous voici dans sa chambre. Sur une petite table, deux verres et une bouteille de Champagne. Nous nous embrassons encore et encore…

Elle n’a rien de son air fâché de la fin du dîner. Elle n’y doit plus penser, me dis-je. Ce souvenir me préoccupait, je l’avoue. Tout à l’heure encore, en montant l’escalier.

Nous nous déshabillons. Oh ! pour dire le vrai, elle me déshabille, après avoir, en quelques secondes, enlevé sa robe jade, lamée d’argent. Elle est en combinaison, avec ses souliers verts incrustés, ses hauts bas gorge-de pigeon à reflets changeants. J’admire ses jambes élancées aux fiers mollets et ses belles cuisses renflées dont la peau ambrée apparaît sous le sabot relevé en rond de sa combinaison. Ses bras pleins, sa gorge grasse sont nus. Dirait-on une femme de cet âge ? Elle a vingt-cinq ans, ma parole !

Mais je n’ai pas le temps de la détailler et de l’admirer à mon aise. Elle me déshabille comme si elle en brûlait d’impatience. Elle m’enlève par en haut ma robe crême à appliques de dentelles noires qui me va si bien. C’est elle qui m’a fait cadeau des dentelles et elle m’a fourni la couturière à qui elle a remis le patron, d’après un modèle de Doucet.

Me voilà, en deux temps, comme elle, mais moi, en culotte, pas en combinaison. Assez courte, ma culotte mais pas tout de même comme maintenant, et s’évasant en bas, avec des festons. Et fendue. Cela se portait encore. Très peu, mais comme c’est maman qui faisait mes pantalons, ayant été lingère, elle gardait encore l’ancienne coupe. Avec mes bas noirs, en soie, si transparents, que la cousine m’a donnés aussi, on voit au travers la peau, sur le cou de pied et en avant, sur le tibia. J’ai des petits souliers noirs vernis, avec une rose de dentelle noire et des talons crême.

À peine m’a-t-elle retiré ma robe que sans perdre une seconde seulement, pour me regarder, elle me prend, m’entraîne…

— Tu te rappelles ce que je t’ai promis ?…

Voilà ce que j’entends et cela se fait si vite que je ne sais où j’en suis, quand tout d’un coup, je me trouve sur elle qui s’est assise, avec moi en travers, et avant que j’aie pu me rendre compte de ce qui m’arrive, je sens que ses deux mains écartent mon pantalon et, ensuite, que l’une de ces mains me maîtrise, tandis que l’autre me cingle et me recingle avec je ne sais quoi qui me pique les fesses comme des cents d’aiguilles…

Et j’entends sa voix rageuse :

— Tiens, je vais t’apprendre… à répondre… aux regards… qu’on te fait…

Et je me sens cinglée de plus belle, bien plus fort, à grands coups serrés qui pleuvent en averse… Je parviens à tourner la tête… c’est avec une verge que, tellement elle fait vite, j’ai peine à distinguer tombant, se relevant…

— Ça t’apprendra… à faire de l’œil… quand tu seras… avec moi… Ça te vaudra… à chaque fois… une fessée… comme celle-là…

Jamais, jamais, je n’avais reçu une fessée avec une verge. Moi, quand maman, jusqu’à douze ans, m’en donnait, c’était avec sa main et cela ne me faisait pas grand mal. Cette verge, elle, me cingle et affreusement maintenant que cela redouble. Je veux crier… elle m’enfonce la figure dans l’édredon, m’appuie sur le dos avec son coude sans cesser de me retenir du même bras, mon poignet gauche retourné presque, tenu dans sa main. Elle me bloque les deux jambes avec une des siennes, j’ai beau faire : immobilisée, je ne puis l’empêcher de continuer. Au contraire, comme surexcitée par la souffrance dont témoignent mes cris étouffés, cela dure, cela dure, interrompu seulement par trois fois, quelques secondes, pour qu’elle écarte comme il faut mon pantalon qui, sans doute, s’est refermé dans les tressautements que peuvent se permettre à grand’peine mes pauvres fesses hachées de cinglures.

Enfin, elle s’arrête…

Que fait-elle ?… Je me retourne. Elle me contemple et dit, pas contente encore du mal qu’elle vient de me faire :

— Si ça n’avait pas été le soir, c’est à la main que je t’aurais corrigée, tu aurais vu ça. Je t’aurais fessée comme mes arpètes. Mais, tu n’y perdras rien, ma petite… Il faut filer droit avec moi : quand ma petite femme se paie ma figure, elle prend la fessée… Et comment !

Moi, je suffoque, j’en pleure de sa cinglée. Elle me retourne comme une crêpe, elle m’ôte mes souliers mes bas, et après, elle me déculotte. Elle m’enlève mon pantalon et elle me remet comme tout à l’heure. Mais, c’est seulement pour me tripoter les fesses, qu’elle tapote ensuite de sa main à plat.

— Tu les as rouges, tes fesses, ça t’apprendra. Mais, ce n’est rien, cette fois… Avec la main, ça vaut mieux… Les vraies fessées, c’est à la main. Et avec moi, tu sais, ça claque. Tu en auras comme ça, des fessées, des bonnes, je te le promets ! Demain, pour commencer !

Elle saute en bas du lit, m’emmène vers l’armoire à glace, me force à les regarder, mes fesses rouges, rouges.

Mais la voilà qui m’embrasse, m’embrasse, et elle me les pelote, à présent.

Et moi, je l’embrasse aussi… et, tout d’un coup, je ne lui en veux pas, de sa fessée, mais je sens que je l’aime cette femme ! Non seulement je ne lui en veux pas de m’avoir fait mal, mais je l’aime, et pour de bon, cette maîtresse-femme que, maintenant, je sais capable de faire comme elle le dit, capable de me fesser comme les gosses de son atelier, moi qui suis déjà une femme, moi qui serai la sienne, oui, la sienne ! C’est chic, c’est crâne, ça a de l’allure, de vous fesser comme ça !

Elle m’a mise nue, des pieds à la tête. Elle me dit adorable, divine, m’enlève dans ses bras, m’emporte sur le lit pour me baiser partout.

Puis, elle se déshabille à son tour. En un rien de temps, la voilà à poil comme moi.

Elle est merveilleuse ! Quels beaux seins ! Elle me les fait tâter, ils sont durs comme des oranges, dont ils ne dépassent pas la grosseur. Son ventre est jeune comme le mien. Mais le triangle dont le sien s’orne en bas est noir, noir comme du jais.

Elle se tourne, me fait voir sa croupe. Elle veut que j’y touche… Un marbre ! Elle en a des fesses !

On reste à s’admirer dans la glace. Elle m’enlace, on prend des poses. Vrai, ce qu’on est bien faites, toutes les deux.

Enfin on se couche.

Elle a laissé en grand la lumière. On a bu du champagne. Plus tard, elle m’en arrosera. Oh ! les idées qu’elle a !… pour le boire ruisselant…

Dans le lit, sous la couverture, on est l’une contre l’autre toutes droites, bien allongées, face à face. Elle est couchée sur le côté gauche, moi sur le droit.

De sa main droite, elle me prend les fesses qu’elle a si bien cinglées, la méchante ! Je l’ai voulu voir : c’est une verge de bruyère. Des myriades de brindilles en parsèment la descente de lit, une peau d’ours blanc. C’est sur mes fesses que la verge s’est émiettée ainsi. Ce qu’il a fallu qu’elle s’acharne ! Oh ! que je l’aime !

Elle en a plusieurs, de verges. De toutes sortes : elle me les montrera. Celle-la, elle l’avait mise à tremper depuis le matin pour l’assouplir.

Comment ! elle savait qu’elle me fesserait ?…

— Oui, de toute façon, tu l’aurais eue, ta fessée, méritée ou non. Ce soir, pas moyen de te claquer. Sans quoi, tu en aurais eu une bonne. Mais, demain, tu verras ça. Les voisins, je les connais, partent le matin, en bicyclette, tous les dimanches : nous serons tranquilles. Je pourrai te les claquer à mon aise, ma gosse, comme il faut qu’on les claque, les fesses de sa petite femme… Mais, oui, il n’y a pas d’amour sans fessée. Tiens, je te les claquerai comme cela, oui, comme cela, mais bien plus fort. On peut déjà tout de même un peu, j’ai écarté le lit du mur.

Et elle m’en donne un aperçu, sous les draps, une bonne fessée dont s’étouffent les claquements. Les draps, la couverture en amortissent l’éclat. Je serre les fesses. C’est délicieux. Tout à l’heure la surprise a fait, sans doute, que les cinglements de la verge m’ont paru difficiles à endurer. Mais il n’en est pas de même des claques. Je les aime, les claques, et plus elle claque fort plus je les veux de cette vigueur, de cette qualité. Il me semble que sa main qui me claque me communique sa passion et m’en enflamme, comme elle. Vous ne me croirez pas, eh bien, c’est ainsi et face à face que j’aime être bien fessée par quelqu’un que j’aime bien, femme ou homme. C’est à cause de cette fessée-là ! c’est en souvenir de cette fessée-là, la première qui m’ait révélé le charme tout-puissant de la fessée, quand c’est une fessée que je sens bien !

Et, pendant ce temps, elle m’embrasse, elle embrasse mes yeux, ma bouche. Sa langue viole encore ma bouche, ses lèvres mangent les miennes et sa main claque, claque mes fesses qui se serrent, heureuses, heureuses. Et je vibre, je vibre délicieusement, infiniment, et tout d’un coup, pour la première fois de ma vie dans les bras d’une femme aimée, pour la première fois en moi un bonheur surhumain jaillit brusquement… Puis, longuement il s’épanche…

Le lendemain, quand je m’éveille, il est neuf heures. La femme de ménage arrivée, me dit Jane, est partie acheter des gâteaux. Ma chérie a pensé que je préférerais des gâteaux à du café au lait. On les mangera au lit.

On entend du bruit de l’autre côté de la cloison. Ce sont les voisins qui s’habillent. On distingue presque ce qu’ils se disent. En retard, ils se dépêchent.

Jane m’explique que son appartement et le leur, sont les deux moitiés d’un grand que l’on a coupé. Les deux chambres à manger sont contiguës.

— Quand mon lit est le long du mur, je les entends faire l’amour. Mais, jamais le samedi, parce que, devant partir en bécane au matin, ils ne veulent pas se fatiguer d’avance. Ils sont gentils, tout jeunes. Il n’y a qu’un an qu’ils sont mariés. La petite femme est mignonne tout plein, une brune, toute petite. Quand elle se pâme, elle crie. Cela me donne des idées dans mon lit quand je suis seule. Trois fois, quatre fois certaines nuits. Jamais plus ; c’est assez, si c’est bien fait.

Oui, je lui ai parlé déjà, les matins où elle descend en même temps que moi. Je ne lui ai pas dit, tu penses, que j’entends tout ce qu’ils font. Il ne la fesse pas ; quelle moule ! Elle serait pourtant bonne à claquer. Pas grosse, mais de jolies jambes, un bon petit cul tout à fait et qui m’amuserait. Je compte bien y arriver, un de ces jours. On ne sait jamais ; il suffit d’une occasion. Une après-midi de samedi où il ne serait pas là. Elle travaille dans un bureau et fait la semaine anglaise. Je la guetterai, on causera, je l’inviterai à entrer. Je crois que le reste irait tout seul. Des fois déjà, elle a entendu des claques que je donnais. Quand je la rencontrais après, elle me regardait. Cela l’intrigue, c’est sûr.

Cela m’amuse, cela me plaît qu’elle parle ainsi, sans se gêner. Je suis fière de son culot. Oh ! je ne suis pas jalouse, non !… Pas encore, mais ce ne devait pas tarder.

Ah ! les voilà qui partent, les voisins. Jane se lève, va fermer la fenêtre. Maintenant, on est tranquilles, je vais y passer.

Holà là ! Quelle fessée elle m’a flanquée ! Ça, c’en est une, alors ! Elle dit que je la prends admirablement. Je comprends que cela les aurait réveillés, les petits voisins ! Ce que ça claquait ! Je l’ai eue, la bonne fessée, je l’ai eue !

C’est à peine fini et de ses dernières claques, de sérieuses gifles, mes fesses palpitent encore quand, à la porte de la chambre un doigt fait toc-toc.

Jane a juste le temps de me lâcher. J’étais couchée sur ses cuisses, comme hier soir, avec cette différence qu’aujourd’hui l’on était nues. Nos chemises, c’est moins que rien ; mais on les avait enlevées.

On se coule dans le plumard vivement. Le drap remonté, elle dit :

— Entrez !

C’est la femme de ménage qui apporte deux assiettes de gâteaux. Ma Jane me sait gourmande. Ce sont des tartes aux fruits, celles que j’adore. Aux pêches, aux abricots, aux fraises.

Aurélie, dont on n’avait pas entendu le retour avec ses emplettes, me paraît dessalée. Elle me reluque en riant de l’œil. Pour ne pas percevoir le retentissement de ma fessée, il aurait fallu qu’elle fût sourde.

Elle était peut-être bien derrière la porte. Sans doute, elle nous zyeutait par le trou de la serrure.

Elle pose les gâteaux sur la petite table, comme si de rien n’était. Ce n’est pas la première fois, probablement, qu’elle en a entendu et vu autant, Aurélie, depuis trois ans au service de l’enragée fesseuse de poules.

Sans rien dire, elle ramasse la verge qui traîne au pied du lit. Elle la place obligeamment sur le couvre-pied, à portée de madame.

La brave Aurélie qui à l’œil — et le bon — en a dû remarquer les débris jonchant la peau d’ours. Et puis, elle est pas mal endommagée, la verge. Il n’en reste guère, elle a servi, c’est visible. Elle est déplumée, il lui en manque des brins à cette verge, hier matin toute neuve et qui par ses soins a trempé tout le jour sur l’ordre de madame. Ce lamentable état de la verge doit lui inspirer bonne opinion de mes fesses, j’imagine.

Aussi, pendant que madame lui parle pour le déjeuner qu’elle descendra commander, chez le traiteur d’en bas, un as, qui vous fignole des menus à la hauteur, elle m’examine et moi, je ris, en mordant dans ma première tarte. Aurélie a quarante ans : n’importe, cela me gêne et je dois être un peu rouge. De figure, veux-je dire ; car des fesses, c’est hors de question.

Elle me trouve jolie, cela, je n’en doute pas ; mais, ses yeux, en clignant, vont de madame à son invitée. Elle a positivement l’air d’approuver la patronne, qui ne s’embête pas d’ordinaire, d’avoir fait un bon choix en ma personne. Peut-être voudrait-elle être à sa place ? elle ne demanderait peut-être pas mieux que de l’imiter et, par le moyen de la fessée, d’inculquer les bonnes manières à la jeunesse ?

Quand, à quatre heures, on arrive rue Coquillière, avec une langouste monstre et une bouteille de Pomard, les auteurs de mes jours s’exclament sur ma mine superbe. Qui ne l’aurait à moins ? Le nécessaire a été fait pour que mon sang circule avec une ardeur inconnue encore. Là se reconnaît, sans contestation possible, l’effet souverain des généreuses fessées que préconise la cousine. Cela enfonce les pilules fameuses que je ne nomme pas. Mieux que ce remède célèbre, cela, pour parler comme la réclame du quotidien, en quatrième page, « stimule les fonctions organiques, de telle sorte que les forces étant continuellement entretenues, la formation s’accomplit sous les meilleurs auspices. La voilà, la plus efficace des cures de l’anémie, de la chlorose, de la neurasthénie, de l’affaiblissement général et des troubles consécutifs. »

Mais, vrai, j’ai eu quelque scrupule à embrasser maman. J’ai rougi, oui, j’ai rougi de poser sur les joues maternelles mes lèvres plus sanguines que jamais…

C’est certain que je suis encore plus jolie aujourd’hui qu’hier. Jane à raison. Mes yeux brillent, mon bonheur rayonne dans l’éclat de mon teint, de mon sourire. Elle a raison, Jane. Si c’est comme cela que l’esprit vient aux filles, c’est comme cela aussi que leur vient la beauté. J’ai été frappée moi-même en constatant dans la glace de Jane l’étrange beauté dont je resplendissais ce matin, après cette nuit d’amour !

Trois semaines se passent. Trois semaines de bonheur parfait. Le samedi, c’est réglé, nous recommençons la petite fête.

Mais le matin du deuxième dimanche, déjà, vers sept heures trois quarts, pour réveiller les voisins, je prends à grand bruit une fessée uniquement manuelle et des plus copieuses, qui doit indéniablement retentir dans le silence dominical.

Et les oreilles d’Aurélie qui vient d’arriver n’en perdent pas un claquement, j’espère. Oui, maintenant, cela m’est égal qu’elle l’entende. Au contraire, j’aime que ma Jane ne se gêne plus. Comme cela, il n’y a pas à dire non, c’est bien moi sa petite femme !

Et la veille, en venant chercher Jane pour aller dîner, la petite voisine, qui sortait, m’a vue sonner. Et elle monte avec nous l’escalier quand nous revenons du théâtre à minuit. En compagnie de son époux, elle sortait du cinéma sans doute, car elle n’était pas en toilette. Alors, ce matin de dimanche, elle doit se douter que c’est bien moi dont avec tant d’entrain on claque les fesses, de l’autre côté de la cloison.

J’en ris encore après qu’elle et son mari partent un peu avant sept heures. C’est grâce à mes fesses qu’ils ont cette avance aujourd’hui.

Je riais ! mais, je ne tardai pas à ne plus rire.

Figurez-vous que le quatrième dimanche chez elle, c’était juste cinq semaines après le premier, car il y avait eu naturellement huit jours de relâche obligée, figurez-vous que Jane m’avait prévenue que Gaby dînerait avec nous, accompagnée de son mari. Elle devait arriver vers trois heures, toute seule. Son mari la rejoindrait, à six heures, en revenant du Parc des Princes où se courait un « six jours ».

Gaby, c’était une plumassière de son atelier, une ancienne arpète de la maison. Je savais par Jane, qui m’en parlait souvent, que c’est elle qui l’avait mariée, il y a six mois, avec un calicot, frère d’un des placiers.

Vingt-deux ans, cette Gaby, un type, à ce qu’il paraît.

À cause d’elle, le programme changeait. Jane avait dîné chez mes parents le samedi et moi, je passais avec elle la journée et la nuit du dimanche.

Elle s’amène à trois heures tapant et, à la façon dont elles s’embrassent, je devine tout de suite que c’était sa petite femme avant moi. Et puis aussi, aux regards que cette Gaby me lance, je vois qu’elle est au courant et qu’elle sait que je lui succède.

Elle m’épluche. Du haut en bas, sous toutes mes faces. Aux yeux qu’elle fait, je comprends qu’elle me trouve plus jolie que Jane n’a dû me dépeindre. Elle enrage.

Elle n’est pas mal. Grande, châtaine, mais malgré sa coquetterie, malgré son faux chic, un air voyou de Parigote des faubourgs. Bien faite, pas de poitrine. Et déhanchée, tortillant le derrière en marchant. Moi, je n’aime pas cela. Du reste, le mauvais genre ne m’a jamais plu. Et je pensais déjà que ce n’est parce qu’une femme a de belles fesses qu’elle les doit tortiller exprès, en marchant d’une certaine façon, dénuée de tout naturel. Mais, elle, comme elle n’avait que cela de très bien, elle attirait l’attention là-dessus en faisant — et au-delà — le nécessaire pour cela.

Elle venait à trois heures, soi-disant pour aider Jane, pour le dîner ; car, je vous l’ai dit, Aurélie ne restait que jusqu’à midi.

Pour se mettre à l’aise, elle ôte sa robe et s’entoure d’un tablier blanc. Vrai, avec son visage vulgaire, elle avait raison de se mettre en bonniche. En-dessous, elle n’avait que sa culotte. Mais, avant de le mettre, ce tablier, elle faisait ses effets de derrière, moulée qu’elle était dans un pantalon fermé, tellement collant que ses deux fesses se dessinaient comme nues. Et d’une mousseline si transparente, que se voyait la couleur de sa peau en plus de la forme des fesses, de leur raie de séparation qui pour l’œil se traçait nette comme si le pantalon eût été de baudruche. Impossible pour une femme de pousser plus loin l’inconvenance, l’impudicité de ses dessous !

Et, elle, c’était une femme mariée ! Fallait que son mari fût un fier imbécile pour lui permettre de sortir avec un pantalon pareil ! Songez qu’à l’atelier, les femmes, les unes devant les autres, se déshabillent pour mettre leur blouse, en arrivant le matin ou pour la retirer quand elles s’en vont. Qu’est-ce que les autres plumassières devaient en penser ?

C’était les provoquer à lui donner la fessée ! Ç’aurait suffi à en donner l’idée à qui n’en aurait pas eu la passion ! Et celles qui l’avaient, seulement qu’un peu cette passion-là, vous pensez si ça devait les tenter ! C’était les inviter clairement à profiter d’une paire de fesses qui ne demandaient que cela ! Pas besoin de parler pour se faire comprendre. Qui n’aurait compris, parmi celles qui, aimant fesser, ne manquent pas dans les ateliers de femmes, qui n’aurait compris la mimique d’une paire de fesses qui ne voulait pas dire autre chose que : qu’est-ce que vous attendez pour me déculotter ?

Devant moi, elle les remuait et, à chacun de ses pas ou même arrêtée, elle ne cessait de les faire aller et venir. Le tablier ne cachait que le devant. Avec ses mouvements il la cachait de moins en moins en arrière. Son derrière ressortait entièrement et l’indécence de son pantalon augmentait encore ce que de telles manières présentaient de choquant. D’écœurant, devrais-je dire plutôt !

Non, tenez, j’aime mieux ne pas me rappeler tout cela. Vrai, cela me fait de la peine… Voyez-vous, on a beau ne pas être portée à la jalousie, il y a des choses qu’on ne peut pas voir faire par celle dont on est la petite femme. Et il y a des choses aussi qu’on ne peut lui voir faire par une autre, même par celle qui aurait été avant vous sa femme aussi !

Ce n’étaient d’abord que des bécots, sans doute, des familiarités qu’on permettrait en d’autres cas, mais c’était l’intention que je devinais chez cette Gaby de me blesser qui me faisait mal…

Alors, je me mets à pleurer. Pensez, je n’étais qu’une gosse encore.

Jane me prend sur ses genoux, me console. Elle me jure qu’avec Gaby c’est fini, tout ce qu’il y a de plus fini, depuis son mariage. Est-ce qu’elle, Jane, en voudrait des restes d’un homme ? Non ? alors, qu’est-ce que je pensais donc d’elle ?

Enfin, mes larmes se sèchent. Mais cela ne fait rien. J’avais pleuré sur mon bonheur à jamais gâté. C’était comme un coup de couteau reçu en plein cœur.

Elle allait, furetant partout, la Gaby, comme chez elle. Ça se voyait qu’elle le connaissait, l’appartement : ouvrant commode, armoire, sous prétexte de ranger. Les verges et tout. Ce qui me faisait le plus de mal, c’est que ça me sautait aux yeux qu’elle aimait la fessée autant que moi. Elle parlait sans se gêner, et exprès, je le devinais pour me faire bisquer, des fessées qu’elle avait reçues il n’y avait pas longtemps ! De celles qu’autrefois elle recevait à l’atelier, étant arpète, je n’en étais pas jalouse, bien sûr, mais je me doutais qu’elle y passait encore. D’autant plus qu’elle disait que son mari ne lui en donnerait jamais. Cela non, elle ne l’admettait pas, elle ne lui permettrait jamais de toucher à ses fesses, avec sa main ou avec une verge. Non, cela, ce n’est pas pour les messieurs, c’est pour nous ! c’est si bon !

N’est-ce pas ? me demandait-elle. Et je comprenais bien que Jane le lui répétait, combien j’adorais d’être claquée par elle. La garce voulait me voir la recevant, afin d’en juger, je sentais cela, et pour y arriver, elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour la recevoir elle-même, en redoublant de tortillements de fesses, de poses provocantes.

Vous pensez si, étant donné le tempérament de Jane, elle parvint à ses fins ! Et elle en eut une bonne, je vous prie de le croire. Jane, apparemment, lui ayant dit que je la prenais bien, elle voulut me surpasser. Vrai, je n’en revenais pas de son endurance et, maintenant que j’y pense avec sang-froid, je me dis que j’aurais dû m’en rincer l’œil tout simplement. Car cela en valait la peine.

Je comprenais que Jane me reprochât toujours de ne pas gigoter. Avec une comme Gaby, elle pouvait s’en emplir la vue, de gigotements ! Vrai, c’en était indécent. Ce n’était pas une femme, c’était un diable dans un bénitier ! Oui, une vraie furie !

Pendant que Jane la fessait, on eût dit une folle furieuse ! Tellement elle faisait de contorsions, on aurait cru qu’elle détestait cela… On lui aurait arraché la peau de tout le corps qu’elle ne se serait pas démanchée plus. Avez-vous vu dans un film, avenue de Clichy, la semaine dernière, des serpents qu’en Amérique on écorche tout vifs, et à qui la peau d’un seul coup est tout entière retirée, comme à une anguille et de la même façon, en les retournant ainsi qu’un gant ? Dépouillés complètement, ces serpents sautaient, se tordaient sur eux-mêmes, c’était une frénésie de torsions dont on ne peut se faire une idée. On aurait juré des ressorts métalliques qui se seraient détendus pour se retendre aussitôt, sans cesse… Eh ! bien, Gaby c’était pareil !…

Après, ça allait être mon tour ? Ah ! non ! Moi, qui désespérais d’en faire autant, je ne voulus rien savoir ! Alors, le croiriez-vous ! Alors, Jane se fâcha, mais pour de bon, alors, et la fessée que je reçus fut une vraie correction. Et Gaby se repaissait de mes pleurs, de mes supplications, de ma honte… Malgré le raffut des claques à toute volée, j’entendais ses rires et je n’oserai jamais répéter l’effet qu’elle devait dire que cela lui avait produit…

Oui, elle disait cela crûment à Jane qui, la fessée finie, me gardait sur ses genoux, retenant écarté mon pantalon pour bien montrer mes fesses pourpres… Et j’avais honte, j’avais honte, gosse que j’étais…

Le mari arriva à six heures.

J’étais consolée, il n’y paraissait plus de tant de chagrin.

Jane m’avait fait boire. Je devais être un peu partie. Toutes les trois, peut-être bien. Moi, il m’en fallait si peu. Avec deux coupes de champagne, je faisais la folle.

On s’était embrassées toutes les trois. On avait dansé. Sans piano, c’est Gaby qui chantait des airs de danse. Elle connaissait toutes les nouveautés.

Donc, son mari s’amène à six heures. Le calicot, dans toute sa beauté. Le calicot rigolo, vous voyez cela d’ici. Des jeux de mots idiots, toutes les scies du jour.

Nous nous payions sa tête, il n’en voyait rien. On ne faisait que se bécotter tout le long du dîner. Par blague, lui, baissait les yeux ou se tournait de l’autre côté. Je ne sais encore au juste s’il se rendait compte de ce qu’il en était ou si, aveugle, il ne croyait qu’à un jeu.

Oui, à dire vrai, je n’en sais rien. Jane le croyait aveugle. Moi, je n’en suis pas sûre. En tout cas, il faisait celui à qui cela ne déplaît pas, que sa femme, sa légitime, ait une amie, en ait deux, même. C’est peut-être bien aussi parce que, prenant mon parti du partage, je faisais celle qui est bien avec Gaby, comme avec Jane, et il ne prenait pas cela au sérieux.

Quoiqu’il en soit, nous ne nous retenions guère pour lui et sa présence ne nous en imposait pas, pas plus qu’à sa femme. Cette Gaby, elle en avait un toupet !

Non, il y a des hommes, tout de même, que ce serait dommage ne de pas berner, tant ils sont bêtes. Celui-là, s’il n’y mettait pas de la complaisance, qu’est-ce qu’il avait dans les yeux ?

Mon histoire est finie maintenant.

Cela dura près de deux ans comme cela. Depuis longtemps, je n’aimais plus Jane. Je la détestais, au contraire ; mais elle me tenait par les sens.

C’est elle qui m’avait appris l’Amour. En m’apprenant l’Amour, c’est la vie qu’elle m’avait donnée, une seconde fois après maman !

On ne rompit que quand je me mariai. Avec un jeune collègue de papa, fils de son sous-chef. Moi aussi, j’étais à la Banque.

Le ménage marcha deux ans. Il ne me plaisait pas. Ni comme homme, ni pour son caractère, ni pour son intelligence. Et sous le rapport sensuel, oh ! alors, un néant pour moi, un néant absolu.

Le divorce fut prononcé à son profit. J’avais pris un amant et c’est avec lui que je partis dans le Midi.

Tout cela, c’est la faute de Jane ! c’est cette femme qui a gâché ma vie ! Oh ! je la hais !…

J’avais tout, vous entendez, tout pour faire une femme honnête, comme maman. Ah ! je lui en voudrai jusqu’à la mort !…

Quand je pense qu’elle m’avait eue pure !… Est-ce qu’elle n’aurait pas pu s’en contenter, de mon amour de vierge ? On aurait été si heureuses, toutes les deux ! Moi, cela m’aurait suffi toujours de coucher avec elle le samedi et de nous aimer toute la journée, le dimanche… Et moi mariée, même, on aurait continué de s’aimer. Est-ce qu’elle en avait besoin d’autres que moi à fesser ? Moi, je lui serais restée fidèle toujours !

Mais, elle, ce n’était… Ah ! j’aime mieux ne pas dire quoi.

Car, voulez-vous la vérité sur son compte ? Et je crois fermement qu’on en dirait autant de toutes les flagellantes épatantes, comme vous en connaissez, des Paulette, des Suzy !

Eh ! bien, elle la cousine de Jane, elle était la maîtresse de son patron. Du temps même de son mari, oui. Et il en avait fait, lui, le patron, la première de son atelier de plumassières, parce qu’il était passionné de flagellation. C’est lui qui l’avait dressée à fesser les arpètes. Avant elle, une contremaîtresse s’en chargeait, mais elle s’était établie à son compte. Jane qui la remplaçait, lui en fessait, dans son bureau, aussi souvent qu’il le désirait.

Elle s’y était mise sans effort, elle avait aimé cela aussi, c’est possible… Mais si elle en fessait tant et plus, rien que pour son plaisir personnel, c’est lui, tout de même, qui l’avait initiée !

Et voulez-vous que je vous dise toute ma façon de penser ? C’est comme cela avec toutes, allez ! Chaque fois que vous me parlerez d’une flagellante notoire, je vous répondrai : cherchez bien, vous trouverez un homme derrière !