Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 145-157).

VIII

RÉPONSE À PLUSIEURS

Un de nos lecteurs de la première heure et qui n’a jamais cessé de nous être fidèle, nous a adressé, il y a quelques mois, une lettre où il nous faisait grief de représenter parfois quelque jeune héroïne d’un de nos contes comme douée, en un âge bien tendre, d’une force physique la rendant capable de hauts faits bien invraisemblables.

Il nous en citait trois, particulièrement.

D’abord, la « Costaude », dans « Qui aime bien. »

Nous allons répondre à cette première objection.

Rolande, la Costaude, est dite s’exerçant aux sports masculins. Elle pratique la lutte gréco-romaine avec son frère, plus âgé, qui fait de sa puînée une véritable athlète. Elle a quinze ans, elle est petite et trapue. Sa vigueur est telle qu’elle est capable de maîtriser des amies ayant dix-huit ans, vingt ans, et de les fouetter bon gré mal gré. Elle fouette de même sa femme de chambre qui a vingt-huit ans.

Nous répondrons simplement ceci : le fait est peut être invraisemblable ; en tout cas, il est vrai.

Tout ce qu’il y a de plus vrai.

Notre lecteur a-t-il jamais vu dans les cirques de jeunes clownesses de quatorze, quinze ans, qui, dans une équipe de pyramide humaine, étaient de celles que, justement, l’on plaçait à la base ? Et cela n’offre rien de rare. Chose non moins commune, la plupart de ces « costaudes » — nous employons le mot à dessein — répondent au signalement de notre héroïne, petite, courte, trapue. Enfants de professionnels, neuf fois sur dix, on les a exercés trop tôt et il en est résulté souvent un arrêt de développement qui les fait rester de petite taille tout en acquérant une vigueur remarquable. Croyez-vous, nous vous le demandons, croyez-vous que les gaillardes de cette sorte ne seraient pas capables à quinze ans, de corriger comme des enfants, par jeu, des jeunes filles moins entraînées, moins vigoureuses. Dans la haute société, les athlètes ne manquent pas, depuis une vingtaine d’années surtout, et dans tous les domaines sportifs.

Voilà pour une.

Quant à Suzy l’Écuyère qui corrige sa tante, elle n’y a aucun mérite au point de vue sportif car la victime y met plus que de la bonne volonté. Telle sera notre brève réponse à son sujet. Et l’histoire est vraie également. Disons même, une fois pour toutes, que souvent nous écartons des détails authentiques à cause de leur apparence d’exagération. Mais dans le cas de Suzanne, où serait l’exagération, je vous prie ? L’événement n’a-t-il pas été amené par sa tante et la nièce n’est-elle pas strictement son élève ?

Pour Paulette, alors, nous déclarons ne rien comprendre à l’objection. Nous avons écrit, en plusieurs endroits, que Rosa la laisse agir à sa guise. C’est une gaillarde et elle est indiquée formellement comme bien plus vigoureuse que Paulette, adolescente. Elle aussi y met donc de la bonne volonté ? Mon Dieu oui et nous croyons ne pas avoir dit autre chose.

De même qu’avec Madame Dulaure : celle-ci aussi en déborde, de bonne volonté, et l’on nous rendra cette justice d’avoir allumé notre lanterne, plutôt deux fois qu’une.

Un mot encore :

Deux lecteurs nous ont écrit, de concert, une lettre qu’ils signent de leurs deux pseudonymes réunis. C’est pour nous dire qu’à leur avis ils voient beaucoup, beaucoup de flagellantes dans nos livres !

Et, dans la vie réelle, il n’en est pas ainsi : ils n’en rencontrent pas autant — ce que, sincèrement, ils déplorent, d’ailleurs.

Voici notre réponse :

Les jolies femmes que nous leur présentons sont des flagellantes. Certes, et, la plupart du temps, de pures professionnelles. Si nos livres les montrent s’occupant d’une question qui doit les intéresser, et si c’est surtout ces flagellantes-là que nos livres recherchent, est-ce plus étonnant que de trouver uniquement des théorèmes de géométrie dans des ouvrages consacrés à la géométrie ? Nous concédons volontiers à ces deux lecteurs que, dans la vie de tous les jours, on ne parle pas constamment d’angles, de triangles, ainsi que le font pourtant ces ouvrages, pour lesquels, même, cela constitue une véritable obsession, le mot n’est pas trop fort !

N’insistons pas. Soyons sérieux, Et, élevant un peu le débat maintenant, abordons un autre point qui est peut-être celui sur lequel on serait mieux fondé à nous adresser des critiques.

C’est celui-ci :

Nous mettons en scène quelquefois des femmes douées de tempérament excessif, des femmes d’une énergie extraordinaire : Paulette, entre autres, Suzy, etc. etc.

Nous avouons que ces deux-là n’ont pas froid aux yeux. Paulette surtout[1].

Mais, pour elles, comme pour tant de leurs émules, nous n’avons rien inventé et nous n’imputons à leur actif que ce qu’elles ont réalisé. Nous dirons même qu’elles seraient capables de faire davantage. À l’opposé de l’Ancien, ce n’est pas nous qui dirons jamais après lui : j’en raconte plus que je n’en crois. Jamais, nous n’adopterons pour divise la plate excuse de Quinte-Curce : Plura transcribo quam credo, derrière laquelle plus d’un conteur de nos jours pourrait abriter l’audace de ses récits douteux.

Pour que notre réserve prudente soit enfin appréciée, sinon reconnue, apportons quelques faits d’une authenticité consacrée officiellement. Ouvrons les livres scientifiques et voyons si les excès passionnels que nous y verrons relatés ne dépasseront pas les hauts faits de nos héroïnes.

Ah ! mes pauvrettes ! Ah ! Paulette, Suzy et vos sœurs, combien vous allez désormais nous paraître pâlottes et insignifiantes, bonnes tout au plus maintenant à prendre figure sur d’édifiantes images, sur de benoîtes cartes-postales, telles qu’en étalent les devantures bien pensantes, aux alentours de Saint-Sulpice !

À tout Seigneur, tout honneur ! Ce sera, si vous le voulez bien, chez C. Lombroso, que nous ferons notre première incursion.

Ouvrons son livre : La Femme criminelle et la Prostituée, écrit en collaboration avec G. Ferrero.

Voici ce que nous trouvons, page 465, au chapitre IV, intitulé : Criminelles-nées.

Nous en avons un exemple typique dans Mlle Bell-Star, ce chef de brigands qui était, il y a peu d’années encore, la terreur du Texas : elle avait reçu une éducation des plus aptes à développer ses qualités naturelles. Fille d’un chef de guerriers du parti Sud, dans la guerre de 1861-65, elle passa sa jeunesse au milieu des horreurs de ce légitime brigandage. À dix ans, elle maniait déjà le revolver, la carabine et le bowie-knife, de manière à enthousiasmer ses féroces compagnons. Forte et audacieuse comme un homme, son plus grand bonheur était de monter les chevaux indomptés des plus solides cavaliers de sa bande. Un jour, à Oakland, elle fut deux fois vainqueur aux courses : une fois, vêtue en homme et une autre fois en femme, au moyen d’un rapide travestissement, sans que personne eût reconnu en elle la même personne. Très luxurieuse, elle eut toujours plusieurs amants à la fois ; l’amant officiel devait être le plus intrépide et le plus audacieux de la bande, il était destitué à la première lâcheté ; elle le dominait complètement et se permettait de nombreuses distractions.

Elle avait, écrit de Varigny, autant d’amants que de desperados et d’outlaws répartis entre le Texas, le Kansas, le Nebraska et la Nevada. Très audacieuse, dès dix ans elle guida une bande de féroces brigands que par la supériorité de son intelligence, son courage et par la gentillesse de ses manières féminines, elle dominait absolument. Avec cette bande, elle accomplit les plus téméraires rapines près des villes les plus peuplées, assaillant les troupes gouvernementales, entrant, seule, vêtue en homme — c’était en général son costume — dans les villages, en plein jour, assistant à quelque vol stupéfiant, à main armée. Une fois elle alla jusqu’à coucher dans un hôtel, dans la même chambre que le shérif de l’endroit qui ne s’aperçut pas que son compagnon était une femme. À table, il s’était vanté de la reconnaître et de la faire arrêter si elle lui tombait sous la main. Le matin suivant, elle monta à cheval, le fit appeler et lui dévoila qui elle était, le traita d’imbécile et, lui cinglant le visage de deux coups de cravache, elle s’enfuit. Elle écrivit ses mémoires. Son plus grand désir était, disait-elle, de mourir chaussée de ses bottes. Elle fut satisfaite, elle mourut dans un combat contre les soldats du gouvernement, commandant le feu jusqu’à son dernier soupir.

On croit rêver, ou, tout au moins lire le scénario d’un film dont l’auteur ne se serait en rien soucié de la vraisemblance !

Ne nous arrêtons pas pourtant et tournons la page.

Voici ce que nous lisons, page 486, de ce même livre de C. Lombroso et G. Ferrero, la Femme criminelle et la prostituée, toujours au même chapitre : la Criminelle-née.

Un autre brigand en jupon, très semblable à Bell-Star, fut Zélie. Française de naissance, douée d’une grande intelligence, connaissant parfaitement trois langues, ayant par son esprit, un extraordinaire pouvoir de séduction, elle se montra, dès l’enfance, d’un caractère perfide et très portée aux plaisirs sexuels.

Entraînée par des aventures romanesques au milieu de brigands de l’Amérique de Nord, elle en devint le chef. Le regard fier et courageux, le revolver au poing, elle affrontait, la première, tous les dangers et se jetait entre ses compagnons qui en venaient aux mains, les obligeant à mettre bas les armes. Elle franchissait en riant les abîmes des montagnes devant lesquels tremblaient les autres. Son courage ne l’abandonnait jamais, ni au milieu des épidémies, ni dans les tremblements de terre, ni dans les batailles. Elle mourut dans un asile de la France, avec de très graves symptômes d’hystérisme.

Cette fois encore, n’étions-nous pas en plein cinéma ?

Mais, dira-t-on, ces faits, se sont passés en Amérique, où tout est hors mesure !

En France, quoiqu’on n’y ait jamais vu, en ce genre, rien d’absolument équivalent, quelques types de femmes sont pourtant à rapprocher de ces deux là. Bien entendu, dans des proportions un peu réduites, à la taille des êtres et des choses de notre vieux monde, qui est autant inférieure à la taille de ceux de là-bas que le sont nos minuscules taupinières à côté de leurs gratte-ciels.

Nous avons eu, nous aussi, des femmes chefs de bandes. Il n’y a pas longtemps, il n’y a que quelques mois, qu’une femme vêtue en homme fut arrêtée, au cours d’une expédition nocturne qu’elle dirigeait, qu’elle commandait en personne. Plusieurs hommes sous ses ordres lui obéissaient comme ils auraient obéi à un Gamahut ou à un autre de ces sinistres héros dont le nom est resté dans la mémoire des Parisiens.

Des femmes ne sont pas rares exerçant la profession de souteneurs, c’est à dire en exploitant d’autres femmes qu’elles dominent parfois par la terreur, à l’instar d’aquatiques messieurs.

Il y a peu d’années, dans une rafle opérée sur les boulevards extérieurs, un certain nombre de filles, déambulant sous l’œil de leurs chevaliers, furent, par les agents, arrêtées avec leurs Alphonses attitrés.

Parmi ceux-ci, figurait une femme, vêtue d’un complet veston, coiffée d’un chapeau melon, avec sur l’oreille, la cigarette classique. Elle était, l’enquête le démontra, émérite flagellatrice.

Voici d’ailleurs, une coupure de journal remontant à la fin de mai 1923, que nous reproduisons intégralement.

Le titre en était : Condamnée à mort, puis acquittée, la « Tigresse » joue du couteau.

Marie-Jeanne L., surnommée « la Tigresse de la Chapelle », n’est point une femme ordinaire. On peut même dire, au masculin, que c’est un « type ».

Jeanne L., née à Saint-Denis, le 26 mai 1890, déteste les hommes « qui se font nourrir par les femmes ».

Ce n’est point certes, que cette fille cruelle professe, pour la morale, un respect sans bornes. Elle l’ignore même et ne s’en cache pas. Mais les hommes « qui se font entretenir par les filles » ne sont pour elles que des rivaux.

Les compagnes qu’elle choisit travaillent pour Jeanne L., proxénète et souteneur. Et les souteneurs mâles de la Chapelle la redoutent, parce qu’elle sait jouer du couteau mieux qu’aucun ce ces bretteurs du trottoir.

Si, d’aventure, quelque pierreuse naïve devient l’amie de Jeanne L., elle trouve chez elle, dans la journée, un abri sûr, mais elle doit, chaque nuit, travailler dans les rues noires, et rapporter « à la maison » le produit du triste commerce qu’elle fait de son corps.

En 1919, une jeune femme, Marie L., lasse de subir la tyrannie et les caprices de la Tigresse, se révolta, résolut de s’enfuir.

— Tu n’iras pas loin ! s’écria la mégère.

Et elle lui planta son couteau dans le ventre. Marie Lefèvre en mourut.

Alors la Tigresse s’enfuit. On la rechercha vainement. Elle fut jugée par contumace et condamnée à mort.

Cela se passait en 1920. Jeanne L. ne se cachait point en une retraite bien éloignée. Elle filait des jours heureux dans un joli pavillon de La Varenne-Saint-Hilaire en compagnie d’une autre jeune femme, Hélène M., née à Paris, le 24 septembre 1895. Celle-ci gagnait beaucoup d’argent. Elle possédait même quelques meubles. La Tigresse en usait et vivait dans la quiétude et l’opulence.

Un jour, les inspecteurs retrouvèrent sa trace. Elle fut conduite, ayant les poignets ceints de ces bracelets qu’on appelle menottes, au Quai des Orfèvres. Traduite devant les Assises de la Seine, le 20 mai 1920, elle se défendit si bien que le jury l’acquitta : son crime n’était point assez prouvé.

Libre, Jeanne L., revint habiter avec son ancienne compagne, Hélène M, et il advint qu’un soir cette dernière fut conduite à l’hôpital, frappée à son tour d’un coup de couteau. La pauvre fille terrorisée, n’osa point dénoncer la Tigresse. Celle-ci eût même l’audace de la venir voir, étendue sur son lit blanc, parmi d’autres malades. Un jour, profitant de ce que la malheureuse dormait, elle lui vola sa fourrure et ses bijoux ; puis elle s’en fut à La Varenne et déménagea ses meubles !

Les inspecteurs E. et T. viennent de la découvrir, 9, impasse Molin ; elle s’était réfugiée, comme une sage jeune fille, chez sa mère.

Elle a été mise à la disposition de M. Frank, qui avait été chargé d’instruire sa première affaire.

L’exemple nous semble d’autant plus concluant que le cas ne s’est pas présenté uniquement à Paris. Il a été observé en Allemagne notamment. Des femmes travesties en hommes faisaient marcher au doigt et à l’œil des hétaïres berlinoises, éprises de leur force physique et de leur ascendant moral, si l’on nous permet cet adjectif.

Du reste, en Allemagne, il semble, comme en Autriche, que se trouvent particulièrement ces femmes, sortant de la retenue inhérente à leurs congénères.

Dans les livres du docteur R. Von Krafft-Ebing, professeur de psychiatrie et de neuro-pathologie à l’Université de Vienne, nous voyons, parmi plusieurs autres, l’exemple impressionnant d’un bien étrange personnage, le pseudo comte Sandor, qui occupe une suite de pages extrêmement documentées dans son magistral ouvrage : Psychopathia sexualis, étude médico-légale.

Ce soit-disant comte Sandor était en réalité une femme. Habillée de vêtements masculins, elle eut de multiples aventures, suscitant partout sur son passage, des passions folles chez d’autres femmes, parfaitement fixées, elles, sur son identité véritable.

Elle eut de nombreuses liaisons, et même se maria bel et bien, avec une jeune fille de la haute aristocratie. Elle-même d’ailleurs appartenait à ce milieu par sa naissance et par sa brillante éducation.

Son histoire constitue une odyssée fournie d’événements tragi-comiques dont l’épilogue fut malheureusement d’ordre judiciaire.

Le comte Sandor, tant aimé des belles, était une petite brune, peu jolie, masculine de formes, aux hanches étroites et aux seins quasi-inexistants.

Nous pourrions citer bien d’autres faits semblables authentiqués par l’observation scientifique, mais nous ne voulons pas prolonger davantage ce plaidoyer pro domo ou plutôt, ce plaidoyer pour nos héroïnes qui, à certains lecteurs, paraissaient être des créations de notre imagination.

Combien véniels à présent vont paraître les excès de ces innocentes enfants et avec quelle indulgence seront lues, désormais leurs naïves amusettes dont, purement et simplement, nous allons reprendre le récit, interrompu bien malgré nous.

Et, quant à vous Mademoiselle B. S. J. qui nous écriviez de Biarritz que des gaillardes déterminées ne peuvent, hélas ! se trouver que dans des livres, qu’en dites-vous maintenant et qu’attendez-vous, pour faire amende honorable ? Qu’attendez-vous, jeune fille de peu de foi, jeune fille qui signiez : une curieuse qui a beaucoup lu, mais qui, hélas ! n’ayant rien vu, est un peu incrédule ?

Votre petite photo découpée, en costume de plage, vous révèle, l’indiscrète, charmante vraiment, vue de dos, la tête tournée, ne montrant que vos cheveux courts, châtains ou blonds, mais, heureusement, cette photo est plus explicite sur votre plastique irréprochable.

Ne l’avez-vous pas rencontrée depuis lors, celle que vous réclamiez cet été ? Moins hardie que Georgette V. V. qui (lettre III, publiée dans Suzanne Écuyère), exposait avec tant de franchise une ardente envie analogue à la vôtre, vous n’osiez, vous, outre-passer l’initiale de l’objet de vos désirs, vous souhaitiez rencontrer une amie « experte à donner la f. ». Sans peine, vous l’avez dû trouver, et dans votre entourage ? Faite comme vous l’êtes, quelle jeune fille, en effet, ne satisferait aisément sa curiosité sur ce point et ne vérifierait la vérité de la parole évangélique : Qui petit accipit et qui quærit invenit. (Saint Mathieu, chap. VII, verset viii). Quiconque demande reçoit et qui cherche trouve.


  1. Voir : « Monsieur Paulette », voir « Suzanne Écuyère », voir « Paulette trahie », ouvrages parus dans la même collection.