Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 129-143).

VII

L’AUTRE CLOCHE

Et maintenant, voici le récit d’Albertine :

— Moi, c’est tout son contraire. Elle, Camille, c’est une petite rosse, vous savez. Oh ! ce qu’elle est teigne ! Il faut l’aimer comme je l’aime pour la laisser me faire toutes ses choses… Oui toutes, ses choses qu’elle a apprises, je ne sais où et qu’elle a vues aussi dans les livres qu’elle lit pour s’exciter encore. Comme si elle avait besoin de cela !…

Enfin, puisque cela me plaît, je n’ai rien à dire. Vrai, on va bien ensemble. N’importe, je ne me laisserai pas attacher les mains et les pieds aux barreaux du lit… Non, j’ai trop peur. Je ne sais pas ce qu’elle ne serait pas capable d’inventer, les jours où rient ses yeux cruels de chat qui étripe une souris.

Moi, je n’ai pas été élevée comme elle et je ne possède pas son instruction. Je n’ai pas donné de leçon de français à des demoiselles du monde, je ne lis pas de livres philosophiques. Non, moi, je suis née dans la maison de Dèche-Purée-Mouise et Compagnie. Et j’y ai été élevée. Ce n’est qu’à dix-huit ans que j’ai connu des gens chics.

Vous dites qu’on ne le dirait pas que j’ai été purée ? Vous savez, on s’adapte vite au luxe et aux manières distinguées. J’ai attrapé le coup tout de suite.

Je suis d’une famille de purotins. On était quatre gosses, dont moi la troisième. Deux filles avant. Et un garçon, le dernier. Tous, à un an et demie d’intervalle. Le temps pour la mère de souffler et de se raccommoder un peu.

J’ai grandi là-haut, derrière les Buttes. Des fessées, il y en avait chez nous, comme s’il en pleuvait. La mère nous en collait autant qu’on en voulait. Et d’assez bonnes, oui ! Elle n’avait pas peur de nous abîmer. On était, toutes les trois, les filles, dures à mener, faut croire. Moi, cela ne me déplaisait pas, même toute môme, d’être bien claquée sur les fesses. Ma sœur Clara aussi, celle avant moi, aimait cela. Je sentais que cela me faisait du bien et quand, à dix ans déjà, je venais de recevoir ce qui peut s’appeler une bonne fessée, tout à fait soignée, abondante et serrée, je trouvais que j’allais mieux, comme si de la vie m’avait été infusée. À dix ans, il y a longtemps que je n’en pleurais plus, d’une fessée, si forte qu’elle fût. Je gigotais et c’était tout. Autant que maintenant, je gigotais : ce n’est pas une blague. De nous trois, c’est moi qui gigotais le mieux. Des quatre même, devrais-je dire, en comptant le garçon, le petit dernier, qui en avait sa part, comme de juste.

Maman, cela la faisait rire, des fois, et quand une voisine, par exemple la mère Émeri, était là à me regarder, elle aussi trouvait cela plus rigolo que n’importe quoi au cinéma.

À l’école aussi, on fessait. Les maîtresses des dernières classes fessaient les petites ; mais, la Directrice, elle, avait une habitude pas ordinaire. Celle de faire venir les mamans et de leur enjoindre de donner, devant elle, la fessée à leurs gosses.

Que de fois, l’ai-je encaissée de maman, dans le bureau de la Directrice ! Je la revois, avec sa figure rêche qui par-dessus son binocle fumé, me zyeute tant qu’elle peut, pendant que je me paye une de ces parties de gigotements plus réussie encore qu’à la maison. Car maman, furieuse d’avoir été dérangée, me fait payer cher sa perte de temps et la nécessité où je l’ai mise de s’habiller pour venir. Elle me fesse plus fort du double que d’habitude et, pour le coup, ma culotte fermée, elle ne fait pas seulement que l’abaisser comme d’ordinaire, au ras des fesses, en dessous. Non, elle me la rabat jusqu’aux jarrets. Elle le fait exprès, vous devinez, pour bien montrer quelle bonne fessée elle me flanque. Les claques, dans le grand bureau peu fourni de meubles, résonnent et retentissent terriblement. Il n’y a même qu’une table et une bibliothèque dans ce bureau de quatre mètres en carré et haut d’autant. Pas de boiseries ni assez de meubles pour absorber le déchirement strident des fortes claques que les murs ripolinés se renvoient. J’en ai les oreilles qui me bourdonnent comme si j’étais sous une cloche, pendant qu’éperdument je me paye une furie de lancements de jambes. Pas une autre môme, dans toute l’école n’en donne en spectacle l’équivalent à cette rosse de Directrice qui se rince l’œil. Et maman me fesse, me fesse de plus belle. C’est une averse de claques qui semble redoubler, c’est un déluge de claques dont chacune ne fait que prolonger la précédente. Plus je gigote, plus elle me cingle de sa large main, entraînée à se plaquer sur des fesses, quinze ou dix-huit fois par semaine. Pour le moins, car, que dis-je là, dix-huit fois ? Il est des jours où, à nous quatre, elle donne six, sept, huit fessées !

Et pourtant, elle dit souvent que j’ai les fesses si dures qu’elle se fait mal en me claquant. Vrai, on ne le dirait pas. D’abord, c’est un vrai battoir, sa main large, un battoir fait de chair vivante dont la vigueur et l’ardeur augmentent à chaque fessée, du commencement à la fin. Et elle ne s’arrête pas de sitôt, cette fessée-là. C’est comme cela chaque fois chez la Directrice. Le lendemain, marquées de bleus, je montrerai mes fesses à la maîtresse, cela, j’en suis absolument sûre. Car, celle-là, la maîtresse, elle en rigole, de découvrir mes petites fesses truffées. Le lendemain de chaque visite de maman à la Directrice, je peux compter que je passerai à la fessée en classe. Et ce ne sont pas les meurtrissures de mes fesses, les petits ronds bleus des bouts de doigts de maman qui porteront Mademoiselle Roussin à me ménager. Au contraire, cette chipie aussi, plus elle va, plus elle me fesse fort ! De toutes les élèves, au nombre de trente-neuf, je suis celle qu’elle fesse, non seulement le plus souvent, mais encore avec le plus d’énergie. C’est une grande perche et ce qu’elle est moche ! qui, toujours affublé de robes impossibles, à l’air d’un curé.

Elle est forte, elle ne me tient pas comme maman, sur ses genoux et, elle, assise. Non, elle reste toujours debout, son pied gauche sur un banc ou sur le bureau d’une chaise. Sur sa cuisse gauche, elle me supporte, m’enroulant son bras gauche autour de la taille. Elle nous tient toujours ainsi, elle ne varie jamais. Suspendue de la sorte, les jambes en l’air, je gigote à l’aise et cela lui plaît, à elle aussi. Elle se met seulement à me déculotter que, déjà, fusent les rires de toute la classe qui connaît mes talents, et les apprécie. Le succès que j’obtiens, à chaque fois, flatte mon amour-propre et je n’omets jamais de m’évertuer à gambader.

Et la Roussin aussi s’évertue en ce qui la concerne. Elle a une grande patte osseuse qui cingle sec les fesses des gamines. On les redoute, ses fessées. Moi, je suis d’attaque. Elle peut y aller carrément. Mes petites fesses dures la supportent, sa fessée de fesseuse maigre aux doigts de bois fichés sur sa paume plate comme des bâtonnets écartés en éventail.

J’aime mieux les fessées de maman, certes. Mais, cela ne fait rien, je ne cane pas et je les encaisse sans un cri, sans une larme, les fessées qu’il nous semble que la Roussin nous applique avec une planchette.

J’entre à quatorze ans, en apprentissage, dans une imprimerie, et affectée d’abord au cartonnage. Il y a sept, huit arpètes. On les fesse.

C’est le contre-maître qui s’en charge. Ces fessées-là, alors, c’est un plaisir à côté de celles de l’école ou de la maison.

Il est indulgent. Le gaillard ne s’embête pas, c’est visible. Et, Bellevilloise ne demandant qu’à se dessaler, je m’en rends compte.

Parfois, pourtant, quand ce qu’on a loupé représente un dommage appréciable, il fesse plus consciencieusement. Oui, cela alors, cela commence à être une fessée.

Certes, c’est loin de celles de maman, loin des fessées de la Roussin. Mais, enfin on les sent. Il y a des arpètes qui en chialent. Quelles gourdes ! Moi, non. Au contraire, j’en rigole en dedans, tout en gigotant, gigotant. Gigoter, décidément, c’est mon fort. Je voudrais m’en empêcher que je ne le pourrais pas : je dis cela sans fausse modestie. Vrai, je n’ai aucun mérite à me démener comme une possédée, c’est plus fort que moi. Il suffit qu’on me claque les fesses une dizaine de fois et me voilà partie ! Et si la main connaît son affaire, si c’est une main qui s’entend à stimuler une paire de fesses, oh ! alors, je ne m’arrête plus. Je suis comme le cheval de sang qui reconnaît tout de suite le bon cavalier.

Avec le contre-coup, je vois bien que cela lui plaît, quand il me tient sous son bras et qu’il m’applique ses vingt-cinq ou trente claques habituelles. Ces claques-là, de sa grosse main d’homme, d’ouvrier manuel, cela ne cingle pas, c’est simplement brutal et lourd. Mais, entraînée au point où je suis, il y a des jours où je fais exprès de louper quelque chose qui compte, pour le faire accourir. Je suis contente quand il m’empoigne, me colle sous son bras et me retrousse. Les autres arpètes se tordent, les ouvrières aussi et les cinq ou six hommes qui sont là ne s’en privent pas davantage.

Mais je songe qu’il me fesserait mieux si l’on n’était que nous deux. Je vais avec intention sur son passage, dans la cour, en revenant du petit endroit. Je m’attarde, je fais comme si je musardais. Dans la resserre des couleurs, des vernis, qui donne sur la cour et où il n’y a personne, il l’aurait belle, là, à me fesser comme je voudrais tant qu’il me fesse.

Il est beau garçon, brun, bien taillé, trente-cinq ans. Il me jette :

— Qu’est-ce que tu fais là, feignante ?

Je ricane. Je ne me presse pas de rentrer. Je traîne autant que je le peux. Je fais semblant de regarder des images que les ouvriers ont collées sur la porte : des images découpées dans les petits journaux pour rire.

Qu’est-ce qu’il attend pour me fesser dans la resserre ? Il ne voit donc pas que je ne demande que cela ? Mes yeux pourtant doivent bien avoir l’air de le lui dire…

Ils lui crient, mes yeux : mais prends-moi donc !

Prends-moi donc, bougre de tourte ! D’un bras, attire-moi dans la serre… De l’autre, pousse la porte et, tout de suite après, relève-moi ma blouse ! En dessous, tu sais bien que je n’ai que cela sur ma culotte. Tu la connais, ma culotte ? Déculotte-moi, ne te gêne pas. C’est ce que je veux : je te les donne, mes fesses, pour que tu les claques. Ce n’est pas moi qui crierai au scandale. D’abord quand j’ai dit à maman qu’on fessait les arpètes à l’atelier, elle m’a répondu qu’on avait bien raison. Va donc : il est quatre heures, le personnel vient de sortir pour le casse-croûte. Ce n’est même pas la peine de fermer la porte, tu peux claquer à ton aise, personne n’entendra. Et puis quand même quelqu’un viendrait et le verrait, tu sais bien que cela ne ferait rien. Vas-y donc alors, fesse-moi ! Elles sont belles, mes fesses, tu ne trouves pas ? Elles sont dures, toujours, comme quand j’étais gosse, mais j’en ai bien plus : en un an, elles ont poussé, c’est épatant ! J’en ai une belle paire ! qu’attends-tu ? Des fois, tu me les pelotes, déjà un petit peu, vas-y, prends ton temps !…

Oh ! la sinistre pochetée ! Il n’a rien compris !

Zut ! faudra ce soir, que j’aie à tout prix une fessée de maman. J’en ai trop envie. Mais je penserai à lui.

Elle, au moins, elle m’en donnera une bonne. Avec ma frangine Clara, on s’en fiche l’une à l’autre ; mais, ce n’est pas celles-là qu’il me faut. J’en veux des bonnes, à présent…

Oh ! que j’aime cela ! que j’aime cela !

Où trouverai-je quelqu’un, autre que maman, qui me comprenne et qui soit à la hauteur de mes désirs violents ? Sera-ce un homme ? sera-ce une femme ? Les hommes ne savent donc pas cela, qu’il leur faut de bonnes fessées, aux filles en chaleur ? Oh ! ce contremaître, quelle andouille !

Alors, ce sera une femme ? Oui, elles, au moins savent cela, fesser les filles comme il faut ! À preuve, maman. À preuve, Mademoiselle Roussin.

Huit jours, quinze jours se passent… Ô bonheur, j’ai trouvé !

C’est au bal que je l’ai trouvée, celle que je cherchais.

Dans un petit bal musette, rue de Crimée. J’y vais avec mes deux sœurs. Maman ne veut pas, mais tant pis. Cela nous vaut des fessées, tant mieux. On en est quittes pour serrer les fesses.

J’y fais connaissance de plusieurs poules. Je fuis les hommes, je me contente de danser avec eux ; mais, ensuite, je les laisse tomber. J’accepte une grenadine, c’est tout : bonsoir !

Il y a de jolies filles, dans mon genre, qui ne s’en laissent pas conter non plus. C’est surtout entre nous que nous dansons. D’abord, elles tanguent mieux. Avec elles, c’est une caresse qui me grise, de tanguer, Et puis, elles sentent bon.

Et l’on cause. On se retrouve. Il y en a trois avec qui je sors, le dimanche d’après.

On va à Romainville, aux Lilas. Sur les trois, il y en a deux déjà de qui je sais qu’elles ne comprennent rien, mais rien du tout, à mes insinuations. J’ai beau leur tendre la perche, elle ne la saisissent pas. En vain, je fais la gosse, je les provoque, pour leur suggérer de me fesser je leur claque le derrière, par dessus la jupe.

C’est en pure perte avec ces deux cruches.

Mais l’autre, la troisième, marche…

Cela me suffit. C’est elle qui cueille ma rose.

Elle a vingt ans. Elle est fleuriste. C’est une belle fille, châtain foncé. Un teint : une merveille ! Elle travaille dans le centre, mais elle demeure de l’autre côté des buttes, rue des Annelets. Je la connaissais de vue, je la trouvais jolie. Je ne me doutais pas que ce serait ma première conquête, quand je la voyais passer devant moi, rue Manin, et que j’admirais sa démarche cadencée. Elle a des jambes superbes, dans mon genre.

On avait causé, vous ai-je dit. C’est moi qui ai parlé de fessées, la première. Vrai, je suis bien tombée. Elle aime fesser. Ses copines, elle en fesse plus d’une, la coquine !

Mais elle demeure chez ses parents, ce n’est pas commode. Alors, on trouve une combine. Elle a une amie à Bagnolet.

Le dimanche, on part le matin. C’est elle qui régale. On déjeune chez un bistro et, à une heure, on est chez son amie qui, gentiment, nous prête sa chambre et s’éclipse. Des fois, elle n’est pas là et nous laisse sa clef chez la concierge.

Nous refaisons cette partie tous les dimanches, pendant six semaines. On est folles l’une de l’autre.

Elle a vingt ans, je l’ai dit. Elle s’envole de chez ses parents. Elle en avait l’âge : qu’aurait-elle fait en y restant ? Épouser un ouvrier, un malheureux comme elle ?

Vous n’y pensez pas ? Elle, si jolie ? Elle accepte les propositions d’un monsieur chic. C’est pour moi, ce qu’elle en fait. Elle dit adieu aux fleurs et plumes : la voici dans ses meubles.

Alors, c’est facile de nous réunir. Je suis heureuse, heureuse. Nous nous aimons !

Deux ans après, je la rejoins. J’ai seize ans et demi, j’en parais dix-neuf ou vingt.

Et voilà, en gros, mon passé.

Des aventures, j’en ai eu, toujours les mêmes ou à peu près. Nous nous sommes aimées trois ans, et puis une rivalité nous a séparées. Des bêtises ! Allez, je suis sûre qu’elle pense à moi !

Et j’ai un ami, je le quitte pour en prendre un autre, et toujours comme cela. C’est l’éternelle histoire de toutes les poules.

Maintenant, me voilà avec Camille. Combien cela durera-t-il ? Longtemps, peut-être ? oui, je veux le croire.

C’est qu’elle est tellement rosse, la mâtine ! Mais, elle fesse à la perfection.

Et puis, ce qui est drôle chez elle, c’est qu’elle n’aime pas être fessée. Oh ! pas du tout, alors. Il y a en qui cumulent : c’est même le plus grand nombre. Elle, ce n’est pas son cas.

Non, pas du tout. Je vais vous dire pourquoi. Cela va la faire enrager de savoir que je vous l’ai répété. Elle fume qu’on lui rappelle cela. Elle n’avait qu’à ne pas me le dire, je ne l’aurais jamais su. Quand elle me l’a avoué, c’est après que je lui avais dit que, moi, ma dernière fessée de maman c’est à dix-huit ans et demie que je l’ai reçue. Oui, un jour, je ne sais pas pourquoi, j’avais eu l’idée d’aller la voir. Il y avait plus de deux ans que j’étais partie de chez nous, un beau matin.

Quelle inspiration malencontreuse avais-je là ?

Sitôt entrée, je vois maman pâlir. Mais, elle m’accueille bien, nous nous embrassons. Même, la voilà qui pleure de grosses larmes, qu’elle ne pense pas à essuyer.

Je lui raconte mon histoire :

J’étais heureuse, ayant un bon ami que m’avait fait connaître Louise et qui me donnait tout ce que je voulais.

Et des fessées, oui, par dessus le marché ; cela, je le garde pour moi, je n’entre pas dans ces détails qui ne la regardent pas.

Elle me laissait aller. Elle paraissait contente. Je me disais : cela va, cela se passe mieux que je ne l’espérais.

Et je continuais.

Quand j’ai eu fini, je m’arrête. Elle se lève, elle sert des petits verres. Trois, et la bouteille de Raspail. Je ris : c’est donc toujours cela qu’elle aime ? Je lui en apporterai. Avec une belle pipe d’écume pour papa. Mon ami en est fabricant.

Mais pourquoi, trois petits verres ? me dis-je. Nous ne sommes que deux.

Elle s’absente une minute, revient avec la mère Emeri Toujours la même, elle n’a pas changé, la mère Emeri.

On cause gentiment, je dévide mes petites histoires, que je recommence. Je leur parle de mon bien-être, de mon intérieur, de mon lit de cuivre, de mon mobilier de Mapple. J’ai un piano. Je n’en joue pas, c’est pour garnir. Cela fait riche.

Maman ne disait rien. J’avais fini pour le moment, la voilà qui se lève :

— Mais, ce n’est pas tout ça… À nous deux, à présent…

Et la voilà qui me saute sur le poil, comme autrefois, comme quatre ans auparavant. Elle m’attrape de la même façon et, avec moi dans ses bras, bien agrippée, elle se rassied, m’étend sur ses genoux, retrousse ma robe en surah de chez Paquin, comme elle retroussait jadis ma petite jupe de coton à treize sous le mètre, et me déculotte en cinq secs…

Et alors, mon pantalon de quinze louis rabattu, je reçois une fessée, mais une fessée !… je croyais que chaque claque m’enlevait la peau de la fesse sur laquelle c’était tombé.

Et cela dure longtemps… tellement que moi, pour le coup, je chialais, je chialais et je gueulais, je gueulais !

Et la mère Emeri rigolait, rigolait, et maman claquait, claquait, jusqu’à ce que ce soit assez, à son idée. Alors, elle me plante sur mes pieds, me met dans la main mon toquet en lophophore de chez Lewis, que j’avais enlevé pour le leur montrer, et, ouvrant la porte, me pousse sur le carré d’un grand coup de pied quelque part.

— Allons, ouste ! et que je ne te revoie plus, salope ! choléra ! fumier !

Et tout le long de l’escalier que je descends en vitesse depuis son cinquième, j’entends les portes qui s’ouvrent et les voisines, dont la plupart ont entendu l’éclat de ma fessée, approuvent avec ensemble la potée d’horreurs qui, accompagnant ma déroute, me dégoulinent sur la cafetière, par-dessus la rampe.

Eh bien ! avec elle, Camille, la chose ne s’est sûrement pas passée comme cela, parce que sa famille appartient au monde distingué, mais voici ce qui lui est arrivé quand même, à Mamzelle Camille, qui aime tant fesser les autres, mais qui ne veut rien savoir quand on lui rend cela, même moitié moins fort…

Elle prétend qu’elle n’en a plus reçu, après onze ans, des fessées ?

Eh bien ! elle a du toupet ! elle en a eu une, d’abord à seize ans, devant Madame Henry, pour avoir été rencontrée avec un jeune homme. Elle en a eu encore une autre, à dix-neuf ans.

Pour la même raison. Mais, ce n’était pas avec le même jeune homme. Voilà la seule différence.

À dix-neuf ans, vous entendez ? à dix-neuf ans ! Et c’étaient, l’une et l’autre, des fessées tout ce qu’il y a de mieux, à ce qu’elle m’a dit elle-même.

Répétez-le lui, que je vous l’ai dit, vous verrez ce que vous la mettrez à feu !

Et la dernière fois surtout, elle ne l’avait pas volée.

Elle en resta marquée un mois !… Un mois !

Elle venait de perdre sa fleur d’oranger. Oui, à dix-neuf ans. Mais, elle, du fait d’un monsieur. Sa mère l’avait su par une amie qui, l’ayant rencontrée sortant de chez le type, était venue le lui dire. Elle l’avait rencontrée sur le palier où demeurait justement quelqu’un de connaissance. Et ma Camille fut forcée d’avouer. Il y avait un mois que cela durait. Deux fois par semaine.

Du reste, avec Madame Henry, sa mère l’ayant passée à la visite, impossible de nier.

Avec ses idées, elle ne pouvait pas lui pardonner cela, sa mère. Elle était dans une fureur ! elle l’aurait tuée ! Madame Henry dut la lui arracher des mains… En sang, vous entendez, en sang !

Elle la claquait avec une telle rage que la peau de chaque fesse était coupée en plusieurs endroits ! Le sang giclait ! et sa mère claquait, claquait quand même !

Si avec ses frères les fesses leur fumaient, avec elle, quelle fessée c’était, de meilleure qualité encore !

J’ai vu, vous savez où, des déchirures pareilles, produites rien qu’à la main, sans verge, ni rien d’autre. C’est curieux à voir, ces coupures, longues d’un centimètre, et nettes, comme faites au canif ! C’est la peau gonflée de sang qui a crevé sous les bouts des doigts. Les ongles n’y sont pour rien. Vous parlez s’il a fallu qu’on claque ! Moi, ce que je vous raconte avoir vu, comme marques de ce genre, les fessées avaient été données par des hommes. Paraît qu’ils étaient costauds. Eh bien, il fallait qu’elle en ait de la poigne, sa petite mère !

Vous jugez de la tête de Camille, à présent, quand on lui en parle, avec son sale caractère ! Quand nous nous chamaillons, je lui rappelle en douce la dernière fessée de sa maman. Cela la met dans une rogne, dans une rogne extraordinaire !

Moi, je ne la plains pas. Vous non plus, dites ?

C’était bien fait, hein ?

Et vous n’êtes pas de mon avis ? franchement ne croyez-vous pas que, de temps en temps, c’en est de comme cela qu’il faudrait à ce petit chameau ?