Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 193-210).

X

CES MESSIEURS

Le récit rapporté ici nous a été fait, il y a trois ans. Mais les faits allégués remontent, comme on le verra, au commencement de l’été 1914.

On ne s’appelait pas comme maintenant. Moi, qui m’appelle aujourd’hui Louise, je me nommais autrement. Ça commence par un L. Cherchez, vous ne trouverez jamais. C’est un nom bien du Nord, un nom qu’on ne connaît pas ici. Un nom à coucher à la porte !

Quant à elle, qu’on appelle ici Flora, le sien c’était Flore. C’est un ami, à Paris, qui lui a conseillé de modifier ainsi son nom, rapport à une histoire d’examen ; je ne me rappelle plus tout ce qu’il a raconté. C’était un type instruit. Pour moi, un curé en civil et il lui disait qu’il lui convenait bien, ce nom de Flora.

Toutes les deux de Roubaix, on était ensemble coupeuses en 1914.

On avait vingt ans. C’est le bel âge, dites ! Moi, de mars, elle d’avril. Vous voyez qu’on est presque jumelles, mais pas du même père, ni de la même mère.

Mais, on était du même endroit. De la même rue, qui se nomme route de Croix. Tiens, vous la connaissez ? Oui, c’est une belle voie. Nos parents se fréquentaient. Les deux pères, comme les deux mères avaient travaillé en même temps dans les filatures.

Flore et moi, on ne se quittait guère. On se retrouvait dans les ateliers, et le soir, on allait au bal, de compagnie.

Voilà qu’en même temps on nous débauche d’où l’on était. Ensemble nous entrons chez des coupeurs, deux associés.

C’étaient des enfants du pays, qu’on connaissait bien, deux vrais « lillots ». Ils avaient, ils avaient, voyons, trente-deux ans, puisque l’un et l’autre, de la classe 1909, celle de mon oncle Jules.

On était pas mal payées et il devait y en avoir pour un an d’assuré à rester là, vu les commandes. Ils venaient d’être plaqués par leurs ouvrières. L’une se mariait, l’autre enceinte, dans son sixième mois. Fallait qu’elle renonce à travailler. Vous pensez, on est presque toujours debout, et c’est dur d’actionner les découpeuses électriques.

Ils étaient rigolo. On blaguait toute la journée. Tout en travaillant ; car, pour le boulot, il n’y a pas à dire, on était sérieux. Du reste, avec ces outils-là, il faut être à ce qu’on fait. Sans quoi, il y a du risque.

Mais, ils avaient le mot et, comme on était pays, tous les quatre, on s’entendait.

Dans le Nord, vous le savez bien, on aime à rire. Mais, ça n’allait pas plus loin et, comme Flore, pas plus que moi, n’était bégueule, on les laissait dire tout ce qu’ils voulaient du moment qu’il ne s’agissait de rien d’autre.

Ils n’auraient pas demandé mieux que cela aille jusqu’au bout. Mais, comme ils savaient qui nous étions et qui nous fréquentions, ils se l’étaient tenu pour dit, une fois qu’on les avait remis à leur place, tout de suite, dès leur première tentative de s’offrir nos personnes, tout simplement.

Flore, c’était la belle fille qu’elle est. C’est tout dire. Un beau morceau, comme on dit. Des pieds à la tête, rien à lui reprocher. Du teint, de la dent, de la gorge tout, tout ! La belle blonde, quoi ! Des cheveux crépelés admirables. Dans ce temps, on les portait. En casque, elle, et ça lui allait, je ne vous dis que ça, quoi qu’elle soit vraiment chic aujourd’hui avec la coupe à la garçonne.

Et des jambes, des jambes ! Et des fesses ! Vous parlez, alors ! Oui, il y avait du pelotage, avec elle.

Quant à moi, j’étais pas mal, vous devez vous en douter. Châtaine, mais grande et bien taillée comme elle, je faisais bien à côté. Et moi aussi, j’en avais des fesses.

Et plus de tétons. Oui, autant que maintenant.

Autant de cuisses qu’elle ; pas autant de fesses et pas de la même forme, mais belles aussi, dans leur genre.

Elle, elle en avait une de ces paires, ce n’est pas pour dire, qui donnaient à n’importe qui l’envie de les tâter ou de les claquer. Même les femmes, ses fesses les tentaient, plus larges que les miennes.

Chez moi, elles étaient plus en relief. Sans doute parce que je cambrais de mon naturel.

Vous avez dit que vous les aimiez mieux, les miennes. Vous n’êtes pas le seul et je ne veux pas vous démentir. Il y en a qui préfèrent les siennes. Ainsi, tenez, chez la Sever, cela arrivait.

C’est une affaire de goût. Les uns en tiennent pour le derrière large ; les autres pour le derrière étroit, saillant. Il n’y a guère à discuter des préférences. Quand il s’agit de derrières surtout, c’est une affaire personnelle, les préférences.

Mais, pour la fermeté, par exemple, on est pareilles, dites ? Quand on serre les fesses, elle ou moi, ça ne ferait penser à personne à de la colle de pâte ! Je crois que ma petite Flore et moi, nous casserions autant de noisettes, en une heure, rien qu’à nous asseoir dessus !

Le premier jour qu’on travaillait là, l’un des associés, Alcide, le plus petit des deux, nous avait dit déjà qu’on aurait la fessée si ça n’allait pas.

Et l’autre, Désiré, avait appuyé, disant que c’était l’habitude de la maison. Une bonne fessée, tous les jours, fallait ça aux coupeuses et toutes s’en trouvaient bien.

Nous deux, on croyait à une blague comme une autre. On n’y avait même pas fait attention. C’est une chose qu’on entend si souvent, quand on a de belles fesses !

C’est épatant, ce qu’on leur en promet, de fessées aux filles ! Si j’avais mis de côté une pièce de vingt sous, chaque fois qu’on m’a dit que j’aurais la fessée, seulement depuis l’âge de douze ans, âge auquel les hommes ont commencé à faire attention à moi, je pourrais rouler en auto ! et d’une bonne marque.

Dans le pays, plus encore qu’ici, je crois, c’est courant de parler de ça. C’est un mot qu’on prononce souvent, par là, le mot fessée.

Et on ne se contente pas du mot. Non, bien sûr. Les filles du pays en savent quelque chose. La fessée est à la mode chez nous.

Pour les garçons aussi, je vous le certifie. Des garçons à quatorze ans, à quinze ans, si vous croyez que leurs mères se gênent et se privent de les déculotter, vous auriez tort. Leurs pères aussi s’en chargent, de les claquer, cul nu. Comme les filles, d’ailleurs. Mais, elles, encore plus tard. Je me demande pourquoi, par exemple ! À quinze ans, papa m’en donnait des bonnes ; à seize ans encore, mais moins souvent et s’il n’a pas, lui, dépassé cet âge-là, maman, elle, m’en a mis encore quelques-unes à dix-sept ans. Tandis que les garçons, eux, c’était fini depuis longtemps, à dix-sept ans.

Pourquoi nous fesse-t-on, je le sais bien, maintenant. C’est par vice, allez ! rien que pour ça. Quand on fesse une grande fille, on sait bien ce qu’on fait, même quand c’est la sienne. Vous ne m’ôterez pas de l’idée que ça plaît, d’avoir une belle paire de fesses de jeune fille à claquer, ne serait-ce que pour s’exciter ! Même les femmes qui ne sont pas portées pour leur sexe, ça les excite.

Du reste, c’est comme ça, pour les hommes, entre eux. J’en ai vu qui en fessaient d’autres. Tenez, et vous savez bien où on voit ça, j’ai vu, il n’y a pas plus de quinze jours, un jeune homme qui venait pour être fessé par une autre homme devant des femmes. Des femmes, il ne lui en faut que pour le regarder, rien que pour ça. Il ne faut pas qu’elles le touchent.

Eh ! bien, le vieux qui lui claquait les fesses, il n’avait pas l’air de s’embêter et je vous réponds que ça lui faisait de l’effet. Autant qu’au jeune à être fessé. Pourtant, il ne se passait rien d’autre entre eux.

Je pensais à vous : le vieux fessait tout à fait bien : dans votre genre.

Moi, je n’aimais pas la recevoir, à l’époque. Ça ne m’est venu que quatre, cinq ans plus tard. Mais, papa tapait dur et maman aussi. Alors, cela n’avait rien de drôle du tout.

Quand, à quinze ans, je recevais une fessée de maman, j’en avais les fesses endolories pendant deux heures. Nous avions des amis où c’était pareil. Pire, même.

Une famille, entre autres, les Delsol où il y avait trois filles et quatre garçons. C’était à qui, du père et de la mère leur en distribuerait le plus. Des familles nombreuses n’étaient pas rares avant la guerre dans le Nord.

Les pauvres filles, que de fois les ai-je vues fesser ! Marie qui avait mon âge, Clémence, un an de plus et Félicité, deux ans. Cette Félicité, elle, je l’ai vue, la dernière fois, à dix-huit ans, en recevoir une de sa mère, mais, alors, oh ! mes amis, qu’est-ce que j’ai vu, en fait de fessée !

Un lundi, parce qu’elle avait été, la veille à la ducasse de Vatrelos et, malgré sa défense, avec un jeune homme qu’on lui interdisait de fréquenter. Une voisine l’y avait aperçue — c’est l’éternelle histoire — et naturellement n’eut rien de plus chaud que de le répéter à la mère.

Le dimanche d’après, Félicité me montra ses fesses, à moi et à une autre copine, il y avait comme un semis de bleus sur tout son derrière ! Vous savez, des petits ronds, la plupart du diamètre d’un pois, mais quelques-uns, du diamètre d’une cerise, plus de dix, oui, quinze, sur chaque fesse. Un mois encore, ça se voyait encore un peu ! Un mois ! Jugez des claques !

J’avais assisté, moi, à la correction, avec la voisine en question, bien entendu. Elle était venue dire ça à six heures et demie et restait à attendre Félicité, sachant bien ce que ça lui vaudrait. Le père aussi, se trouvait là. Il rentrait, sa journée finie.

J’en avais la peau d’oie ! Non ça, c’était trop. Des fessées pareilles, ça devrait être défendu. Une mère à le droit de claquer sa fille sur les fesses quand elle a fauté : ce n’est pas moi qui dirai le contraire. J’ai été bien élevée, j’en ai reçu ma part et j’approuve cela. Mais pas à ce point-là ! Certes, non. Une jeune fille, ça a des organes délicats. Si fournie en fesses qu’elle soit, ça peut ne pas les garantir suffisamment. Celle-là vous claquait un derrière de fille — ou de garçon — comme elle battait son linge ! Et si elle ne prenait pas son battoir, c’est qu’elle n’en avait pas besoin. Sa main avait une telle force que, quand elle voulait, la fessée qu’elle donnait avec, sur trente femmes au-dessus de vingt ans, prises au hasard, il n’y en a pas deux qui la supporteraient !

J’en parlais l’autre jour à un ami, de cette fessée-là. C’est une comme cela qu’il voudrait voir, une vraie fessée à la dure, sans chiqué, à une belle fille comme je lui disais qu’était Félicité. Lui, depuis trente ans qu’il ne pense qu’à ça, il n’en a jamais vu donner une seule ailleurs qu’en maison.

Eh ! bien, il trouverait peut-être cela encore plus effrayant à voir qu’excitant. Voilà ce que je lui répondais. Oui, c’est trop fort.

Mais, cela dépend des dispositions où l’on est et aussi du pays d’où l’on vient. Ça, ça plairait à des Anglais. Leurs fessées, à eux, c’est rude autant que leur gin.

Pas à des Français. Ici, on n’est pas habitué.

Ainsi, moi, pourtant, je m’amusais souvent bien — très bien, même — à voir fesser ses sœurs ou elle ; cette fois, j’étais toute retournée d’avoir vu ça, oui, presque malade. J’en avais comme un nœud dans l’estomac.

Combien de claques ? Oh ! bien plus de cent !

Deux cents, oui, au bas mot. Écoutez : je sais ce que je dis là. Je suis payée pour le savoir ce que c’est, une fessée de deux cents. Avec ce que j’ai pris par moi-même et avec ce que je n’ai fait que voir, je peux dire que j’ai de l’expérience et que je connais la question. On n’est pas pour rien connue chez la Sever, comme je le suis. J’en ai reçu de mille claques, moi qui vous parle.

Et puis, le nombre des claques, ce n’est pas ça qui fait le principal d’une fessée. C’est leur qualité, qui provient de la nature de la main qui les donne. N’y a que ça qui compte, allez ! et cinquante ou cent claques de plus ou de moins, ça ne signifie rien du tout.

Maintenant, peut-être que si, aujourd’hui, je la revoyais, cette fessée, dont je vous parle, ou une pareille et à une belle fille comme Félicité, peut-être bien que cela me ferait tout autre impression. Quand j’y avais assisté, je n’avais que seize ans. Je n’étais pas ce que je suis.

Moi, à seize ans, je préférais voir administrer des fessées simplement moyennes.

Tenez, cette madame Delsol, la mère de Félicité, quelques jours auparavant, je l’avais vue claquer un de ses garçons, le dernier, qui avait douze ans et, le lendemain, sa fille cadette, de dix-sept ans. Eh ! bien ces deux fois là, quoique différentes l’une de l’autre, ça m’avait plu tout à fait.

Le garçon, d’où j’étais, je lui voyais tout. Car elle le tenait la tête entre ses jambes et je trouvais ça rigolo.

Surtout que, mais je ne sais pas si c’est d’être claqué cul nu devant une jeune fille qui en était la cause, surtout que ça lui faisait un effet visible ! Tout ce qu’il y a de plus visible.

Pas d’erreur, avec un signe aussi certain ! Il n’y avait peut-être là nul vice de sa part et cela ne venait peut-être que des claques par elles-mêmes : le sang appelé sous la peau des fesses gagnait le voisinage. Ce n’était peut-être pas autre chose, car ça n’arrivait qu’au bout de trente, quarante claques.

Chez le jeune homme lui, vicieux au possible, c’était tout de suite, avec son ami de rencontre qu’apparaissait ce signe. Mais, chez le gosse, ou chez ses frères, car avec eux aussi c’était pareil souvent, il fallait qu’on les eût déjà assez bien fessés.

À moi aussi, ça m’avait fait de l’effet. Ce n’était que depuis peu que la vue des fessées m’en produisait.

Mais ça m’en fit encore plus, le lendemain, avec sa sœur, Clémence.

À dix-sept ans, Clémence faisait un beau brin de fille. Je les trouvais jolies, ses fesses, surtout rougies. Une peau de blonde, les fessées ça fait si joli ! et, il n’y a pas à dire, c’est chic à voir, un derrière de blonde une fois bien fessé. Comme c’était sa préférée, sa mère la claquait en douceur.

Relativement, car, avec sa main, une fessée claquait toujours, quelle que fut son indulgence du moment. Je peux en parler, car elle me l’avait donnée une dizaine de fois. De dix à treize ans.

En même temps que Clémence ou Marie, avec qui je faisais quelque blague, je recevais la même correction. Elle n’avait pas besoin d’en demander la permission à maman. À l’occasion, maman en faisait autant à ses filles ou à ses garçons. Mais, de maman ce n’était rien à côté. La main de la mère Delsol, vous parlez d’une main dure ! J’en garde le souvenir de ses dix fessées, je pourrais vous les raconter toutes, une par une. À chacune, je pleurais tout ce que je savais, dès la dixième claque. Sa grande main rouge, durcie par l’eau froide où elle trempait toute la journée, sa grande main où il ne devait pas y avoir de graisse sous la peau, mais rien que du muscle et de l’os, quand elle vous l’appliquait bien en plein sur vos fesses, vous savez, ça vous aurait dégoûté de la fessée si vous aviez en le vice d’aimer la recevoir, vice qu’ont bien des gosses, garçons ou filles.

Moi, je ne l’avais pas.

Moi, si je ne l’aimais pas pour mon compte, la fessée, ça ne m’empêchait pas de me plaire à celles qu’elle donnait devant moi à d’autres. Même à Clémence que j’aimais le mieux de toutes, pourtant. Non, je reconnais que j’éprouvais quelque chose. Dame ! les fesses jolies, la fessée réussie, et les quinze, les seize ans que j’avais et où je commençais à me sentir, dites, c’était assez pour que j’aie du plaisir. J’en avais, je ne le cache pas. Je n’arrêtais pas de vibrer, comme vous dites. À la fin, oui, arrivait ce que vous dites. C’est le contraire qui eût été étonnant.

Comment ? vous demandez si j’y repensais, dans mon lit, ensuite ? Vous êtes drôle ! à qui ça n’aurait-il pas donné des idées ? Je comprends bien ce que vous voulez dire, allez !

Aussi, voici ma réponse :

Comme à seize ans, j’avais ma fleur d’oranger, pas d’amoureux assez attitré encore pour me calmer, fallait bien que j’y arrive toute seule. Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, vous, malin ?

Pour en revenir à mon histoire, car c’est vous qui me faites perdre le fil — vous m’interrompez tout le temps avec vos questions ! vous auriez dû vous mettre vicaire ; je vous vois d’ici, interrogeant les petites filles ! — pour en revenir à mon histoire j’en étais donc à cette menace des patrons, à la fessée que nous aurions si ça marchait de travers.

Je vous disais qu’on n’y avait pas fait attention seulement.

Le lendemain, ça recommence. Cette fois, c’est l’autre qui en reparle le premier. Désiré, le plus grand des deux. Il a bien dix centimètres de plus qu’Alcide qui est moyen. Lui, Désiré, il avait servi dans les cuirassiers. Les cuirassiers, c’étaient tous des gars du Nord. Il est blond, tandis qu’Alcide est brun. Il y a beaucoup de bruns chez nous : on dit que cela vient du temps des Espagnols. C’est bien possible.

Nous en rigolons, Flore et moi. Et on répond sur le même ton. Il répète ce qu’il a dit et Alcide s’en mêle. Oui, on aura la fessée toutes les deux.

On revenait de déjeuner, on allait se remettre au travail. Ça ne nous déplaisait pas qu’on blague un peu auparavant. C’était toujours ça de pris. Au commencement de juin, il faisait bon. Vous vous rappelez l’été de 1914. On n’avait que sa blouse de toile écrue qui descendait à quinze centimètres plus bas que le genou.

Donc, Alcide nous fait :

— Ça vous arrivera, c’est sûr et vous n’avez qu’à dire chiche ! vous l’aurez tout de suite.

Alors, Flore, qui était pire que moi pour répondre à leurs blagues, dit :

— Chiche !

Oh ! alors, qu’arrive-t-il, à quoi on ne s’attendait pas ? Ça, je vous jure, qu’on ne s’y attendait pas !

Voilà Alcide qui me saute dessus et Désiré sur Flore.

Et en même temps. Ils s’étaient donné le mot, bien sûr, pour agir avec cet ensemble et cette précision. C’est avec les autres avant nous qu’ils s’étaient fait la main. À force, ils avaient attrapé le truc.

Nous voilà, toutes les deux, prises par la taille, de la même façon, sous leur bras gauche, et, cinq secondes, tout au plus après que Flore ait eu l’idée malheureuse de répondre chiche, nous sommes déjà déculottées, l’une et l’autre pareillement.

Oui, déculottées ! Ils nous la rabattent, notre culotte fermée, à croire qu’ils n’avaient fait que ça de leur métier, tellement l’opération s’était effectuée en vitesse et dans la perfection. Et vlan, vlan, les claques nous arrivent, précipitées.

Nous rions, certes ; mais, c’est égal, ça n’est pas un jeu, ça ! Non, c’est une fessée, c’en est une, il n’y a pas à dire non, c’en est une bonne !

Oh ! les rosses. Ce qu’il me claque, cet Alcide ! Maman ne m’a jamais claqué si fort. C’est presque une fessée de la mère Delsol. Bien entendu, pas celle à Félicité que j’ai racontée qui était exceptionnelle. Mais, une, de ses fessées ordinaires.

Oh ! non ! assez ! assez ! On en a assez ! non, non, nous ne voulons plus. On se débat, mais, rien à faire, faut que nous la prenions jusqu’au bout, leur fessée qui est une correction et même une soignée. Jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à ce que nous ayons toutes les deux les fesses pourpres, pourpres, tenez comme la couverture de ce livre.

Car, il nous forcent à nous les regarder mutuellement nos fesses qu’ils ont claquées à qui mieux mieux. Ils nous tiennent comme cela deux bonnes minutes pour que je les voie bien, ses belles fesses larges que vous connaissez maintenant et qui, à vingt ans, étaient les mêmes.

Et elle, Flore, elle peut les voir, les miennes qui n’ont rien à envier aux siennes pour la couleur.

Et après, ils nous regardent nous reculotter. Ils se tordent. Ce qu’ils sont contents, ce qu’ils sont contents !

Oh ! les rosses ! On a l’air de rire, toutes les deux. Ce serait si bête de se fâcher ; mais, vrai, ils ont été un peu fort.

Et, tous les jours comme cela. Nous avions notre fessée, c’était réglé. Seulement, ils changeaient. Tour à tour, chacun d’eux prenait l’une de nous et le lendemain l’autre. Mais Alcide, tout de même, c’est Flore qu’il fessait le plus souvent, tandis que Désiré, je voyais bien qu’il en tenait pour moi. Comme Alcide était le plus petit des deux hommes, naturellement il prenait la plus grande des deux femmes ! C’est toujours comme ça. En maison, les petits hommes choisissent toujours les grandes femmes. Les aztèques, on peut en être sûr, choisissent les poules les plus colosses de l’établissement.

Et les grands, eux, en pincent pour les petites femmes, des gosses auprès d’eux.

Ça tombait bien. Moi, j’aimais mieux que ce soit Désiré qui me fesse. Il claquait moins sec. Et puis, sans vous peloter positivement, il vous maniait un peu les fesses avant. Ça prépare bien et on prend bien mieux la fessée. Mais, il n’a fait comme cela qu’au bout de quelque temps.

On avait fini par s’habituer. On se laissait faire. On ne résistait plus. Comme on était sûres d’y passer, valait mieux en prendre son parti.

Et ça ne nous faisait pas de mal, n’est-ce pas ? Il faisait chaud, ça nous réveillait. Moi, il y avait trois ans que je n’en avais pas reçu. Les premières, ça me semblait cuisant. Mais, je m’y étais refaite vite : maintenant, ça allait tout seul.

Au contraire, je me trouvais bien. Je me sentais plus d’attaque pour le boulot, c’est positif. Ça me mettait en train, c’est étonnant.

Sûrement que c’est bon la fessée ? Pour tout le monde, je crois, mais pour les femmes, c’est épatant, il n’y a pas de doute. Elles devraient toutes le savoir, pour s’éviter des malaises. Une bonne fessée, c’est ce qu’il faut aussi pour chasser les idées d’ennui qu’on peut avoir. Moi, quand je n’en ai pas reçue de la journée, je m’en fais donner une en rentrant par Flore. Tout de suite après, c’est épatant, je n’ai plus le cafard.

Bientôt, ça m’aurait manqué, qu’ils ne nous fessent plus. Et puis, ça coupait les demi-journées. Car ça n’avait pas tardé que ce soit le matin et le tantôt. Comme ça, chacune l’avait de chacun, chaque jour.

Je ne sais pas si c’est Flore ou moi qui leur avait dit, la première fois, qu’ils devraient bien nous offrir l’apéritif. Ils ne s’étaient pas fait prier. Mais, depuis, c’est comme ça qu’ils appelaient la fessée qu’ils nous donnaient : Alcide disait à Désiré :

— Dis donc, c’est-il pas le moment de leur offrir la bleue ?

Ils ne nous tenaient pas toujours sous leurs bras. Non, des fois, ils nous mettaient sur eux. Comme les gosses, sur les genoux de la mère ou du père. Nous, on aimait mieux ça. D’abord, on se repose et le temps qu’ils prenaient alors bien davantage, assis sur des tabourets, de regarder à leur aise nos fesses si bien exposées c’était autant de temps en moins qu’ils passaient à nous les claquer.

Et nous, pour le coup, vautrées sur eux, si nous ne le pouvions avec celui qui nous tenait nous pouvions voir celui qui tenait la copine, voir ces yeux qu’il faisait en l’examinant.

Et il y avait aussi, ne manquant jamais, un signe à quoi nous jugions, chacune par celui sur les cuisses de qui elle était, de l’effet que ça leur produisait, et ça nous faisait rigoler, Flore comme moi, de les laisser en bobine ensuite, allumés comme nous avions pu sentir qu’ils l’étaient.

Ah ! ils n’auraient pas demandé mieux qu’on les laisse calmer leur énervement. Mais, il n’y avait rien de fait.

Nous connaissions leurs maîtresses. Désiré, il avait, lui, la fille d’un patron d’estaminet de la rue de la République. Nous avions été à l’école ensemble. Et Alcide, une femme mariée, la femme d’un employé au chemin de fer, travaillant de nuit. Il couchait avec elle trois fois par semaine. Elle était d’Armentières. Vous parlez d’une belle femme. Décidément, il lui en fallait des taillées. Ayant quelque chose comme paire de fesses, il avait de quoi faire avec elle.

Pour nous, il en eût été ainsi, je ne sais combien de temps, et peut-être bien que ça aurait tourné finalement comme ça doit tourner un jour ou l’autre entre hommes et femmes vivant ensemble huit heures par jour, quand arriva ce que vous savez.

Oui, c’est la guerre seule, qui nous empêcha de la recevoir plus longtemps leur sacrée fessée, qu’ils aimaient tant nous donner.

Le jour de la mobilisation, tout s’arrêta, le travail comme le reste. Et la classe 1902, vous savez quand on l’a appelée.

Nous deux, avec nos sœurs, on était parties pour Paris, où l’on trouverait tout de suite à s’occuper. Pensez : devant la tournure que prenaient les événements, on n’allait pas rester là à attendre les Boches. Avec tout ce qu’on racontait, les jolies filles faisaient bien de s’en aller.

Nous sommes retournées souvent au pays, depuis. Mais, eux, Désiré et Alcide, ils n’y sont pas revenus.

Ils sont restés, l’un à Souhain, l’autre à Souchez.

Les pauvres types ! On ne leur en avait jamais voulu, vous pensez bien. Ils avaient eu raison de s’amuser.

Même, si on avait su, et c’est ce qu’avec Flore on se dit souvent, on leur aurait laissé, mieux que ça encore prendre tout le bon temps qu’ils auraient voulu.