Brèves apologies de nos auteurs féminins/Mme A.-B. Lacerte

Librairie Garneau (p. 107-ill.).

Mme A.-B. LACERTE[1]



Très intéressante est la littérature de cette femme de mérite qui a eu l’heureuse idée d’écrire pour les jeunes comme Marraine Odile dans la Revue Nationale, Marraine Armelle, dans la Presse, et Tante Nine et Petite Mère dans la Patrie, et de publier pour eux en 1915 un livre intitulé Contes et Légendes.

Ces contes, au nombre de dix-neuf, nous rappellent ceux de Perreault, et sont d’une lecture agréable et captivante. Il y en a dont l’intérêt est intense. La morale de plus en est douce et pénétrante. Ils enseignent le dévouement, l’amour filial, l’obéissance, la générosité et la reconnaissance, et montrent tout ce que l’orgueil, la témérité et la désobéissance peuvent produire de mal. Et comme toutes ces historiettes frappent au plus vif l’imagination, elles nous restent dans la mémoire.

De gracieuses légendes en poésie alternent avec ces contes. Elles sont au nombre de vingt-sept, et se rattachent pour la plupart à l’Enfant-Dieu et à la Sainte-Vierge. D’une délicatesse exquise de sentiments, ces légendes chrétiennes laissent dans l’âme une profonde impression et ajoutent à nos croyances religieuses une douceur et un charme particuliers. Lisez les légendes du Myosotis, des Roses, des Hirondelles, du Ramier, des Oiseaux, le Fil d’Or de la Vierge, le Manteau de la Vierge, la Première Communion de la Vierge.

Mme Lacerte cultive aussi avec succès la musique ; dans le Passe-Temps nous avons vu plus de cinquante de ses compositions musicales dont plusieurs ont eu l’honneur de la première page.

Mme Lacerte a aussi composé un bon nombre d’opérettes, saynètes et comédies qui ont toutes été interprétées à Ottawa depuis 1908. Voici leurs noms :

Opérettes : Dolora la Bohémienne — Les Châtelaines — Castel Isolé — Castel Joli — Caslel Hanté[2] — Tombée du Nid — l’Usurpatrice — Parmi les Fleurs.

Saynètes : Les sept jours de la semaine — Les deux Cousines — La Grand’Mère — Les Fées — Le Rêve — L’Agneau Divin — La Rieuse — La Sourde — Qui donne au pauvre prête à Dieu — La récompense — Veillée de Noël.

Comédies : L’Anglaise — Les pensionnaires de Mme Dupuis.

Mme Lacerte a aussi fait du drame. Elle a composé Jeanne d’Arc, qu’elle a fait représenter cette année même à Ottawa, et elle vient de publier : La Belge aux gants noirs. Voici ce qu’un journal d’Ottawa en dit :

« C’est l’histoire d’une enfant belge mutilée qui plus tard, grâce à des charmes personnels et une voix ravissante, obtient de grands succès de théâtre.

« Elle a l’Allemand en horreur. La fillette de son bourreau qui pénètre dans ses appartements, dans un accès de haine de l’ennemi, est mise à la porte au milieu de la nuit, par un froid rigoureux. C’est le crime.

« Ce drame en trois actes est passionnant à chaque moment. Les décors sont simples. Il tire son intérêt de la maîtrise avec laquelle l’auteur développe son thème dramatique. »

Le même journal disait à propos de ses trois Castels :

« Madame Lacerte a du goût ; elle sait voir et sentir avec vivacité.

« Elle décrit, raconte et mène un dialogue avec une égale aisance. Elle exprime sa pensée en vers et en prose. Dans les opérettes, la musique est de sa composition.

« Ces œuvres ont une valeur et un mérite. Elles dénotent chez l’auteur des dons exceptionnels du cœur et de l’esprit. »

Mme Lacerte a aussi tenté le roman. Elle publie actuellement, dans le Courrier Fédéral d’Ottawa, un roman intitulé : La Gardienne du Phare, dont on dit beaucoup de bien. Elle vient aussi de publier, sous le titre Némoville, un autre roman de 150 pages, illustré, dont M. Rémi Tremblay a fait ressortir l’intérêt et le mérite en ces termes dans un journal d’Ottawa :

Némoville : — « Tel est le titre qui s’étale en caractère gras au frontispice d’un nouvel ouvrage dû à l’alerte plume de Mme A.-B. Lacerte.

« Le mot est nouveau mais il évoque de vieux souvenirs. En effet, qui ne se rappelle le capitaine Némo, commandant du Nautilus si prophétiquement imaginé par Jules Verne, dans un roman dont les émouvantes péripéties ont fortement impressionné les lecteurs de ma génération, et même ceux qui sont venus plus tard dans un monde partiellement transformé par la réalisation des rêves féconds de cet illustre voyant ?

« Madame Lacerte a non seulement entrepris de ressusciter le mythe sous-marin enfanté par le précurseur de l’aviation et de la navigation sous-marine. Elle a rajeuni l’idée en l’amplifiant. Némoville ne nous offre pas seulement l’histoire du Nautilus retrouvé entre deux eaux ; l’auteur nous fait assister au groupement d’une ville sous-marine autour de la vieille épave qui avait servi à voiturer le capitaine Némo dans ses pérégrinations dont le parcours total s’élevait à Vingt mille lieues sous les mers.

« Cette ville immergée donne asile à une population exclusivement composée de Canadiens-français catholiques. Elle a son curé, deux médecins. Ses maisons sont des bateaux sous-marins reliés entre eux par des couloirs étanches qui forment des rues éclairées à l’électricité. Grâce à un mécanisme ingénieux, chaque maison, flottante ou submersible à volonté, peut se détacher momentanément et aller se ballader, quitte à revenir s’adapter de temps à autre à la commune membrane aussi fraternelle que siamoise.

« Enfin, des Canadiens-français ont trouvé en ce bas monde un endroit

Où de vivre honnête homme on ait la liberté.

« Hélas ils ne sont pourtant pas confirmés en grâce. Les passions humaines les ont suivis. Il y a là un certain médecin qui ne vaut pas cher. J’ignore s’il y a encore des juges à Berlin, mais il y en a, ou plutôt il y en avait à Némoville, et cette cité défunte avait au moins le mérite de rendre justice à qui justice est due.

En dépit de cette ombre au tableau, le livre aurait pu s’intituler : Une idylle sous-marine. Il parait que l’amour et même l’hyménée peuvent vivre au milieu des flots, des algues, des crustacés et des monstres marins.

« Lisez Némoville. C’est un livre très émouvant du commencement à la fin. L’auteur a beaucoup d’imagination, de verve et de sens poétique. On pourrait peut-être reprocher à sa phraséologie un certain laisser aller qui dénote un peu d’inexpérience, mais en somme je défie tout lecteur sérieux de ne pas s’intéresser jusqu’au bout au sort des personnages.

« Malheureusement la ville de Némoville n’existe plus. Elle a été détruite par ordre de son gouverneur. Sans cela plus d’un de nous voudrait s’y réfugier. Qui sait si cet ouvrage de Mme Lacerte ne contient pas, comme Vingt mille lieues sous les mers, des données prophétiques dont nos arrières-neveux verront la réalisation ? »

Dans ses Castels nous apprenons que Mme Lacerte a fait plusieurs conférences, depuis 1915, à Ottawa et à Trois-Rivières. En voici les sujets : — Comment on s’instruit en se récréant[3]Une nuit d’hiver sur le lac St-PierreUne excursion à la Jules VerneQuelques anglicismesGaëtane de Montreuil et son œuvre. À Ottawa, on l’a entendue au Monument National, au Cercle d’Youville, et à la bibliothèque Carnegie.

Dans la Revue populaire, le Passe-Temps, le Pays Laurentien, et dans la revue Pour vous, Mesdames, elle a publié un bon nombre de nouvelles et poésies. Ceux qui les ont lues dans ces revues ou en pamphlets en connaissent tout le charme.

Mme Lacerte est donc une des plus méritantes parmi nos femmes de lettres.








  1. D’Ottawa.
  2. Ces cinq opérettes ont été publiées en brochures.
  3. Ces deux conférences ont aussi été publiées en brochures.