Brèves apologies de nos auteurs féminins/Mlle Michelle LeNormand, Mlle Yvonne Charette, Mlle Andrée Jarret, Mlle Marie-Rose Turcot, Monique
Mlles MICHELLE LeNORMAND[1] — YVONNE CHARETTE — ANDRÉE JARRET[2] — MARIE-ROSE TURCOT[3] — MONIQUE[4]
n merveilleux essor s’est produit en ces dernières années dans la littérature féminine canadienne-française, qui a fait la joie de ceux qui suivent le mouvement littéraire féminin et ambitionnent
pour lui de belles destinées.
En effet, toute une floraison de jeunes auteurs féminins a surgi qui démontre que la littérature féminine est aussi vivante que par le passé et qu’elle offre de brillantes promesses d’avenir.
Nous la devons sans doute à cette importante école d’enseignement supérieur qui nous apparaît comme un magnifique jardin où des mains habiles cultivent les fleurs les plus variées dans une atmosphère pure et sereine et sous l’influence d’un soleil vivifiant.
Les noms de ces jeunes auteurs sont bien connus ; ils forment le titre de cette apologie. Une auréole de gloire les entoure déjà, car ils ont entendu cette parole féconde de l’abbé Perrier, qui, s’adressant, à une élite féminine à Montréal, lui disait : « Soyez des valeurs sociales, intellectuelles et morales ». Ils ont eu la noble ambition d’être des valeurs de cette nature, et ils le sont devenus en écrivant ces jolis articles qui ont paru dans le Devoir au cours de la dernière décade et qui ont été publiés dans la suite en bouquins sous les titres attrayants de Autour de la maison — Couleur du Temps — Nuances — Contes d’hiver — Moisson de Souvenirs — L’Homme du jour — Brins d’Herbe.
Autour de la Maison, par Michelle LeNormand, a inspiré deux beaux articles ; l’un, à M. Léon Lorrain, poète et prosateur, dans l’Action française, juin 1918 ; l’autre, à Mlle Yvonne Charette, dans la Bonne Parole de décembre 1916.
De M. Léon Lorrain : « Mlle Michelle LeNormand, qui vient de rééditer Autour de la Maison, est un écrivain régionaliste.
« Michelle LeNormand, qui ne songe pas encore à approcher son front du cœur de l’univers, fait des tableautins familiers. Elle regarde autour d’elle et en elle, elle sait voir et comprendre, puis décrire et raconter dans un style sans prétention, clair et net, naturel. C’est alerte et frais. Sachons-lui gré de ne pas forcer son talent et de nous parler des choses de chez nous.
« Ce n’est pas un palais que la maison familiale de Michelle LeNormand, c’est une vieille maison en mortier gris-blanc, avec un long toit bas et des lucarnes. Et les personnages qui en sortent pour jouer avec leurs cousins et voisins, ce sont des gamins et des fillettes très nature. Ils sont vigoureux et joyeux ; ils trottent à toutes jambes et leurs imaginations trottent aussi ; et Michelle LeNormand nous apprend ce qui se passe dans la tête d’une petite fille. Scènes enfantines. Psychologie puérile. »
De Mlle Yvonne Charette : « L’ouvrage de Michelle LeNormand est un recueil de ses souvenirs d’enfance. Dès le début, il commande notre sympathie : une sympathie qu’on ne se reproche pas de lui avoir donnée, si loin qu’on en poursuive la lecture. Le style de l’auteur est simple et facile, vrai comme sa pensée et son cœur : le cœur des petits enfants qui “ se couchent à l’heure des poules ”, jouent tout le jour et le soir continuent dans leurs rêves “ ces jeux d’enfants qui faisaient tinter tant de rires clairs ”,
« Michelle LeNormand aura eu, par son livre, le grand mérite d’évoquer, d’une façon vivante et sereine, des choses qui nous arrachent souvent une larme, qui nous attristent parce qu’elles sont notre passé et qu’on ne le vivra plus jamais. Elle a l’art d’évoquer, sans que nous trouvions cela trop jeune, ces petits détails d’une vie d’enfants, ces souvenirs menus et puérils. ”
Couleur du Temps, par le même auteur, a été accueilli avec enthousiasme par deux de nos poètes et prosateurs : MM. Albert Lozeau et Léo-Paul DesRosiers. Tous deux ont écrit des pages intéressantes à son sujet. Voici celles de M. Albert Lozeau : « Michelle LeNormand réunit, sous un titre qui en indique assez la variété de tons, un certain nombre d’articles parus dans le Devoir et le Nationaliste. Ces chroniques — ou billets — dont aucune ne se rapporte étroitement à l’actualité, ont conservé la fraîcheur et la nouveauté de l’inédit.
« Michelle LeNormand est cette jeune fille qui, en 1910, eut l’audace de se présenter au public, — plutôt sceptique quant aux talents de son âge et de son sexe — tenant d’une main ferme un premier livre immortel ! Le public le lut d’abord pour voir ; le charme opéra, et la masse des lecteurs fut conquise au point que le petit livre : Autour de la Maison en est au cinquième mille, en attendant les autres.
« C’est que l’auteur avait fait entendre une musique nouvelle aux oreilles blasées, qu’il avait parlé des enfants de chez nous sans puérilités, — ce qui est extrêmement difficile, et qu’il avait mis sous les yeux de tous des choses que tout le monde avait vues et que personne n’avait dites aussi bien que lui. Il s’était penché affectueusement sur le coin de terre natal, avait regardé, écouté, puis écrit. Il en résulta, n’hésitons pas à l’affirmer, un chef-d’œuvre du terroir, un livre qui restera tant que des enfants canadiens joueront dans les vieux villages, autour des vieilles maisons, et tant qu’il y aura des papas et des mamans qui voudront revivre leur enfance.
« Le nouvel ouvrage de Michelle LeNormand, s’il n’a pas l’unité de composition de son prédécesseur, démontre de pareils dons de style et d’observation. Les pièces qui le composent pourraient être divisées en trois groupes principaux, sous la désignation respective : analyse du “ moi ”, d’un “ moi ” non haïssable ! — portraits ou “ caractères ” — descriptions ou tableaux de nature. Chacun de ces genres est marqué d’un signe original qui l’apparente à une personnalité bien distincte. Chaque page présente un aspect de ce riche talent. Rien de prétentieux, de tendu, de femme de lettres, mais la parfaite simplicité dans le bon sens et la joie de vivre, où les dons de l’esprit et du cœur s’équilibrent, s’harmonisent et se fondent : charme, grâce, intelligence !
« Michelle LeNormand regarde curieusement en elle-même ; elle s’examine, réfléchit, médite… En apprenant à se connaître, elle apprend à se décrire, elle et les autres, puisqu’il est un fond commun par quoi tous les humains se ressemblent. Bien qu’elle s’étonne de l’étrange complication de son “ moi ” et qu’elle déclare maintes fois n’y rien comprendre, nous pouvons en déduire que c’est déjà posséder une grande connaissance de soi-même que de se rendre compte qu’on n’y comprend rien ! C’est se connaître autant qu’il est possible que de se savoir “ divers et ondoyant ”. Ne se “ déchiffre ” pas qui veut ; l’âme est un abîme où l’on s’enfonce, où s’accumulent d’épaisses ténèbres qui n’ont pas de fin ; c’est déjà beaucoup que d’y rencontrer un peu de lumière et de la faire briller aux yeux d’autrui, par charité chrétienne.
« Michelle LeNormand revient souvent du fond d’elle-même avec des rayons dans les mains, qu’elle offre aux moins bien douées, en disant : Voyez comme je suis, voyez comme vous êtes ! La lumière qui m’éclaire vous éclaire aussi. Regardons en nous : il y a du bon et du mauvais. Extirpons le mauvais, cultivons le bon, améliorons le meilleur. Embellissons-nous, mes sœurs, pour Dieu et la patrie ! Saurait-on mieux prêcher ?
« Presque tous les mouvements de l’âme sont envisagés dans ce volume. La tristesse s’y montre quelquefois, et même l’angoisse devant l’inconnu de la vie. Mais ces troubles, ces inquiétudes sont vite maîtrisés, comme supérieurement dominés par une confiance illimitée en la divine Providence, et suivis de l’abandon serein du petit enfant dans les bras de sa mère ! Si nous ne craignions d’écraser l’auteur délicat sous le poids de termes trop lourdsà porter, nous dirions que Michelle LeNormand est par-dessus tout un moraliste pénétrant, un excitateur de bien, un professeur de vertu sociale et patriotique. Et nous ajouterions au plus vite : tout cela est coupé d’éclats de rire, de propos enjoués, d’entrain… endiablé, —— dont s’accommodent fort bien la morale et le lecteur ! Un parfum de saine jeunesse flotte entre les chapitres, un souffle frais et pur circule dans les phrases, tandis qu’une pieuse ardeur spiritualise souvent le style, qui prend alors des ailes.
« Méditez sur les morceaux suivants : Mauvais silences, Paroles vives, La Girouette, Les pires heures, Anxiété, Le Phare, etc.
« Isolons — car il ne cadre bien nulle part — l’article intitulé Psychologie dentaire, si plein de verve et d’enfantine drôlerie. Il y a là une admirable étude en raccourcis de la lâcheté commune aux deux sexes, devant la perspective d’une sieste dans le fauteuil de torture, de la peur qui temporise et retarde la fatale opération. Une page où tout le monde revit ses transes est une page parfaite.
« Un des côtés les plus brillants du talent de Michelle LeNormand consiste en une faculté d’observation aiguë. Les types, tous les personnages sortant de l’ordinaire uniformité, sont croqués sur le vif comme par un appareil cinématographique, avec leurs tics, leurs manies, leurs mouvements caractéristiques des membres et du visage, et campés sur la page gesticulants, grimaçants, nous serions tentés d’écrire : pantelants, — ridicules ou touchants. Voyez, par exemple : Attitude de quêteux’, La Commère, La Clairvoyante, etc. ; et les autres, ceux qui frappent par leur frivolité ou leur snobisme : La jeune fille bien, etc ; et ceux qui sont, presque sublimes dans leur accoutrement ancien et dont le cœur est un trésor toujours neuf : Le docteur, et encore, cette courageuse vieille paysanne qui se détache en relief : Grand’mère Audet, noble fille des ancêtres qui sauvèrent la race en l’implantant fermement dans la campagne canadienne.
« Il faut aussi s’arrêter un moment, pour l’admirer en détail, devant ce morceau de sentiment exquis : La petite fille au turban : elle est la sœur, par la délicatesse et la grâce, de cette autre petite morte nommée Gabrielle, et qu’une page d’Autour de la Maison a tendrement ressuscitée.
« Michelle LeNormand ne fait jamais de description toute pure : ses paysages sont des états d’âme, selon le mot d’Amiel. Ils n’en sont que plus vrais. Sa touche est fine, les détails abondent sans nuire à l’ensemble, les couleurs sont justes. Elle a du goût, de l’ordre, de la mesure. Elle dessine d’un trait net, sans hésitation, presque sans retouches. Bref, elle a le don. Lisez : Raquetteurs, Dans la nuit sereine, Les quais, Chez nous, chez vous, Qui me donnera…
« Si ces notes rapides avaient la prétention d’être une critique, il nous faudrait, pour donner du poids à nos éloges, reprocher quelque chose à Michelle LeNormand. On peut toujours signaler des négligences ou des faiblesses aussi bien chez un auteur jeune que chez un vieux ! Personne n’est parfait. Et puis, nous préférons avouer tout de suite que nous n’avons relevé aucun gros défaut dans ce livre. Au contraire, nous en avons goûté le style nuancé mais solide, riche mais discipliné, harmonieux et… facile, qualité que l’on remarque plutôt avec inquiétude, tant elle dégénère rapidement à l’usage. Nous sommes tranquilles pour le reste. Que l’auteur garde profondément enraciné cet amour du terroir qui le classe à part, et qui l’a élevé si haut dès son premier essai. Et qu’il continue ! »
Nuances, par Mlle Yvonne Charette, a donné occasion à Mlle Daveluy d’exercer son talent d’analyse :
« Melle Charette, nous dit-elle dans l’Action Française de novembre 1919, débute avec grâce dans le monde des lettres. Son volume de chroniques rappelle la gerbe symbolique, que tient en ses mains fines, l’adolescente conviée à sa première fête. Cette vision de jeunesse fleurie s’évoque dès que l’on ouvre le livre délicat. L’auteur penche son ardent et méditatif visage sur les fleurs dont, sans doute, elle se pare et s’entoure volontiers. Et violettes, marguerites, tulipes, blanches chrysanthèmes tendent vers elle leurs mélancoliques ou pâles corolles. D’un trait léger de plume Mlle Charette les anime. Elle scrute leur charme frémissant. Elle le définit. C’est merveille de l’entendre. Aux violettes de serre, s’épanouissant sous l’œil d’un jardinier savant, elle reproche avec douceur leur « air de mystérieuse audace », qui les rend, semble-t-il, « d’une autre famille que leurs timides sœurs du printemps ». Les pétales d’une marguerite, effeuillée d’un joli geste ancien, apparaissent à l’écrivain ainsi que « des doigts uniformément longs et blancs, autour d’un cœur jaune ». Et, quelle délicate ironie voile l’apologue où est narrée la révolte, par un soir de printemps, de hautaines tulipes blanches. « Sûrement, fait l’auteur toute triste, sûrement, les fleurs ressemblent aux hommes ! »
« Quel saisissant regard Mlle Charette pose sur les choses ! sur ce qui bruit et chante, brille et se colore, s’agite et frissonne. Sa vision se reflète dans des mots qui fixent le mouvement et l’attitude des êtres. Habilement, les vocables s’agencent, se rapprochent et s’opposent. Travail d’artiste, de chercheuse de syllabes harmonieuses et fines. Son don plastique nous étonne parfois. Elle modèle les formes fuyantes des choses en d’emblématiques figures dont elle perçoit et nous révèle le sens. La grande ombre de Verlaine, invoquée au début de l’ouvrage, la guide, sans doute, à travers « la forêt de symboles ». Peut-être aussi, « les doigts longs et blancs » de la lettrée s’attardent-ils souvent aux pages de l’auteur de Sagesse. Elle subit l’ascendant de ce beau génie du repentir… littéraire. Elle s’en libère cependant. Avec un tact discret, elle s’éloigne, allant puiser à d’autres sources sa moralité saine. Mlle Charette, et c’est là, il me semble, une note personnelle, originale, entend sans cesse une autre voix, une voix austère, limpide et grave. Son âme se rythme aux lois d’une morale très élevée. Elle est doucement dominée, disciplinée par sa foi de chrétienne. Et alors, avec quelle sérénité apaisée, sous ce charme légèrement capiteux qui la distingue parfois, Mlle Charette nous parle d’actes désintéressés, fraternels et pacifiants !
« L’auteur de Nuances nous donnera sans doute bientôt, — ses essais littéraires nous rendent exigeants, — une œuvre plus ample, plus forte, où elle gardera ce même souci de la forme délicatement ornée. »
Contes d’hier, par Andrée Jarret, sont peu connus à Québec, cependant la Bonne Parole de juin 1918, en leur consacrant ces lignes nous les fait regretter.
« Nous recevons ce petit volume de format élégant et de lecture facile. Le Conte se prête admirablement à " faire passer une vérité, comme il est dit dans la préface de cet ouvrage, à donner une leçon, à montrer très beau le devoir très pénible, à élever d’une poussée soudaine l’âme hésitante vers son idéal noble et pur ”. Telle fut l’intention de l’auteur. Elle a voulu également enchâsser dans ces petits récits — “ sertis de réminiscences d’enfance — la poésie de la vie familiale, ” des choses de chez nous. Nous devons l’en féliciter. »
'Moissons de Souvenirs, par Andrée Jarret. Dans le Devoir du 7 février 1920, on peut lire l’appréciation suivante de ce livre ;
« Voici un petit livre délicieusement pensé et écrit. Son titre modeste dissimule l’exquis roman de deux âmes d’enfants qui s’ouvrent l’une à l’autre et qui, à l’heure où se réalisent les rêves, se reprennent pour se donner à Dieu. Sur cette trame candide et tenue, courent en délicates broderies les plus menues mais aussi les plus précises, les plus pures, les plus pénétrantes études d’âme ; d’une âme d’enfant, toute en surface ; d’une âme d’adolescente toute en contrastes et en contradictions ; d’une âme virginale, toute en profondeur, en inquiétudes et en élans ; d’une âme d’ailleurs très fine et nuancée ; et ce qui à ce livre charmant confère pour nous un intérêt particulier, d’une âme du terroir, très spécifiquement canadienne. »
Puis dans un autre journal ou revue, on y lit ces lignes :
« Douée d’un talent très personnel et d’un sens d’observation très aigu, Mlle Jarret a mis dans ses récits beaucoup de couleurs et de variété. On s’intéresse comme à des héros de romans, aux personnages qu’elle nous présente et que l’on suit avec sympathie à travers les pages du livre. Ne sont-ils pas, du reste, un peu des héros, ces adolescents qui s’en vont, le front dans l’azur, vers la suprême immolation de leur jeunesse au Dieu que dès l’enfance ils ont appris à prier ? Car c’est sur un adieu au monde que se ferme ce livre, et c’est sur l’autel du sacrifice que l’auteur dépose la moisson dorée de ses souvenirs. » ”
'L’homme du Jour, par Marie-Rose Turcot. Au sujet de ce livre, un de ses admirateurs nous en donne ainsi ses impressions dans le Soleil :
« C’est un recueil de nouvelles et de contes dont le titre général est L’Homme du Jour. L’auteur est une jeune fille, dont le plus grand défaut, aux yeux des arrivistes, est d’être trop modeste — d’une modestie sincère et délicieuse. Mlle Marie-Rose Turcot n’est pas cependant une inconnue, puisque la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal l’a couronnée lors de son avant-dernier concours littéraire. “ Nestor et Piccolo ”, qui fut sa contribution, rapporta le second prix. C’est un petit bijou presque sans défauts. Et si je dis presque, c’est qu’il est toujours difficile de parler de chef-d’œuvre. Mais que ce conte fût remarquable, l’intérêt que porta à l’auteur un homme de lettres de Montréal, en est une preuve évidente. C’est grâce à lui que la publication de L’Homme du Jour devint possible. Je viens de relire le livre. La première nouvelle, celle qui en donne le titre, est un véritable roman qui souffre un peu de sa concision voulue. Pour le développement des caractères, l’analyse psychologique, — car il y a là de la psychologie, — il aurait fallu plus d’espace, de liberté d’action, et c’est pourquoi la nouvelle me semble un peu grêle, en dépit de son intérêt réel, de son charme et de sa fraîcheur. Elle se lit cependant avec un véritable plaisir. L’auteur étudie son héros, l’homme du jour, politicien ambitieux qui, petit à petit, sans s’en rendre compte, néglige sa femme, l’oublie dans ses préoccupations d’homme sérieux, mais l’héroïne, cette Gilberte, qui analyse si bien sa souffrance, éclaire avec tant de soin les “ détours de son cœur ”, est beaucoup mieux comprise, dessinée, vérifiée. On sent ici l’art féminin, le coup d’œil de la femme qui sait voir à merveille dans son cœur, celui de sa voisine, et nous fait voir toute une psychologie ingénieuse et fine qu’on chercherait en vain en de gros traités. L’intrigue, sans être bien nouvelle, est ingénieuse. Évidemment, l’auteur a écrit cette nouvelle avec un peu de hâte. On n’y trouve pas le fini des contes. Mais elle n’en vaut pas moins par la langue, le fond et la fraîcheur de l’inspiration, il y a de même de l’émotion véritable, don de conteuse, dans Isola et Tante Emma, deux nouvelles, qui me paraissent supérieures à L’Homme du Jour. Beaucoup de nouvellistes français, qu’on nous oppose avec un si ridicule parti-pris, n’ont pas fait mieux à leurs débuts. Isola, Tante Emma et La Brodeuse de Dragons sont des nouvelles que nos lecteurs trouveraient délicieuses, si elles étaient signées de Mathilde Alanic ou de Henri Ardel, et qui, telles qu’elles sont, se lisent avec plaisir, avec intérêt.
« Les contes : Les impressions d’un homme dans une carafe, Nestor et Piccolo, La Pupille de Tonton Manuel, sont, je ne crains pas de le dire, des choses exquises, d’une drôlerie irrésistible, d’un charme intime très prenant, d’une forme parfaite. Ce sont de petits tableaux d’une valeur unique dans notre littérature. L’auteur a peint là des types, — ce qui est bien la marque du véritable écrivain, — des types délicieux, pittoresques, d’un relief très sûr et cela, comme en se jouant, dans une langue limpide et vive, d’une ironie souriante et délicatement teintée d’émotion. »
Brins d’herbe. — Par Monique (Mme E.-P. Benoit.) Dans ce livre, Monique nous offre une série de petits tableaux, de croquis, d’échos et de chansons tristes.
Admirons d’abord ses aquarelles ; elles révèlent de précieux dons d’artiste ; les tons en sont riches et nuancés, ils s’harmonisent entre eux et font une vive impression. Notons, Soir d’été, Coucher de soleil, Matin de septembre.
Ses croquis sont aussi attrayants ; il y en a de superbes et qui ont du prix, tels ceux intitulés : Vision de blanc. Il pleut. Lisons Étude :
« Chaque dimanche, dans le même banc, à la même heure, s’agenouille la dame au petit chapelet. Elle est immobile et calme comme les statues appuyées aux murailles, elle respire et palpite imperceptiblement comme la lueur incertaine des lampes du sanctuaire ; ses mains qui se joignent ont la pâleur des cierges et ses cils abaissés derrière la voilette à carreaux font songer aux petites saintes recueillies, des verrières.
« Une chaîne en sautoir tient une boîte ovale où se trouve le minuscule chapelet d’argent ; il est tout petit et ferait un collier pour un nouveau-né. Mais comme la dame a les doigts effilés et des gestes gracieux, le petit chapelet semble à son aise entre ces mains-là ; il passe, revient, s’égare entre deux diamants, retourne entre le pouce et l’index, tandis que, sous la voilette, les lèvres balbutient des ave.
« À l’ite missa est, la dame replace dans son étui les petits grains d’argent ; lentement, elle met ses gants blancs, jette un coup d’œil expressif à l’horloge ; cette fois, elle regarde vraiment l’heure ; tout le temps de la messe, elle a si souvent levé les yeux vers l’horloge, comme on regarde s’avancer le soleil au crépuscule, comme on regarde forcément le temps qui passe.
« Les fidèles quittent l’église ; la dame au petit chapelet, lointaine et rêveuse, reste, écoute l’orgue qui chante sa dernière note. »
Dans ses Chansons tristes et ses Échos, il y a des choses vécues, qui lui inspirent de belles et profondes réflexions. Ce sont des pensées que l’on a pu avoir quelquefois, mais elles sont si bien exprimées, qu’elles nous paraissent nouvelles.
Monique a donné à son livre un titre trop modeste ; je lui donnerais volontiers pour titre : Brins d’étoile ou Brins de vie.
À cette intéressante pléiade de jeunes auteurs souhaitons de nouveaux succès et de nouveaux lauriers.