Bolingbroke, sa vie et son temps
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 3 (p. 1104-1143).
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BOLINGBROKE


SA VIE ET SON TEMPS.




QUATRIEME PARTIE.




XVIII.

Bolingbroke, dont le père vivait, n’était riche que de la fortune de sa femme. Atteinte d’abord dans ses revenus par la confiscation, elle obtint bientôt une provision convenable. Elle parait avoir ressenti noblement les malheurs d’un mari qui la regrettait peu, et rien ne prouve qu’elle méritât ses dédains. Swift parle d’elle avec estime, avec goût, et deux lettres d’elle qu’il nous a laissées ne sont pas d’une femme sans esprit. Il était tout simple d’ailleurs qu’elle restât en Angleterre, en s’occupant plutôt des intérêts que du bonheur de son mari. Quant à lui, il n’emporta dans son exil qu’une somme de 13,000 livres sterling ; mais ce ne sont ni les pertes d’argent, ni les liens de famille, encore moins les peines de cœur, qui lui rendaient la proscription cruelle. Le sentiment de sa chute était sa vraie douleur, qui l’irritait pourtant et ne l’abattait pas. Son esprit n’était pas fait pour languir dans le découragement. Ce n’est pas au lendemain d’un revers qu’on en mesure la grandeur : ce qui est tout nouveau parait rarement durable, et dans les premiers momens le triomphe d’un adversaire frappe comme un accident passager. Bolingbroke a écrit plusieurs fois qu’il avait de bonne heure regardé l’avènement de George Ier comme un fait irrévocable, qu’en quittant l’Angleterre il ne formait, ni dessein ni espérance du côté des Stuarts, et que les premières propositions qui lui vinrent de leur part n’avaient obtenu aucune réponse. S’il faut l’en croire, ce n’est que trois mois plus tard qu’il consentit à s’engager. Admettons, en effet, qu’il n’apportât pas avec lui la pensée que l’Angleterre fût prête à se révolter ; cette pensée, il la trouva en France. Une émigration d’outre-mer l’accréditait à Bar-le-Duc, où résidait alors le prétendant, dont les agens venaient à leur tour la propager à Versailles. C’était le sujet des correspondances du duc d’Ormond et du maréchal de Berwick. Louis XIV se ranimait à l’idée de renverser, avant de mourir, l’ouvrage de Guillaume III, et trouvait digne de sa grandeur de préparer, au mépris de la foi jurée, un armement pour la cause d’une dynastie fugitive. Torcy entrait dans ce projet, l’arrière-pensée de sa politique depuis longues années. Bolingbroke trouva sans doute qu’on était trop confiant ou trop pressé. Il pensa que toute imprudence de sa part pourrait aggraver en Angleterre son sort et celui de ses amis, car le parlement n’avait pas encore statué. Il résolut donc de quitter Paris ; mais auparavant il vit lord Stair, qui représentait en France son gouvernement, et voici ce qu’il dit en propres termes de cette entrevue dans sa lettre à sir William Wyndham : « Je lui promis de n’entrer dans aucun engagement jacobite, et je lui ai tenu parole. J’écrivis à M. le secrétaire Stanhope une lettre propre à écarter toute imputation de négliger le gouvernement, et puis me retirai en Dauphiné, pour parer à toute objection prise de ma résidence près la cour de France. » Voilà qui est positif ; cependant le maréchal de Berwick ne l’est pas moins, quand il dit dans ses Mémoires : « Au commencement de l’année 1715, milord Bolingbroke… se sauva en France. À son arrivée à Paris, je le vis en secret, et il me confirma la bonne disposition des affaires en Angleterre ; mais, ne croyant pas qu’il convint encore qu’il se mêlât publiquement des affaires du jeune roi, il se retira à Lyon, d’où, après quelques mois, nos amis lui mandèrent qu’il eût à revenir à Paris, ce qu’il fit, et alors nous agîmes de concert en toutes choses. »

Tout s’explique. À l’époque du passage de Bolingbroke à Paris, le bill d’attainder n’était pas rendu. Ce n’est que dans les premiers jours d’août que Walpole vint, au nom du comité d’enquête, porter devant la chambre des lords ses redoutables accusations. On conçoit la prudence de Bolingbroke et pourquoi il se retira à Saint-Clair, près de Vienne, sur la rive gauche du Rhône. Peut-être le choix de cette retraite fut-il déterminé par d’anciennes relations avec Mme de Tencin, qu’il avait revue, et qu’il appelait la reine des cœurs. Lord Stair croyait même qu’il l’avait rencontrée sur sa route de Calais à Paris et qu’elle avait dus lors surpris les secrets de sa politique, peut-être dans l’intérêt du gouvernement français[1]. Retiré dans la province où elle était née, il reçut à la campagne son frère, depuis évêque et cardinal, et Pont-de-Veyle, fils de sa sœur, Mme de Ferriol. Cette solitude avait peu de charme pour lui. De là il tournait vers Paris et Londres des yeux inquiets. Il n’attendait de nouvelles heureuses que celles qui le rappelleraient vers le nord, et au commencement de juillet il vit arriver un messager qui lui fit de l’Angleterre la peinture la plus encourageante, et finit par lui remettre une pressante lettre du prétendant, qu’il avait vu en passant à Commercy. Bolingbroke était au lit avec la fièvre. Il délibéra quelques instans. On lui assurait que tous ses amis étaient engagés. Il dit que le point d’honneur, le ressentiment, la curiosité, le décidèrent, et il partit sans délai pour Commercy.

Il se croyait de l’expérience, il ne se savait pas d’illusions. Jamais il n’avait attendu des merveilles de la cour exilée. Il la vit… « Mes premières conversations avec le chevalier, écrit-il à Wyndham, ne répondirent nullement à mon attente, et je vous assure en toute vérité que je commençai dès lors, sinon à me repentir de mon imprudence, du moins à être convaincu de la vôtre et de la mienne. » Que lui dit le petit-fils de Charles Ier ? « Il me parla comme un homme qui n’attendait que le moment de partir pour l’Angleterre ou l’Ecosse, mais qui ne savait pas très bien ce qu’il y allait faire. » Le besoin de tenter quelque chose et la crainte de paraître timide suffisent parfois pour conduire un homme sage à des imprudences. Le duc d’Ormond, encore en Angleterre, où il tenait fièrement maison ouverte, s’était mis à la tête du parti jacobite, et prétendait avoir un plan. Ce plan comprenait une insurrection dans le nord de l’Ecosse, promise à grand bruit, mais sur laquelle on pouvait compter, un mouvement beaucoup plus douteux dans le sud de l’île, et enfin un débarquement du prétendant, aidé par la France en navires, en hommes, en armes, en argent. Tout cela devait être simultané : c’est du moins l’opinion très juste que fit prévaloir Bolingbroke ; mais rien n’était prêt ni assuré, et moins qu’aucune chose, la plus importante, le secours de l’étranger. Bolingbroke se chargea de l’obtenir en négociant avec la cour de France, et il accepta en conséquence les sceaux de secrétaire d’état du roi Jacques III ; il partit comme son plénipotentiaire pour Paris. Singulière façon de convaincre d’imposture l’attainder qui n’était pas encore rendu, l’accusation qui n’était pas encore portée ! Quelle explication d’une telle conduite serait compatible avec l’innocence et l’honneur ? Dans ses apologies, il n’en essaie aucune. Il affirme seulement qu’il n’a jamais trahi, et raconte comme la chose la plus simple du monde que, défenseur officiel, dix mois avant, de la royauté protestante, il l’ait, dix mois plus tard, menacée de guerre civile. Il semble ne s’absoudre d’avoir conspiré qu’en montrant complaisamment à quel point la conspiration était ridicule.

Dans les premiers temps de son séjour à Paris, il prit un ton de confiance et de colère. Il ferait repentir le gouvernement qui l’avait proscrit : il était plus puissant en France qu’en Angleterre, il n’avait rien à ménager ; c’était aux whigs de craindre. Cependant de nombreux mécomptes l’attendaient. Le roi de France se mourait. Un appui public n’avait jamais pu être espéré. Même en secret, on ne voulait point donner de troupes régulières. On avait avancé un peu d’argent, on en promettait encore ainsi que des munitions ; mais l’affaire demeurait en suspens, comme toutes les affaires. Il était probable que le futur régent changerait la politique du cabinet. Tout le trésor de Saint-Germain, où la veuve de Jacques II continuait de tenir sa cour, avait été épuisé pour préparer au Havre un petit armement. Cela n’empêchait pas que des fanatiques, des aventuriers et des intrigans ne formassent mille projets, en annonçant des prodiges. Tout ce monde parlait, se remuait, dirigeait ; c’était une cohue de ministres [mob ministry). Bolingbroke, qui l’appelle ainsi, eut beaucoup de peine à prendre un peu d’autorité. Il ne doutait pas que lord Stair, dont il connaissait la vigilance et la pénétration, ne fut parfaitement au courant de ces menées et de ces préparatifs. Lord Stair effectivement savait tout cela et autre chose ; nous avons des fragmens de son journal, et voici ce qu’il y écrit : « Mercredi 24 juillet. — J’aposte un homme pour observer lord Bolingbroke. — Samedi 27. — Saladin, un Genevois, m’a dit l’histoire de l’amour de Bolingbroke avec Mme Tencin, et sa rencontre avec le prétendant sur la route. » On lit, dans la correspondance d’un successeur de lord Stair, que cette femme intrigante livrait à Torcy les secrets de son amant ; mais cet amant n’était pas aisé à tromper. « J’ai eu des relations il y a quelque temps, écrivait-il au roi Jacques, avec une femme qui a autant d’ambition et de ruse qu’aucune femme, peut-être qu’aucun homme que j’aie connu. Depuis mon retour à Paris, sous prétexte d’intérêt pour ma personne, elle a souvent tâché de découvrir à quel point j’étais engagé à votre service, et si quelque entreprise se préparait… Ces jours derniers, elle est revenue à la charge avec toute la dextérité possible, et elle a usé de tous les avantages que son sexe lui donne. J’ai feint de lui ouvrir mon cœur, et, suivant ce que j’ai écrit à votre majesté de mes conventions avec Talon (Torcy), je lui ai fait entrevoir l’impossibilité de rien tenter pour votre service. Là-dessus elle est entrée dans une peinture qui m’a paru préparée de l’état présent des affaires ; elle est convenue qu’avec l’âge et la santé de Harry (Louis XIV), on ne pouvait compter sur aucune résolution vigoureuse ; mais elle a ajouté que le neveu de Harry, lorsqu’une fois sa 29 (régence) serait consolidée, serait indubitablement disposé à concourir à une si grande entreprise, et qu’elle ne voyait pas pourquoi un mariage entre vous et une de ses filles ne pourrait pas devenir pour lui un motif additionnel de détermination et un lien d’union entre vous. J’ai pris la chose en plaisantant et comme une saillie de son imagination ; mais il doit y avoir quelque chose de plus, à raison de son caractère, de son intimité avec… (des chiffres), et du commerce particulier, mais étroit, que je sais qu’elle conserve avec un de ses confidens[2], et de son influence sur cet homme. » Bolingbroke termine sa lettre en conseillant de ne pas repousser cette ouverture, quoiqu’il avoue qu’une telle union pourrait déplaire en France et en Angleterre.

Il fallait en effet ménager l’Angleterre, qui commençait à s’agiter. Des réunions de non-conformistes avaient été troublées par le peuple. Quand Oxford s’était défendu dans la chambre haute, des rassemblemens avaient proféré le cri : « Haute église, Oxford et Ormond pour toujours ! » On n’avait pas conduit l’accusé à la Tour sans émouvoir la Cité. Des désordres éclataient dans divers comtés ; c’en était assez pour exalter les jacobites, et ils envoyèrent en France le plan tant annoncé par le duc d’Ormond ; ils demandaient un corps de troupes réglées, ou tout au moins des armes pour vingt mille hommes, de l’artillerie, cinq cents officiers et de l’argent. Par les soins de Bolingbroke, le projet fut aussitôt mis sous les yeux du roi. Il ne pouvait être question de fournir des troupes, mais on fit espérer le reste. Un bâtiment fut, aux frais de l’état disposé par un armateur pour le prétendant. Bolingbroke pensait que ces premiers secours en amèneraient d’autres, qu’ils suffiraient pour compromettre la France, que la défiance et l’irritabilité d’un gouvernement whig feraient le reste, et il accueillait une vague espérance de voir la paix d’Utrecht foulée aux pieds et une révolution opérée dans sa patrie par la main de l’étranger ; mais deux événemens vinrent dissiper ces belles illusions. Un moine, qui se disait envoyé par Ormond, vint de sa part réclamer un débarquement immédiat en Angleterre. Accueilli avec empressement à Bar, il parut à Paris suspect à Bolingbroke, qui le força de confesser qu’il était sans mission, et tout à coup on apprit qu’Ormond venait d’arriver. Nous nous rappelons qu’après avoir fait une assez grande figure, il vit Oxford en prison et prit la fuite. Tous les projets reposaient sur lui ; il était le chef désigné du mouvement. On avait vanté à Versailles sa valeur et son ascendant, et il débarquait en fugitif sans asile dans les trois royaumes. On le vit alors de près ; on reconnut un homme brave et loyal, mais faible, vain, léger, à qui Berwick trouva fort peu de connaissance du métier de la guerre. Bolingbroke avait du malheur. Si la reine Anne eût vécu, il aurait rappelé, peut-être les Stuarts ; il espérait les ramener avec lui, si Louis XIV vivait. Louis XIV mourut le 1er septembre. « Mes espérances, dit-il, baissaient à mesure qu’il déclinait, et elles périrent quand il expira. »

Il se trouva un peu dépaysé dans la nouvelle cour. Des ministres de la régence ou de ceux qui, tenaient la place des ministres, il ne connaissait que le duc de Noailles, qui ne le reconnut plus, et le maréchal d’Huxelles, qui remplaça Torcy dans la direction des affaires étrangères, et qui du moins agit loyalement, ne lui promettant rien qui excédât la politique d’un cabinet au fond défavorable au prétendant. Le régent était naturellement porté à l’entente, même à l’alliance avec le gouvernement anglais, non-seulement parce que le penchant inévitable du nouveau régime était de se séparer en tout de l’ancien, non-seulement parce que je ne sais quel instinct de réforme après soixante ans de monarchie absolue portait les esprits à quelque intelligence des principes de la révolution anglaise, mais encore et surtout parce que, séparé du trône par la vie d’un enfant, le duc d’Orléans avait un grand et légitime intérêt à s’appuyer sur le gouvernement gardien le plus jaloux de la validité des renonciations des Bourbons d’Espagne à la couronne de France. Si Bolingbroke et les Stuarts obtinrent de lui quelques promesses rarement réalisées et des secours toujours désavoués et bientôt retirés, c’est par suite de cette détestable habitude des gouvernemens d’entrer dans tous les systèmes à la fois et d’intriguer contre leur propre politique. Avant même que le roi rendit le dernier soupir, lord Stair avait vu le duc d’Orléans et promis à la régence l’appui de l’Angleterre, moyennant l’expulsion du prétendant, d’Ormond et de Bolingbroke. On n’alla pas jusque-là : on n’était pas assez sûr de la solidité de la royauté hanovrienne ; mais on ne servit pas ses ennemis. Bolingbroke, habitué aux formes de la politique régulière, voulait traiter les affaires directement et sérieusement. Il s’entendait parfaitement avec le maréchal de Berwick, donné comme le vrai chef du parti et de l’armée du prétendant, et qui l’eût été en effet, s’il s’était agi d’une diplomatie et d’une guerre véritables. Alors aussi Bolingbroke aurait été vraiment secrétaire d’état ; mais il n’y eut jamais que des menées d’intrigans et des coups de main d’aventuriers. Avant de compromettre la personne du prétendant, son ministre aurait voulu des assurances formelles de la part de la France, des renseignemens positifs sur les moyens de succès dans la Grande-Bretagne ; mais, à la première sommation de l’ambassade anglaise, le régent faisait désarmer les bâtimens préparés dans le port du Havre, et l’on n’écrivait rien d’Angleterre, sinon qu’il fallait que l’héritier des Stuarts se pressât d’agir et de paraître. Dénués de ressources et pleins d’espérances, les jacobites prenaient sa présence pour une force magique, et comptaient sur elle pour accomplir ce qu’ils ne savaient comment entreprendre. Cependant le comte de Mar, plus résolu et mieux assuré de l’appui des fidèles Écossais, était parti pour les hautes terres le lendemain d’un jour où il avait assisté au lever de George Ier, et il commençait à tenir la campagne, quand le ministère, qui se défendait avec énergie et qui avait fait suspendre l’habeas corpus, demanda à la chambre des communes d’autoriser, avant sa prorogation, l’arrestation de six membres, parmi lesquels on comptait sir William Wyndham. C’était l’ami de Bolingbroke, et après lord Lansdowne, également arrêté, le correspondant peut-être sur lequel il eût le plus compté. Ainsi donc en Écosse une tentative avant le temps, en Angleterre rien de prêt ; cette situation n’était pas encourageante, Bolingbroke soupçonnait que le plus sage eût été de tout ajourner ; mais cette sagesse n’allait nullement à son parti : on faisait au prétendant un point d’honneur de s’engager dans l’action. L’humeur du duc d’Ormond était d’entreprendre. Il avait de la bravoure sans fermeté ni constance, et du mouvement d’esprit sans solidité ni coup d’œil. Quoiqu’il logeât avec Bolingbroke et qu’ils se vissent sans cesse, il se concertait peu avec lui ; il se défiait des procédés diplomatiques et peut-être des intentions de l’ancien ministre ; il voyait, et rien n’était plus visible, que le régent avait plus de goût pour les plaisirs que pour les affaires, et il concluait, ce qui était moins vrai, que l’on pouvait par les plaisirs influer sur les affaires, et que la plus puissante des négociations serait celle que dirigerait une main de femme. Dans cette multitude empressée qui se mêlait des affaires des Stuarts, les femmes avaient toujours joué un rôle. Le nom compromis de Fanny Oglethorp était souvent cité. Il y avait une certaine Olive Trant, qui, se destinant à être carmélite, cherchait à se détacher par la satiété des soins et des joies du monde. Elle avait, du vivant de la reine Anne, passé en Angleterre avec quelque mission du prétendant, s’y était liée avec le duc d’Ormond et en avait ramené une personne dont la beauté répondait apparemment à ses projets. Elle parvint à la faire connaître au régent, et entra ainsi en correspondance et même dans une certaine familiarité avec lui. Il la logea à Madrid, dans le bois de Boulogne, chez une vieille demoiselle La Chausseraye, qui avait été fille d’honneur chez Madame, et qui jusque dans sa retraite vivait d’intrigues. L’abbé de Thésut, secrétaire du régent, visitait les deux associées, et c’est avec elles qu’Ormond négociait, trahi par l’une d’elles, peut-être par toutes deux, persuadé qu’il avait le secret du régent, à qui sans doute il livrait le sien. Encouragé on ne sait comment, pressé par les jacobites de l’Angleterre, lui-même prit les devans et s’embarqua dans un port de Normandie, tandis que le prétendant se rendait en Bretagne. Il descendit en Devonshire avec une quarantaine d’hommes, et n’y trouva ni un combattant ni un asile. Quelques arrestations avaient suffi pour réduire à l’impuissance tout son parti. Ormond se rembarqua précipitamment et vint rejoindre le prétendant à Saint-Malo. Une tempête fit échouer une seconde tentative ; mais quoique les nouvelles de l’Écosse même fussent peu encourageantes, on jugeait qu’il était de l’honneur du prince d’entreprendre quelque chose. Olive Trant, qui avait accompagné Ormond jusqu’à la mer, était revenue à Paris, et elle fit alors prier Bolingbroke de se rendre à la maison de Madrid. Il l’y trouva avec Mlle de La Chausseraye, apprit d’elles une partie de leurs secrets, et fatigué de ne rien obtenir du cabinet par les voies officielles, il résolut d’user de la voie détournée qui s’ouffait à lui. Il obtint dès l’abord de meilleures paroles, et même un billet signé du régent, en apparence écrit pour une femme, et qui, moyennant interprétation, pouvait être envoyé au comte de Mar. Le prince consentit même à une entrevue avec un gentilhomme venu d’Angleterre, à qui l’on promit des armes, et qui n’emporta rien qu’un peu d’argent fourni par l’Espagne ; car l’Espagne ; fidèle à la politique de Louis XIV, paraît seule avoir prêté aux Stuarts une assistance sincère, mais plus sincère qu’efficace. Aux plaintes de Bolingbroke, on répondait à Paris qu’il était soupçonné de voir secrètement lord Stair. Il voulut savoir à quoi s’en tenir, et il pria Berwick de s’en expliquer avec le régent. Le maréchal pensait comme lui, il jugeait Ormond comme lui, il avait même allégué sa qualité de sujet du roi de France pour décliner obéissance à l’ordre de se rendre en Écosse que le prétendant lui avait donné. Il vit le régent, qui convint que Bolingbroke lui avait été dénoncé, ajoutant qu’il ne croyait point à ce qu’on lui avait dit, mais qu’il lui en voulait seulement de choisir pour arriver à lui l’intermédiaire de certaines intrigantes qu’il qualifia avec sa liberté ordinaire de langage. Peu après, il consentit à voir Bolingbroke ; il lui parla du même ton, ne laissa rien percer de ses intentions à l’égard des Stuarts, et lui défendit d’avoir aucun rapport avec les dames du bois de Boulogne. Cependant plus tard Ormond affirma à Bolingbroke qu’il ne lui avait caché toute cette intrigue que par l’ordre du régent ; c’est probablement aussi par l’ordre du régent qu’elles s’étaient mises en rapport avec lui ; puis enfin le régent sut mauvais gré à Bolingbroke de les avoir connues et employées. Ces contradictions n’ont rien que de conforme à la manière de gouverner de l’ancien régime. Le duc d’Orléans ne voulut jamais au fond rien faire pour les Stuarts ; mais il voulait tout savoir et pratiquait la grande maxime d’avoir des intelligences avec tout le monde. Plus réservé à l’égard de Bolingbroke, d’un ancien ministre avec lequel tout engagement était sérieux, il se tint toujours sur un pied de défiance, tout en lui faisant proposer par le maréchal d’Huxelles et par le marquis d’Effiat de s’attacher à sa personne, d’accepter ses bienfaits, de s’en remettre à lui pour faire sa paix avec l’Angleterre. Bolingbroke dit qu’on lui offrit jusqu’à 500,000 francs, mais qu’il n’eut pas l’air d’entendre, et qu’on n’y revint plus ; seulement il resta en froideur avec le régent.

Cette froideur s’accrut lorsqu’on apprit le mauvais succès de l’insurrection écossaise. Le 12 novembre, un corps de jacobites du nord de l’Angleterre fut battu à Preston, et le lendemain le duc d’Argyle arrêtait dans le Perth, à la bataille ; de Sheriffmuir, l’armée jusque-là victorieuse du comte de Mar. On avait cru quelques jours à Paris que Jacques III était roi de la Grande-Bretagne, « Personne, dit lord Stair, ne mettait plus le pied chez moi. » À dater de ces nouvelles, Jacques III ne fut plus qu’un prétendant ; l’insurrection de l’Écosse ne fit que décliner, et tout était désespéré à la fin de décembre. C’est le moment que Jacques choisit pour s’embarquer à Dunkerque, et le 22 décembre il était à Peterhead. Bolingbroke convient que cette entreprise était devenue nécessaire à la réputation du prince, mais il ne dit pas qu’elle fût le moins du monde utile à ses affaires.

Resté en France pour y veiller, il remplit son office avec zèle. Il obtint de l’Espagne un nouvel à-compte sur les quatre cent mille écus qu’elle avait promis. Il enrôla quelques-uns des officiers irlandais qu’elle avait à son service ; il reprit des négociations un peu romanesques pour décider le roi de Suède Charles XII, ennemi de l’électeur de Hanovre, à opérer une descente en Écosse. Il essaya d’embaucher des corsaires français ; mais pour tout cela il avait besoin de l’appui de la France, et il n’obtenait d’elle que les vagues témoignages d’une stérile bienveillance. Avec lui, avec lord Stair, on tenait les langages les plus divers. Évidemment on attendait les événemens pour se décider ; on voulait savoir quel serait l’effet de la présence d’un Stuart dans un pays que l’on connaissait, dit-il, comme le Japon. Las de ses efforts inutiles, il eut une conférence définitive avec le maréchal d’Huxelles, qui lui parla franchement, et ses derniers doutes étant dissipés, il résolut d’écrire au prétendant qu’il ne devait rien espérer, s’il ne pouvait réussir par lui-même, et il lui envoya un des rares navires qu’il eût à sa disposition pour le ramener en France avec le comte de Mar et ses compagnons ; mais quand son messager toucha l’Ecosse, Jacques l’avait déjà quittée après une oisive et déplorable campagne, et il débarquait à Gravelines.

À la fin de février, il était à Saint-Germain. Dés le matin de son arrivée, il vit Bolingbroke qu’il reçut à bras ouverts. En apprenant son retour, ce dernier avait prévenu la cour de France, qui demanda que le chevalier se retirât sur-le-champ à Bar ou à Commercy. Il était de son intérêt de s’y rendre avant que le duc de Lorraine eût le temps de s’engager à ne le pas recevoir. On parlait de l’envoyer en Italie, ou du moins à Avignon, en terre papale, le pire des refuges pour un candidat à la couronne d’Angleterre. Bolingbroke porta donc le conseil d’un prompt départ à son prince, qui le renvoya demander à Paris la permission de rester à Saint-Germain et une entrevue avec le régent. Le maréchal d’Huxelles eut ordre de répondre par un refus. Bolingbroke revint auprès du prince, demeura avec lui jusqu’à deux heures du matin, et Jacques, dont les malles étaient faites et qui devait partir à cinq heures, le chargea, en le quittant, d’aller annoncer aux ministres son départ ; il lui donna plusieurs ordres, lui demanda quand il pourrait le rejoindre, et lui dit adieu avec mille marques d’affection et de confiance.

Jacques partit en effet, mais pour la maison du bois de Boulogne. Il y resta caché quelques jours, y vit les ministres d’Espagne et de Suède et peut-être le duc d’Orléans, puis de là il envoya Ormond à Bolingbroke avec deux billets antidatés, pour qu’ils parussent écrits de la route. Ormond commença par dire dans la conversation tout ce qui pouvait persuader du départ du prétendant un homme parfaitement informé du contraire ; puis il lui remit les deux écrits, tous deux de la main royale. L’un, adressé à Bolingbroke, lui signifiait laconiquement qu’on n’avait plus besoin de ses services ; l’autre, au duc d’Ormond, le chargeait de recevoir tous les papiers de la prétendue secrétairerie d’état. Bolingbroke les lui remit sur-le-champ en lui rendant les sceaux, et déclara qu’il ne voulait plus avoir rien à démêler avec le prétendant et avec sa cause. Il tint parole cette fois, car peu après, la reine douairière l’ayant prié de ne pas se retirer, il refusa, disant qu’il était libre maintenant et qu’il aimerait mieux se brûler la main que prendre la plume ou l’épée à leur service. Il ne les revit plus en effet, et peu de jours après leur dernière séparation le chevalier de Saint-George était sur la route d’Avignon, c’est-à-dire qu’il abandonnait la partie. Le régent ne tardait pas à envoyer Dubois à Stanhope pour négocier un rapprochement entre les deux royaumes, et au commencement de 1717 le traité de la triple alliance entre la France, la Grande-Bretagne et la Hollande apprenait à l’Europe qu’une nouvelle politique commençait.

Dans les premiers jours de sa disgrâce, Bolingbroke évita de se montrer. Il fit connaître à quelques amis ce qui s’était passé et resta renfermé chez lui. Le maréchal de Berwick le vint bientôt trouver et lui parla des bruits qui couraient sur son compte. Il n’y avait dans toute l’émigration anglaise qu’un cri contre lui. Ormond et Mar ne le ménageaient pas ; les moins malveillans disaient qu’il lui était échappé dans l’ivresse des paroles moqueuses ou blessantes pour le prétendant, et nous ne pouvons ici objecter l’invraisemblance. Quant au reproche de négligence ou d’incapacité qui donna lieu plus tard à des correspondances rendues publiques, et auquel il fallut que Bolingbroke répondit ou fit répondre par son secrétaire, nous n’y insisterons pas, et l’analyse des griefs serait fastidieuse. Ce sont récriminations de conspirateurs malheureux ou d’intrigans désappointés. Le désaccord est inévitable entre des exilés ardens, crédules, impatiens et un homme d’état judicieux, discret, sans empressement inutile, sans charlatanisme de parti, qui voit les choses comme elles sont, ne parle et n’écrit qu’à bon escient, et n’agit qu’autant qu’il aperçoit chance de réussir. La malveillance ou plutôt la calomnie osa même accuser Bolingbroke d’avoir détourné quelque partie des faibles ressources du trésor du prétendant et traîtreusement livré ses secrets à l’ambassadeur d’Angleterre. Lord Stair raconte en effet que des questions pressantes lui furent adressées, et qu’on voulait à toute force qu’il sût tout par cette voie ; « mais, écrit-il à Walpole, je crois que tout le crime du pauvre Harry a été de ne pouvoir jouer son rôle avec un visage assez sérieux, ni s’empêcher de rire, par-ci par-là de pareils rois et de pareilles reines. Il avait une maîtresse ici à Paris, s’enivrait de temps en temps, et dépensait pour elle l’argent avec lequel il aurait dû acheter de la poudre. » Bolingbroke se présente devant l’histoire mieux justifié par un imposant témoignage, celui du maréchal de Berwick, qui a tout vu, tout suivi, qui lui donne raison en tout, juge comme lui Jacques, Ormond, Mar et tout le parti, pour la droiture du cœur et de l’esprit, le maréchal ne le cédait à personne. Bolingbroke pensait de Berwick tout le bien qu’en a écrit Montesquieu, et c’est de lui qu’il a dit ce joli mot, que c’était le meilleur grand homme qu’il eût connu.

Quelle apparence d’ailleurs que Bolingbroke se fût engagé par ressentiment et par vengeance dans le parti de la restauration, pour le trahir et le perdre ? Ce n’est pas sa faute s’il le servait autrement que ne l’entendaient les Irlandais, les courtisans, les jésuites, les femmes, tous les insensés qui composaient la coterie jacobite française ; ce n’est pas sa faute s’il ne partageait pas toutes les illusions, s’il ne suivait pas toutes les fantaisies d’un parti bigot et frivole, condamné à une éternelle adversité. Sa faute était d’avoir cru possible de le servir raisonnablement. Sincère dans ses intentions, il avait dû de bonne heure cesser de l’être dans ses espérances. Peu de momens avaient suffi pour lui révéler la vanité de l’entreprise. Il était embarrassé, peut-être honteux de son rôle, et se sentait déplacé et comme abaissé dans de telles affaires. Il convient qu’il lui tardait d’en sortir, et que son projet était, après que le prétendant serait rentré dans le repos, d’aller lui redemander sa liberté. Avec de telles dispositions, il ne pouvait éviter de montrer par ses discours, et même par sa conduite, une froideur suspecte. Il ne faut pas y voir trop clair pour conspirer. Embrasser sans enthousiasme une cause perdue est insensé, et celui qui sait discerner l’impossible du possible doit se garder de servir un parti qui n’a que du zèle.

Bolingbroke dit que dès son premier entretien avec le prétendant, il comprit son imprudence ; mais qui l’obligeait à être imprudent ? Il ajoute qu’un malentendu perpétuel séparait les jacobites d’Angleterre des jacobites de France. Les premiers ne voulaient qu’opposer à un roi whig un roi tory, et lui faire leurs conditions ; les seconds avaient respiré l’air de Versailles, et ne songeaient qu’à restaurer un roi sans conditions. Comment Bolingbroke, que cette contradiction choquait, l’acceptait-il sans mot dire ? Ainsi qu’il arrive souvent, il s’engageait contre sa raison, comptant sur le hasard, espérant l’imprévu, confiant dans son esprit, voulant enfin satisfaire sa passion et occuper son temps.

Pouvait-il ignorer enfin qu’il y avait entre le descendant des Stuarts et lui une dissidence fondamentale qui devait tôt ou tard éclater ? Le prince était le fils de ce Jacques II dont un archevêque de Reims disait en le voyant sortir de sa chapelle à Saint-Germain : « Voilà un fort bon homme ; il a quitté trois royaumes pour une messe. » Et Bolingbroke, qui aux opinions des libertins du siècle joignait un protestantisme tout politique, avait au fond toujours regardé l’abjuration de la religion catholique comme une condition de la restauration. L’entraînement des affaires et l’envie de se venger le lui faisaient oublier quelquefois, ou lui fermaient les yeux sur l’invincible opiniâtreté d’une foi supérieure a la tentation même d’une couronne. Il ne pouvait lui échapper que ce pauvre prince unissait à cette foi digne de respect tous les préjugés qui ne le sont pas, et que de puérils scrupules ne lui permettraient jamais le langage et la conduite nécessaires pour rendre au moins sa présence supportable au peuple anglais. Les jacobites protestans essayaient de se faire des illusions à cet égard. On racontait qu’il avait permis au docteur Leslie de l’entretenir de religion, et de célébrer l’office anglican dans sa maison. Bolingbroke, pour excuser la légèreté avec laquelle il négligea d’approfondir la question, prétend qu’il supposa que ses amis d’Angleterre, dont il connaissait les sentimens et qui se montraient si pressés d’entreprendre, avaient obtenu satisfaction préalable sur l’article de la religion. Peut-être aussi se jugeait-il lui-même, comme on le lui fit sentir, peu propre à traiter ce sujet. Il avait beau avoir sans cesse à la pensée l’exemple de Henri IV ; on aurait pu le délier, avec toute son éloquence, de le faire comprendre à celui qui aurait eu tant besoin de l’imiter. Quand il fallut que Jacques se fit précéder en Angleterre de déclarations où l’église nationale trouvât des garanties, il fit mille difficultés ; il garda les projets qu’on lui présenta pour les revoir, les envoya de Bar à Saint-Germain pour les soumettre à la reine et à son conseil de conscience ; puis, après les avoir retouchés à sa guise, il les fit imprimer avec le contre-seing de Bolingbroke, qui n’avait signé que la première rédaction. Bolingbroke réclama, et on en tira de nouveaux exemplaires sans sa signature. Les corrections royales étaient de ces subtilités qui présagent la mauvaise foi. Ainsi, dans une phrase où il devait exprimer sa sollicitude pour la prospérité de l’église anglicane, il avait rayé le mot prospérité. Il refusait de protéger cette église, et n’entendait s’engager qu’à en protéger tous les membres. Il ne voulait pas conserver à Charles Ier l’épithète de martyr, et quand on lui proposait de parler de sa sœur de glorieuse et heureuse mémoire, il n’admettait pas que cette mémoire fût heureuse, et ne consentait à louer en elle, au lieu de sa justice éminente et de sa piété exemplaire, que son inclination pour la justice. La portée de ces niaiseries n’était que trop évidente, et je ne m’étonne pas que Bolingbroke ait vu partir son nouveau maître pour l’Ecosse sans la moindre espérance et sans beaucoup de sympathie. C’était assez pour qu’il fût un traître aux yeux du parti.


XIX

On peut en croire Bolingbroke lorsqu’il dit que sa disgrâce lui rendit service en facilitant une rupture dont il aurait été obligé de prendre l’initiative. Il consomma cette rupture en répandant de par le monde ses réponses aux critiques et aux calomnies dirigées contre lui. Il était piquant, on doit en convenir, d’encourir, après moins d’une année, une nouvelle et contraire accusation de trahison (car il eut à répondre sur sept articles en forme), intentée au nom de celui pour lequel il venait d’être accusé d’avoir trahi son pays, et l’on conçoit quels sentimens durent s’élever dans cette âme orgueilleuse et vindicative. Non content de dire un éternel adieu au parti auquel il n’aurait dû jamais s’unir, il ne se fit point scrupule de dévoiler dans ses écrits et ses discours le néant de ce parti et de son chef, et la mémoire des Stuarts n’a pas eu de plus dangereux ennemi. Son caractère avait peu de nuances, et de certaines délicatesses lui étaient inconnues. Comme on le jugeait à Londres plus sévèrement qu’il ne méritait, on avait, du temps même qu’il était ministre de la cour de Saint-Germain, autorisé lord Stair à traiter avec lui. Ce dernier, qui le connaissait mieux, attendit sa disgrâce pour lui envoyer Saladin de Genève. Il s’ensuivit une entrevue où Bolingbroke déclara à l’ambassadeur qu’il se croyait obligé en honneur et en conscience de désabuser ses amis d’Angleterre sur la conduite du parti jacobite à l’étranger, et sur la valeur de tous ceux qui le composaient ; que, dût-il demeurer à jamais en exil, il n’aurait plus rien de commun avec le prétendant ; que si sa position dans sa patrie lui était rendue, il pourrait, en expliquant sa conduite, porter à la cause des Stuarts un coup mortel, et contribuer ainsi à mieux affermir l’autorité du roi et à lui rallier tous ses sujets. Il ajouta qu’il était prêt à rendre à son gouvernement tous les services, excepté ceux d’un délateur, et qu’il espérait que l’on croirait ses protestations sincères, sans exiger des gages qu’il refuserait de donner, ni risquer, en lui demandant trop, d’empêcher l’effet de ses promesses. Ces offres, dont lord Stair admit pleinement la sincérité, furent transmises à Londres, et même renouvelées au secrétaire d’état Craggs, qui vint peu après en France ; et comme pour préparer le retour du fils dans son pays, le roi créa le père, qui vivait encore, vicomte Saint-John et baron de Battersea. En même temps Bolingbroke constata sa situation nouvelle en écrivant une longue lettre à sir William Wyndham, qu’il data du 13 septembre 1716, et qu’il envoya non-cachetée au maître général des postes, pour la mettre sous les yeux du gouvernement et la faire arriver ensuite à sa destination. Cette lettre, que M. Hallam regarde comme son ouvrage le plus achevé, est une apologie générale de sa conduite, qu’il faut lire avec défiance, mais d’où nous avons tiré bien des détails de notre récit. Quand elle parut, en 1753, et que Favier la traduisit sous le titre de Mémoires secrets de milord Bolingbroke, Voltaire trouva l’ouvrage peu digne de l’auteur qui n’était plus, et se plaignit de n’y rien apprendre. C’est qu’il savait assez bien cette partie de l’histoire contemporaine. L’ouvrage, en tout cas, offrait une peinture sérieusement satirique et malheureusement vraisemblable du prétendant et de son parti. Quoiqu’il ne dût pas être imprimé, il était fait pour être lu, et bien calculé pour nuire aux Stuarts et rendre Bolingbroke agréable au roi régnant. George le fit assurer de sa bienveillance, et le proscrit, plus confiant dans l’avenir, s’occupa de se créer une philosophie de l’exil au moment où il croyait entrevoir le terme du sien. L’ouvrage qu’il a intitulé Réflexions sur l’exil est une consolation philosophique, où il emprunte beaucoup à Sénèque et aux anciens. Ce lieu commun de morale stoïcienne est d’un esprit élevé, médiocrement riche en idées, qui s’est fait un bon style d’académie, correct et soutenu, orné, élégant, mais sans aucunes qualités supérieures. Ainsi que beaucoup d’esprits cultivés de ce temps, presque toutes ses pensées lui viennent de l’antiquité. Dés qu’il écrit, il raisonne et parait sentir comme un Romain ; mais quand il agit, c’est autre chose. Lord Mahon a dit avec sévérité qu’en parlant comme Cicéron, il se conduisait comme Clodius. On pourrait ajouter, sous un autre rapport, qu’aux pensées de Sénèque il unissait la vie de Pétrone. On entrevoit dans ses lettres que, s’il se consolait de l’exil par le stoïcisme, il ne négligeait pas de s’en distraire par le plaisir.

Les mémoires du temps parlent à peine de son séjour en France. On sait seulement qu’il avait des relations intimes avec les Tencins et leur société. La plupart de ses lettres françaises sont adressées à M. de Ferriol, la mère de D’Argental. On n’a aucune de celles qu’il dut écrire à sa sœur, Mme de Tencin. Il connut cette aimable Aïssé qu’une fantaisie tout orientale d’un frère de M. de Ferriol avait élevée pour une étrange destination. On ne voit pas qu’avant 1722 il eût connu, Voltaire, qui était lié dès le collége avec D’Argental, et dans une lettre écrite peu après le succès d’Œdipe (1719), il en parle comme un indifférent : « Je vous serai très obligé, ma chère madame (de Ferriol), de la lecture que vous voulez bien me procurer de la tragédie de M. Arouet. Si je n’avais pas entendu parler avec éloge de cette pièce, je ne laisserais pas d’avoir une grande impatience de la lire. Celui qui débute, en chaussant le cothurne, par jouter contre un tel original que M. Corneille fait une entreprise fort hardie, et peut-être plus sensée qu’on ne le pense communément. Je ne doute pas qu’on n’ait appliqué à M. Arouet ce que M. Corneille met dans la bouche du Cid. » A défaut de Voltaire, il fit connaissance avec l’abbé Alary, un homme instruit, d’une conversation agréable, qui, après avoir été attaché à l’éducation de Louis XV, entra à l’Académie française (1723), et n’en forma pas moins, un an après, une autre sorte d’académie, plus politique que littéraire, connue sous le nom de l’Entresol. Celle-ci tenait en effet ses séances chez lui, dans un entresol de la place Vendôme. C’était à la fois un club où l’on trouvait des rafraîchissemens et des journaux, et une société de droit public dont les membres composaient des mémoires, faisaient des lectures, discutaient des questions. Il s’y rencontrait des écrivains, des magistrats, jusqu’à des grands seigneurs : le marquis d’Argenson, qui a été ministre, l’abbé de Saint-Pierre, dont le nom est si connu. Cette réunion dura jusqu’en 1731, quoiqu’elle donnât un peu d’ombrage au cardinal de Fleury. Bolingbroke, qui y était admis sans en être membre, avait été pour quelque chose dans la fondation d’un établissement conçu, disait-on, dans les idées anglaises. On ajoute qu’il composa en français, pour cette société, un essai qu’elle fit imprimer : ce sont des réflexions d’après Locke sur les idées innées ; mais l’authenticité de cet écrit est contestée, et aucun des éditeurs de Bolingbroke ne l’a compris dans ses œuvres complètes.

Un de ses meilleurs amis, un des fondateurs du club de l’Entresol, le marquis de Matignon, était, comme l’abbé Alary, de la société de la marquise de Villette, avec laquelle Bolingbroke se lia en 1717. Marie-Claire Deschamps de Marsilly[3], d’une famille noble, avait été élevée à Saint-Cyr, et c’est elle qui jouait Zarès sous les yeux de Racine, quand Esther fut représentée devant Louis XIV. Elle était entrée chez les filles de Sainte-Geneviève, dirigées par Mme de Maintenon, lorsqu’elle plut au chevalier de Villette de Mursay, petit-fils d’une fille d’Agrippa, d’Aubigné et frère de Mme de Caylus, que Mme de Maintenon appelait sa nièce. Ce jeune homme, voulant épouser Mlle de Marsilly, la fit voir à son père, Philippe Le Valois, marquis de Villette, officier de marine distingué, de qui nous avons des mémoires. C’était un protestant converti par la cour depuis 1687. Il trouva sa bru future à son gré, et il l’épousa en 1695, quoiqu’il eût quarante-trois ans de plus qu’elle. « Elle est fort jolie, dit Dangeau, et n’a nul bien. M. de Villette a attendu que M. de Mursay, son fils, fut marié, pour conclure cette affaire. » Restée veuve en 1707, avec de la fortune, Mme de Villette avait, dix ans après, conservé sa beauté. On citait son esprit et sa conversation, et à quarante-deux ans elle inspira un goût assez vif à Bolingbroke pour qu’il formât une liaison très intime avec elle et ne la quittât presque plus. Jusque-là peu retenu, peu délicat dans ses amours, un attrait bien différent de ceux qui l’avaient séduit le captiva cette fois au point d’enchaîner sa destinée. On dit qu’il continua d’être infidèle, ce qui ne le dispensa pas d’être jaloux, car un jour qu’il dînait chez Mme de Villette avec un Écossais fort beau qui parut lui plaire, il renversa la table et tout ce qui la couvrait. Il fallut que le marquis de Matignon les raccommodât. Ce qui est certain, c’est qu’il alla faire avec sa nouvelle amie de longs séjours à la terre de Marsilly en Champagne, sous prétexte qu’il se connaissait en bâtimens et qu’elle reconstruisait son château. « M. York (Bolingbroke) part avec Mme de Villette, miss… est dans un couvent, » écrit lord Stair à son ministre (1717).

Il ne négligeait pas cependant de plus grandes affaires. Ses amis d’Angleterre, bien que parfois inquiets de ce qui se disait sur son compte, ne l’oubliaient pas. Swift, dans une de ses lettres, réfute, auprès de l’archevêque de Dublin, le bruit qui courait que Bolingbroke allait revenir en achetant son pardon par des révélations : il dit avec raison qu’il n’en aurait pas à faire. Cependant sa haine persistante pour lord Oxford, et qu’il ne peut contenir même en écrivant à Swift, était loin de le servir, et l’empêchait de profiter de l’acquittement de son ancien complice et de la popularité relative qui l’entourait. Sa femme luttait pour lui, elle le dit du moins ; on a d’elle deux lettres à Swift qui ne sont pas sans quelque grâce, et qui justifiaient le goût bienveillant du docteur pour elle. « Quant à mon humeur, écrit-elle le 5 mai 1716, je suis, s’il est possible, encore plus insipide et plus ennuyeuse (dull) que jamais, excepté dans quelques momens, et alors je suis une petite furie, surtout quand on ose parler de mon cher lord sans respect, ce qui arrive quelquefois. » Elle s’occupait activement de l’affaire de son cher lord. Elle trouva faveur auprès du roi, qui lui accorda main-levée de la confiscation des biens mobiliers, mais elle mourut un an après (novembre 1718), et, à en croire son mari, cette restitution partielle devint une perte pour lui. Apparemment faute de formalités et de précautions, ces valeurs se confondirent avec celles qu’elle possédait à sa mort et ne purent être retirées de sa succession. Il se dit appauvri d’autant, et il s’en prend, on ne sait trop pourquoi, à la dévotion de lady Bolingbroke. Il vivait sur le capital qu’il avait apporté en exil et augmenté du produit de quelques spéculations heureuses en ce temps où Law devançait le nôtre. On ne voit pas qu’il ait jamais éprouvé la gêne. Des considérations de fortune peuvent toutefois avoir contribué au singulier établissement qu’il forma quand il se vit tout à fait libre. Il vécut auprès de Mme de Villette, et l’emmena aux eaux d’Aix-la-Chapelle, où il parait l’avoir épousée en mai 1720. On a prétendu qu’elle embrassa la religion protestante, puis on l’a nié et l’on a même contesté le mariage. Il est certain qu’en France Bolingbroke ne lui fit pas changer de nom ; mais tous deux voulaient qu’on les tînt pour légitimement unis. Ils le déclarèrent même en 1722, et dans le caveau des Saint-John de l’église de Battersea, où la marquise est ensevelie, il fit graver une épitaphe qui lui donne le litre de vicomtesse Bolingbroke.

Au printemps de 1720, tous deux avaient, en se mariant, quitté Marsilly, qu’ils cessèrent d’habiter. Un an auparavant, Bolingbroke avait fait l’acquisition de la terre de La Source, ainsi nommée parce que le Loiret prend sa source dans le parc et y forme en naissant une vraie rivière, dont les eaux reproduisent un moment le beau phénomène de celles du Rhône à Genève. C’est dans ce lieu que Bolingbroke fixa sa retraite ; il sut l’animer par les plaisirs de la société et de l’étude. Suivant toute apparence, ses longs séjours à la campagne donnèrent naissance à ces recherches historiques où, pratiquant le libre examen à la manière de Bayle, il en vint à poser les fondemens de l’incrédulité systématique qu’on devait appeler bientôt philosophie. Vers le même temps, nous rencontrons enfin Voltaire. Il écrit de Blois à Thiriot (2 janvier 1722) : « Il faut que je vous fasse part de l’enchantement où je suis du voyage, que j’ai fait à La Source chez milord Bolingbroke et chez Mme de Villette. J’ai trouvé dans cet illustre Anglais toute l’érudition de son pays et toute la politesse du nôtre. Je n’ai jamais entendu parler notre langue avec plus d’énergie et de justesse. Cet homme, qui a passé toute sa vie dans les plaisirs et dans les affaires, a trouvé pourtant le moyen de tout apprendre et de tout retenir. Il sait l’histoire des anciens Égyptiens comme celle d’Angleterre ; il possède Virgile comme Milton, il aime la poésie anglaise, la française et l’italienne, mais il les aime différemment parce qu’il discerne parfaitement leurs différens génies. Après ce portrait que je vous fais de milord Bolingbroke, il me siéra peut-être mal de vous dire que Mme de Villette et lui ont été infiniment satisfaits de mon poème (la Henriade). Dans l’enthousiasme de leur admiration, ils le mettaient au-dessus de tous les ouvrages de poésie qui ont paru en France ; mais je sais ce que je dois rabattre de ces louanges outrées. »

Bolingbroke ne quittait La Source que pour quelques voyages à Paris. Il ornait son nouveau séjour selon le goût de son temps, et de là il envoyait à ses amis d’Angleterre des épîtres empreintes d’une philosophie quelque peu affectée : « Je vis dans un plus petit cercle, écrivait-il à Swift, mais je pense dans un plus grand. » Il traduisait avec assez de facilité en vers anglais un fragment de la première épître d’Horace ; il multipliait les citations de toutes sortes pour démontrer qu’il était ferme et serein, décrivait le lieu de sa résidence, son habitation, qui tenait le milieu entre le château et la maison bourgeoise, les embellissemens qu’il projetait d’y faire, et consultait sur les inscriptions latines en son propre honneur qu’il voulait y graver sur le marbre. Cependant, les yeux toujours fixés vers sa patrie, il finit par y envoyer sa femme. Elle y trouva Walpole premier ministre (1723).

À ce moment, les jacobites, habitués à s’exalter pour des causes frivoles, avaient couru une telle joie de la naissance d’un fils du prétendant, qui fut appelé Charles-Édouard, qu’un comité de direction s’était formé dans leur sein, et qu’il y fermentait des projets qualifiés par la loi de haute trahison. Le roi George n’avait aucune popularité. Des rassemblemens à Londres avaient fait entendre le cri : « Haute église et Stuarts ! » Le gouvernement s’était vu forcé de dénoncer et de poursuivre la conspiration. Atterbury, l’évêque de Rochester et l’ancien ami de Bolingbroke, était, avec les autres membres de la junte secrète, traduit devant les deux chambres. Aux premières ouvertures qui lui furent faites en faveur de Bolingbroke, Walpole répondit avec sévérité ; il s’écria même dans le conseil : « Puissent l’attainder n’être jamais aboli et les crimes jamais oubliés ! » Tout espoir semblait perdu, si lord Harcourt, qui, plus fidèle à d’anciennes amitiés qu’à son ancienne politique, s’était rapproché du gouvernement, n’eût fait arriver M de Villette (elle ne prenait pas d’autre nom) jusqu’à la duchesse de Kendal. Erengarde Mélusine de Schulenbourg était une Allemande laide et vénale, maîtresse en titre de George 1er. On dit que ses bontés pour Bolingbroke ne furent pas payées moins de 11,000 livres sterling. Elle obtint une promesse du roi, que Walpole n’osa ou ne put faire rétracter, et il se borna à en réduire l’effet à la remise de la peine capitale. Il fut convenu que Bolingbroke pourrait résider en Angleterre, mais sans recouvrer ni ses droits, ni ses titres, ni sa fortune.

Voltaire venait d’avoir la petite-vérole, et dans une épître assez faibli ; où il remercie son médecin de l’avoir sauvé, heureux à la pensée qu’il reverrait ses amis, il s’écriait :

Et toi, cher Bolingbroke, héros qui d’Apollon
As reçu plus d’une couronne,
Qui réunis en ta personne
L’éloquence de Cicéron,
L’intrépidité de Caton,
L’esprit de Mécénas, l’agrément de Pétrone,
Enfin donc je respire, et respire pour toi ;
Je pourrai désormais te parler et t’entendre[4]


Mais cette joie, exprimée en vers si singuliers aujourd’hui, ne fut pas de longue durée, et bientôt Voltaire écrivait à son amie la présidente de Bernières : « Une chose qui m’intéresse, c’est le rappel de milord Bolingbroke en Angleterre. Il sera aujourd’hui à Paris, et j’aurai la douleur de lui dire adieu, peut-être pour toujours (avril 1723). » Il partit en effet quelque temps après, et le 11 juin il arrivait à Calais, quand il vit avec surprise débarquer l’évêque Atterbury, qu’un bill d’attainder venait de condamner au bannissement. « Je suis donc échangé ! » s’écria le prélat en apprenant que Bolingbroke était là, prêt à passer le détroit.

En Angleterre, Bolingbroke trouva le roi parti pour le Hanovre, et il dut se bornera lui écrire une lettre de remerciemens, ainsi qu’à la duchesse de Kendal et à lord Townshend, qui étaient du voyage. Il revit Harcourt et Wyndham, apprit d’eux beaucoup de choses sur l’intérieur de leur parti, et bientôt il eut un entretien avec Walpole. Il lui peignit les chefs des partis tory et jacobite comme fort découragés et disposés à imiter l’exemple de Harcourt. C’était s’offrir indirectement pour intermédiaire d’un rapprochement qui semblait désirable ; mais Walpole craignait plus les rivaux que les adversaires. Il fit rarement des sacrifices pour regagner ses ennemis, et, jaloux de son pouvoir, il aimait mieux reléguer les ambitieux dans l’opposition que les introduire dans son parti. Il ne se souciait pas de rendre de l’importance à Bolingbroke. Il l’écouta froidement et lui conseilla, puisque sa réhabilitation dépendait d’un parlement whig, de ne pas renouer avec les tories.

Bolingbroke vit bien que pour cette fois il n’avait rien à gagner du côté de la politique. Il jouit quelques jours de l’accueil des amis que la littérature lui avait donnés. Il ne vit pourtant pas Swift, qui ne sortait pas de l’Irlande, et Prior était mort ; mais Gay lui dédia ses églogues. Pope, qui l’avait connu peu de temps avant son départ, fut heureux de le revoir au moment où il perdait Atterbury, et de le retrouver devenu philosophe sur les affaires de ce monde. Le docteur Arbuthnot prononça qu’il avait gagné en instruction, en manières, en toute chose. Peu curieux cependant de rester dans un pays où il ne retrouvait qu’une position précaire et diminuée, Bolingbroke repartit pour aller se guérir de la goutte aux eaux d’Aix-la-Chapelle.

On dit qu’il voulait de là pousser jusqu’en Hanovre. Il en demanda la permission, mais ne l’obtint pas. Il tourna donc ses vues d’un autre côté. La mort du régent amenait au pouvoir M. Je Duc, avec le titre de premier ministre, et Mme de Prie était toute puissante sur cet héritier des Condé. Bolingbroke les connaissait l’un et l’autre et prétendait à quelque crédit. Dans ce moment, une lutte secrète opposait dans le cabinet anglais les deux secrétaires d’état l’un à l’autre, lord Carteret à lord Townshend. Walpole soutenait Townshend, son beau-frère, et, par suite de quelques intrigues dont le détail est sans intérêt, Carteret et Townshend étaient représentés tous deux à la cour de France, l’un par sir Luke Schaub, l’autre par Horace Walpole. Bolingbroke, qui vit bien où était la force, offrit à ce dernier son crédit, ses relations, ses moyens d’intrigue. Il offrit d’entretenir avec le cabinet de Saint-James une correspondance secrète, fit valoir son zèle et sa dextérité, enfin se rendit utile. Horace, qui ne l’aimait pas, se servit de lui et le servit peu, mais finit par triompher et devint ambassadeur en France, tandis que Carteret allait gouverner l’Irlande et faisait place au duc de Newcastle (1724). Persuadé qu’il devait être mieux en cour, Bolingbroke fit alors repartir pour Londres celle qu’il appelait indifféremment Mme de Bolingbroke et la marquise de Valette. À ce voyage se rattache une anecdote du temps. La marquise demanda à Mme de Ferriol, restée, par la mort de son beau-frère du même nom, la protectrice peu généreuse de Mlle Aïssé, la permission d’emmener avec elle la pauvre affranchie. C’était le temps de la passion du chevalier d’Aydie. On partit en apparence pour l’Angleterre ; mais Aïssé fut laissée secrètement dans une maison des faubourgs, et bientôt une petite fille fut transportée en Angleterre, et plus tard au couvent de Notre-Dame de Sens, pour y être élevée, sous le nom de miss Black, comme une nièce de Bolingbroke, près d’une fille de Mme de Villette. C’est l’enfant dont Aïssé parle d’une manière touchante dans ses charmantes lettres, et que le chevalier d’Aydie n’abandonna pas après la mort de sa mère. Lady Bolingbroke poursuivit son voyage, et pour mieux cacher le secret du service que rendait leur amitié, son mari écrivait de La Source à Mme de Ferriol : « Avez-vous eu des nouvelles d’Aïssé ? La marquise m’écrit de Douvres. Elle y est arrivée le vendredi au soir après le passage du monde le plus favorable. La mer ne lui a causé qu’un peu de tournement de tête ; mais pour sa compagne de voyage, elle a rendu son dîner aux poissons. »

Lady Bolingbroke était amenée à Londres par l’infidélité d’un banquier qui, chargé par elle de placer 50,000 livres sterling dans les fonds publics, lui cherchait querelle sur son état, exigeait qu’elle se fît autoriser par son mari, et menaçait de révéler le fait comme une violation de la loi de confiscation. Lord Townshend, indigné de cet abus de confiance, rendit la dénonciation vaine. La marquise de Villette, qui garda prudemment ce nom, put donner ses soins aux intérêts de son mari : et quoique le roi, dans ses idées allemandes, la trouvât bavarde et peu respectueuse, elle savait si bien les moyens de gagner la duchesse de Kendal, qu’une satisfaction entière lui fut promise. Il fallut cependant attendre encore pendant près d’une année. Bolingbroke prit patience, grâce aux lettres, aux champs, à quelques amis. Il continua de s’intéresser aux travaux de la société de l’Entresol, qu’il se permettait d’égaler à l’Académie française. On voit par une lettre à Pope qu’il traça le plan d’une histoire politique de l’Europe, et de là prit naissance l’ouvrage intitulé : Lettres sur l’étude de l’histoire. La physique et la métaphysique occupaient son temps à la campagne, où il retenait Lévêque de Pouilly, homme instruit qui l’avait initié aux mathématiques et aux sciences, et qui devint un des confidens de ses idées sur la religion. C’est à lui qu’il écrivait un jour qu’il était, avec Swift et lui-même, une des trois seules personnes dignes qu’on leur confiât le gouvernement des hommes. On trouve dans ses œuvres une lettre intéressante, rédigée entre 1720 et 1725, où il rappelle à Lévêque de Pouilly comment, à quarante ans, il est devenu philosophe en l’écoutant à Paris. Il lui rend compte d’une discussion dans laquelle il a soutenu contre un athée que Dieu existe et que le monde a eu un commencement. Le premier point est établi par la démonstration, le second par la tradition, quoique l’auteur rejette fort dédaigneusement le récit biblique. Le fond de toute religion cependant se trouve dans cet opuscule, où ne manque ni l’esprit, ni la logique, ni même une sorte d’érudition. C’est le premier essai philosophique de l’auteur. Il paraît que le bruit de ses nouvelles études se répandit. Les opinions auxquelles elles l’avaient conduit inquiétaient Swift, qui voulait l’effrayer de l’exemple de Spinoza, et Bolingbroke lui répondait qu’il trouvait Spinoza absurde, et qu’il n’était un esprit fort ou free-thinker que si l’on entendait par là « un homme qui fait un libre usage de sa raison, cherche la vérité sans passion ni préjugé, et s’y attache invariablement, et non pas un de ces fléaux de la société qui s’efforcent d’en relâcher les liens et d’ôter un frein de la bouche de l’homme, cet animal sauvage qu’il serait bon de contenir par une demi-douzaine d’autres freins. »

On raconte que l’abbé Alary visita l’Angleterre en 1725. Il avait connu Horace Walpole chez l’évêque de Fréjus, et fut mené par lui chez son frère. Il s’employa utilement, dit-on, pour Bolingbroke. Toujours est-il que le 25 mai 1725 lord Finch, fils de lord Nottingham présenta une pétition par laquelle Henri Saint-John, ci-devant vicomte Bolingbroke, demandait que l’exécution de la loi rendue contre lui fut suspendue quant aux condamnations civiles, comme elle l’était déjà quant à la peine capitale. Walpole se leva aussitôt, et dit que le roi avait depuis sept ans reçu la soumission du pétitionnaire, et que convaincue de ses intentions de loyauté, sa majesté consentait à l’admission de la pétition. On la reçut en effet, et comme il fut établi par les jurisconsultes de la couronne que le pardon royal ne pouvait abolir toutes les conséquences encourues par l’attainder, lord Finch proposa un bill que Walpole appuya, et qui autorisait Bolingbroke à rentrer dans son patrimoine et à posséder ou acquérir dans le royaume toute espèce de propriétés. Le bill fut vivement combattu par Methuen, qui, étant contrôleur de la maison du roi, s’excusa de son opposition aux intentions généreuses de sa majesté. Il fit impression sur l’assemblée, et fut soutenu par d’autres whigs, Arthur Onslow, lord William Powlett. Les tories se divisèrent. La plupart, guidés par lord Hathurst et par Wyndham, votèrent en faveur de leur ancien chef ; mais les plus fidèles jacobites, obéissant à la consigne venue d’Avignon, refusèrent de le relever des déchéances d’un attainder encouru pour leur cause. Cependant la motion passa à 231 voix contre 113, et Walpole fit écarter une clause qui eût rendu Bolingbroke incapable de siéger au parlement et de remplir aucun office à la nomination du roi. On dit, au reste, qu’il avait la parole de George Ier que jamais Bolingbroke ne recouvrerait aucune situation politique, et que rien ne lui serait accordé au-delà des droits de la vie civile. En effet, l’amnistié n’obtint jamais plus que ce qui lui fut en ce moment rendu, c’est-à-dire 120,000 francs de rentes et la faculté de recueillir la succession de son père, sans même en pouvoir disposer, les biens devant tous, après ce dernier, passeur à ses héritiers naturels. Ces restrictions le blessèrent profondément, et la situation équivoque qui lui fut faite jeta beaucoup d’amertume dans toute sa vie. Il se crut dégagé de toute reconnaissance envers Walpole, et il ne tarda pas beaucoup à lui en donner la preuve. La conduite du puissant, ministre paraîtra peu généreuse ; il avait longtemps résisté ; cependant nous savons par son fils que c’est contre le vœu de son parti, contre les instances de sa famille et de ses amis, qu’il consentit au rappel de Bolingbroke, aimant mieux transiger que rompre avec la duchesse de Kendal. Il n’était ni cruel, ni persécuteur, ni même vindicatif ; mais il ne se piquait pas d’une magnanimité chevaleresque, et jamais, pour obtenir des louanges qu’il trouvait frivoles, il ne se serait de gaieté de cœur créé un obstacle de plus dans la carrière du pouvoir. Il eût regardé comme une duperie de retirer ses ennemis du néant.


XX

De retour dans sa patrie, Bolingbroke songea à s’arranger une nouvelle existence dans les conditions qui lui étaient imposées. « Je suis aux deux tiers restauré, » écrivait-il à Swift. Comme son père vivait, il n’avait point de domaine et d’habitation ; il acheta de lord Tankerville le domaine de Dawley, près d’ Uxbridge en Middlesex, et s’y établit. Il renoua toutes ses relations littéraires, se lia plus étroitement avec Pope, et répéta qu’il ne se mêlerait pas des affaires du gouvernement. On rapporte pourtant que peu de jours avant le, départ de l’abbé Alary pour la France, il lui confia qu’il ne pouvait refuser ses conseils aux instances des tories. « Adieu donc, monsieur, lui dit l’abbé, car vous pouvez vous perdre. » Il parait qu’à dater de cette époque leurs relations languirent et cessèrent bientôt tout à fait, quoique l’abbé ne soit mort qu’en 1770.

Le premier mouvement de Bolingbroke fut de s’ensevelir dans la retraite, il en affecta du moins le projet. Il disposa son nouveau manoir comme une ferme ornée, s’entoura d’animaux domestiques, d’instrumens d’agriculture, suivit des chasses à cheval, se refit enfin un parfait country gentleman. C’était une tradition de famille. Il ne semblait relever cette vie rustique que par le goût de l’esprit et des lettres. Pope, Gay, Arbuthnot, le venaient voir à Dawley, et au printemps de 1726 le docteur Swift, qui avait passé douze ans sans remettre le pied en Angleterre, reparut au milieu des débris de cette Société des Frères qu’il avait tant aimée. Sa réputation s’était encore augmentée en Irlande, grâce à l’heureuse part qu’il avait prise aux débats de la politique locale. Rien n’y était plus populaire que les Lettres d’un Drapier. Par ce pamphlet excellent, il avait à tort ou à raison délivré le pays d’une monnaie de billon qu’un spéculateur avait obtenu le singulier privilège de mettre en circulation. En Angleterre, Swift se montra fidèle à ses vieilles amitiés ; mais l’expérience l’avait rendu circonspect, il se mêla peu des affaires publiques. Il fut partout accueilli avec une curiosité bienveillante. La princesse de Galles était une femme distinguée, qui correspondait avec Leibnitz et témoignait pour les lettres un goût légèrement pédantesque. Elle voulut voir Swift et lui promit ses bontés. Sa première dame du palais, Henriette Howard, qui préludait pour le moins au rôle plus important qu’elle devait jouer auprès du prince sous le titre de comtesse de Suffolk, devint l’intermédiaire entre sa maîtresse et Swift, qui entra avec elle en correspondance régulière, et même elle intercepta pour son compte les hommages de la coterie littéraire que dirigeait la politique de Bolingbroke. Le prudent doyen n’en rechercha pas moins les bonnes grâces de Walpole, qui le reçut à Chelsea, lui donna à dîner, le laissa parler sur les affaires d’Irlande et ne l’écouta guère. Cependant Swift trouva son voyage très agréable. La conversation était pour lui un plaisir passionné. Il se partageait entre Twickenham avec Pope et Dawley avec Bolingbroke, et se pressait médiocrement d’aller rejoindre Stella, quoiqu’elle fût tombée malade et commençât un état de langueur qui ne devait finir qu’avec sa vie (1728). Enfin il repartit pour l’Irlande au mois d’août, laissant à son imprimeur un manuscrit fort secret, et deux mois après Gay lui écrivait : « Il y a environ dix jours qu’il a paru un livre, les voyages d’un certain Gulliver, et ce livre a été depuis lors l’unique conversation de toute la ville. » - « Ouvrage merveilleux, écrit de son côté Pope, qui est à présent publica trita manu, et je prophétise qu’il sera un jour l’admiration du monde. » A partir de ce moment, toutes les correspondances de Swift sont remplies d’allusions à ce Gulliver que Swift n’avouait pas, et, nous permettra-t-on de le dire ? si les lecteurs de ces pages rouvraient en ce moment ce livre célèbre, ils regretteraient moins peut-être, en trouvant qu’ils en ont la clé, le temps qu’ils ont pu perdre à nous lire. On devine quel dut être à Londres le succès d’une composition si originale par celui qu’elle obtint à Paris, où très certainement on y comprit peu de choses. Les lettres de Mme Howard et de lady Bolingbroke à l’auteur montrent assez que ces fictions étaient devenues le divertissement de tous les esprits. Dans ce coin du monde où le fermier de Dawley réunissait ceux qu’il appelait professeurs en une divine science, la bagatelle[5], Gulliver devait être le sujet de tous les entretiens ; mais un nouveau-venu y dut aussi, vers le même temps, montrer quelquefois un visage étincelant d’un malin génie. C’est au milieu de l’année 1726 qu’un odieux affront, alors impuni selon les lois et les mœurs de notre France, força Voltaire à chercher un asile dans un pays où on pensait librement et noblement sans être retenu par aucune crainte servile. Nous avons vu comment Voltaire appréciait Bolingbroke. Il avait voulu lui dédier la Henriade. Or en Angleterre le temps n’était pas encore passé où un tel hommage eût obligé à une coûteuse protection, et Bolingbroke, qui craignait le ridicule des louanges, pria Mme de Ferriol de savoir si l’intention du poète était sérieuse. Il paraît que celui-ci s’en tira par des complimens dont l’Anglais se montra touché sans en être dupe. Cependant il ne put manquer d’accueillir gracieusement l’hôte inattendu que l’exil lui envoyait. Wandsworth, où résida Voltaire chez M. Falkener, à qui il devait dédier Zaïre, est un village du Surrey, entre Londres et Twickenham, où s’étaient établis quelques protestans français. De là, Voltaire pouvait aisément se lier avec les amis de Bolingbroke. Ses écrits portent mille traces des souvenirs que lui avaient laissés les lieux et les hommes. Il y fait de nombreuses allusions aux conversations solides ou piquantes du monde d’élite où il avait vécu. Il ne cache pas l’impression profonde que produisit sur son esprit toute cette société si nouvelle par les institutions et par les idées. C’est d’Angleterre qu’il rapporta Brutus, et quand il l’imprima (1730), il le dédia à lord Bolingbroke. « Souffrez que je vous présente Brutus, quoique écrit dans une autre langue, docte sermonis utriusque linguæ, à vous qui me donneriez des leçons de français aussi bien que d’anglais, à vous qui m’apprendriez du moins à rendre à ma langue cette force et cette énergie qu’inspire la noble liberté de penser, car les sentimens vigoureux de l’âme passent toujours dans le langage, et qui pense fortement parle de même. » Cette dédicace est un discours sur la tragédie. Voltaire s’y montre encore tout rempli du génie de la littérature anglaise : elle a enhardi son goût et sa raison.

Ce voyage eut en effet sur lui une grande influence ; mais peut-être doit-on regretter qu’il ait autant connu Bolingbroke. Peut-être l’exemple d’un homme si considérable, d’un homme d’état et de tribune qu’il comparait aux orateurs de l’antiquité, dut-il ajouter à l’audace de cette verve anti-chrétienne qu’il crut autorisée par l’opinion de l’Angleterre. Il prit à tort Bolingbroke pour un modèle destiné à faire école, et il s’enhardit par son exemple. Lui-même, à son tour, quel effet produisit-il sur les Anglais ? Il faut convenir qu’on n’en sait rien. On ne rencontre dans leurs écrits de ce temps-là que de bien faibles traces du passage de Voltaire. Il resta chez eux plus de deux ans ; il chercha beaucoup à voir, à entendre ; il travailla beaucoup. Depuis lors, dans les sciences, dans la philosophie, dans la politique et même quelquefois dans l’art du théâtre, il s’est donné pour le disciple des Anglais. Ayant appris d’eux les noms de Newton, de Locke, de Shakspeare, il revint les révéler à la France. Ses Lettres sur les Anglais, son ouvrage le plus neuf peut-être et où se rencontrent presque toutes ses idées encore dans leur première fleur, firent pour un demi-siècle l’éducation de la société de Paris. Il écrivit deux essais en anglais, l’un sur la poésie épique, l’autre sur les guerres civiles de France. Il adressa celui-ci à Swift, en lui disant qu’il rougissait de ses ouvrages quand il lisait les Miscellanées de Martinus Scriblerus. Déjà il était assez lié avec lui pour le recommander à Versailles. Swift avait projeté un voyage en France qu’il ne fit jamais, et Voltaire, écrivait à notre ministre des affaires étrangères de lui donner à dîner avec le président Hénault lui échange, il priait Swift de faire souscrire en Irlande à sa Henriade, dont il publiait à Londres la première édition complète, et qu’il dédiait en anglais à la reine, femme de George II (1727).

Cependant on ignore à peu près quelle fut sa vie en Angleterre. Ces deux années sont une lacune dans son histoire. Les mémoires et les correspondances le nomment à peine, la sienne même est presque muette. C’est un point de sa biographie ou plutôt un épisode de l’histoire de la littérature qui mériterait des recherches, et nous indiquons ce sujet aux curieux des choses de l’esprit. Le récit du voyage de Voltaire conduirait bien près du voyage de Montesquieu. L’observateur des gouvernemens vint à Londres, je crois, en 1729, amené de La Haye par lord Chesterfield ; mais de qui fut-il vu en Angleterre ? Qui se doutait dans le gouvernement que ce grand modèle politique posât devant son peintre ? Quant à Montesquieu, ce qu’il vit, le voici : « A Londres, liberté et égalité ! » On lit cela dans ses notes de voyage. Liberté, égalité, cent ans avant 1830, Montesquieu écrivait ces mots ! Que le mal a déjà des racines profondes !

Voltaire et Montesquieu ont pu voir de leurs yeux marcher régulièrement le système représentatif. L’époque où ils ont visité l’Angleterre n’était pus un temps de crise, et sans peut-être s’en rendre bien compte, la nation, sortant définitivement des révolutions, entrait alors en possession pleine et entière des institutions qu’elle tient de sa propre sagesse. L’ordre constitutionnel se fixait ; mais combien cette stabilité naissante ressemblait peu à la tranquillité froide et silencieuse, recherchée par les peuples faibles comme leur souverain bien ! La liberté politique jouait tout son jeu, et le mouvement des esprits était tel que Bolingbroke se repentit bientôt d’avoir écrit sur la porte de sa maison des champs : Satis beatus ruris honoribus ; ou plutôt il sourit d’avoir si bien persuadé à Pope et aux autres qu’il était devenu fermier, planteur et philosophe. Il n’avait pas oublié qu’il était un écrivain, c’est dire qu’il rentra dans la politique.


XXI

Walpole avait été servi par les événemens. Après avoir fait partie du premier ministère de George Ier, il l’avait hostilement quitté avec Townshend et Pulteney (1717). Son opposition violente n’aboutit qu’à le faire rentrer trois ans après, à des conditions moins bonnes que celles qu’il avait dédaignées ; mais bientôt ses grands services accrurent son pouvoir, et en peu d’années la mort le délivra de tous les rivaux qui pouvaient le lui ravir. En 1722, elle avait fait disparaître l’ancienne junte des lords whigs, Marlborough, Somers, Halifax, Wharton, Sunderland, Stanhope, Shrewsbury, n’étaient plus. Walpole était de fait comme de droit premier ministre, bien secondé par lord Townshend, secrétaire d’état, qui s’étonnait seulement de servir sous Walpole après avoir été servi par Walpole. L’autre secrétaire d’état, lord Carteret, ayant prétendu à la domination, avait été relégué au gouvernement d’Irlande (1724), et le lord chambellan, Thomas Pelham, duc de Newcastle, avait, en prenant sa place, commencé son insignifiante carrière de quarante ans consécutifs de ministère. La politique de ce cabinet, la politique de Walpole était fort simple : c’était une politique de conservation et de paix. Au dedans, les institutions, plus d’une fois retouchées depuis 1688, semblaient avoir atteint une assez grande perfection pour qu’on se bornât à les éprouver paisiblement, sans essayer d’aucunes nouveautés. Le gouvernement parlementaire enfin établi était une nouveauté suffisante. Le temps des réformes ne semblait pas venu, et Walpole au pouvoir se souciait peu des réformes. Au dehors, la paix d’Utrecht, acceptée comme un fait irrévocable, avait amené un nouvel état de l’Europe que l’Angleterre devait tenter de développer à son profit, dispensée qu’elle était, par une gloire récemment acquise, de le troubler par de nouvelles batailles. Elle n’avait d’ennemi que l’Espagne, qui montrait encore dans ce temps des prétentions de commerce maritime, qui rêvait la reprise de Gibraltar et de Minorque, et dont le roi se tenait pour dépouillé, par les derniers traités, de ses droits éventuels sur la France, comme les Stuarts de leurs droits à la couronne de la Grande-Bretagne. Toutefois, par leur position respective, l’Angleterre et l’Espagne pouvaient être sur un pied d’hostilités sans bouleverser le monde, et la première, soutenue désormais par la France, se fût peu inquiétée de cette rupture, si la seconde, par un singulier retour, n’eût regagné l’appui de l’Autriche. L’alliance défensive qui les avait unies allait encore compromettre la paix générale, quand la France réussit à faire prévaloir à Vienne des conseils de modération, et, par sa médiation, un armistice de sept années fut signé à Paris le 31 mai 1727. Cette trêve peut être regardée comme un des premiers effets de l’union pacifique du cardinal de Fleury et de sir Robert Walpole ; consolidée par des traités successifs, elle ouvrit à l’Europe une période de tranquillité qui, pour la Grande-Bretagne, se prolongea douze ans.

La nation anglaise semblait donc en voie de prospérité ; mais ces résultats précieux n’avaient pu être obtenus que par la pratique d’une politique plus soucieuse d’assurer les intérêts que de chercher la gloire. Walpole gouvernait sans éclat. À l’intérieur, il conduisait les affaires avec sagesse, il les discutait en maître ; mais il ne donnait rien à l’imagination des peuples, et, peu jaloux d’honorer les hommes, pourvu qu’il les dominât, il pesait tout au poids de l’utilité, ne dissimulant guère qu’il songeait seulement à mettre d’accord la leur avec la sienne : c’est ce qui donnait à son administration un caractère corrupteur. En effet, il ne s’interdisait pas la corruption, surtout il payait bien le zèle de ses amis plutôt qu’il n’achetait le désarmement de ses ennemis ; mais ce qui aggravait à tous les yeux ces procédés trop usités de gouvernement, c’est qu’il ne cherchait ni à les déguiser ni à les relever, c’est qu’il affichait avec hardiesse ce principe général de sa politique, l’intérêt. À l’extérieur, la paix maintenue ou rétablie par la prudence et la modération suppose presque toujours beaucoup de négociations oiseuses ou mesquines, des changement d’attitude ou de langage, de fausses démarches, des tâtonnemens enfin qui prêtent à la critique, et que le vulgaire juge sévèrement, parce qu’il croit toujours qu’on peut tout ce qu’on veut. Le ministère, quoique puissant et solide, était loin d’être respecté, et il essuyait, sans les redouter, les attaques d’une vive opposition. Ce n’est pas quand le public est tranquille qu’il est le plus indulgent.

Bolingbroke était un peu embarrassé. Comment approuver Walpole ? C’eût été déposer toutes ses passions. Cependant il était pour la paix, celle d’Utrecht était son ouvrage : les efforts dirigés contre elle sur le continent semblaient favoriser les Stuarts, désormais l’objet de son aversion ; mais il trouvait un malicieux plaisir à voir des whigs encourir une certaine impopularité pour leur esprit pacifique, et il faisait des rapprochemens sévères sans tenir compte, bien entendu, du changement des intérêts et des circonstances. À défaut du but, il pouvait critiquer les moyens, et même on sait aujourd’hui que dans la conduite des affaires étrangères Walpole n’avait pas tout approuvé. Mais ce qui intéressait le plus Bolingbroke, c’était l’état des partis en Angleterre. Les questions politiques n’avaient pour lui de valeur qu’autant qu’il y trouvait des points d’attaque et les moyens d’aigrir de nouveau les esprits, car il jugeait que les anciennes divisions avaient fait leur temps.

Les jacobites purs étaient inébranlables ; tout accès auprès d’eux lui était fermé. Heureusement il s’en trouvait de moins fervens et de moins opiniâtres. Convertis ou fatigués, ceux-ci pouvaient garder au fond de l’âme, comme ressource éventuelle, un jacobitisme spéculatif ; mais ils l’ajournaient prudemment, et prenaient conseil des circonstances. Les tories grossissaient leurs rangs en ralliant ces jacobites sur leur droite, et les hanovriens sur leur gauche, ou plutôt ces deux fractions composaient presque tout le parti tory. Ce nom d’ailleurs ne désignait plus un parti ayant de certains principes à faire triompher. Les questions de prérogative, de droits populaires, de révolution, avaient été résolues par les événemens. L’esprit whig avait gagné presque toutes les positions constitutionnelles. Les tories ne pouvaient songer à réagir contre les faits accomplis. Ils formaient toujours un parti conservateur, puisque ce parti s’appuyait principalement sur les classes de la société dont l’esprit et l’intérêt est le plus stable ; seulement, sous le coup d’un pouvoir manié avec vigueur par d’anciens adversaires, ils ne pouvaient songer qu’à se défendre, et toute opposition est tôt ou tard forcée d’invoquer des principes de liberté.

Sir William Wyndham était à tous les titres, dans la chambre des communes, le premier de ces hommes qui, faisant taire leurs sympathies ou les réservant, pour des temps meilleurs, concevaient à la manière de Bolingbroke la possibilité de reprendre constitutionnellement dans le nouveau régime leur part de crédit et d’influence. Riche, noble, gendre du duc de Somerset, recommandable par son caractère moral, par sa constance politique, on ne lui reprochait qu’un peu de raideur et d’orgueil ; mais l’expérience des hommes avait atténué ses défauts et développé des talens auxquels les meilleurs juges ont rendu hommage. Il avait moins ces qualités naturelles qui séduisent dès le premier jour que ces qualités solides que le temps mûrit et perfectionne. Il ne donnait rien à l’éclat, au succès du moment ; il ne cherchait pas les journées brillantes, mais il était en toute occasion égal à lui-même, et chaque jour ajoutait à son influence et à sa réputation.

Guerroyer contre le pouvoir et la cour était un métier qui, mieux encore qu’aux tories, convenait a ceux des whigs que des convictions particulières ou des mécontentemens personnels avaient détachés. Dans un parti libéral, il y a toujours des radicaux. L’esprit franchement constitutionnel est sur la voie de l’esprit républicain. De la politique, les hommes défians, sévères ou satiriques, ne conçoivent que l’opposition. Enfin Walpole montrait, sous des formes modérées, une intolérance qui souffrait peu les amitiés douteuses, les opinions flottantes, et finissait par éloigner de lui tout ce qui ne s’enchaînait pas à lui. Il s’était donc formé une défection whig à la tête de laquelle brillait William Pulteney.

C’est une des fautes graves de Walpole que sa conduite à l’égard de Pulteney. Rien n’atteste mieux cette jalousie du pouvoir qui lui fit parfois oublier justice et prudence, et le rendit moins généreux envers ses émules qu’envers ses ennemis. Sous la reine Anne et au commencement du règne, Pulteney s’était conduit comme Walpole. Il l’avait défendu contre l’accusation de 1711 ; il s’était avec lui séparé, en 1717, de lord Sunderland. Cependant Walpole, revenu au pouvoir, avait cru s’acquitter en lui donnant le titre de caissier de la maison du roi, sinécure lucrative dont Pulteney s’était d’abord contenté, car il était intéressé malgré son immense fortune : c’était son plus grand défaut, et il nuisit à son ambition. Par sa naissance, par sa position, par son caractère, Pulteney semblait appelé à jouer dans le gouvernement le rôle dont ses moyens le rendaient digne. Son esprit était vif, élégant, orné, son éloquence facile et populaire, prodigue de traits acérés et piquans, toujours prompte, toujours vive à l’attaque et à la riposte. C’était un éminent talent d’opposition. Il portait alors ce titre de grand commoner qu’on avait un moment donné à Walpole, et qui allait bientôt passer à William Pitt. Fidèle aux principes généraux de son parti, il ne montrait pas dans ses opinions de détail une grande rigidité, ni pour combattre, un grand scrupule dans le choix des armes. Il était aimé cependant, parce qu’il savait plaire au parlement et au public. À son intelligence vive et pénétrante il manquait une certaine solidité de jugement. Adroit, hardi, mais léger, il n’avait pas la suite et la fermeté qui caractérisent l’homme fait pour gouverner. Il aimait plus le combat que le succès, et le succès que le pouvoir. Walpole aurait pu, s’il eût voulu s’en donner la peine, dominer un tel personnage et le placer au premier rang de ses défenseurs : mais il était sujet à trop dédaigner les défauts, à trop craindre les qualités des hommes supérieurs. Il trouva chez Pulteney trop de prétention ou trop de mobilité, je ne sais ; il le négligea, le délaissa, et s’en fit un ennemi d’abord secret, puis déclaré, qui toutefois dut attendre vingt ans sa vengeance.

Deux hommes tels que Wyndham et Pulteney étaient bien capables, si leurs intérêts les rapprochaient, de concerter leurs attaques et de coaliser leurs partis ; mais Bolingbroke avait une grande réputation de talent et d’intrigue. On recherchait ses conseils, on souhaitait son concours. Qui mieux que lui saurait comment on manie la presse, on se concilie la cour, on divise une majorité ? Il était resté l’ami de Wyndham après avoir été son guide. Si la chevalerie jacobite se déchaînait contre lui, elle ne pouvait l’empêcher d’être l’avocat consultant du torysme, dont il avait été le martyr. On le savait en crédit parmi les gens de lettres ; on soupçonnait sa faveur auprès de la duchesse de Kendal. Son esprit devait plaire à Pulteney, qui devait lui plaire à son tour, et une vieille prétention à réunir dans sa race et dans sa personne les traditions monarchiques et parlementaires le rendait singulièrement propre à pratiquer la fusion des deux oppositions.

Au mois de décembre 1726, Pulteney avait fondé un journal qui se publiait, deux fois par semaine, the Craftsman [l’Artisan). Ce recueil, qui parut pendant dix ans, était dirigé par un certain Amherst, sous le pseudonyme de Caleb d’Anvers. Pulteney y semait à pleines mains l’outrage et le ridicule contre Walpole. C’était en quelque sorte un libelle périodique contre un seul homme. Les allusions les plus claires y étaient admises, les désignations les plus reconnaissables y étaient souffertes ; mais, selon l’usage et la loi, jamais le nom de Walpole n’y était écrit. À peine quelquefois une ou deux initiales le rappelaient-elles dans les passages où il était parlé de lui sans injure. Ailleurs, on se bornait à signaler à la haine publique la robinocratie[6]. C’était une exécution publique où le bourreau et le patient restaient masqués, mais ni l’un ni l’autre ne restait inconnu. Ce journal, qui sans doute est spirituellement écrit, mais qui contient assez peu d’articles sérieusement remarquables, a beaucoup contribué à diffamer Walpole et son gouvernement jusque dans l’opinion de la postérité.

Le concours de Bolingbroke était assuré au Craftsman, et ce que la rédaction contient de meilleur vient de lui. Cependant il dissimulait à son entourage cette reprise d’hostilité. Dans un billet à Swift, qui fit au printemps de 1727 son dernier voyage en Angleterre, il prétend, avec son affectation ordinaire, qu’il voudrait donner deux tiers de sa vie à l’amitié, en garder un tiers pour lui-même, et rien pour le monde. Il fait plus, il se plaint de Walpole, qui, sur la loi d’un espion, lui attribue de certains écrits. Or ces écrits, c’étaient trois lettres qu’il avait, bien réellement, au commencement de l’hiver, publiées et signées l’Ecrivain d’occasion, the occasional Writer (janvier-février 1727). Elles étaient adressées à la seule personne à laquelle elles pussent appartenir. Un auteur famélique possédé du besoin d’écrire, ayant tâté de tous les sujets, n’ayant réussi dans aucun, s’offrait pour tout défendre à celui qui voudrait acheter son zèle ; puis, sous le prétexte que ses offres n’étaient pas accueillies, il entamait une critique sévère de la politique suivie à l’égard de l’Espagne, avec laquelle aucun accommodement n’était encore fait, et des épigrammes assez vives étaient opposées aux insinuations blessantes des journaux ministériels, en même temps, sous la forme d’une vision orientale, un article, inséré dans un des premiers numéros du Craftsman, représentait un roi prisonnier d’un seul homme, une assemblée tremblante au bruit des chaînes, tant que la bourse de cet homme était remplie. La bourse se vidait, et tout changeait de face. C’était une exhortation à refuser le budget. L’idée de la captivité du roi par la vénalité du parlement était en effet la thèse qu’affectionnait Bolingbroke, thèse qu’il pouvait, sans trop d’embarras, présenter au roi lui-même, et que probablement il ramenait souvent dans ses entretiens secrets avec la duchesse de Kendal. Cette femme, gagnée par son esprit et son argent, aurait bien voulu joindre aux grosses pensions qu’elle touchait sur les deniers de l’état une véritable influence politique, et Walpole n’avait pour elle que des ménagemens. Elle s’était donc chargée de donner au roi un mémoire où Bolingbroke exposait tous les dangers que le ministère faisait courir à l’état, et finissait par une demande d’audience. Le roi remit tout simplement le mémoire à Walpole, qui soupçonna par quelles mains il avait passé, et en obtint l’aveu de la bouche même de la duchesse. Pour toute réponse, il la pria de s’unir à lui afin de résoudre le roi à donner l’audience ainsi demandée. Soit embarras, soit défiance, le roi résista longtemps. Comme tous les princes, il n’aimait pas les conversations difficiles. Il ne parlait pas anglais et ne communiquait avec Walpole lui-même qu’en mauvais latin ; mais il entendait le français, et Bolingbroke fut enfin reçu dans son cabinet. Il lui rappela ses promesses bienveillantes. Le roi lui dit qu’il lui accorderait volontiers une entière réhabilitation, mais que ses ministres assuraient qu’il régnait au parlement, surtout à la chambre des lords, tant de préventions contre lui, que la majorité n’y consentirait jamais, Bolingbroke répondit que sa majesté était trompée, que, pour que l’affaire se fît, il suffisait que sir Robert Walpole le voulût, et qu’il le voudrait, si le roi lui disait qu’il le fallait. « Sir Robert est là, ajouta-t-il, à deux ou trois pièces seulement de ce cabinet ; ordonnez qu’on l’appelle, et je répéterai tout en sa présence, et le convaincrai, devant votre majesté, que la chose peut se faire. — Non, non, dit vivement le roi, ne l’appelez pas. » Walpole en effet attendait dans un salon voisin. Lechmere survint ; il avait, comme chancelier du duché de Cornouailles, à demander au roi quelques signatures. Il était mal avec Walpole depuis que ce dernier lui avait refusé l’héritage du chancelier Macclesfield. Il apprit avec étonnement quel personnage avait une audience en ce moment, et, dès qu’il le vit sortir, il entra brusquement dans le cabinet du roi, et sans excuse ni préambule il éclata violemment contre Walpole, qui, non content du mal qu’il faisait lui-même, introduisait à la cour un homme pire encore que lui, pour lui servir d’assistant ; puis il partit outré, sans avoir songé à parler d’autre chose. Quand Walpole entra à son tour, il trouva le roi, que cette scène avait tellement amusé, qu’on n’en pouvait rien tirer de sérieux, et qu’à toutes les questions sur ce que Bolingbroke avait dit, il répondait ces mots français : « Bagatelles, bagatelles ! »

Le ministre, malgré le peu de succès de cette première tentative, n’était pas sans inquiétude. Il voyait grossir le nuage de l’opposition ; il craignait que la duchesse de Kendal, conduite par un homme artificieux et persévérant, ne fît à la longue quelques progrès dans l’esprit du roi. Que seulement Bolingbroke obtint ce qu’il réclamait à titre de promesse, sa rentrée à la chambre des pairs, et il y pouvait conclure avec lord Carteret l’alliance formée par Wyndham à la chambre des communes avec Pulteney. Une coalition formidable était aussitôt sur pied. On a dit même que Walpole s’était vraiment cru en péril ; mais il fut sauvé ou plutôt raffermi par un événement qui parut d’abord décider sa perte.

Le roi mourut subitement dans un voyage en Hanovre (juin 1727). Son fils avait depuis longtemps perdu toute sa bienveillance, et quoique dans leurs différends le ministre eût ménagé et quelquefois servi le prince de Galles, un nouveau monarque pouvait vouloir un nouveau gouvernement et prendre ses conseillers hors du cercle des serviteurs de son père. Telle fut en effet sa première pensée, et Walpole fut un instant remplacé ; mais auprès de George II veillait une femme d’un esprit remarquable et d’un caractère supérieur encore à son esprit. Caroline d’Anspach était le bon génie du roi, son mari. Elle avait reconnu tout le prix d’un ministre tel que Walpole, et elle demeura sa constante protectrice. C’est par elle qu’il sut diriger, sans qu’elle se laissât apercevoir, les volontés incertaines d’un prince médiocre, mais droit et sensé. En tout, le règne de George II, qui commence par Walpole et finit par Chatham, fut un grand règne. Sa grandeur ne vint pas du roi, mais le roi n’y fit pas obstacle, et George II est sans comparaison le premier des princes que l’Angleterre ait eus dans tout le cours du XVIIIe siècle.

Walpole avait aperçu de bonne heure le mérite de la reine et son crédit sur son époux, Bolingbroke ne pouvait manquer de s’y tromper et de croire que l’influence était ailleurs, puisque le roi avait une maîtresse. Henriette Howard ou lady Suffolk était belle ; elle avait de la bonté, un caractère doux, le goût de l’esprit avec peu d’esprit et de la conversation, quoiqu’elle fût sourde. Tous les poètes de l’opposition la célébraient à l’envi, et Swift lui écrivait. On le retint même en Angleterre au moment où il voulait faire le voyage de Paris. Sa présence pouvait être nécessaire pour ce qui se préparait. « On n’a pas été aussi inactif que vous l’imaginez, lui dit Bolingbroke dans un billet. Partir en ce moment pour Paris n’aurait pas le sens commun. « - « Il y a ici mille projets dans lesquels on voudrait m’engager et que j’embrasse froidement parce qu’aucun ne me plaît, » écrivait le doyen à un de ses amis d’Irlande, Bolingbroke avait repris auprès de lady Suffolk le manège commencé avec la duchesse de Kendal. Lord Chesterfield, qui s’était de longue main ménagé la faveur de la petite cour de Leicester-House pour être secrétaire d’état lorsqu’elle serait la cour de Saint-James, fit comme lui fausse route, et crut la protection de la favorite meilleure que celle de la reine. Ces deux hommes, faits pour s’entendre et pour se plaire par l’esprit, se rapprochèrent alors, et tous deux se mirent à ourdir la trame que détruisait à mesure que Pénélope qui ne l’avait pas tissée. D’échec en échec, cette cabale de gens habiles finit par réduire ses prétentions à un titre de comte pour un ami, lord Bathurst. Lady Suffolk n’eut pas même la puissance d’arracher cette faveur, et il fallut bien s’avouer qu’on n’avait rien gagné au nouveau règne, Bolingbroke retourna philosopher à la campagne ; mais il n’était point las d’intriguer ni d’écrire, et il employa huit longues années à perdre encore une fois la partie.

Le Craftsman était sa ressource. Sa collaboration fut active, et elle eut un grand succès. N’en déplaise à son talent, nous ne pouvons le suivre dans un journal. La presse périodique décrit et juge dans leur formation successive les événemens que l’histoire considère surtout dans leurs résultats, et elle composé ainsi des éphémérides de la politique courante qui avec le temps deviennent obscures et fastidieuses. Du moins ne peuvent-ils reprendre leur intérêt, si l’on ne se replace jour par jour dans les idées, dans les passions et, pour tout dire, dans les erreurs des contemporains. Ce serait demander au lecteur trop de complaisance. Aussi les chefs-d’œuvre de la presse politique obtiennent-ils rarement un succès durable et sont-ils souvent condamnés à l’oubli. Les anciens seuls ont assuré l’immortalité à leurs pensées d’un jour.

Les écrits politiques de Bolinghroke, sans être des chefs-d’œuvre, ont pourtant un vrai mérite. On y trouve de l’esprit et des idées, un style élégant et animé. La verve de l’écrivain rappelle celle de l’orateur et les traits satiriques, sans être du premier choix, se distinguent par une facilité piquante et dédaigneuse qui sent l’homme du grand monde. L’auteur montre une connaissance assez étendue de l’histoire politique, et sur tous les sujets un fond de réflexions qui se placent à propos et ne semblent pas improvisées pour les besoins de la cause ; mais une droiture de sens et une clarté d’exposition, une vigueur et une suite dans le raisonnement, une manière saisissante et concluante de penser et de dire qui fait les pamphlets du premier ordre, voilà ce qui ne se retrouve pas toujours dans les siens. Sa raison est comme lui-même, elle manque de conscience, et s’il est assez adroit pour troubler la conviction, il est rarement assez fort pour l’imposer.

Les moins remarquables de ses articles, on s’en étonnera peut-être, me paraissent ceux où il traite des affaires étrangères. De 1727 à 1730, la question principale fut de savoir comment on viendrait à bout de soumettre au joug de la paix générale les ressentimens et les prétentions de l’Espagne. À l’alliance offensive qu’elle était parvenue à former à Vienne en 1725, on avait répondu par le traité de Hanovre, qui associait la France, l’Angleterre, la Prusse et la Hollande. Cette ligue intimida l’Autriche, qui se détacha en mai 1727 ; une trêve fut souscrite, et l’année suivante Philippe V signa les préliminaires d’une paix dont il renvoya la conclusion au congrès général. Ce congrès, qui se tint à Soissons, n’aurait peut-être rien fini, si William Stanhope n’eût réussi a négocier en Espagne le traité de Séville, qui termina le différend à la satisfaction de l’Angleterre (novembre 1729). Cette succession de négociations partielles et provisoires prête bien aux critiques de Bolingbroke ; mais comme au fond il n’oppose pas la guerre à la paix ni système à système, il attaque plutôt les épisodes que l’ensemble, plutôt les argumens ministériels que les ministres. Il cherche plutôt à diminuer leur mérite qu’à contester l’utilité de leurs œuvres. Il paraît même que, par une lettre à demi publique aux tories, il avait défendu la trêve de 1727, et les dissertations que sous le nom de John Trot ou d’autres noms il inséra dans le Craftsman contiennent plutôt des observations de détail que de nouvelles solutions diplomatiques. Une rédaction heureuse et quelques aperçus justes ou spirituels ne suffisent point pour donner de l’intérêt à une polémique qui ne conclut pas.

Il en est autrement d’une suite de vingt-quatre lettres réunies plus tard sous le titre de Remarques sur l’histoire d’Angleterre, par Humfrey Old Castle. C’est un ouvrage qu’admiraient Chatham et Chesterfield, et, quoiqu’il ait valu à son auteur le titre de démagogue que lui donne Disraeli, il mérite une véritable estime comme tableau historique de la constitution anglaise. On conçoit, en le lisant aujourd’hui, que tant que le Craftsman publia ces lettres, son succès ait dépassé celui même qu’avait obtenu le Spectateur. Ce journal paraissait dans un moment où la force de l’administration et la popularité de sa cause, sinon de ses membres, avaient découragé, attiédi du moins l’esprit d’opposition, lui le réveillant par la hardiesse et quelquefois par le talent de ses écrivains, le Craftsman avait provoqué la colère du pouvoir et de son parti. L’opposition était factieuse ; la licence de la presse était à son comble ; l’état était en danger, la constitution subvertie. On connaît ces déclamations obligées des gouvernemens. Bolingbroke répliquait : « L’esprit de liberté n’est pas l’esprit de l’action ; c’est l’esprit de liberté que le nouveau journal a ranimé. Lui seul est l’âme de la constitution. L’histoire entière de l’Angleterre le montre toujours présent, toujours en progrès, et ce n’est que lorsqu’il s’éclipse que l’esprit de l’action l’emporte. » Tel est le thème vrai et libéral que Bolingbroke développa par les argumens connus. On est surpris de voir l’ancien chef tory, l’ancien ministre du prétendant, plaider avec force et clarté les principes de la franche liberté, et, reprenant les traditions nationales au temps des Saxons, au temps des Bretons même, descendre jusqu’aux Stuarts pour combattre à fond les doctrines inaugurées par Jacques Ier et pour leur imputer les fautes et la perte de Charles Ier. L’écrivain s’arrête à la première révolution, mais sa thèse est suffisamment établie. On trouvera dans cette composition la suite et l’unité, l’intelligence de l’histoire, une idée générale largement développée, une fierté de langage qui plait. Sans doute c’est un lieu commun de la politique libérale, mais il venait à propos, et nous-mêmes, nous écrivons dans un temps où ces sortes de lieux communs ont tout le piquant des paradoxes.

Les temps qui s’étaient écoulés depuis la première révolution furent étudiés dans la Dissertation sur les Partis. C’est, selon Goldsmith, le plus estimé des ouvrages de Bolingbroke, le plus travaillé et le plus admirablement écrit selon lord Brougham. Publié par lettres dans le journal, il fut réimprimé avec son nouveau titre en 1735. Une longue et habile dédicace à Walpole servit d’introduction. Dans un langage digne et amer, l’idée générale de l’ouvrage lui était sévèrement appliquée. Cette idée, la voici : les anciens partis, dont la formation et la conduite devaient être cherchées dans l’histoire, n’existent plus, car ils n’ont plus de raisons d’être ; leur nom même n’a plus de sens. S’ils semblent subsister encore, leur existence, fondée sur des intérêts, non sur des principes, est tout artificielle ; elle est l’ouvrage d’une politique qui divise pour dominer et qui corrompt pour diviser, et comme la corruption asservit ceux qu’elle atteint, les garanties de la liberté sont anéanties, la constitution menace de s’écrouler. Ces considérations, où le mauvais côté de l’administration de Walpole est décrit avec vérité, mais avec grande exagération, s’appliqueraient dans une certaine mesure à toutes les administrations anglaises. On peut toujours soutenir que la division des partis a quelque chose de factice, que l’intérêt y joue un trop grand rôle, et que les engagemens qui unissent, la majorité au pouvoir affaiblissent la puissance du contrôle parlementaire. Il y a de cela, mais il y a autre chose ; voilà le mal, mais il y a le bien. Sur la proposition des deux élémens roule la controverse qui fait le fond permanent d’un régime de liberté. Corrupteur qui abuse de l’un, réformateur qui fortifie l’autre : entre ces deux caractères oscillent tous les cabinets : mais la vertu profonde du gouvernement représentatif, c’est qu’il institue une lutte dans laquelle le bien, après un peu de temps, doit dominer le mal, et que les passions et les intérêts auxquels il fait leur place ne sont pas seulement des causes de corruption, mais deviennent aussi des moyens de gouvernement et des moyens de résistance. Walpole sans doute pencha dans le sens de la corruption, il contribua à établir, à outrer même cet esprit de parti systématique, tolérable seulement jusqu’à un certain point, et qu’en Angleterre on a pourtant exagéré moins qu’en France. Ainsi, toute déduction faite du faux que la partialité mêle au vrai, les réflexions de Bolingbroke ont un fond de justesse ; elles sont un préservatif contre les abus du gouvernement constitutionnel. Il y aurait plus à dire contre la conclusion pratique qu’il en voulait tirer. Toute sa polémique n’avait qu’un objet, la fusion des partis indépendans : jacobites, tories, whigs détachés, républicains, tous devaient oublier leurs origines et leurs querelles pour s’unir dans une opposition commune avec ce mot d’ordre, — la pureté de la constitution.

Le mot était beau, seulement l’armée ne valait pas le drapeau. La coalition que la pensée de Bolingbroke avait formée prétendait n’avoir plus qu’un principe, le bien public. Ceux qui la composaient n’acceptaient plus qu’un nom, celui de patriotes. Sous ce pavillon neutre et honoré, tout le monde pouvait se rallier. Les hommes jeunes ou nouveaux, ceux à qui l’inexpérience, l’hésitation ou l’ambition font redouter la contrainte des engagemens politiques, pouvaient être attirés par l’appât d’une association qui posait en principe l’indépendance de ses membres. Naturellement privée des faveurs du pouvoir, elle avait beau jeu à parler désintéressement, dévouement, conscience, et à ne voir en dehors d’elle que corruption et servilité. L’opposition a ce privilège de pouvoir presque toujours prendre l’attitude favorable de la vertu dans l’adversité.

Mais dans cette œuvre de coalition il y avait une combinaison d’artifice et de déclamation qui indignait Walpole. Il trouvait l’un odieux et l’autre ridicule. C’était à la fois un homme de pouvoir et un homme de parti. La théorie de ses adversaires lui paraissait une métaphysique absurde autant qu’hypocrite. Dissoudre les partis et gouverner dans un pays libre comme s’il n’y en avait pas, c’était insensé ; donner aux hommes pour unique mobile le bien public, c’était chimère ou mensonge. Les patriotes étaient des niais, s’ils n’étaient des charlatans ; quant aux habiles qui les avaient enrégimentés, il leur avait fallu diffamer le gouvernement, au risque de soulever la colère du peuple. Sédition et diffamation, telle était donc leur devise, et tel était aussi le titre des pamphlets que ses partisans jetaient à ses adversaires. Il y eut alors un combat de plumes à outrance, et les deux patrons du Craftsman, Bolingbroke et Pulteney, ne furent pas épargnés. Leur défense fut vaillante, chacun d’eux écrivit ; mais tandis que Pulteney poussait l’attaque jusqu’à la dénonciation personnelle et se compromettait au point d’être obligé de répondre l’épée à la main, Bolingbroke, se couvrant davantage, conservant un langage plus général et plus élevé, atteignait la personne à travers la politique et frappait de plus haut son ennemi.

À ces manœuvres de la presse répondirent les manœuvres parlementaires. Les plans de campagne étaient dressés par Bolingbroke. C’est lui qui, se souvenant du traité d’Urecht, imagina de reprocher au ministère que le port de Dunkerque ne fut pas démoli. Il envoya son secrétaire Brinsden inspecter l’état des ouvrages, et, fort de son rapport, Wyndham fit une motion accusatrice contre le cabinet. La France n’avait pas bien littéralement exécuté la stipulation du traité ; mais elle en avait fait assez, et le ministère avait assez insisté pour que la proposition d’une adresse de remerciemens au roi parût soutenable à la majorité. Walpole, faisant appel aux vieilles haines du parti whig, démasqua hardiment l’instigateur secret d’une tentative conçue dans l’intérêt d’un homme et non de la nation. Bolingbroke, attaqué directement, fut défendu par Wyndham, qui, le comparant à Walpole, exalta son caractère et ses talens ; mais l’agression fut vivement relevée par Henry Pelham, secrétaire de la guerre, et l’adresse votée à 125 voix de majorité[7]. Pendant deux ou trois sessions consécutives, l’opposition, avec un acharnement systématique, harcela le cabinet de ses motions combinées. Le bruit se répandit jusque sur le continent que le ministère n’irait pas loin. Ce filet, si habilement tissu, devait enfin rapporter la majorité à ces pêcheurs d’hommes qui le jetaient avec tant de persévérance ; On crut le montent venu en 1733. Chargé des iniquités vraies ou prétendues de douze ou treize ans d’administration, Walpole avait proposé un nouveau plan d’excise. On sait qu’il faut entendre sous ce nom toute contribution indirecte perçue à l’intérieur sur les objets de consommation. Ces sortes de taxes existaient dès longtemps, elles portaient sur le sel, la drèche et les distilleries ; mais la perception en avait donné lieu à tant de fraudes et d’abus, qu’une réforme parut nécessaire. Cette réforme, Walpole l’avait entreprise ; mais il fut accueilli par une telle explosion de mécontentement public, qu’il réduisit son plan à des mesures concernant le trafic du tabac. Il les fit adopter péniblement, à travers les débats les plus violens, par des majorités décroissantes, et jugeant que la victoire définitive coûterait trop cher, il s’arrêta à moitié route et laissa tomber son projet. Seulement, irrité contre les faibles ou les traîtres qui l’avaient déserté dans une épreuve décisive, il se dédommagea en les frappant. Avec l’intolérance qu’il avait toujours montrée pour les fantaisies d’opposition des gens d’esprit, avec cette jalousie de dominateur qui l’avait successivement privé de l’appui de Pulteney, de Carteret, de Townshend lui-même, il dépouilla lord Chesterfield du titre de grand-maître de la maison royale, et bon nombre de seigneurs, perdant leurs sinécures de cour ou même leurs commandemens militaires, allèrent à l’école des patriotes apprendre le métier du désintéressement.

Ce mélange de concessions et de rigueurs semblait avoir ébranlé le pouvoir de Walpole. À la session suivante, on demanda la réduction à trois ans de la durée septennale des parlemens. La proposition était populaire, Bolingbroke, qui dirigeait secrètement l’attaque, l’avait commencée dans la presse. Une forte discussion s’éleva, dans laquelle Wyndham, avec une véritable éloquence, lança contre Walpole une invective mémorable. Par une figure de rhétorique connue, il supposa un roi dominé par un ministre et une chambre qu’il peignait des plus noires couleurs, et il terminait ainsi : « C’est, je l’espère, ce qui ne doit jamais exister ; mais enfin, comme il est possible que telle chose existe, plus grande malédiction peut-elle tomber sur une nation qu’un tel roi sur le trône, uniquement conseillé par un tel ministre, et ce ministre soutenu par un tel parlement ? » Ce mouvement produisit un grand effet ; Walpole fut ému. — Il a entendu le langage de la postérité, s’écriait déjà Bolingbroke ; mais Walpole, reprenant une énergique offensive, passant par-dessus son adversaire apparent, s’attaqua à son invisible ennemi, et supposant à son tour un anti-ministre ingrat, factieux et traître, il dénonça Bolingbroke sans le nommer, et le menaça du ton d’un pouvoir tout prêt à se venger. 247 voix contre 184 sauvèrent le ministre. C’étaient là de fortes minorités auxquelles il n’était pas habitué. L’opinion du dehors semblait agitée, et le terme légal de la durée du parlement était venu. On pouvait espérer ou craindre de la prochaine dissolution un changement de majorité ; la presse, souvent dupe du bruit qu’elle se fait à elle-même, commençait à prédire le triomphe de l’opposition. Cet espoir fut déçu encore une fois : l’élection générale donna à la cour une majorité un peu réduite, mais assurée, et à l’ouverture de la session (janvier 1735), la première division déclara la victoire du gouvernement.


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Des écrivains placent cette entrevue à l’époque du premier voyage de Bolingbroke ; mais il est peu probable que Torcy eût ainsi aposté Mme de Tencin sur la route de l’ambassadeur de la reine Anne.
  2. Un des confidens du duc d’Orléans, probablement l’abbé Dubois.
  3. On écrit aussi Marcilly. Dans l’épitaphe que fit graver Bolingbroke, on lit Mary Clara des Charnus de Marcelly. Nous suivons l’orthographe de M. Monmerqué.
  4. Dans une première rédaction où il ajoutait aux autres dons de Bolingbroke la science de Varron, Voltaire le remerciait de s’être intéressé à lui pendant sa maladie :

    Bolingbroke, à ma gloire, il faut que je publie, etc.
  5. Lettre de Bolingbroke à Swift, Gay et Pope, 23 juillet 1725. Vive la bagatelle était un mot de lord Oxford. On appelait dans cette société bagatelle les amusemens de l’esprit. De là ce vers de Pope :
    : And Swith wisely : Vive la bagatelle !
  6. Robin, dimimitif de Robert.
  7. Montesquieu assistait à cette séance. Voici comme il en rend compte : « J’allai avant-hier au parlement, à la chambre basse ; on y traita l’affaire de Dunkerque. Je n’ai jamais vu un si grand feu : la séance dura depuis une heure après midi jusqu’à trois heures après minuit. Là, les Français furent bien mal menés ; je remarquai jusqu’où va l’affreuse jalousie qui est entre les deux nations. M. Walpole attaqua Bolingbroke de la façon la plus cruelle, et disait qu’il avait mené toute cette intrigue. Le chevalier Windham le défendit. M. Walpole raconta en faveur (sic) de Bolingbroke l’histoire du paysan qui, passant avec sa femme sous un arbre, trouva qu’un homme pendu respirait encore. Il le détacha, et le porta chez lui ; il revint. Ils trouvèrent le lendemain que cet homme leur avait volé leurs fourchettes. Ils dirent : « Il ne faut pas s’opposer au cours de la justice ; il le faut rapporter où nous l’avons pris. » (Notes sur l’Angleterre). Cette historiette était pour Bolingbroke la menace