Éditions Édouard Garand (54p. 12-14).

VIII

PELOUSES D’ÉMERAUDE


Une jolie et confortable voiture (louée, bien sûr me dis-je) nous attendait à J…, et un cocher à tête blanche accourut au-devant de Mme Duverney, aussitôt qu’elle mit le pied sur la plate-forme de la gare.

— Comment vous portez-vous, Madame ? demanda-t-il, en s’inclinant respectueusement devant Mme Duverney. Nous sommes heureux de vous voir de retour, Madame, bien heureux !

— Merci, Zeus !… Comment ça va-t-il, à la maison ? demanda ma compagne.

— Bien, très bien… Si vous voulez me donner vos chèques, je vais m’occuper de vos bagages tout de suite.

J… me paraissait être un bien joli endroit. Venant d’une toute petite ville, je ne pouvais qu’admirer les maisonnettes proprettes bordant la route. Je vis aussi des villas, des bungalow, même de splendides résidences, entourées, celles-ci surtout, de véritables parcs en miniature, de pelouses s’étendant à perte de vue presque, ou de jardins bien entretenus, remplis de fleurs.

— Oh ! m’écriai-je tout à coup, en désignant, à ma gauche, une magnifique et spacieuse résidence. Je ne détesterais pas demeurer là, ajoutai-je en riant ; c’est un vrai paradis terrestre, selon moi !

La résidence en question avait été construite sur un plan bien ordinaire ; ce n’était qu’une maison carrée, de grandes dimensions ; mais, à l’ouest était une aile surmontée d’une tour. Maintenant, j’ai toujours aimé les tours et celle-ci était si grande ; les pièces qu’elle contenait devait être si belles et si confortables !

— Cette propriété est connue sous le nom de Pelouses d’Émeraude, me dit Mme Duverney.

Pelouses d’Émeraude… répétai-je. Et, qui demeure aux Pelouses d’Émeraude, Mme Duverney ?

— Une vieille dame demeure là, seule avec deux domestiques, me répondit-elle.

— Que c’est beau ! Que c’est splendide ! m’exclamai-je, assurément fort enthousiasmée. Ces pelouses… ces jardins… ne sont-ils pas bien entretenus ? Voyez donc cette terrasse, vers la droite ; ne dirait-on pas un tapis de velours vert, d’ici ?

Mon enthousiasme parut amuser ma compagne (lui plaire aussi) me semblait-il : mais elle se contenta de me sourire affectueusement.

Soudain, j’eus une exclamation étonnée… car notre voiture venait de pénétrer sur le terrain des Pelouses-d’Émeraude. J’interrogeai ma compagne, des yeux.

— Voici ma demeure, Marita, dit-elle ; j’espère que tu t’y plairas.

— M’y plaire ! Mais, j’en suis littéralement folle ! m’écriai-je.

— Tant mieux ! Tant mieux ! répondit-elle.

— Mais, Mme Duverney, fis-je, perplexe, vous parliez sans cesse de votre « petit chez-vous », à J… : je croyais que vous faisiez allusion à quelque modeste maisonnette…

— Bien, voici « mon petit chez-moi », Marita, et je suis contente que tu l’admires tant.

Pelouses-d’Émeraude, pour moi, c’est un véritable domaine, Mme Duverney, et votre demeure me semble un palais !

— Non ! Non ! Pelouses-d’Émeraude n’est pas un domaine, chère enfant, et ma demeure n’est qu’une grande maison, grande et confortable ; mais puisse-t-elle être un home pour toi, petite !

Une servante assez âgée, à l’air avenant et bon, nous ouvrit la porte de la maison ; elle paraissait vraiment heureuse de revoir sa maîtresse.

— Ô Madame ! s’écria-t-elle. Vous voilà revenue enfin ! Vous avez été si, si longtemps absente !

— Comment vous portez-vous, Prospérine ? demanda Mme Duverney.

— Merci, Madame, ma santé est excellente, et j’espère qu’il en est de même en ce qui vous concerne ?… Mon mari était-il arrivé à la gare à temps ?

— Oui, Zeus nous attendait à la gare… Voici Mlle Marita, Prospérine, fit Mme Duverney ; Mlle Marita va demeurer avec moi pour quelque temps.

— Votre servante, Mademoiselle ! dit Prospérine, en me saluant. Vous vous plairez aux Pelouses-d’Émeraude, j’en suis sûre, Mademoiselle.

— Je n’en doute pas, Prospérine, répondis-je en souriant.

Nous venions de pénétrer dans un large corridor. J’aperçus une immense cheminée, dans laquelle brûlait un feu clair. Quelques statuettes, une petite table, un confortable canapé, faisait de ce corridor une pièce fort jolie.

À droite était un salon double, ouvrant sur une riante salle à déjeuner, au moyen de portes d’arche.

À la gauche de ce hall, je vis une splendide bibliothèque, regorgeant de livres, dont la vue me remplit de joie, car j’aimais la lecture à la folie. Je disais parfois que je me résignerais à vivre dans la plus complète solitude, du moment que j’aurais des livres à ma disposition, ainsi que de l’encre, des plumes et des tablettes pour écrire, et aussi un piano, pour me distraire.

Une spacieuse salle à dîner faisait suite à la bibliothèque, puis venait la cuisine.

Dans l’aile, sous la tour, était un large boudoir.

— Suis-moi, Marita, me dit Mme Duverney. Je vais te donner la chambre voisine de la mienne, pour ce soir, ajouta-t-elle ; demain, tu choisiras les pièces qui te conviendront. Tu pourras même prendre possession de toute la tour, si tu le désires, acheva-t-elle en riant.

Les chambres à coucher étaient, elles aussi, grandes, confortables et aérées au moyen de larges fenêtres ; de plus, elles étaient toutes splendidement meublées.

Je soupirai d’aise quand, ce soir-là, je posai ma tête sur mon moelleux oreiller. Nonobstant la peine qui me rongeait le cœur en pensant à Arthur et au passé si peu éloigné, j’étais sûre de trouver la paix, sinon le bonheur aux Pelouses-d’Émeraude.