Éditions Édouard Garand (54p. 10-12).

VII

LE LENDEMAIN


Aussitôt que je devins tout à fait consciente de ce qui m’entourait, j’éclatai en sanglots.

Mme Duverney ! Mme Duverney ! m’écriai-je. Arthur !… Notre mariage !… Le…

— Écoute, Marita, dit Mme Duverney, veux-tu exhiber ta peine, ta déception devant Arthur et sa femme ?… Ils n’ont aucun soupçon. Dieu merci ; ils croient tout simplement que tu ressens, en ce moment, les résultats d’un surcroît de fatigues. Personne n’a de soupçons d’ailleurs ; tu as peu d’amies, aucune amie très intime… Même la cuisinière croit que nous nous préparions à recevoir ton cousin et sa femme, au retour de leur voyage de noces. Ainsi, essaye de contrôler ta douleur, ma chérie, et personne ne devinera jamais l’erreur que nous avons commise… toi et moi.

— Ma robe de noce ! Mon voile de mariée ! Ma guirlande de fleurs d’oranger ! sanglotai-je.

Tout cela, c’est caché dans le fond de ma valise ; donc, n’y pense plus, si tu le peux…

— Jamais je n’oublierai ! Jamais je ne me consolerai ! m’écriai-je. Et puis, l’humiliation…

— Allons ! Allons, ma pauvre petite, ne parle pas ainsi… Comme je le disais tout à l’heure, personne ne se doute de… l’erreur que nous avons commise, personne…

— Personne, dites-vous ? Ô ciel ! Les demoiselles Brasier… je leur ai annoncé, cet après-midi, que nous allions nous marier. Arthur et moi, jeudi, c’est-à-dire après demain ! Elles propageront la nouvelle peut-être et je deviendrai le… le bouffon de toute la ville…

— Non pas, Marita ! assura Mme Duverney. Demain matin, de très bonne heure, je me rendrai chez les demoiselles Brasier, je les mettrai au courant de la situation et je sais que nous pouvons nous fier à leur discrétion…

— Vous ferez cela, chère Mme Duverney ? fis-je.

— Bien sûr que je le ferai ! À présent, ma petite, je vais t’apporter une tasse de thé et du pain rôti ; il faut que tu prennes quelques bouchées, afin de pouvoir dormir ensuite, car, demain matin, il faudra que tu sois présente au déjeuner, c’est entendu.

— Je ne le pourrai pas ! Non, je ne le pourrai pas ! pleurai-je.

— Tu le pourras et tu le feras, j’en suis sûre, Marita… Et, écoute, je pars pour chez moi demain après-midi et je t’emmène avec moi : ce plan te va-t-il ?

— Vraiment ? Vous désirez que je vous accompagne, chère Madame ? Ah ! ce sera bien charmant !… Je ne pourrais me décider de continuer à demeurer sous le même toit qu’Arthur et sa femme, je le sais !

— C’est entendu alors. Nous partirons par le train de trois heures… et puis, Marita, tu seras heureuse avec moi, je te le promets ; je t’offre un bon chez toi, crois-le.

Je n’avais jamais vu la demeure de Mme Duverney ; le fait est que je n’avais jamais quitté la petite ville où j’étais née et où j’avais été élevée. Cette bonne vieille amie de tante Marguerite parlait assez souvent de sa petite résidence, là-bas, à J… ; donc, je m’imaginais bien que cette « résidence » devait être une jolie maisonnette, située au milieu d’un jardin probablement. Dans tous les cas, j’étais presqu’heureuse à la pensée de m’en aller avec elle, pour un certain temps ; plus tard — beaucoup plus tard — quand je serais devenue habituée à la pensée qu’Arthur était marié… à une autre que moi… ça me paraîtrait plus… faisable de vivre sous son toit.

Le lendemain matin, au déjeuner, Mme Duverney annonça qu’elle partirait pour chez elle, par le train de l’après-midi. Arthur et sa femme protestèrent hautement et sincèrement contre cette idée ; ils auraient aimé à la garder encore pour quelque temps ; mais elle déclara que rien ne lui ferait changer sa résolution… d’ailleurs, elle commençait à s’ennuyer un peu de son chez elle et de J…

— Je suis réellement décidée de partir, voyez-vous, dit-elle. De plus, j’emmène Marita avec moi.

— Emmener Marita ! s’exclamèrent, en même temps, Arthur et sa femme.

— Eh ! bien, oui. Marita a besoin d’un peu de changement et de repos ; elle trouvera tout cela chez moi.

— Tu es donc résolue de nous quitter, petite cousine ? demanda Arthur.

— Pour un certain temps, oui. Comme le dit Mme Duverney, un peu de changement et de repos me feront du bien, je crois, dis-je, d’une voix un peu tremblante.

Mon cousin était à la gare lorsque nous partîmes. C’est lui qui s’occupa de nous installer dans un wagon de luxe et de voir à ce nous fussions assurées de tout le confort possible.

— Quand nous reviendras-tu, Marita ? me demanda-t-il.

— Je ne saurais le dire vraiment, répondis-je, en pleurant toutes mes larmes. Cela dépendra de… bien des choses, voyez-vous, Arthur.

— Combien je suis peiné de te voir partir, petite cousine ! dit Arthur. J’avais cru qu’en me mariant, je…

— N’entends-tu pas le sifflet de la locomotive, Arthur ? interrompit Mme Duverney. Tu ferais mieux de descendre du train immédiatement, mon garçon.

— Adieu, Mme Duverney ! Au revoir, Marita ! Bon voyage, toutes deux, et reviens-nous aussitôt possible, cousine… N’oublie pas de nous écrire, et bientôt, Marita chérie.

— Adieu, Arthur ! sanglotai-je.

Je pleurai longtemps, après le départ du train et Mme Duverney me laissa pleurer. Elle savait bien que les larmes que je versai me soulageaient le cœur. Cette bonne dame, au lieu de m’ennuyer avec de vaines paroles de consolation, fit semblant d’être absorbée dans la lecture d’une revue illustrée.

Mais je n’avais jamais voyagé de ma vie et bientôt, je m’essuyai les yeux et j’essayai de me consoler un peu en admirant le paysage vraiment admirable à travers lequel nous cheminions.

— Marita, me dit, soudain Mme Duverney, je ne t’ai pas parlé encore de la visite que j’ai faite, ce matin, aux demoiselles Brasier… Il n’était pas sept heures que je frappais à leur porte…

— Oh ! racontez-moi tout, tout ! Qu’ont-elles dit ? Ont-elles ri de moi ?

— Ri ? Certes, non ! Au contraire, ma pauvre enfant !… Elles ont beaucoup pleuré, toutes deux… Cette pauvre Mlle Agathe était inconsolable.

— Et elles ont promis d’être discrètes ?

— Bien sûr qu’elles ont promis ! Elles ne desserreront pas les dents sur… l’erreur que nous avions commise, toi et moi : nous pouvons, je sais, nous fier à leur discrétion.

— Ces bonnes demoiselles ! m’écriai-je.

— Elles aimeraient bien que tu leur écrirais de temps à autre. Je leur écrirais, moi, à ta place.

— Je ne manquerai pas de le faire, répondis-je.

— Tu seras heureuse avec moi, petite, j’en suis convaincue, continua Mme Duverney et avant longtemps, tu oublieras…

— Je l’espère… que je finirai par oublier, je veux dire ; mais, hélas ! j’en doute fort ! soupirai-je.

— « Le temps est un grand guérisseur », tu sais, Marita… et puis, tu es si jeune !… La jeunesse est le remède par excellence à presque tous les maux.

— Dans tous les cas, vous êtes bien bonne pour moi, chère Mme Duverney ! m’écriai-je, en pressant la main de ma compagne. Il me tarde vraiment d’arriver chez-vous ; quand arriverons-nous ?

— Nous arriverons à J… à cinq heures et demie, juste à temps pour le souper. Je suis de l’ancien temps, de l’ancien régime, tu comprends, Marita : d’ailleurs, je n’ai jamais pu digérer un dîner pris à sept heures du soir, jamais de ma vie ! Nous dinons à midi et nous soupons à six heures, dans ma maison ; tu finiras par t’y hahituer, toi aussi.

— Votre demeure est-elle bien éloignée de la gare, Mme Duverney ? demandai-je.

— Ma demeure en est à un quart d’heure de promenade, en voiture, à travers le plus beau paysage imaginable, me répondit-elle.

Le temps et le train semblait voler, littéralement, et bientôt, je m’aperçus que Mme Duverney commençait à collectionner ses bagages.

— Nous arriverons dans moins de dix minutes maintenant, me dit-elle ; la prochaine gare c’est J…