Boileau - Œuvres poétiques/Satires/Avertissement 1694

SatiresImprimerie généraleVolumes 1 et 2 (p. 47-50).


V

AVERTISSEMENT
PLACÉ, DANS L’ÉDITION DE 1694, À LA SUITE
DE LA PRÉCÉDENTE PRÉFACE.


AU LECTEUR.

J’ai laissé ici la même préface qui étoit dans les deux éditions précédentes, à cause de la justice que j’y rends à beaucoup d’auteurs que j’ai attaqués. Je croyois avoir assez fait connoitre, par cette démarche où personne ne m’obligeoit, que ce n’est point un esprit de malignité qui m’a fait écrire contre ces auteurs, et que j’ai été plutôt sincère à leur égard que médisant. M. Perrault néanmoins n’en a pas jugé de la sorte. Ce galant homme, au bout de près de vingt-cinq ans qu’il y a que mes satires ont été imprimées la première fois, est venu tout à coup, et dans le temps qu’il se disoit de mes amis, réveiller des querelles entièrement oubliées, et me faire sur mes ouvrages un procès que mes ennemis ne me faisoient plus. Il a compté pour rien les bonnes raisons que j’ai mises en rimes pour montrer qu’il n’y a point de médisance à se moquer des méchans écrits, et, sans prendre la peine de réfuter ces raisons, a jugé à propos de me traiter dans un livre[1], en termes assez peu obscurs, de médisant, d’envieux, de calomniateur, d’homme qui n’a songé qu’à établir sa réputation sur la ruine de celle des autres. Et cela fondé principalement sur ce que j’ai dit dans mes satires que Chapelain avoit fait des vers durs, et qu’on étoit à l’aise aux sermons de l’abbé Cotin.

Ce sont en effet les deux grands crimes qu’il me reproche, jusqu’à me vouloir faire comprendre que je ne dois jamais espérer de rémission du mal que j’ai causé, en donnant par là occasion à la postérité de croire que sous le règne de Louis le Grand il y a eu en France un poëte ennuyeux et un prédicateur assez peu suivi. Le plaisant de l’affaire est que, dans le livre qu’il fait pour justifier notre siècle de cette étrange calomnie, il avoue lui-même que Chapelain est un poëte très-peu divertissant, et si dur dans ses expressions, qu’il n’est pas possible de le lire. Il ne convient pas ainsi du désert qui étoit aux prédications de l’abbé Cotin. Au contraire, il assure qu’il a été fort pressé à un des sermons de cet abbé ; mais en même temps il nous apprend cette jolie particularité de la vie d’un si grand prédicateur, que sans ce sermon, où heureusement quelques-uns de ses juges se trouvèrent, la justice, sur la requête de ses parens, lui alloit donner un curateur comme à un imbécile. C’est ainsi que M. Perrault sait défendre ses amis, et mettre en usage les leçons de cette belle rhétorique moderne inconnue aux anciens, où vraisemblablement il a appris à dire ce qu’il ne faut point dire. Mais je parle assez de la justesse d’esprit de M. Perrault dans mes réflexions critiques sur Longin, et il est bon d’y renvoyer les lecteurs.

Tout ce que j’ai ici à leur dire, c’est que je leur donne dans cette nouvelle édition, outre mes anciens ouvrages exactement revus, ma satire contre les femmes, l’ode sur Namur, quelques épigrammes, et mes réflexions critiques sur Longin. Ces réflexions, que j’ai composées à l’occasion des dialogues de M. Perrault, se sont multipliées sous ma main beaucoup plus que je ne croyois, et sont cause que j’ai divisé mon livre en deux volumes. J’ai mis à la fin du second volume les traductions latines qu’ont fait[2] de mon ode les deux plus célèbres professeurs en éloquence de l’Université ; je veux dire M. Lenglet et M. Rollin. Ces traductions ont été généralement admirées, et ils m’ont fait en cela tous deux d’autant plus d’honneur, qu’ils savent bien que c’est la seule lecture de mon ouvrage qui les a excités à entreprendre ce travail. J’ai aussi joint à ces traductions quatre épigrammes latines que le révérend père Fraguier[3], jésuite, a faites contre le Zoïle moderne. Il y en a deux qui sont imitées d’une des miennes. On ne peut rien voir de plus poli ni de plus élégant que ces quatre épigrammes, et il semble que Catulle y soit ressuscité pour venger Catulle : j’espère donc que le public me saura quelque gré du présent que je lui en fais.

Au reste, dans le temps que cette nouvelle édition de mes ouvrages alloit voir le jour, le révérend père de La Landelle[4], autre célèbre jésuite, m’a apporté une traduction latine qu’il a aussi faite de mon ode, et cette traduction m’a paru si belle, que je n’ai pu résister à la tentation d’en enrichir encore mon livre, où on la trouvera avec les deux autres à la fin du second tome.



  1. Le Parallèle des anciens et des modernes.
  2. Aujourd’hui nous écririons faites.
  3. Fraguier quitta les jésuites, et devint membre de l’Académie des inscriptions.
  4. La Landelle quitta aussi les jésuites, et prit le nom d’abbé de Saint-Remi. Il a traduit tout Virgile en français.