Déom Frères, éditeurs (p. 126-129).


COUPS DE PLUME


Gentille Colombine, dites donc un peu ce que vous pensez de nos sports en blouse. Ce faisant, vous mettrez aux anges.

L’ami RUSTAUD.


HEUREUSEMENT que vous avez dit gentille Colombine, sans quoi votre billet allait s’échouer au panier. Exécution brutale, mais nécessaire, pour couper dans sa racine une végétation parasite, qui boit la sève de l’arbre où elle s’attache : les correspondants. Les chroniqueuses ne sont pas des thaumaturges ou des confesseurs. De quel droit, venez vous mendier leur sympathie pour des maux dont elles ne peuvent logiquement s’émouvoir, implorer leurs lumières, leur habileté, pour dévider des écheveaux parfois si emmêlés, que l’on n’y voit goutte ? Croyez-vous que ces vaillants écrivains n’ont pas assez à faire de jouer de la plume pour intéresser le public, sans avoir à émietter leur talent et leur cœur à tous ces roitelets qui grimpent sur l’aile des aigles pour se faire voiturer dans les airs !

De combien de jolies choses, vous nous privez, égoïstes correspondants, en accaparant le temps et la pensée de nos femmes écrivains, à qui vous paralysez les ailes, en les forçant de traîner le boulet de vos mièvreries sentimentales ou de vos ineptes fadaises.

Une jeune névrosée écrivait dernièrement : « J’ai l’âme fière et tendre, j’aime à me faire aimer, chérissez-moi donc ! »

Une ingénue (?) celle-là, posait cette question : « Puis-je embrasser un garçon, quand il me le demande. »

Il fallait joindre un portrait à la lettre, pour permettre à la chroniqueuse de rendre un oracle judicieux. Si la fillette est marquée de la petite vérole, avec un œil qui regarde Notre-Dame et l’autre Saint-Patrice, c’est de lui écrire à toute vapeur : « Prenez le baiser aux cheveux !… »

— Si la correspondante est jolie… L’impossibilité de faire honneur à toutes les réclamations qui lui tomberont dessus, lui fait un devoir de refuser net.

Mon Dieu, quand on ne sait pas toutes les circonstances, qui parfois changent l’espèce des choses et même des gens, comment donner un conseil salutaire ?

Correspondants chéris, aimez-moi, si vous le voulez, je le mérite bien… ? Mais, de grâce, ne m’en faites pas l’aveu, car moi aussi j’ai une petite âme farouche. Sous vos paroles de flamme, je frissonnerais pour me refermer comme la classique sensitive. Mon cœur tout entier, je le garde pour ceux qui endurent de vraies douleurs : ceux-là ne savent pas tenir une plume, ils ont la pudeur de leurs souffrances. Puissiez-vous les trouver, car ils se cachent bien. À ceux-là, versez comme une aumône la sympathie qui console !

Avez-vous des déceptions, des troubles de ménage ?… L’âme dans sa chute à bas de l’idéal s’est-elle marbrée de bleus — pourquoi nous affliger de ce désolant spectacle. Une mère est la confidente naturelle de vos chagrins ; à son défaut, une amie… Et, si vous êtes pauvre, orphelin, sans gîte, sans ami, Dieu est partout, tombez à genoux, criez lui votre abandon, vos doutes, vos soupçons, vos embarras etc. Le ciel ne reste jamais sourd à qui l’implore : une paix divine en descendra ! Vous vous relèverez plus courageux pour gravir le calvaire de la vie. Ainsi soit-il.

« Mon bon monsieur Rustaud
Vous êtes tout penaud…

Je vous entends soupirer :

— « Mais, je ne me plains pas, moi… je suis aussi innocent que l’agneau de LaFontaine. En quoi, ai-je troublé l’onde où vous vous désaltérez ? »

— Tant pis, il me fallait une victime, pour expier les crimes d’Israël et je vous ai trouvé sous ma main !

Mais de vous avoir fait gober ce sermon, ça vaut bien une compensation. Causons, je suis à vous…

M. Cyrille Trudeau a fort bien traduit mon sentiment à l’égard des blouses. Elles sont rafraîchissantes, ce qui est un mérite par ces temps de chaleur tropicale. J’y vois un acheminement vers l’égalité sociale, rêvée par les grands philanthropes modernes. L’uniformité d’habits, entre le bourgeois, l’ouvrier et le capitaliste, amènera peut-être l’uniformité des sentiments : la fraternité universelle…

Et, comme je suis évolutionniste, n’en déplaise à Mgr Bond, je vois avec un indicible plaisir l’homme se faire une ambition de ressembler à la femme. Allons, nous sommes en voie de progrès. Hier, la suppression des moustaches, aujourd’hui l’avènement de la blouse, demain, le triomphe de la jupe !… Dame, il faut aller de l’avant ! Blouse, comme noblesse, oblige : l’homme perdra ses brutalités, sa grosse voix, ses jurons, sa chique de tabac, ses dents de chinois, son haleine alcoolisée… pour acquérir une délicatesse, une douceur, une sobriété toutes féminines : La pomme perdit le monde, la blouse le sauvera.

L’air, circulant plus librement sous la chemisette, calmera les ardeurs d’un cœur trop prompt à s’enflammer. L’homme et la femme deviendront copains et compagnons d’ateliers. De là à l’égalité de leurs droits devant la justice et la société, il n’y a qu’un pas. Chantez, adeptes du féminisme, l’ère de votre triomphe point à l’horizon, saluez l’aurore qui va changer la face du monde. Et renovabis faciem terræ