Déom Frères, éditeurs (p. 130-132).


M. STANISLAS CÔTÉ



QUARANTE ans de journalisme !

Vous qui n’avez pas entendu la conférence de M. Stanislas Côté à l’Union Catholique, vous croyez que celui qui porte sur ses épaules ce lourd fardeau doit être un vieillard penché vers la terre, souffreteux, malingre, sceptique, dégoûté de la vie et des gens. Détrompez-vous, M. Côté porte fièrement un passé de luttes, voire même de batailles. Debout sur cette pyramide de rancunes, d’ambitions, d’envie, de mesquineries, que les adeptes de l’arrière-garde ont élevée sur sa route pour lui barrer le chemin et lui voiler les vastes horizons, il peut s’écrier, parodiant Napoléon : Quarante ans me contemplent !

Savez-vous à quoi le digne journaliste doit cette brillante et rose santé qui le fait un des types vigoureux de la race canadienne-française ?

M. Côté, sous la neige des ans, garde la fleur d’un cœur jeune, plein d’enthousiasme. À l’aide de ce prisme radieux, la vie lui semble belle et bonne, et comme si la main du destin avait tracé dans l’aurore du soleil levant de divins hiéroglyphes, compris de lui seul, il croit à l’indépendance de son pays. Il y rêve, il en rayonne. Penseur aux généreuses aspirations qu’illuminent les étincelles d’un esprit vif, capable d’exprimer sa pensée en images et en symboles, sa parole chaude et franche creuse dans le cœur un profond sillon à l’endroit du patriotisme. « Mon Canada ! » sa figure s’enflamme comme au reflet d’un invisible Thabor : le cœur lui monte aux lèvres, ses bras s’ouvrent dans un besoin de l’étreindre, il en parle avec l’ardeur passionnée d’un amant et la tendre câlinerie d’un enfant — « cette belle créature, la plus belle des créatures, » comme il dit, avec tant de feu. Il ne lui garde rancune ni de ses légèretés, ni de ses inconséquences, ni de son ingratitude, elle ne donnera jamais peut-être ce qu’il en attend dans son exaltation, mais son amour l’absout de tout. L’amertume du philosophe : « Ingrate patrie, tu n’auras pas mes os ! » ne crispera jamais sa lèvre souriante. Il expirera en prononçant le nom de l’adorée, le dernier peut-être des Spartiates, le dernier des verts sapins de la forêt, affrontant la tempête d’un front altier, quand les jeunes chênes sont déracinés, quand le vent disperse dans l’espace l’espoir des bourgeons d’avril.

Vous qui niez l’amour, la vertu, l’honneur, cordes mélodieuses dont les sonorités chantaient si doucement au souffle patriotique de vos ancêtres, et qui ne s’éveillent plus en vos âmes endormies, précoces vieillards de vingt ans, quel triste mensonge, qu’une floraison de jeunesse sur cette pourriture morale de vos cœurs en décomposition ! Que restera t-il de vous dans quarante ans ? — Ce qui demeurera des atômes, que l’étincelle divine n’a jamais animés, un néant s’enfonçant dans le néant ; car ce qui fait l’homme immortel, c’est la pensée fécondante, l’amour ardent d’une sainte cause : le vieil Homère, le sage Platon, le Christ Jésus, le doux Vincent de Paul, nos martyrs de 37, le grand Papineau demeurent éternellement jeunes, l’aube du siècle nouveau redore leurs noms sur le monument de la gloire. Comment pouvez-vous espérer survivre, vous qui n’avez jamais aimé, partant jamais vécu, pauvres jeunes vieillards !…

Ou bien, éveillez vous, sortez de votre torpeur. Le Père Lalande vous a dit, en souriant, une vérité profonde : « Il reste une ressource à exploiter dans notre Canada, c’est la sagesse des vieillards qui ne sont pas vieux. »

C’est vrai, emparez vous de ces brillantes utopies, qu’ils ont conçues dans les douleurs et les larmes, faites-en des réalités, demain. Matérialisez le rêve, vous serez invincibles, « jeunes barbes, » si à la vigueur des muscles, aux battements réguliers d’un cœur neuf, à l’infini des idées progressives, vous ajoutez la fraîcheur d’âme, le patriotisme, les traditions de loyauté des « vieilles moustaches. »