Déom Frères, éditeurs (p. 124-125).


LA FAUVETTE ET LE HIBOU


ALLÉGORIE


À HARPE, « Le Soleil »
Québec.


Sous la douce clarté d’un crépuscule rose,
Un oiseau préludait au coucher du soleil,
L’astre-Roi s’endormait la paupière mi-close,
Dans le duvet neigeux d’une couche en vermeil.
C’était du rossignol, la gentille sœurette
Qui chantait son cantique, aériens soupirs,
Argentine prière, extase de fauvette,
S’envolant au ciel pur, sur l’aile des zéphyrs.
Le rossignol ému retenait son haleine :
Il craignait de troubler ce concerto divin,
Romance sans bémol sœur de sa cantilène.
Le chérubin de même écoute un séraphin…
Soudain le bois frémit par les branches froissées.
Un vol lourd battit l’air, obscurcissant le jour
Comme un voile de deuil. Des cimes délaissées,
Un oiseau noir venait. Aigle, épervier, vautour ? —
Non ! Un sombre hibou, déplumé, l’aile basse.
L’œil pâle et clignotant, le bec long et tordu.
— Chut !… fait le rossignol, que personne ne passe !

La fauvette module un céleste impromptu,
Tu briserais le fil des mélodiques trames,
Musicale dentelle œuvre d’un gosier d’or
Sur le tissu mouvant des fibres de nos âmes…
— « L’oiseau noir tremblotant s’arrête en son essor
Le bec rouge du sang des candides colombes.
Il accroche sa griffe à la branche d’un pin :
— « Malédiction trois fois !… » clame l’hôte des tombes,
Fier Seigneur du charnier « Pitoyable destin,
« Je suis laid et sans voix, donc, je hais la lumière,
« L’amour et la beauté, fatale Trinité
« Qui raille mes sanglots — Et je bois à l’ornière
« L’eau fétide et verdâtre !… Ô sainte vérité,
« Je n’oserais poser mes lèvres à ton urne
« Dans la crainte d’y voir mon sinistre reflet !…
« Hou ! Hou !… hulule encor le sombre oiseau nocturne »
— Il volète au ras sol vers son antre secret !…
...................................
La voix semble plus douce après ces tristes notes :
Fragilité d’un chant immatériel et pur,
Qui se mêle aux ave des sereines dévotes
Montant comme l’encens vers le temple d’azur !