François Maurin


On dit généralement que les bossus ont de l’esprit. François Maurin avait double bosse et il avait conséquemment deux fois plus d’esprit qu’un bossu ordinaire. C’est, du moins le témoignage que rendent les contemporains de cet être disgracieux.

Né en la paroisse de Tarnac, au diocèse de Xaintes, en Saintonge, Maurin passe dans la Nouvelle-France sans le sou. Mais il était intelligent, instruit, fort en chiffre, et il trouva tout de suite de l’emploi chez des négociants de Montréal.

Quant Cadet devint munitionnaire général, il lui fallait à Montréal un commis pour s’occuper de ses affaires. On lui suggéra Maurin comme l’homme qui lui rendrait le plus de services.

Cadet se trouva si bien de son commis qu’il lui donna peu après la maîtrise presque absolue de ses achats dans la région de Montréal. Maurin était glorieux, vantard et ambitieux. Il s’insinua si bien dans l’esprit et les affaires de Cadet que celui-ci lui donna le titre d’assistant ou d’aide-munitionnaire général.

Le sieur de C. dit de Maurin :

« Maurin étoit l’homme le plus difforme de la Colonie : il étoit bossu, et n’avoit rien que de sinistre dans la physionomie et le maintien ; mais il avoit beaucoup d’esprit et quelque peu orné ; il avoit été commis de quelques marchands, où il fit voir de la capacité ; il étoit ambitieux, et souvent généreux par vanité ; il poussa le luxe jusqu’où il pouvoit aller en Canada ; et, à l’égard du désir d’amasser du bien, Cadet ne pouvoit choisir deux personnes qui se concilieroient mieux et qui emploieroient plus de moyens de vexation et de détours qu’eux ; aussi on ne vit voler et en donner l’exemple plus impunément, et jouir, ou plutôt triompher de la misère publique, avec plus de faste et d’arrogance qu’ils le firent. »

Montcalm détestait souverainement Maurin et à plusieurs reprises, dans ses lettres à ses amis, il en parle presque avec dégoût.

Malgré sa laideur et ses difformités. Maurin prit femme à Montréal, le 21 décembre 1758. Il épousa Marie-Anne Daigneau, une fille qui travaillait pour lui.

Repassé en France après la Conquête, Maurin fut arrêté en 1761, jeté à la Bastille et subit son procès au Châtelet.

Le jugement du 10 décembre 1763 dit de Maurin : « Le dit François Maurin dûment atteint et convaincu d’avoir commis des malversations et infidélités préjudiciables aux intérêts du Roi, savoir, quant aux marchandises fournies aux magasins de Sa Majesté en ce qu’il a prêté inconsidérément sa signature pour des marchés de fourniment de marchandises dans lesquelles il n’avait nul intérêt, et encore qu’il a participé aux gains illégitimement, résultant des prix trop forts accordés au fourniment de marchandises faites dans les villes, forts et postes de la colonie par le dit Cadet avec lequel, ainsi que les dits Pénissault et Corpron, il était intéressé.

« Quant à la susdite entreprise générale, de rations et vivres dans laquelle le dit Maurin était, de son propre aveu associé avec le dit Cadet, pour un treizième deux tiers ou environ, le dit Maurin dûment atteint et convaincu.

« Primo — de s’être prêté à écrire la première carte de fourniture fictives de vivres et ration, à répartir dans les états des dits forts d’En-Haut, par augmentation à la fourniture réelle.

« Secundo — d’avoir coopérer avec le dit Pénissault à la rédaction de l’autre carte de fournitures fictives de vivres et rations aussi à employer dans les états des dits forts.

« Tertio — d’avoir donné lieu à la continuation des abus qui se pratiquaient dans les forts et dont il était instruit par les commis du dit sieur Cadet en leur écrivant « de faire ce que les commandants voudraient, pourvu que le munitionnaire général n’y perdit rien ».

« Quarto — de s’être prêté à payer en argent et à moitié de leur valeur des billets de rations et vivres particuliers tirés sur Montréal et Lachine qui auraient dû être suivis d’une fourniture réelle et qui, quoique purement fictifs ont été néanmoins employés au préjudice du Roi dans les états de consommation des dites villes et postes sur lesquels ils étaient tirés.

Quinto — d’avoir participé sciemment au gain illégitime provenant de l’entreprise générale des vivres faite par le dit Cadet avec lequel, suivant son aveu, il était associé ainsi que les dits Pénissault et Corpron, à raison d’un treizième deux tiers ou environ ».

Maurin fut condamné par le jugement à être banni de Paris pour neuf années, à payer cinq cents livres d’amende et à restituer au Roi six cent mille livres.

Maurin, comme la plupart des autres accusés, se hâta de payer les sommes réclamées par le jugement. On ne sait où il se retira ensuite. Il avait probablement acheté un bien seigneurial, ce qui lui permettait de changer de nom.