Jean Corpron


Le sieur de C. fait un portrait peu flatteur de Jean Corpron. Parlant du munitionnaire-général Cadet, il écrit :

« Il avait chez lui un nommé Corpron, homme de néant que ses coquineries avaient fait chasser de chez différents négociants dont il était commis, mais il avait de l’esprit et entendait parfaitement le commerce. Cadet l’avait depuis deux ou trois ans à son service ; il l’avait intéressé dans son commerce, en sorte qu’il était devenu son homme de confiance ; il fut aussi le premier de tous, et commença à prendre connaissance des affaires ; il examinait les comptes-rendus, il avait le détail du gouvernement de Québec : on ne sait quels arrangements il fit avec le munitionnaire, mais personne n’ignore qu’il gagna de grandes sommes et qu’en très peu de temps il devint puissamment riche ».

Corpron, homme de néant, dit le sieur de C. On ne peut faire le portrait vrai d’un homme véreux en aussi peu de mots.

Originaire de Pezany, dans le diocèse de Saintes, Corpron était arrivé à Québec aux environs de 1748 ou 1749. Sans le sou, il fut employé chez différents négociants qui le mirent à la porte les uns après les autres à cause de ses coquineries, comme le dit si bien le sieur de C.

Corpron épousa, en juillet 1754, Marie Roy, veuve de Joseph Lepine dit Lalime. Elle était la fille de Joseph Roy, négociant à l’aise de Beaumont, et seigneur de Vincennes. Le beau-père et le gendre aimaient l’argent au même degré et ils se plurent. C’est probablement Joseph Roy qui fit entrer Corpron au service du munitionnaire Cadet. De son côté, Corpron, devenu l’âme damnée de Cadet, favorisa son beau-père en poussant le munitionnaire à le choisir comme un de ses principaux fournisseurs.

Après la perte du Canada, Corpron retourna en France où il espérait vivre en grand seigneur avec la fortune qu’il avait amassée en si peu d’années à Québec. Arrêté quelques mois après son arrivée là-bas, il fut jeté à la Bastille. Il y rejoignait Bigot et tous les autres.

Le texte du jugement rendu contre Jean Corpron le 10 décembre 1763 a été conservé. Il est édifiant ! Douze millions de gains à diviser entre Cadet, Corpron, Pénissault, etc., en moins de deux années.

« Le dit Jean Corpron dûment atteint et convaincu, dit le jugement,

« Primo, d’avoir sciemment participé aux profits illégitimes provenant de la fourniture générale des vivres, faite dans les villes, forts et postes de la colonie par le dit Cadet, avec lequel il était, de son aveu, intéressé, ainsi que les dits Pénissault et Maurin, à raison d’un treizième deux tiers ou environ.

« Secundo, d’avoir eu part aux profits illégitimes résultant de la fourniture de marchandises faites dans les dites villes, forts et postes par le dit Cadet et sa société susdite.

« Tertio, de s’être inconsidérément prêté à signer des marchés de fournitures de marchandises faites aux magasins du Roi à Québec, lesquelles ne lui appartenaient pas.

« Toutes lesquelles malversations, encore qu’une partie ait été réparée, tant par la suppression d’aucuns des états qui les contenaient, que par des restitutions, ont, quant à la seule partie des vivres, de l’aveu des dits Cadet, Pénissault, Maurin et Corpron, porté jusqu’à douze millions le gain qu’ils ont fait de 1757 à 1760, sur une fourniture montant, suivant la déclaration du dit Cadet, à onze millions seulement du prix d’achat ».

Puis, par le jugement proprement dit, Corpron était mandé en la Chambre pour y être admonesté en présence des Juges, averti de ne plus récidiver sous peine de punition exemplaire, condamné à six livres d’aumône et, en outre, à six cent mille livres de restitution envers le Roi, et, enfin, à rester à la Bastille, sous le bon plaisir du Roi.

On ignore ce que devinrent Corpron et sa famille après cette condamnation. Il est certain que madame Corpron ne revint pas dans la Nouvelle-France. Quant à Corpron, avec les deniers si mal acquis au Canada, il dût acheter un bien noble quelque part, ce qui lui permit de faire disparaître le nom flétri de Corpron pour le remplacer par un autre moins compromettant.