Betzi ou L’Amour comme il est : Roman qui n’en est pas un ; précédé d’Entretiens philosophiques et politiques
A.-A. Renouard (p. 202-205).
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Livre I


CHAPITRE VI.


Conversation.




Cependant la sensibilité de son cœur, la délicatesse naturel de ses procédés ne l’engagèrent pas moins à cacher cette disposition sous les formes les moins propres à blesser le caractère même le plus susceptible. Le singulier contraire de son intention et de ses discours ne pouvait manquer sans doute de donner à cette conversation une tournure assez bizarre. — Ah ! c’est vous monsieur ? À votre air d’hier au soir, je ne m’attendais pas à recevoir votre visite de si bonne heure. — Vous la trouvez peut-être fort indiscrète. J’ai été si tourmenté toute la nuit de votre image… — Que c’est auprès de l’original que vous venez chercher à l’oublier ? — Le pourriez-vous penser ? non, mais un peu de consolation, un peu de pitié. — Ne m’avez-vous pas dit hier que la chose que vous craignez le plus désormais c’est de rencontrer une femme capable de vous attacher ? — Hé bien, n’êtes-vous pas trop jolie, trop aimée, trop volage pour me faire courir ce risque ? — Qui peut en répondre ? — Vous-même. Après m’avoir laissé croire que vous pourriez m’aimer une heure ou deux, vous m’assurerez tout franchement que vous ne m’aimez plus ; et tout sera dit. — Oui, mais si cet aveu vous mettait ensuite au désespoir, que pourrais-je faire pour vous consoler ? — M’aimer encore une fois une heure ou deux. — Et si vous preniez l’habitude de ce besoin de consolation, cela ne laisserait pas de vous embarrasser vous et moi. — Vous comptez un peu trop sur les apparences de ma manière d’être. — On n’est pas toujours aussi légère qu’on le paraît. — Ah ! si vous étiez aussi sensible que vous êtes aimable ! — Que deviendrait votre philosophie et la mienne ? Nous nous en passerions à merveille. — Je ne sais ; mais soit raison, soit caractère, je suis franche ; vous m’inspirez assez d’estime pour ne point vouloir vous tromper ; je respecte un cœur qui paraît avoir tant souffert, et ne veux point le rendre plus malheureux encore. Vous trouverez beaucoup de femmes plus séduisantes que moi mais je vous en avertis, il est bien difficile de m’aimer une fois et de ne pas vouloir m’aimer encore ; soyez sur vos gardes. — Cette leçon fut accompagnée, et si naturellement, du regard le plus propre à la faire oublier, que la tête du pauvre Séligni, quelque résistance qu’elle eût méditée, fut bientôt perdue. L’avenir et le passé disparurent à ses yeux ; l’ivresse du moment absorba toutes les facultés de son être, et rien ne put l’empêcher de s’exposer au terrible danger d’être le plus heureux des hommes. Il crut jouir en effet d’une volupté qu’il n’avait jamais éprouvée avec le même délire. Il était arrivé chez Betzi, bien décidé à ne pas la revoir une seconde fois ; il ne la quitta qu’après avoir obtenu la promesse d’oser la revoir tous les jours.