Betzi ou L’Amour comme il est : Roman qui n’en est pas un ; précédé d’Entretiens philosophiques et politiques
A.-A. Renouard (p. 206-209).
Livre I


CHAPITRE VII.


Douce illusion.




Séligni fut assez long-temps en possession de tout ce qui peut enchanter la vie ; ses sens étaient réveillés sans cesse par les plus douces jouissances, son imagination se sentait entraînée par le plus vif intérêt, et son cœur n’éprouvait aucun trouble. Il avait une maîtresse et n’avait point de liens, du moins ne pouvait-il encore les appercevoir ; il ne voyait l’aimable Betzi que pour lui porter du bonheur ou pour le retrouver chez elle ; aucun engagement ne les liait l’un à l’autre ; ce n’était, pour ainsi dire, que le nœud de la veille qui semblait en former un nouveau pour le lendemain. Il devait lui supposer d’autres liaisons que la sienne, mais il ne s’en occupait guère, car elles ne nuisaient jamais à son plaisir ; et cette idée, dont l’impression n’était encore que très-fugitive, ne servait qu’à le rassurer contre le danger d’une passion trop sérieuse. Lui-même se permettait assez souvent de légères infidélités, mais dont le souvenir ou le regret devenaient toujours un nouvel hommage à la préférence que méritait Betzi. Distrait par ses études ; rappelé quelquefois aux sublimes rêveries de son premier roman, quelquefois même inquiet des suites de ses nouvelles habitudes, il arrivait chez elle triste et mécontent, mais n’en sortait jamais sans avoir l’esprit plus serein, le cœur plus léger, l’humeur plus douce et plus gaie. La voir, l’aimer lui semblait chaque fois une jouissance nouvelle, et d’autant plus piquante, qu’elle n’en était pas moins la même. Je n’ai jamais vu personne, me disait-il, alors dans les épanchemens de sa confiance, je n’ai jamais vu personne se donner avec plus d’abandon et conserver plus de prix à ses moindres faveurs. Je n’ai jamais vu personne d’une humeur plus égale, varier davantage l’effet et le pouvoir de ses charmes, les varier d’une manière plus facile et plus sûre avec un sentiment plus naïf, avec une ingénuité plus touchante, plus éloignée de toute fausse coquetterie. En s’occupant de tout ce qui peut exalter votre ivresse, elle a l’air de ne songer qu’à soi, de ne vouloir jouir que du bonheur d’être mieux aimée et de vous aimer davantage à son tour ; ses bouderies ne sont jamais longues, n’ont jamais rien d’amer ni d’indiscret ; ses caprices même, si l’on peut les appeler ainsi, ne servent guère qu’à couvrir, ou plutôt à réparer les torrs dont l’amour le plus passionné, le plus fidèle n’a jamais été, dit-on, tout-à-fait exempt.