Betzi/1/05
Après avoir lutté toute la nuit
contre le charmant fantôme qui s’étoit
emparé de son imagination depuis
qu’il fut sorti du Vauxhal, Séligni
ne put s’endormir que vers le matin,
et fut bientôt réveillé par un songe
plus vif, plus séduisant encore que
tous les souvenirs qui n’avaient pas
cessé de le poursuivre avant ce léger
sommeil. Il se leva brusquement,
s’habilla de même et sortit dévoré
d’incertitude et d’impatience. Sa philosophie lui sut persuader enfin qu’il
fallait écarter le singulier fantôme
qui troublait son repos, comme on écarte tant d’autres fantômes en les
approchant avec beaucoup de résolution et de sang-froid. Cette belle
idée le conduisit presque machinalement à la porte de Betzi. — Madame
est-elle visible ? — Elle est encore
couchée. — Demandez-lui si elle ne
veut pas recevoir la personne à qui
elle a promis hier au Vauxhal
un moment d’entretien. — Il fut
admis. Ne serait-ce pas ici la
meilleure occasion de vous faire le
portrait de Betzi ? — Mais ce ne
sont pas des traits qu’il faudrait
peindre, c’est le charme répandu sur
toute sa personne, ce regard plein
de volupté, mais l’exprimant moins
qu’ils ne l’inspire ; l’accord enchanteur de ces yeux si brillans et de
cette bouche si fraîche, dont le sourire suffirait seul pour caractériser
l’image du printemps ; dans toute sa physionomie ce mélange ravissant
de la joie la plus naïve, de la douceur la plus simple, de la confiance
la plus ingénue, de la grace la plus
naturelle. Aucun de ses traits n’était
régulièrement beau ; mais tous étaient
agréables : son front petit, ses cheveux d’un châtain clair, ses sourcils
mollement arqués, ses yeux bruns
presque à fleur-de-tête, son nez légèrement retroussé, ses joues larges,
mais arrondies comme celles d’Hébé,
sa bouche un peu grande, ses lèvres
un peu fortes, mais dessinées cependant avec finesse et vermeilles
comme la rose, ses dents d’une forme
et d’une blancheur éblouissante, l’ensemble de la taille parfait, même
aux yeux d’un artiste ; la poitrine
haute et bien placée, le tour de l’épaule d’une perfection idéale, comme
celui qui servit de modèle à l’Érigone du Guide. Ajoutez à cela le teint
le plus frais, et tous les enchantemens de la plus brillante jeunesse.
Hé bien, Séligni, dans ce moment,
n’appercevait rien de tout ce que
j’essayai vainement de vous peindre.
Il avait résolu de ne voir dans la
charmante Betzi, qu’une prêtresse
ordinaire de l’amour à qui l’empire
de ses sens le forçait de rendre
hommage.