Betzi ou L’Amour comme il est : Roman qui n’en est pas un ; précédé d’Entretiens philosophiques et politiques
A.-A. Renouard (p. 198-201).
Livre I


CHAPITRE V.


Portrait.




Après avoir lutté toute la nuit contre le charmant fantôme qui s’étoit emparé de son imagination depuis qu’il fut sorti du Vauxhal, Séligni ne put s’endormir que vers le matin, et fut bientôt réveillé par un songe plus vif, plus séduisant encore que tous les souvenirs qui n’avaient pas cessé de le poursuivre avant ce léger sommeil. Il se leva brusquement, s’habilla de même et sortit dévoré d’incertitude et d’impatience. Sa philosophie lui sut persuader enfin qu’il fallait écarter le singulier fantôme qui troublait son repos, comme on écarte tant d’autres fantômes en les approchant avec beaucoup de résolution et de sang-froid. Cette belle idée le conduisit presque machinalement à la porte de Betzi. — Madame est-elle visible ? — Elle est encore couchée. — Demandez-lui si elle ne veut pas recevoir la personne à qui elle a promis hier au Vauxhal un moment d’entretien. — Il fut admis. Ne serait-ce pas ici la meilleure occasion de vous faire le portrait de Betzi ? — Mais ce ne sont pas des traits qu’il faudrait peindre, c’est le charme répandu sur toute sa personne, ce regard plein de volupté, mais l’exprimant moins qu’ils ne l’inspire ; l’accord enchanteur de ces yeux si brillans et de cette bouche si fraîche, dont le sourire suffirait seul pour caractériser l’image du printemps ; dans toute sa physionomie ce mélange ravissant de la joie la plus naïve, de la douceur la plus simple, de la confiance la plus ingénue, de la grace la plus naturelle. Aucun de ses traits n’était régulièrement beau ; mais tous étaient agréables : son front petit, ses cheveux d’un châtain clair, ses sourcils mollement arqués, ses yeux bruns presque à fleur-de-tête, son nez légèrement retroussé, ses joues larges, mais arrondies comme celles d’Hébé, sa bouche un peu grande, ses lèvres un peu fortes, mais dessinées cependant avec finesse et vermeilles comme la rose, ses dents d’une forme et d’une blancheur éblouissante, l’ensemble de la taille parfait, même aux yeux d’un artiste ; la poitrine haute et bien placée, le tour de l’épaule d’une perfection idéale, comme celui qui servit de modèle à l’Érigone du Guide. Ajoutez à cela le teint le plus frais, et tous les enchantemens de la plus brillante jeunesse. Hé bien, Séligni, dans ce moment, n’appercevait rien de tout ce que j’essayai vainement de vous peindre. Il avait résolu de ne voir dans la charmante Betzi, qu’une prêtresse ordinaire de l’amour à qui l’empire de ses sens le forçait de rendre hommage.