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II

LA MUSIQUE

1re période (Imitation).

Si, pendant ces premières années d’études sérieuses sous la direction de bons maîtres viennois, Beethoven se recueille, écrit peu et se contente de préparer, combien longuement, l’éclosion de son œuvre 1, il ne faudrait pas croire que ses années de séjour à Bonn aient été improductives. Comme Dittersdorf, comme Mozart, comme presque tous les musiciens de son époque, Beethoven avait commencé de bonne heure à composer… sans savoir composer. Depuis les Variations sur une marche de Dressler qu’il écrivait à douze ans, jusqu’à celles à quatre mains sur un thème du comte Waldstein qui précèdent immédiatement l’op. 1, il avait élaboré de nombreuses compositions. Veut-on savoir le nombre, à peu près exact, des morceaux écrits par lui pendant cette période d’études primaires ? Il s’élève au chiffre respectable de quarante-neuf. On y rencontre trois pièces pour orgue, onze pour clavecin ou piano, dix-sept pour divers instruments ou pour musique de chambre, trois concertos inachevés, un ballet, deux cantates et treize lieder. Mais, tandis que, de notre temps, beaucoup de jeunes artistes, s’émerveillant de leur premier tableau, de leur premier roman ou de leur première symphonie, n’ont de cesse que ces essais ne soient exposés, imprimés ou gravés, Beethoven n’attacha nulle importance à cette production de dix années. À part les trois sonates pour piano, les premières variations et un lied, composés pour une Gazette musicale, en 1782-1783, et publiés dans ce journal : les Blumenlese de Speeler, il ne voulut laisser graver alors aucun de ces essais, et, si nous trouvons quelques-uns de ces péchés de jeunesse portant des numéros d’œuvre, c’est qu’ils lui servirent, beaucoup plus tard, à calmer l’impatience d’éditeurs exigeants[1].

Beethoven avait donc achevé ses études complémentaires quand il se décida à écrire : Opus I sur le manuscrit des trois trios commandés par le prince Lichnowsky et si péniblement élaborés au cours de 1793 et de 1794. C’est bien, en effet, de cette vingt-troisième année de sa vie que l’on peut faire dater son entrée définitive dans la carrière de compositeur. La période dont nous nous occupons, et qui s’étend de 1793 à 1801, comprend environ quatre-vingts œuvres : vingt sonates pour piano, ou violon, ou violoncelle, ou cor, huit trios pour piano et instruments à cordes, six quatuors à cordes, une vingtaine de pièces pour piano et divers instruments, deux recueils de danses viennoises, la musique du ballet : Prométhée, douze lieder, trois concertos pour piano, le Grand septuor et la première symphonie.

Le fait de nommer cette première période : période d’imitation se justifie sans peine, car on y rencontre couramment soit la préoccupation, soit la copie inconsciente de quelques œuvres contemporaines ou de la génération précédente. Ne connaissant que peu ou mal les grands ancêtres musicaux, Beethoven ne s’exerce pas encore au style polyphonique qui nous vaudra plus tard les derniers quatuors ; bien que familier avec les pièces pour clavecin de Bach, il ne se risque pas à écrire en style fugué comme il le fera dans sa troisième manière ; virtuose par destination, il entend rester virtuose et presque tout ce qui sort de sa plume est conforme aux conventions des musiciens de son époque à l’égard des virtuoses.

Il a, en effet, débuté dans la carrière artistique, nous l’avons vu, comme pianiste et comme improvisateur ; son talent sur le clavecin était renommé ; son maître Neefe le considérait comme l’un des plus habiles pianistes de l’Allemagne. Aussi, dès son arrivée à Vienne, se prodigue-t-il dans les concerts privés ou publics.

Il joue le 29 et le 30 novembre 1795 dans les concerts de charité organisés par Haydn au profit des veuves des victimes de la guerre ; il joue le 8 janvier 1796, au concert de la Bolla, sous la direction de Haydn ; dans une tournée en Allemagne, il improvise à la cour de Berlin et se lie avec le prince Louis de Prusse ; il joue, en 1797, au concert donné à Vienne par les frères Romberg et au concert Schuppanzigh ; il joue, le 2 avril 1798 à un concert de la Cour impériale et concourt pour l’exécution et l’improvisation avec le pianiste Wœlfl, alors illustre, bien oublié aujourd’hui. Faut-il s’étonner que ses premières compositions se ressentent de cette manière de vivre et qu’il ait, durant cette période, cherché l’effet extérieur et conventionnel plutôt que l’expression de son génie propre ?

Quoi qu’il en soit, les musiciens dont l’influence se fait alors sentir dans l’œuvre de Beethoven sont au nombre de trois : Ch.-Ph.-Emmanuel Bach, Fr.-Wilhelm Rust et surtout Joseph Haydn.

Sa nature d’homme du nord ne le prédisposait nullement, comme un Mozart, par exemple, à se laisser dominer par le charme facile de la mélodie italienne, et rien, dans ses pièces pour piano, ne vient rappeler la manière des maîtres étrangers ; on n’y rencontre pas plus le style ornemental de Couperin que l’écriture originale de D. Scarlatti. Non, c’est de l’art de ses aînés immédiats, de ses presque contemporains allemands dont on le sent préoccupé.

Beethoven avait dix-huit ans lorsque Philippe-Emmanuel Bach mourut à Hambourg, et c’est dans les ouvrages didactiques du fils de Jean Sébastien qu’il apprit l’art du clavier. Concurremment avec le Clavecin bien tempéré, Neefe faisait connaître au jeune homme les Sonates prussiennes et les Sonates wurtembergeoises, alors fort répandues et qui avaient révélé la musique moderne à Haydn lui-même. Le même Neefe, qui avait des attaches à Dessau, où il retourna pour mourir, ne pouvait ignorer les œuvres de Fr.-W. Rust, et, bien qu’aucun document ne soit explicite à cet égard, il y a toute apparence qu’il dut faire exécuter par son élève, au moins les six premières sonates du maître de chapelle du prince d’Anhalt, gravées à Leipzig de 1775 à 1778, alors que Neefe était chef d’orchestre dans cette ville.

Quant à l’influence de Haydn, rien de moins surprenant, car, consciemment ou non, tout élève assidu emprunte toujours, à ses débuts, les procédés de son maître.

C’est ici le lieu, — par simple devoir de justice — de rectifier une opinion parfaitement erronée, qui, établie sur un malentendu, a été propagée par un certain nombre d’historiographes et dont G. de Lenz lui-même n’est pas indemne. Il s’agit de la prétendue jalousie de Haydn qui aurait, à dessein, négligé de corriger des fautes dans les devoirs de son élève. De là à affirmer que Haydn n’apprit rien à Beethoven, et à conclure que celui-ci fut autodidacte, il n’y a qu’un pas. Les critiques susdits se sont empressés de le franchir, sans avoir l’air de se douter qu’ils se rendaient coupables à la fois d’une inexactitude et d’une calomnie.

Supposer le vieil Haydn, à ce moment au faîte de la gloire, capable d’une pareille vilenie, d’un pareil abus de confiance vis-à-vis d’un jeune disciple, c’est méconnaître entièrement son caractère et le mettre en contradiction avec les actes de toute sa vie.

De ce que Haydn laissait des fautes dans des devoirs de contrepoint[2], il ne s’ensuit nullement qu’il n’ait pas été pour le jeune garçon que lui avait adressé l’archevêque Électeur un éducateur consciencieux et perspicace. On ne doit pas perdre de vue que Haydn enseignait à Beethoven la composition ; or, si l’étude du contrepoint est nécessaire pour se faire la main et apprendre à écrire, elle n’a aucun rapport avec celle de la composition qui suppose l’élève sorti de tous les embarras
C. G. NEEFE
1748-1798
(Société des amis de la Musique, Vienne.)

J. G. ALBRECHTSBERGER
(1736-1809)
(Musée historique de Francfort-sur-Mein.)


F. J. HAYDN
1732-1809
(par Mansfeld.)
LES TROIS ÉDUCATEURS DE BEETHOVEN

d’école. Le rôle d’un maître de composition n’est pas de corriger les fautes d’orthographe, il a bien autre chose à faire avec l’esprit de son élève !

En ce qui regarde toutes ces études d’assouplissement, pourrait-on dire, depuis le contrepoint simple jusqu’aux chinoiseries du double-chœur et de la double fugue, Albrechtsberger se chargea d’instruire le jeune Beethoven, mais l’enseignement que celui-ci tira des leçons et des fécondes conversations avec Haydn fut, pour le futur compositeur de la Messe en ré, autrement profitable et précieux. Le « papa Haydn » lui apprit à discerner, à disposer ses éléments musicaux de façon logique, à construire, en un mot, ce qui est tout l’art du compositeur ; aussi Beethoven, malgré ce qu’en peut dire F. Ries, toujours fort sujet à caution, garda-t-il à son maître une profonde reconnaissance ; mille détails sont là pour en témoigner. Il n’est pas jusqu’aux salutaires conseils que Haydn donna à son élève au sujet des trois premiers trios, qui n’aient été travestis et présentés comme des preuves de jalousie ou d’incompréhension. Flagrante injustice, en vérité, car Haydn eut grandement raison de conseiller à Beethoven un remaniement de ces premiers trios, beaucoup trop touffus et mal équilibrés dans leur version primitive, surtout le troisième en ut mineur, qui dut faire l’objet d’une refonte complète. L’auteur des trios sut bien reconnaître lui-même le service que lui avait rendu son maître en cette circonstance ; causant, beaucoup plus tard, avec le flûtiste Drouet : « Ces trios », disait-il, « n’ont pas été gravés sous la forme dans laquelle je les avais primitivement écrits. Quand je relus mes manuscrits, je me demandai si je n’étais pas fou de rassembler en un seul morceau ce qui eût suffi à en défrayer vingt… À mes débuts, j’aurais commis en composition les plus grossières insanités, sans les bons conseils de papa Haydn et d’Albrechtsberger. »

Il est donc permis d’affirmer que Haydn fut pour Beethoven un guide précieux dont les avis, recueillis soit au cours d’une promenade, soit dans les longues conversations tenues au café où l’élève offrait au maître une tasse de chocolat (22 kreutzer pour les deux tasses), ouvrirent l’esprit du jeune homme aux grands problèmes de la composition, du plan tonal et de l’architecture musicale.

Revenons maintenant aux influences qui transparaissent dans la première manière du maître de Bonn.

On peut dire de ce premier Beethoven qu’il emprunte à Ph.-Emmanuel Bach son style de piano, à W. Rust, sa pensée créatrice, à Haydn, son impeccable architecture.

L’imitation du style d’Emmanuel Bach est surtout frappante dans les premières œuvres. Le largo du deuxième trio, op. 1, présente une distribution de nuances et d’accents pareille à celle qu’avait coutume d’employer le musicien du grand Frédéric ; les sonates, op. 2, et surtout la première, en fa mineur, rappellent, même thématiquement, les Sonates prussiennes ; le finale est un parent bien proche, quoique plus affiné, de la 3e sonate (IIIe livre) du recueil pour les connaisseurs et amateurs. Et dans bien d’autres pièces, notamment l’op. 10, no 2, on pourrait constater cette imitation.

Si l’on se reporte aux œuvres de Rust, ne reconnaît-on pas sa manière de penser, et même d’exprimer sa pensée, dans la deuxième sonate pour piano de Beethoven ? Enfin, pour abréger, le même sentiment poétique n’a-t-il pas dicté le dernier mouvement du VIe quatuor de Beethoven (1799) et le finale de la 8e sonate du musicien de Dessau ? Cette Malinconia interrompue par l’exposition d’un joyeux rondeau, puis reparaissant au milieu des ébats champêtres, n’est-elle pas pour ainsi dire calquée, au moins dans sa forme, sur la mélancolie (Schwermuth) de Rust, que vient compléter et consoler une pensée joyeuse (Frohsinn) à l’allure toute pastorale et presque beethovénienne ?

En ce qui regarde Haydn, l’imitation est de forme plus encore que de fond. On dirait que l’élève, pas très sûr de pouvoir marcher tout seul, emprunte la canne à pomme d’or de son maître, sans aller toutefois jusqu’à chausser les beaux souliers à boucles du père de la symphonie.

Beaucoup de caractères particuliers à la façon de construire de Haydn se retrouvent dans les œuvres de la jeunesse beethovénienne. C’est aux sonates et aux quatuors de la dernière manière de Haydn que Beethoven a pris cette constitution du second thème en trois éléments, en trois phrases distinctes mais inséparables l’une de l’autre.

Cette disposition ne se rencontre d’ordinaire ni chez Mozart, ni chez Clementi, ni chez leurs contemporains ; en revanche on l’observe déjà, quoique sous une forme rudimentaire, dans les Sonates wurtembergeoises d’Emmanuel Bach, dont Haydn fut le véritable continuateur.

Comme celui-ci, le jeune Beethoven aime les épisodes « piquants », les courtes excursions vers les tonalités éloignées de la principale ; il n’est pas jusqu’aux rythmes inusités, déplacements d’accents, si fréquents chez Beethoven qui ne soient employés de la même façon par le musicien des princes Esterhazy ; si le scherzo du premier quatuor à cordes, op. 18, nous paraît d’allure si originale grâce à son rythme que constitue une succession de mesures pouvant se chiffrer : 3, 3 et 2, ne voyons-nous pas, avec étonnement, dans l’Abschied Sinfonie de Haydn, un menuet non moins curieux dont le rythme périodique est établi par 4, 2, 3 et 3 mesures ?

À l’instar de son maître, Beethoven aime à traiter plusieurs fois, et de manière différente, le même thème musical : Menuet du Septuor op. 20 et rondeau de l’op. 49, no 2, et, plus tard : Air de ballet de Prométhée se répercutant dans des Variations, et devenant le finale de la 3e Symphonie.

Mieux encore, il emploie dans la sonate pour piano op. 10, no 2, un propre thème de Haydn, celui de la sonate portant dans la plupart des éditions le numéro 58, et il affectionne cette mélodie au point de la replacer avec d’insignifiants changements, dans un certain nombre de ses compositions ultérieures et jusque dans la sonate op. 110, en 1821.

Il serait oiseux d’énumérer ici toutes les œuvres de Beethoven où reparaissent ces trois influences, même lorsque le maître est en pleine possession de son génie. Contentons-nous d’indiquer la Sonate op. 57 dont les quatre notes fatidiques : ré bémol, ré bémol, ré bémol, ut, se rencontrent déjà dans la Sonate à Mme Genziger, de Haydn et dans la Sonate en fa dièze mineur de Rust ; un thème de la Sonate wurtembergeoise en la bémol majeur d’Emmanuel Bach est identiquement le même que celui du finale de la sonate op. 27, no 2 (dite : Clair de lune), enfin l’adagio de la sonate en sol pour violon et luth, de Rust, offre une ressemblance stupéfiante avec la mélodie du superbe andante qui forme le milieu du trio, op. 97, dédié à l’archiduc Rodolphe.

De tout ce qui précède, il n’est donc pas téméraire de conclure que cette époque de la carrière de Beethoven fut une époque d’imitation, non point servile, s’entend, car dans la plupart des œuvres importantes, un observateur perspicace pourra retrouver les caractères de ce qui fit plus tard la géniale originalité de Beethoven. À la vérité, ces envolées ne sont pas encore bien hardies et ne font présager que de très loin le formidable essor de la seconde et surtout de la troisième manière.

Avant de terminer ce chapitre, nous devons parler plus spécialement de quelques œuvres auxquelles alla un succès immédiat, ou qui formèrent l’esquisse de grandes conceptions postérieures.

1o : Adélaïde, lied sur un texte de Matthison, composé en 1790, édité en 1797. Chose curieuse, cette œuvrette, romance ni meilleure ni plus mauvaise que la plupart des innombrables romances de la même époque, contribua puissamment à faire connaître Beethoven dont les compositions sérieuses devaient rester longtemps presque ignorées. Le jeune élève de Neefe mit-il ce texte en musique avec la pensée ou le souvenir de quelqu’une des amourettes esquissées dans l’hospitalière demeure des Breuning ? L’inspiratrice de cette mélodie, fut-elle Jeannette de Honrath, fut-elle Wilhelmine de Westerholdt ? Il est difficile de se prononcer là-dessus. Mais cette Adélaïde passa très vite pour le cri de douleur d’un cœur blessé, pour la plainte suprême du pauvre amant appelant sa « belle » jusque dans les ténèbres de la tombe… La vogue de cette romance fut telle qu’en très peu de temps, on la publia sous cinquante-deux formes différentes !… Vingt-huit avec piano-forte, onze avec guitare, etc. ; et il en fut fait vingt et une transcriptions pour divers instruments dont seize pour piano à quatre mains !

Et cependant, on ne verra aucune difficulté à regarder ce morceau comme une des moins bonnes productions de Beethoven qui ne fut jamais l’homme du lied. Rien de vraiment expressif là-dedans ; c’est une romance de plus et voilà tout. C’est également une nouvelle preuve de cette ancienne vérité que le public de tous les temps réserve ses faveurs aux ouvrages médiocres, passant indifférent à côté de la vraie beauté.

2o : La Sonate pathétique, op. 13 (1798). Encore un agent actif de succès tant à l’époque où cette œuvre parut que dans la suite et jusqu’au troisième quart du xixe siècle[3]. Même rôle dévolu au Septuor pour clarinette, basson, cor, violon, alto, violoncelle et contrebasse.

L’intérêt de la sonate pathétique ne réside pas tant dans la musique même que dans son architecture, assez spéciale et rare à cette époque. Un motif cyclique de quatre notes : sol, ut, ré, mi bémol, procède à la formation des trois morceaux de l’œuvre. Ce motif, aidé par les autres thèmes, entre en lutte dès le premier mouvement avec le dessin exposé dans l’introduction, lequel, perdant un membre à chaque épisode du combat, finit par s’avouer vaincu. Dans le finale, le motif victorieux (qu’il importe, dit de Lenz, « d’élever à une expression pathétique ») reparaît allègrement pour former le refrain du rondeau.

Si nous citons cette sonate, ce n’est pas qu’elle offre une plus grande somme de beauté que ses congénères de la première époque, mais elle est le point de départ de cette « lutte entre deux principes » dont Beethoven affirmait déjà la nécessité vitale dans toute construction sonore, et qu’il emploiera avec bien plus de sûreté dans nombres d’œuvres subséquentes.

3o : Le Soupir d’un homme non aimé, lied sur des paroles de Bürger (1796). Cette mélodie ne présenterait guère plus d’intérêt que l’Adélaïde citée précédemment, si le thème qui forme le sujet de la deuxième partie intitulée Gegenliebe (amour partagé) n’était pas identiquement celui dont Beethoven fit de nouveau usage dans la Fantaisie pour piano, orchestre et chœurs de 1808, qui, elle-même, n’est autre chose qu’une esquisse assez primitive, à la vérité, mais curieuse par cela même, du finale de la IXe symphonie. Ce thème hanta donc, pendant près de trente années, l’esprit de Beethoven, et toujours, nous le verrons, il y attache cette même signification d’amour mutuel (Gegenliebe).

Pour en finir avec cette période, il est intéressant de remarquer à quel point Beethoven, balbutiant encore, poussa le consciencieux scrupule de son art. En 1794, il reçoit, du comte Apponyi, la commande de trois quatuors pour instruments à archets. Le quatuor à cordes, il faut le dire, est l’une des formes de composition les plus difficiles et qui demande une grande maturité d’esprit et de talent. Le jeune homme s’essaie, dès l’année suivante, à s’acquitter de la dette contractée envers son noble protecteur ; par deux fois, il tente de réaliser cette difficile composition : un quatuor à sonorités égales… Il n’y parvient pas… et il a l’honnêteté d’en convenir. C’est seulement quatre ans plus tard qu’il se décide à écrire les six quatuors Lobkowitz dont certaines formes rappellent celles employées par les K. Stamitz, les Cannabich et autres musiciens de second ordre de l’école de Mannheim. « À partir d’aujourd’hui seulement », déclare Beethoven à un ami, « je commence à savoir écrire un quatuor. »

Il usa de la même réserve à l’égard de la Symphonie. Bien que familiarisé, par ses études de jeunesse, avec le métier de l’instrumentation, ce ne fut que tardivement qu’il s’essaya à produire une symphonie ; et encore ce premier essai, en dépit des émerveillements ou des protestations de ses contemporains au sujet de l’étrangeté de la première mesure, ne peut vraiment passer à nos yeux que pour une adroite imitation des dernières œuvres de Haydn en ce genre.

Et maintenant, quittons le Beethoven élève de génie, mais qui n’en est pas moins encore le bon élève, pour voir entrer en scène, avec l’année 1801, un Beethoven différent et absolument renouvelé.

Comment s’opéra cette transformation ? À quelles causes l’attribuer ? C’est ce que nous examinerons dans la partie musicale du prochain chapitre.


  1. Du vivant de Beethoven, 21 de ces œuvres furent éditées à diverses époques, son frère Charles en vendit un certain nombre à son profit. 28 restèrent inédites.
  2. Voy. les corrections de Haydn dans l’intéressant volume de Nottebohm Beethoven’s Studien, Leipzig, 1873.
  3. Voy. l’amusante fantaisie de G. de Lenz sur le rôle de cette sonate dans les pensionnats « et autres institutions où l’on n’apprend pas le piano » (Beethoven et ses trois styles, I, p. 134).