Barzaz Breiz/1846/La Fontenelle le Ligueur



LA FONTENELLE LE LIGUEUR.


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ARGUMENT.


Un des plus fameux partisans qu’eut la Ligue en Bretagne, était La Fontenelle.

« Guy-Eder de la Fontenelle, juveigneur de la maison de Beaumanoir, dit le chanoine Moreau, nasquit en la paroisse de Botoa, d’autres disent de Prat, en Cornouaille. Dans le temps qu’il estoit escolier à Paris, au collège de Boncotest, où je le vis en 1587, il monstroit déjà des indices de sa future vie despravée, estant toujours aux mains avec ses compagnons. En 1589, il vendit ses livres et sa robe de classe, et, du provenu de l’argent, acheta une espée et un poignard, se déroba dudit collège, prit le chemin d’Orléans pour aller trouver l’armée de M. le duc du Maine, lors lieutenant général de l’Estat et couronne de France, et chef du parti catholique, et retourna en Bretagne. Asgé de quinze a seize ans, il se mit parmi la populace qui estoit sous les armes pour le parti des ligueurs, qui en fit estat, parce qu’il estoit de bonne maison et du païs, et, le voyant d’un esprit actif, lui obéissoit fort volontiers. Il se fit suivre de quelques domestiques de son frère aisné, et d’autres jeunes seigneurs de la commune, et commença à piller les bourgades, et à prendre prisonniers de quelque parti qu’ils fussent. Il donna plusieurs alarmes à Guingamp, dont le gouverneur tenait pour le roy, encore que la ville fust au seigneur de Mercœur, de la part de sa femme, duchesse de Penthièvre, qui portoit sur-nom de Bretagne...

« Il fit à la sourdine une course en Léon, jusques à Mesarnou, et enleva la fille de la dame du lieu (Marie de Coadelan, fille de Lancelot le Chevoir et de Renée de Coetlogon), héritière de mère et de père, riche de neuf à dix mille livres de rentes, asgée seulement de huit à neuf ans. »

Ce dernier trait est le sujet d’une des milles chansons populaires dont La Fontenelle est le héros. La plus remarquable a été recueillie, il y a plusieurs années, par M. le comte de Kergariou, dont la rare sagacité avait deviné la mine poétique si exploitée aujourd’hui, longtemps avant que personne songeât à en tirer parti.


IX


LA FONTENELLE.


( Dialecte de Tréguier. )


I.


La Fontenelle, de la paroisse de Prat, le plus beau fils qui porta jamais habits d’homme, a enlevé une héritière de dessus les genoux de sa nourrice.

— Petite héritière, dites-moi, que cherchez-vous dans ce fossé ?

— Je cueille des fleurs d’été pour mon petit frère de lait que j’aime ;

Pour mon petit frère de lait que j’aime, je cueille des fleurs d’été, mais j’ai peur, et j’en tremble, de voir arriver La Fontenelle.

— Petite héritière, dites-moi, connaissez-vous La Fontenelle ?

— Je ne connais pas La Fontenelle, mais j’en ai ouï parler ;

J’en ai ouï parler, j’ai ouï dire que c’est un bien méchant homme, et qu’il enlève les jeunes filles.
— Oui ! et surtout les héritières ! —

Il la prit dans ses bras, et l’embrassa ; puis il la mit en croupe derrière lui, et la mena à Saint-Malo.

Il l’a menée à Saint-Malo, où il l’a mise au couvent, et quand elle a eu quatorze ans, il l’a prise pour épouse.


II.


Ils sont allés habiter le manoir de Coadélan ; elle a mis au monde un petit enfant, un enfant aussi beau que le jour, ressemblant à son père La Fontenelle.

Quand arriva une lettre : il fallait se rendre à Paris. — Je vous laisse ici seule, je pars à l’instant pour Paris.

— La Fontenelle, restez à la maison ; je payerai un messager ; au nom de Dieu, n’y allez pas ; si vous y allez, vous n’en reviendrez plus.

— Ne craignez rien ; j’irai moi-même les trouver ; ayez bien soin de mon fils, pendant que je serai loin d’ici. —

Fontenelle, en partant, disait aux jeunes gens : — Je donnerai la plus belle bannière du monde à Notre-Dame du Rosaire ;

Une bannière et les plus beaux habits, si vous n’oubliez pas la Fontenelle, et si vous avez soin de son petit enfant, jusqu’à ce qu’il revienne à Coadélan. —


III.


— Bonjour, roi et reine, me voici venu vous trouver en votre palais.
— Puisque vous voilà, soyez le bien-venu ! vous ne sortirez pas d’ici.

— Je sortirai certes d’ici, seigneur roi, ou nous verrons !
Qu’on me selle ma haquenée, que je retourne chez moi.

— A Coadélan vous n’irez point ; en prison, je ne dis pas : il y a assez de chaînes en mon palais, pour en enchaîner deux ou trois.

— Page, mon page, petit page, va vite à Coadélan, et dis à la pauvre héritière de ne plus porter de dentelles ;

De ne plus porter de dentelles, car son pauvre époux est en peine ; toi, rapporte-moi une chemise à mettre, et un drap pour m’ensevelir.

Rapporte-moi une chemise de toile, et un grand drap blanc, et de plus un plateau doré, pour qu’on y expose ma tête aux regards ;

Et tiens une poignée de mes cheveux, pour attacher à la porte de Coadélan ; afin que les gens, en allant à la messe, disent : Que Dieu fasse grâce au marquis !

— Portez des cheveux tant que vous voudrez ; pour des plateaux d’or c’est inutile ; sa tête sera jetée sur le pavé, pour servir de boule aux enfants. —

Le petit page disait, en arrivant à Coadélan : — Bonjour, bonjour, héritière ; meilleur jour que n’a le pauvre seigneur !

Il demande une chemise à mettre, et un drap pour l’ensevelir, et, de plus, un plateau doré pour qu’on y expose sa tête aux regards. —


IV.


Ceux de Paris étaient fort surpris, et se demandaient ce qui pouvait être arrivé, voyant une dame d’un lointain pays menant si grand bruit par les rues.

— Voici l’héritière de Coadélan avec une robe verte et flottante ; si elle savait ce que je sais, elle prendrait une robe noire comme de la poix.

— Sire, je vous en conjure, rendez-moi mon mari. — Je ne vous rendrai point votre mari, il y a trois jours qu’il a été roué. —

Quiconque viendrait à Coadélan aurait le cœur navré, aurait le cœur navré de douleur, en voyant le feu mort au foyer ;

En voyant les orties croître sur le seuil de la porte et au rez-de-chaussée ; au rez-de-chaussée et dans la salle, et le méchant monde y faire le beau ;

Et les pauvres gens pleurer, en passant, pleurer avec angoisse, hélas ! en disant : — Voilà qu’elle est morte, la mère des pauvres ! —


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Le chanoine Mureau assure que ce fut à l’île Tristan que La Fontenelle emmena l’héritière de Coadélan, après l’avoir enlevée. Le poëte la fait conduire à Saint-Malo, en un couvent de religieuses. Plusieurs raisons nous feraient préférer le témoignage du poète. La ville de Saint-Malo avait d’elle-même ouvert ses portes aux ligueurs, et tenait encore pour eux à l’époque de l’enlèvement de l’héritière. Plus tard, elle les abandonna, se révolta contre son gouverneur qu’elle soupçonnait de rapports secrets avec les royalistes, et se donna un gouvernement libre.

Il est permis de croire, avec le poëte populaire, que Marie de Coadélan finit par s’attacher à un homme qui l’avait enlevée par force ; car M. le comte de Kergariou possède un acte passé, le 17 février 1602, en son nom et en celui du sieur de Fontenelle. Après qu’inculpé dans la conspiration de Biron, il eut été roué vif, malgré sa qualité de gentilhomme, moins pour ce nouveau crime que pour ses déportements antérieurs, Marie ne rougit pas de se montrer comme sa veuve, pour renoncer à la communauté. Rien n’empêche de penser encore qu’elle ait demandé la grâce de son mari, ou même qu’elle soit morte de chagrin, comme l’auteur paraît le donner à entendre, car, dès 1603, elle n’existait plus.



Mélodie originale


Pas de partition dans la quatrième édition