Bélinde (1801)
Traduction par Octave Gabriel de Ségur.
Maradan (Tome IIp. 47-69).


CHAPITRE XIII.

L’HOROSCOPE.


Quelque temps après que Bélinde fut arrivée chez lady Delacour, M. Hervey vint apporter lui-même les chardonnerets d’Hélene.

Je suis chargé de vous les présenter pour lady Delacour, lui dit-il, et je ne me suis jamais acquitté de commission qui me fût plus agréable. Je vois que miss Portman est véritablement l’amie de lady Delacour. — Combien elle est heureuse de posséder une telle amie !

M. Hervey s’arrêta un moment ; il parla ensuite du desir ardent qu’il avait de voir lady Delacour aussi heureuse dans son intérieur qu’elle le paraissait en public ; il avoua franchement que lorsqu’il avait fait connaissance avec elle, il la regardait comme une femme entièrement livrée à la dissipation, et qu’il n’avait d’abord pensé qu’à s’amuser de son esprit.

Mais, continua-t-il, depuis ce temps, j’ai jugé différemment son caractère, et je pense que les observations de miss Portman sur ce sujet sont d’accord avec les miennes. J’avais formé le plan de lier lady Delacour avec lady Anne Percival, qui me paraît une des femmes les plus aimables et les plus heureuses. Oakly-Park est si voisin d’Harrow-Gate ! mais mon plan est renversé, puisque lady Delacour n’y veut plus aller. Lady Anne cependant m’a assuré que, malgré son goût pour la campagne, elle retarderait son voyage si vous consentiez à nous aider à réconcilier lady Delacour avec les parens de son mari. Lady Percival est liée intimement avec plusieurs, et particulièrement avec mon amie mistriss Mangaretta Delacour. Le perroquet a été très-bien reçu, et j’espère que mistriss Delacour est actuellement mieux disposée en faveur de sa nièce. Tout dépendra de la conduite de lady Delacour avec sa fille : si elle continue de la négliger, je serai persuadé que j’ai jugé de son caractère trop avantageusement.

Bélinde fut charmée des sentimens généreux de Clarence, et de la franchise avec laquelle il lui parlait. Elle n’était pas fâchée d’entendre de sa bouche une explication claire de ses vues et de ses sentimens. Elle lui promit d’employer tous ses moyens pour faire réussir le projet de réconciliation entre son amie et sa famille, et l’assura qu’elle était absolument de son avis sur le compte de lady Delacour, qui, en général, était mal jugée.

Oui, repartit M. Hervey ; sa liaison avec mistriss Freke lui a fait plus de tort dans l’esprit du public qu’elle ne le méritait. En général, on juge du caractère d’une femme par ses liaisons : si lady Delacour avait été assez heureuse pour trouver, dans sa jeunesse, une amie comme miss Portman, elle eût été bien différente. Elle m’en fit elle-même un jour la réflexion, et jamais elle ne me parut aussi aimable que dans ce moment.

M. Hervey prononça ces derniers mots de la manière la plus animée.

Lady Delacour entra.

Voilà de jolis oiseaux ! d’où viennent-ils ?

Ces oiseaux, dit Bélinde, sont venus pour consoler Mariette de la perte de son perroquet.

Mille remerciemens, chère Bélinde ; vous avez choisi le meilleur genre de consolation : les chardonnerets sont charmans.

Je n’ai pas le mérite du choix, repartit Bélinde ; mais je suis charmée que vous l’approuviez : c’est M. Hervey qui vient de les apporter.

Qu’ils sont jolis ! reprit lady Delacour ; que je vous sais gré, Clarence, de me les avoir donnés !

— Je n’ai eu que le plaisir de vous les apporter.

— Et d’où me viennent-ils donc ? Parmi toutes mes nombreuses connaissances, quelle est celle qui peut avoir pensé à m’envoyer des oiseaux ? Attendez, — ne me le dites pas, — laissez moi deviner : — lady Newland, peut-être ? — Vous me faites signe que non ; j’avais pensé que ce pouvait être elle, à cause des petits présens qu’elle me fait pour me dédommager de l’ennui qu’elle me cause. — C’est peut-être alors mistriss Hunt ? car elle veut que je prie ses deux filles à mes concerts. — Ce n’est pas elle ? — Eh bien donc, c’est mistriss Matterson ? elle veut venir avec moi à Harrow-Gate, où certainement je n’irai pas. Ai-je deviné ?

Non ; ces oiseaux viennent d’une personne qui, à la vérité, serait bien aise d’aller avec vous à Harrow-Gate, dit Clarence.

Ou qui resterait volontiers à Londres avec vous, repartit Bélinde : il ne manque rien à cette personne que d’être aimée de vous.

Est-ce un homme ou une femme ? demanda lady Delacour.

— C’est une femme.

Une femme ! je n’ai point d’amie dans le monde, excepté vous, ma chère Bélinde, et vous êtes la personne que j’aime le mieux ; mais, de grace, dites-moi le nom de cette amie inconnue à qui il ne manque que mon amitié.

Pardon, dit Bélinde ; mais je ne puis la nommer avant que vous m’ayez promis de la voir.

Vous m’en donnez réellement le desir, reprit lady Delacour ; mais vous savez qu’il m’est impossible de l’aller chercher. Avec une nouvelle connaissance, il faut du cérémonial, etc. Dites-moi, en conscience, si elle est digne de mon empressement.

Oh ! très-digne ! s’écrièrent Bélinde et Clarence vivement.

Vous êtes tous les deux terriblement intéressés dans cette affaire ! il faut que ce soit quelque sœur, nièce ou cousine de lady Anne Percival, ou… Mais Bélinde me regarde comme si je me trompais ; c’est peut-être lady Anne elle-même ? Eh bien, faites de moi tout ce que vous voudrez, ma chère Bélinde ; dirigez ma conduite, je veux suivre en tout votre goût ; mais, en vérité, je suis bien peu disposée à faire des visites.

Vous n’aurez pas cet ennui, répondit Bélinde ; je vous amènerai l’inconnue, si vous me permettez de la prier d’assister à l’assemblée de ce soir.

Très-volontiers ; c’est quelque charmante personne de la connaissance de Clarence. — Où l’avez-vous donc rencontrée ce matin ? Vous avez conspiré tous les deux pour piquer ma curiosité : prenez donc sur vous les conséquences de cette nouvelle connaissance. Au reste, Clarence, si elle est aussi aimable que je le dois penser, puisque vous me la présentez, j’irai lui rendre ses visites sans regret. Allons nous habiller, ma chère Bélinde, pour recevoir cette charmante inconnue. Adieu, Clarence ; à ce soir.

Lady Delacour était extrêmement impatiente de voir l’inconnue dont Clarence et Bélinde lui avaient parié.

Miss Portman lui avait dit qu’elle arriverait probablement une heure et demie avant le thé. Elle était seule dans la bibliothèque, lorsque lady Anne Percival amena Hélène à Berkeley-Square d’après un billet de Bélinde. Miss Portman courut la recevoir sur l’escalier. La petite fille prit sa main en silence.

Votre mère a reçu vos oiseaux avec plaisir, dit Bélinde, et ils lui plairont davantage lorsqu’elle saura qu’ils viennent de vous : elle l’ignore jusqu’à présent.

J’espère qu’elle est mieux aujourd’hui ? Je ne ferai pas de bruit, dit Hélène à voix basse, et en marchant sur la pointe du pied.

— Vous n’avez pas besoin de prendre toutes ces précautions, car lady Delacour ne craint que les cris du perroquet : vous en ressouvenez-vous ? ma chère.

— Oh ! je l’ai oublié il y a long-temps… Maman est-elle levée ?

Oui ; depuis sa maladie, elle a donné des concerts et des bals. Vous entendrez peut-être lire ce soir une comédie par ce gentilhomme français dont lady Anne parlait hier.

— Y a-t-il beaucoup de monde avec maman ?

— Personne à présent ; ainsi, venez avec moi dans la bibliothèque. Voici, dit Bélinde en entrant, la jeune dame qui vous a envoyé les jolis oiseaux.

Hélène ! s’écria lady Delacour.

— Vous voyez que M. Hervey avait raison lorsqu’il a dit que cette dame vous ressemblait à frapper.

M. Hervey veut me flatter ; je n’ai jamais eu cette aimable ingénuité, même dans ma jeunesse : cependant il y a bien quelque ressemblance entre nous. Mais pourquoi tremblez-vous ? Hélène ; est-ce une chose si terrible que les regards d’une mère ?

— Non ; seulement…

— Eh bien ? ma chère.

— Seulement je craignais… que vous ne m’aimiez pas…

— Qui a pu vous donner cette idée ? Venez, chère petite, venez m’embrasser, — et dites-moi pourquoi vous n’êtes pas à Oakly-Park.

— Lady Anne Percival n’a pas voulu me mener à la campagne pendant que vous étiez malade ; elle pensait que vous pourriez me desirer, et que je serais heureuse de vous voir, si vous le vouliez bien.

— Lady Anne est très-bonne, très-obligeante ; c’est une personne de mérite.

Elle est excellente, dit Hélène.

— Vous l’aimez, à ce que je vois ?

Oh ! oui ; elle a été si bonne pour moi ! je l’aime comme si elle était…

— Comme si elle était… quoi ?… finissez donc votre phrase.

Ma mère, dit Hélène à voix basse et en rougissant.

Vous l’aimez comme si elle était votre mère, répéta lady Delacour : eh bien, cela est intelligible ; qui vous empêchait de continuer ?

— Maman…

— Rien n’est plus absurde que d’hésiter ainsi en parlant ; vous montrez le desir de cacher vos sentimens, sans en avoir la possibilité. Je vous en prie, ma chère, continua lady Delacour, allez tout de suite à Oakly-Park ; je ne veux pas que vous vous gêniez pour moi.

Me gêner ! maman, s’écria Hélène… et ses yeux se remplirent de larmes. Bélinde soupira. Il y eut un moment de silence.

Je voulais dire seulement, miss Portman, reprit lady Delacour, que je hais toute espèce de cérémonie. Je sais qu’il y a des gens qui croient que sans elle il n’y a ni vertu ni sentiment : je ne disputerai point contre eux ; ils sont récompensés par la bonne opinion et les louanges des petits esprits, qui, à la vérité, font les trois quarts du monde. Pour moi, je ne souffre le respect que lorsqu’il est joint au sentiment, et je le déteste lorsqu’il exclut la confiance.

Vous la détestez, reprit miss Portman en regardant Hélène, qui avait bien compris que le discours de sa mère était dirigé contre lady Anne, et qui, avec le plus pénible embarras, baissait les yeux en rougissant ; mais pourquoi penser qu’en inspirant du respect on éloigne la confiance ; n’est-ce pas un préjugé ?

Lorsqu’une opinion est différente de la nôtre, reprit lady Delacour, nous la taxons de préjugé. Qui pourra nous mettre d’accord ?

Les faits, je pense, repartit Bélinde.

Oui ; mais il est difficile de convenir des faits, même dans les choses les plus légères, répondit lady Delacour. Nous voyons les actions, mais leurs causes nous sont cachées : cette maxime n’est-elle pas digne de Confucius ? À présent, tâchons de l’appliquer. De grace ! chère Hélène, dites-moi d’où vous viennent les jolis chardonnerets que vous m’avez envoyés ?

Lady Anne Percival me les a donnés, maman.

— Pourquoi vous les a-t-elle donnés ?

Elle me les a donnés… dit Hélène en hésitant…

— Vous n’avez pas besoin de rougir ni de répéter la même chose ; vous m’avez dit le fait, je vous demande la cause : si c’est un secret qu’on vous ait donné à garder, il est juste que vous vous taisiez ; car, suivant quelques systèmes d’éducation, les enfans doivent apprendre à être discrets, même avec leur mère ; et je suis convaincue que c’est un des préceptes de lady Anne. Ainsi, ma chère, ne vous troublez pas, et n’hésitez pas davantage : je ne vous ferai plus de questions ; je n’imaginais pas que ce pût être un mystère.

Ce n’en est pas un, maman ; j’hésitais seulement parce que…

— Eh bien ! encore des mots entrecoupés…

J’hésitais, ne voulant pas me louer moi-même.

Lady Anne nous questionna tous l’autre jour.

Qui, tous ?

(Charles, Édouard et moi.) — Sur l’histoire que le docteur X. nous avait faite des oiseaux ; elle promit de donner des chardonnerets à celui qui aurait le plus de mémoire, et c’est moi qui les ai gagnés !

Et c’est là tout le secret. Ainsi c’était la modestie qui vous faisait garder le silence. Je vous demande donc pardon, chère Bélinde, ainsi qu’à lady Anne ; vous voyez que je suis franche. Mais encore une question, Hélène ; qui vous donna l’idée de me faire ce présent ?

Personne, maman. J’étais chez l’oiseleur hier, lorsque miss Portman y vint pour acheter à miss Mariette un oiseau dont la voix ne vous incommodât pas. Je pensai que mes chardonnerets pourraient vous convenir, puisqu’ils ne font pas le moindre bruit, et qu’ils sont au moins aussi jolis que les plus beaux oiseaux. J’espère que miss Mariette sera de mon avis.

Je ne sais pas ce que dira Mariette ; mais ce que je pense, dit lady Delacour, c’est que vous êtes la plus aimable enfant du monde ; et quand j’aurais le cœur aussi dur que quelques personnes veulent bien le croire, il me serait impossible de ne pas vous aimer. Venez m’embrasser, ma fille !

Hélène se jeta au cou de sa mère en s’écriant :

Maman, que vous êtes bonne ! et elle s’appuya sur son sein, la serrant avec force. Lady Delacour jeta un cri perçant, repoussa sa fille, et s’évanouit.

Elle n’est point en colère contre vous, chère Hélène, dit Bélinde ; elle souffre ; ne vous affligez pas, cela ne sera rien : au lieu de sonner, essayez d’ouvrir la fenêtre et de dénouer sa ceinture.

Pendant que Bélinde soutenait lady Delacour, et qu’Hélène cherchait à la secourir, un domestique vint annoncer le comte de N… Bélinde ordonna qu’on le conduisît dans le salon, et lady Delacour se retira avec peine dans son cabinet de toilette.

Elle envoya faire ses excuses à toute la compagnie, pria Bélinde de la remplacer, et la chargea d’assurer Hélène qu’elle était loin de lui en vouloir.

On commença la lecture sans lady Delacour, qui ne revint dans le salon qu’entre le quatrième et le cinquième acte.

Ma chère Hélène, dit-elle après s’être assise, apportez-moi un verre d’orgeat.

Clarence Hervey regarda Bélinde d’un air satisfait : je crois, lui dit-il tout bas, que nous réussirons. Avez-vous remarqué la manière dont lady Delacour a regardé sa fille ?

Rien n’est plus fait pour accroître l’estime et l’affection de deux êtres que la réunion de leur intérêt sur un même objet ; jamais le cœur et l’esprit de Bélinde et de Clarence n’avaient été aussi d’accord qu’ils le furent pendant cette soirée.

Lorsque la lecture fut finie, une partie de la compagnie se retira, et il ne resta pour souper que ce qu’on appelait les beaux esprits. Plusieurs volumes de pièces françaises et de romans étaient restés sur la table ; Clarence les rassembla, en disant : Ouvrons tour-à-tour ces livres au hasard, et voyons si nous n’y rencontrerons pas ce qui convient à chacun de nous. Lady Delacour ouvrit le premier livre venu ; c’était un volume des contes de Marmontel.

La Femme comme il y en a peu, dit Hervey.

Qui pourra croire à cet oracle ? repartit en riant, lady Delacour ; et elle s’approcha de la lumière pour lire. Bélinde et Clarence la suivirent.

C’est réellement très-singulier, Bélinde, que je sois tombée sur ce passage, dit-elle tout bas à miss Portman en lui passant le livre.

C’était une description de la conduite de la femme comme il y en a peu, avec un mari qui craignait de se laisser mener. En tournant la page, elle vit une feuille de myrte, qui servait de signet au livre.

Cette marque est sans doute la vôtre, Bélinde, continua lady Delacour ; ainsi je vois que c’est un plan concerté entre vous et Clarence, pour me dire doucement mes vérités.

Bélinde et Hervey s’en défendirent.

Comment donc cette branche de myrte se trouve-t-elle là ? demanda lady Delacour.

Je lisais cette histoire hier, dit Bélinde.

— Je ne puis refuser de vous croire, car vous ne m’avez jamais trompée ; mais vous avouerez, au moins, que vous êtes la cause de ce qui vient de m’arriver. Sans votre marque, je n’aurais point, sans doute, ouvert le livre en cet endroit ; mon destin est donc dans vos mains. Si lady Delacour devient la femme comme il y en a peu, ce qui n’est point probable, c’est à miss Portman qu’elle le devra.

C’est justement ce qui pourra bien arriver, dit Clarence Hervey ; et roulant dans ses doigts la feuille de myrte, il en vanta le parfum.

Après tout, dit lady Delacour en jetant le livre, cette héroïne de Marmontel n’est point la femme comme il y en a peu, mais la femme comme il n’y en a point.

Un domestique vint avertir que la voiture de mistriss Mangaretta Delacour était aux ordres d’Hélène.

Faites mes complimens, répondit lady Delacour ; je garde Hélène ce soir. Comme le plaisir rend vos yeux brillans, ma fille ! Dites-moi si votre joie est vraie.

Très-vraie, maman.

Tant mieux ; à votre âge ce qu’il y a de mieux, c’est d’être naturelle.

Quelqu’un se récria alors sur l’étonnante ressemblance d’Hélène avec sa mère. Lady Delacour sembla la regarder avec plus de plaisir.

Pendant le souper, la fête magnifique que venait de donner la duchesse D… fit le sujet de la conversation ; on donna beaucoup de louanges à la beauté et à la grace de sa fille, qui avait paru en public pour la première fois ce jour-là.

La fille éclipsera totalement la mère, dit lady Delacour.

Cette éclipse a été prédite par beaucoup de personnes, dit Clarence Hervey : mais existe-t-il de rivalité entre deux personnes qui ne sont point en concurrence ? et peut-il y en avoir entre une mère et une fille ?

Cette observation parut faire une grande impression sur lady Delacour ; Clarence Hervey prit la parole : il exprima éloquemment son admiration pour la duchesse, qui avait fui les plaisirs et la dissipation, pour se consacrer toute entière à l’éducation de ses enfans, et qui avait embelli la vertu de toutes les graces de l’esprit et de la beauté.

Réellement, Clarence, dit lady Delacour en se levant de table, vous parlez à merveille ; je vous conseille de composer un drame dans le genre allemand, et de l’appeler l’École des Mères, vous prendrez la duchesse pour votre héroïne.

Vous serez mon modèle, dit Clarence.

Lady Delacour sourit d’abord à ce compliment, et, quelques minutes après, elle soupira amèrement en disant :

Le temps d’être une héroïne est passé pour moi.

Passé ! s’écria Hervey en la suivant comme elle sortait de la salle à manger ; la duchesse est plus âgée que vous.

Il est vrai ; mais je n’en suis pas moins trop vieille, dit lady Delacour : changeons de conversation. Pourquoi n’étiez-vous pas l’autre jour à la fête champêtre ? Qu’avez-vous fait toute cette matinée ? Dites-moi donc, je vous en prie, quand arrive votre ami, le docteur X. ?

M. Horton va mieux, dit Clarence ; et j’espère que nous reverrons dans peu de jours le docteur.

Pense-t-il à moi ? vous a-t-il demandé de mes nouvelles ?

Oui, mylady ; il vous croit parfaitement bien portante : je lui ai dit que vous étiez rétablie, et de la meilleure humeur du monde.

« Avec cela, dit lady Delacour, j’ai très-mal aux nerfs ; je crois que rien ne me fait tant de mal que de veiller : ainsi, je vous souhaite le bon soir.