Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran/2/XXVIII

Librairie Hachette et Cie (2p. 311--).

XXVIII

Dernière et épouvantable bataille.


Je ne crois pas nécessaire de dire avec quelle joie le camp mahratte tout entier accueillit le maharajah. Si les officiers tremblaient à la pensée des périls auxquels son courage pouvait les exposer, les soldats vénéraient franchement en lui la dixième incarnation de Vichnou, et se croyaient invincibles pourvu qu’il fût à leur tête.

Corcoran fit faire le cercle, et dit :

« Soldats,

« Des traîtres et des lâches ont répandu le bruit de ma mort. Je suis vivant, avec la protection divine de Vichnou, pour vaincre et punir.

« Vous ne demandiez qu’à combattre. On vous a donné l’exemple de la fuite. Désormais, vous n’aurez d’autre chef que moi.

« Nous allons recommencer la bataille. Je jure par le resplendissant Indra, que le premier qui prendra la fuite sera fusillé.

« Je jure aussi que tout officier ou soldat qui aura pris de sa main un drapeau ou un canon sera fait zémindar dès ce soir, et recevra cent mille roupies.

« Pour moi, couvert de la protection toute-puissante de Siva, j’entrerai parmi les barbares comme la faux dans les rizières, et je répandrai sur eux la terreur et la mort. »

On cria de toutes parts :

« Vive le maharajah ! »

Et l’on se crut sûr de vaincre.

Vers huit heures du matin, on aperçut l’avant-garde de l’armée anglaise qui avançait en bon ordre. Corcoran parcourut au galop les rangs des Mahrattes.

« Que chacun de vous fasse son devoir, dit-il, et je réponds de tout. »

Les Anglais s’avançaient en bon ordre, mais sur un terrain désavantageux. À droite et à gauche de la grande route s’étendaient de vastes marais. Corcoran, qui avait d’avance étudié le champ de bataille, profita de cette disposition du terrain.

Son artillerie enfilait la chaussée. Derrière l’artillerie, on apercevait une nombreuse infanterie destinée à la soutenir.


Son artillerie barrait la route aux Anglais. (Page 315.)

Pour lui, à la tête de six régiments de cavalerie et de huit régiments d’infanterie (car il n’avait laissé derrière ses canons qu’une faible partie de son corps d’armée, afin de faire prendre le change à l’ennemi sur ses desseins), il fit secrètement le tour des marais, s’engagea dans les jungles et tomba tout à coup sur les derrières des Anglais.

On ne croira pas sans doute qu’il soit nécessaire de donner une description de la bataille. Corcoran, qui aurait pu être à volonté Alexandre, Annibal ou César, mais qui préférait être Corcoran, remporta une victoire complète. Pendant que son artillerie barrait la route aux Anglais et, à chaque décharge, emportait des files entières, il entrait avec sa cavalerie parmi eux comme le couteau dans le beurre, et les Mahrattes, excités par son exemple, firent des merveilles.

Mais rien n’approchait de Louison.

Elle s’avançait lentement à la droite de Corcoran, comme un bon colonel qui va passer en revue son régiment ; mais aussitôt qu’elle aperçut les habits rouges, elle bondit de fureur, et, sans que personne pût la retenir, elle s’élança sur eux.

En un clin d’œil, elle eut étranglé quatre ou cinq officiers de marque. En vain Corcoran voulait la rappeler. Elle n’écoutait plus rien.

Cependant, les Anglais, mis d’abord en désordre par cette attaque imprévue, reprenaient lentement leur sang-froid.

Barclay, sans s’étonner, reçut intrépidement la charge impétueuse de Corcoran, et, reconnaissant le maharajah dans la mêlée, donna ordre à cinquante cavaliers bien montés de s’attacher à ses pas et de faire tous leurs efforts pour le tuer. Lui-même se mit à leur tête, jugeant avec raison que la mort du maharajah terminerait promptement la guerre.

Il s’en fallut de peu que le calcul de Barclay ne réussit ; mais il avait compté sans Louison.

La tigresse s’aperçut bientôt qu’on cherchait à envelopper Corcoran. À cette vue, elle fit un bond formidable qui la porta au milieu d’un gros de cavaliers, parmi lesquels le Malouin entouré s’ouvrait à grand’peine un passage à coups de pointe.

« Un million de roupies à celui qui tuera le maharajah ! » cria Barclay.

Au même instant, Louison lui sauta à la gorge.


Louison lui sauta à la gorge. (Page 316.)

Barclay, blessé à mort, s’affaissa sur sa selle. Les Mahrattes, rassurés, s’élancèrent de nouveau en avant et dégagèrent le maharajah. L’armée anglaise commença à plier.

Une heure plus tard, la bataille était terminée, et les Anglais, reconduits à coups de sabre sur la route de Bombay, ne pensaient plus qu’à rendre leur retraite moins désastreuse.

Lord Henri Braddock, qui était venu à Bombay pour décider lui-même du sort du royaume d’Holkar, et qui avait appris le premier succès de Barclay, jugea qu’il était prudent d’arrêter le vainqueur, et fit proposer une entrevue au maharajah.

« Qu’il vienne dans mon camp ! » répliqua le Malouin.

Mais il ne se montra pas exigeant sur les conditions de la paix, et, connaissant trop la lâcheté naturelle des pauvres Hindous pour avoir confiance dans l’avenir, il consentit à recevoir le titre d’allié de sa Majesté Victoria, reine d’Angleterre, impératrice de l’Hindoustan, et se contenta d’une indemnité de vingt-cinq millions de roupies pour les frais de la guerre.

Après quoi, les deux armées étant revenues dans leurs quartiers, il fit son entrée dans Bhagavapour.