Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran/2/XXV

Librairie Hachette et Cie (2p. 289--).

XXV

Corcoran et Louison forcent le blocus.


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Dix minutes après, Corcoran reprit ses sens. Il sentit une chaude haleine sur son visage ; il se souleva un peu sur un bras, mais avec précaution, de peur d’attirer l’attention des soldats anglais, et reconnut Louison.

C’était elle, en effet.

La tigresse avait deviné tout ce qui venait de se passer. Elle avait entendu le cri de guerre de Corcoran ; elle avait vu la tentative des Mahrattes pour pénétrer dans le camp anglais, et leur fuite ; elle connaissait trop Corcoran pour croire qu’il pouvait reculer. Elle avait donc cherché son ami, et l’avait trouvé évanoui à côté de son cheval mort.


Elle l’avait trouvé évanoui. (Page 289.)

Elle aurait pu appeler au secours ; elle avait bien trop d’esprit pour cela : elle se voyait entourée d’ennemis. Elle se contenta de lécher Corcoran jusqu’à ce qu’il revint à lui ; puis, lorsqu’il eut répondu à ses caresses, elle le prit avec ses dents au collet, le jeta sur son dos, comme une mère fait de son enfant, et, en trois ou quatre bonds, l’apporta aux pieds de Sita.

Dire l’étonnement et la joie de la belle Sita serait impossible : elle se jeta dans les bras de son époux sans pouvoir parler.

Malheureusement l’arrivée de Corcoran ne diminuait pas le danger, au contraire. À la tête de son armée, il pouvait peut-être dicter la loi ; prisonnier dans le camp ennemi, il devait la subir.

Quand il eut raconté tous ses efforts pour délivrer Sita, elle lui reprocha doucement son entreprise si téméraire.

« Elle n’a été téméraire, dit-il, que parce que cette lâche canaille n’a pas voulu me suivre… Au reste, nous voilà ensemble. Je suis très-fatigué, les blessures que j’ai reçues en combattant contre sir John Spalding ne sont pas encore guéries. Je vais dormir… Louison, ma bonne amie, fais le guet avec Garamagrif. »

Rama s’endormit dans les bras de son père aussi paisiblement que dans le palais d’Holkar.

Mais peu d’heures après, au point du jour, la diane réveilla tout le camp, et l’on aperçut alors les traces sanglantes du combat de la nuit.

Barclay, qui se doutait bien que le maharajah était, suivant sa coutume, à l’avant-garde, s’étonna que l’attaque n’eût pas été conduite avec plus de vigueur ; mais ce qui l’étonna encore davantage, ce fut un grand tumulte qui paraissait régner dans l’armée des Mahrattes, ordinairement silencieuse et bien disciplinée.

Il en eut bientôt l’explication. Un soldat mahratte déserta, courut au camp des Anglais, et leur annonça que Corcoran avait été tué pendant l’attaque de la nuit.

« Cette fois, pensa Barclay, je suis sûr de devenir lord, et mistress Barclay sera lady Andover. »

En même temps il donna ses ordres pour l’assaut.

Mais, au moment où la première colonne commençait l’attaque, un officier s’avança, chapeau bas, vers le général, et le prévint qu’on venait de retrouver le cheval mort de Corcoran, mais non le maharajah lui-même.

« Qu’importe, s’il est mort ? » dit Barclay.

Cependant, et par réflexion, il ordonna de doubler la garde qui veillait autour du palanquin de Sita, pour empêcher sa fuite. Puis il fit avancer la seconde colonne avec ordre de soutenir la première pendant l’assaut.

Tout à coup il entendit des cris et une décharge de coups de fusil dans l’intérieur de son propre camp.

C’était Corcoran qui forçait la ligne de blocus formée par les Anglais autour du palanquin de Sita.

En un clin d’œil il sauta sur un cheval sans maître, se plaça dans une sorte de carré formé par Louison, Garamagrif, le petit Moustache et Scindiah, et rompit le cordon des gardes du camp.

Corcoran aurait bien voulu rentrer dans le camp mahratte ; mais il fallait franchir, sous le feu de l’armée anglaise, une plaine d’un quart de lieue, et le précieux bagage qu’il traînait à sa suite ne pouvait pas, comme lui, s’exposer de gaieté de cœur aux balles et aux boulets.

Il le sentit, et, apercevant à quelque distance un rocher isolé où l’on montait par une pente douce, il y courut avec sa petite caravane.

L’ennemi allait s’élancer à sa poursuite ; mais Louison et Garamagrif, qui formaient l’arrière-garde, grincèrent des dents d’une façon si menaçante, que les Anglais attendirent les ordres de leur chef.

Barclay, en ce moment-là même, aperçut ce qui se passait et la fuite de Corcoran. Aussi sans se préoccuper de la poursuite des Mahrattes, mis en déroute au premier choc, il jugea que l’essentiel était de s’emparer de leur chef, et fit sommer Corcoran de se rendre.

Deux bataillons d’infanterie, un escadron de cavalerie et trois pièces de canon entourèrent de tous côtés le rocher sur lequel Corcoran s’était réfugié.

« Prisonnier des Anglais, jamais ! s’écria Corcoran.

— Eh bien, feu ! » commanda Barclay.

Mais le maharajah, Sita et Rama étaient à l’abri derrière un rempart de pierres énormes. Le seul intervalle qu’il y eut entre les blocs était rempli par la carapace immense et invulnérable du bon Scindiah. Les balles glissèrent sur cette cuirasse naturelle, et s’aplatirent contre les roches. Scindiah ne prit d’autre précaution que de cacher ses oreilles à l’ennemi.

Une seconde décharge n’eut pas plus de succès.

« À l’assaut ! commanda Barclay, furieux. Qu’on le prenne ou qu’on le tue !

— Je ne serai ni pris, ni tué, général, » dit la voix railleuse de Corcoran.

En effet, les assaillants ne pouvaient monter que par un sentier très-commode, mais étroit, ce qui donnait un grand avantage à la défensive.

Le premier qui parut sur la plate-forme était un sergent du pays de Galles, nommé James Bosworth. En arrivant, il fit feu trop précipitamment, et à bout portant, sur le maharajah qui releva le canon du fusil : la balle se perdit en l’air ; mais, en même temps, Corcoran fit sauter la cervelle au Gallois d’un coup de revolver.

Un second assaillant eut le même sort. Un troisième grimpait sans être aperçu, lorsqu’un coup de griffe de Louison lui brisa les vertèbres cervicales et l’envoya en purgatoire.

Garamagrif faisait merveille. Il n’avait qu’un coup, un seul, mais infaillible : d’un coup de dents il tranchait l’artère carotide de son ennemi. Quant à Scindiah, trois soldats ayant voulu se glisser entre le rocher et lui pour frapper Corcoran par derrière, il s’appuya doucement sur les soldats et les aplatit net contre le mur.

« Après tout, dit Barclay, ce n’est pas la peine de sacrifier tant de braves gens pour venir à bout d’un entêté. Qu’on le garde à vue : il n’a pas de vivres, il sera bientôt forcé de se rendre. »

En effet, si Louison et Garamagrif avaient pris un à-compte sur les soldats, Scindiah, habitué à manger chaque jour cent vingt ou cent trente livres d’herbes et de racines commençait à bâiller terriblement. Depuis vingt-quatre heures, ni Corcoran, ni Sita, ni même Rama, n’avaient mangé. Grave sujet d’inquiétude !

Ce supplice dura jusqu’à la nuit. Corcoran, à bout de ressources, ne savait plus à quel saint se vouer. Devait-il se rendre ? Cette idée révoltait son orgueil. Devait-il périr ? Que deviendraient Sita et Rama ? Devait-il les abandonner à la merci de l’ennemi, bien certain, d’ailleurs, que les Anglais ne leur feraient aucun mal ! Mais que dire d’Hector qui laisse emmener Andromaque et Astyanax en servitude ?

Comme il se livrait à ces pensées, il leva les yeux vers le ciel pour demander conseil à Dieu, et vit quelque chose de fort extraordinaire.