Autres balades (Christine de Pisan)/XIII

Autres balades, Texte établi par Maurice RoyFirmin Didot (p. 221-222).


XIII


Gentilz amans, faittes ce jugement,
Et, je vous pry, jugiez selon le voir :[1]
Une dame retient entierement
Un pour ami, cuidant en lui avoir
Loial amant qui face son devoir
D’elle servir, ainsi qu’il apertient ;[2]
Ce lui promet quant elle le retient,[3]
Mais tost après le contraire aperçoit.
S’un aultre aime, qui d’elle près se tient,
Vous semble il que ce fausseté soit ?

Quant le premier la voit negligemment,[4]
Et si la puet assez souvent veoir,
Et par pluseurs foiz moult piteusement
Celle lui dist que moult a le cuer noir,
Dont elle voit lui en si pou chaloir ;
Mais riens n’y vault, trop pou de compte en tient
Et fierement vers elle se maintient,[5]
Dont s’un autre qui mieulx l’aime reçoipt[6]
Quant elle voit qu’a cil si pou en tient,
Vous semble il que ce fausseté soit ?

Et encor pis, car il dit plainement
Present elle, qu’il n’est pour nul avoir
Que il voulsist en femme nullement[7]
Mettre son cuer pour peine en recepvoir,[8]
Selon le dit peut le fait apparoir
Qu’il ne l’aime, ne ne lui en souvient.
Et un autre vers elle se contient
Si loiaument, quelque l’escondit soit,
Qu’elle voit bien qu’il l’aime, si s’i tient,
Vous semble il que ce fausseté soit ?

Amans, jugiez, quant un tel cas avient.
Se avoir doit congié, se il revient.[9]
L’amant premier qui la dame deçoipt,
Se par faulte de luy aultre y avient,
Vous semble il que ce fausseté soit ?

  1. XIII. — 2 B Je v. supply, or en j. le v.
  2. — 6 B si com il a.
  3. — 7 B Ainsi
  4. XIII. — 11 B Car
  5. — 17 B Et rudement
  6. — 18 B Et
  7. — 23 B v. de f.
  8. — 24 B Soy assoter p.
  9. — 32 A2 se il remaint