Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CXCIX. Pour l’Épiphanie. I. La gloire du Christ

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXCIX. POUR L’ÉPIPHANIE. I. LA GLOIRE DU CHRIST.

ANALYSE. – La gloire du Christ nous est aujourd’hui révélée, premièrement par les Mages accourus d’Orient pour l’adorer secondement par l’étoile qui les dirige, troisièmement par les Écritures qui lui rendent témoignage. En vain des savants superficiels essaient-ils d’appuyer sur l’apparition de l’étoile le système impie de l’astrologie judiciaire. Les astres évidemment n’exercent aucun empire sur le Christ ; au contraire ils lui obéissent à sa naissance comme ils lui obéiront à sa mort.

1. Nous célébrions dernièrement le jour où le Seigneur est né parmi les Juifs ; nous célébrons aujourd’hui celui où il a été adoré par les gentils. « Ainsi le salut vient des Juifs[1] » ; et ce « salut s’étend jusqu’aux extrémités de la terre[2] ». Le premier jour ce sont les bergers qui l’ont adoré, ce sont les Mages aujourd’hui. Aux uns il a été annoncé par des anges, aux autres par une étoile ; et tous, en voyant sur la terre le Roi du ciel, ont appris du ciel même que Dieu allait être glorifié au plus haut des cieux et la paix accordée sur la terre aux hommes de bonne volonté[3]. Car le Sauveur « est notre paix, puisque de deux il a fait un » ; et c’est ainsi que muet encore il s’annonce comme la pierre angulaire, et qu’il se montre tel dès le début de sa vie. Dès lors en effet il commence à unir en lui les deux murs qui viennent de directions différentes ; amenant les bergers de la Judée et les Mages de l’Orient, « afin de former en lui-même un seul homme de ces deux peuples, en accordant la paix à ceux qui étaient loin, et la paix à ceux qui étaient proche[4] ». Voilà pourquoi les uns en venant plus tôt et de près, et les autres en venant de loin et aujourd’hui seulement, ont signalé aux siècles futurs deux jours à célébrer, quoique les uns comme les autres n’aient vu qu’une seule et même lumière du monde.

2. Mais aujourd’hui il nous faut parler de ceux d’entre eux que la foi a amenés, de pays lointains, aux pieds du Christ. Ils sont donc venus et l’ont cherché en disant : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer[5] ». C’est à la fois annoncer et questionner, croire et chercher : n’est-ce pas l’image de ceux qui se conduisent par la foi et qui désirent voir la réalité ? Cependant, n’était-il pas né bien des fois en Judée d’autres rois des Juifs ? Pourquoi Celui-ci est-il par des étrangers reconnu dans le ciel et cherché sur la terre ? Pourquoi rayonne-t-il en haut, se cache-t-il en bas ? Les Mages voient en Orient une étoile, et ils comprennent qu’il est né un roi en Judée ! Quel est donc ce Roi, si petit et si grand, qui ne parle pas encore sur la terre et qui déjà promulgue ses lois dans le ciel ?

Toutefois, comme il voulait se faire connaître à nous par les saintes Écritures, après avoir fait briller pour les Mages un signe aussi éclatant dans le ciel et leur avoir révélé au cœur qu’il était né dans la Judée, le Seigneur voulut, à cause de nous, que leur foi en lui fût appuyée aussi sur ses prophètes. En s’informant de la ville où était né Celui qu’ils aspiraient à contempler et à adorer, ils eurent besoin d’interroger les princes des Juifs, de savoir quelle réponse ils trouveraient pour eux dans l’Écriture, dans l’Écriture qu’ils avaient sur les lèvres et non dans le cœur. C’étaient donc des infidèles qui instruisaient les fidèles touchant le bienfait de la foi ; des hommes qui mentaient par eux-mêmes et qui contre eux-mêmes proclamaient la vérité. Ah ! qu’ils étaient éloignés d’accompagner ces étrangers à la recherche du Christ, quoiqu’ils eussent appris d’eux que c’était après avoir vu son étoile qu’ils étaient venus l’adorer ; de les conduire eux-mêmes dans cette cité de Bethléem de Juda, qu’ils venaient de leur faire connaître d’après les livres saints ; de contempler enfin, de comprendre et d’adorer avec eux ! Malheureux, qui sont morts de soif, après avoir montré à d’autres la fontaine de vie ; semblables à ces pierres milliaires qui indiquent la route aux voyageurs et qui demeurent insensibles et immobiles. Les Mages donc cherchaient pour trouver, Hérode cherchait pour tuer ; quant aux Juifs ils lisaient le nom de la ville où naissait le nouveau Roi, mais ils ne comprenaient pas le temps de son arrivée. Placés entre l’amour pieux des Mages et la crainte sanguinaire d’Hérode, les Juifs se perdirent tout en indiquant Bethléem. Sans chercher alors le Christ qui venait de naître dans cette ville, ils devaient le voir plus tard ; le voir non pas silencieux mais rendant ses oracles, le renier et le mettre à mort. Combien l’ignorance des enfants qu’Hérode persécuta dans sa frayeur, était préférable à la science de ces docteurs qu’il consulta dans son trouble ! Sans pouvoir confesser encore le Christ, ces enfants purent souffrir pour lui ; tandis qu’après avoir pu connaître la ville où il était né, ces docteurs ne s’attachèrent point à la vérité qu’il prêchait.

3. C’est bien l’étoile qui conduisit les mages au lieu précis où était Dieu même, le Verbe devenu enfant. Rougis enfin, folie sacrilège, science ignorante, si je puis parler ainsi, qui t’imagines que le Christ en naissant fut soumis à l’arrêt des astres, parce que, d’après l’Évangile, des Mages virent, à sa naissance, son étoile en Orient. Tu n’aurais pas raison, alors même que les autres hommes seraient, en naissant, assujettis de cette sorte à la fatalité, puisqu’ils ne naissent pas, comme le Fils de Dieu, par leur volonté propre, mais d’après les lois d’une nature mortelle. Or, il est si peu vrai que le Christ soit né sous l’empire des astres, qu’aucun de ceux qui ont la vraie foi chrétienne, ne le dirait d’aucun homme absolument. Que ces esprits superficiels publient sur les naissances humaines ce que leur suggère leur défaut de sens ; qu’ils nient en eux l’existence de la liberté quand ils pèchent ; qu’ils imaginent je ne sais quelle fatalité pour excuser leurs crimes ; qu’ils travaillent à faire remonter jusqu’au ciel même les désordres qui les font détester par les hommes sur la terre ; qu’ils multiplient les mensonges pour en rejeter la responsabilité sur les astres : au moins que nul d’entre eux ne perde de vue comment il croit pouvoir régler, non pas sa vie, mais sa famille, quelque autorité qu’il y possède. Eh ! pourrait-il, avec ce sentiment, frapper ses esclaves lorsqu’ils lui manquent dans sa demeure, sans avoir dû préalablement blasphémer contre ses dieux qui brillent au haut du ciel ?

Cependant ni les vains raisonnements de ces hommes, ni les livres qui sont pour eux, non pas des livres révélateurs mais sûrement des livres menteurs, ne leur permettent de croire que le Christ soit né sous l’empire des astres, parce qu’à sa naissance les Mages virent une étoile en Orient. Cette apparition prouve au contraire que loin d’être dominé par elle, le Christ dominait cette étoile. Aussi ne suivait-elle point dans le ciel la route ordinaire des étoiles, puisqu’elle conduisit jusqu’au lieu même où venait de naître le Christ ceux qui le cherchaient pour l’adorer. Ce n’est donc pas à elle qu’on doit rapporter la vie admirable du Christ, c’est au Christ plutôt qu’il faut attribuer la merveille de son apparition ; elle ne fut point l’auteur des miracles du Christ, le Christ montra au contraire qu’elle était un de ses miracles. Fils du Père, c’est lui qui a formé le ciel et la terre ; comme Fils de sa mère, il fit briller dans le ciel un nouvel astre aux yeux de la terre. Si une nouvelle étoile répandit à sa naissance une lumière nouvelle, l’antique lumière du monde s’éclipsa à sa mort dans le soleil même. Les cieux à sa naissance rayonnèrent d’une gloire nouvelle, comme les enfers à sa mort furent saisis d’une nouvelle frayeur, comme les disciples à sa Résurrection se sentirent embrasés d’un nouvel amour, comme en s’ouvrant à son Ascension l’empyrée lui rendit un hommage nouveau.

Ainsi donc célébrons avec pompe et avec dévotion le jour où le Christ fut reconnu et adoré des Mages de la gentilité[6] ; comme nous célébrions cet autre jour où les pasteurs de la Judée vinrent le contempler après sa naissance[7]. C’est lui, le Seigneur notre Dieu, qui a choisi dans la Judée des pasteurs, c’est-à-dire ses Apôtres, afin de recueillir par eux les pécheurs de la gentilité pour les sauver.

  1. Jn. 4, 22.
  2. Isa. 49, 2, 6.
  3. Luc. 2, 14.
  4. Eph. 2, 14-20.
  5. Mat. 2, 2.
  6. Mat. 11, 1-11.
  7. Luc. 2, 8-20.