Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CCCXXV. — Fête des vingt martyrs. — Imitation des martyrs

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CCCXXV. FÊTE DES VINGT MARTYRS[1]. IMITATION DES MARTYRS.

ANALYSE. – Les hommages que nous rendons aux martyrs ne sauraient leur profiter, c’est à nous qu’ils sont utiles en nous excitant à les imiter. Or, la gloire des martyrs ne vient pas précisément de ce qu’ils ont souffert, mais du motif pour lequel ils ont souffert. Donc occupons-nous avant tout de prendre le bon parti, le parti de l’Église catholique.

1. Dans une solennité consacrée aux saints martyrs, nous vous devons un discours ; nous allons nous acquitter. Mais pour parler de la gloire des martyrs, pour exposer la justice de leur cause, nous avons besoin qu’ils nous aident de leurs prières. La première pensée que doit se rappeler votre sainteté en célébrant la fête des martyrs, c’est que les martyrs n’ont rien à retirer des honneurs solennels que nous leur rendons. Ils n’ont aucun besoin de nos solennités, car ils goûtent au ciel la joie des anges ; et s’ils prennent part à nos réjouissances pieuses, ce n’est pas en se voyant honorés, c’est en se voyant imités par nous. Il est vrai pourtant que si nos hommages ne leur profitent pas, ils nous sont utiles. Mais si nous les honorions sans les imiter, ce serait simplement une adulation menteuse. Pourquoi donc ces sortes de fêtes sont-elles établies dans l’Église du Christ ? C’est pour rappeler aux membres assemblés du Christ la nécessité de prendre pour modèles ses martyrs. Tel est assurément l’avantage procuré par ces fêtes, il n’en est pas d’autre. Si, en effet, on nous propose Dieu même à imiter, la fragilité humaine répond que c’est trop pour elle de se modeler sur Celui à qui rien ne saurait se comparer. Nous propose-t-on ensuite l’imitation des exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ, car si, étant Dieu il s’est revêtu d’une chair mortelle, c’était tout à la fois pour persuader le devoir et pour servir de modèle aux hommes également revêtus d’une chair condamnée à mort, aussi est-il écrit de lui : « Le Christ a souffert pour nous, en nous laissant son exemple afin que nous marchions sur ses traces[2] ? » L’humaine fragilité répond encore : Quelle ressemblance entre le Christ et moi ? Il était homme, mais en même temps il était le Verbe ; car « le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous[3] » ; il a pris un corps sans cesser d’être le Verbe ; il est devenu ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était. « Dieu, en effet, était dans le Christ, se réconciliant le monde[4] ». Ainsi, quelle ressemblance entre le Christ et moi ? Afin de dissiper toutes ces excuses de la faiblesse et de l’infidélité, les martyrs nous ont construit une grande voie, et il fallait, pont que nous y pussions marcher avec sécurité, qu’elle fût assise sur des arches de pierre. Ils l’ont formée avec leur sang, avec les témoignages qu’ils ont rendus. Pleins de mépris pour leurs corps, lorsque le Christ est venu pour conquérir les gentils, et qu’il s’est en quelque sorte assis sur eux comme sur une monture, ils ont étendu devant lui leurs corps comme les Juifs étendirent autrefois leurs vêtements[5]. Qui rougirait de dire : Je ne suis pas égal à Dieu ? Non, sans doute. Je suis loin d’être égal au Christ ? Oui, au Christ même devenu mortel. Mais Pierre était ce que tu es, Paul aussi, les Apôtres et les Prophètes étaient également ce que tu es. S’il t’en coûte d’imiter le Seigneur, imite celui qui n’est que son serviteur comme toi. Quelle armée de serviteurs de Dieu te précède ! Plus d’excuse pour la lâcheté. On n’en dit pas moins encore : Que je suis loin de Pierre ! Que je suis loin de Paul ! Ah ! tu es loin plutôt de la vérité ! Des gens sans lettres reçoivent la couronne ; point de prétexte pour ta vanité. Diras-tu que tu ne peux ce que peuvent des enfants ? ce que peuvent de jeunes filles ? ce qu’a pu sainte Valérienne ? Si tu hésites encore, ah ! c’est que tu ne veux point suivre Victoire ? Tel est, en effet, l’ordre où se présentent nos vingt martyrs ; la liste s’ouvre par un évêque, saint Fidentius, et se clôt par une femme fidèle, sainte Victoire. Elle commence par la foi, finit par la victoire.

2. Ayez donc soin, mes frères, en célébrant les souffrances des martyrs, de songer à imiter les martyrs. Pour rendre leurs souffrances méritoires, ils ont d’abord pris parti pour la bonne cause ; ils ont remarqué que le Seigneur avait dit, non pas : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution » ; mais : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice[6]) ». Toi aussi, adopte la bonne cause et ne t’inquiète pas de la souffrance ; car si tu ne fais pas un bon choix, tu auras en partage la douleur dans cette vie et dans l’autre. Ne te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments infligés aux malfaiteurs, aux sacrilèges, aux ennemis de la paix, aux adversaires de la vérité. Ce n’est pas, en effet, pour la vérité que meurent ces sectaires ; ils meurent plutôt pour empêcher qu’on annonce la vérité, qu’on prêche la vérité, qu’on s’attache à la vérité ; pour empêcher qu’on aime l’unité, qu’on embrasse la charité et qu’on parvienne à posséder l’éternité. Que leur cause est affreuse ! Aussi leurs souffrances sont-elles sans mérite. Toi qui te vantes de ce que tu endures, ne vois-tu pas, ne vois-tu pas qu’il y avait trois croix sur la montagne quand le Seigneur y souffrit la mort ? Il était suspendu entre-deux larrons ; la différence venait entre eux, non pas de la souffrance, mais de la cause embrassée par chacun. Aussi bien ce sont les martyrs qui disent dans un psaume : « Jugez-moi, Seigneur ». Ils ne redoutent pas le jugement divin ; en eux il n’y a rien que puisse dévorer le feu ; là où l’or est pur, pourquoi redouter la flamme ? « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d’un peuple impie[7] ». Il n’est pas, dit : Distinguez ma peine. N’aurait-on pu répondre. Le larron aussi a enduré une peine ? Il n’est pas dit non plus Distinguez ma croix. N’y attache-t-on pas aussi l’adultère ? Il n’est pas dit : Distinguez mes chaînes. Les voleurs n’en portent-ils pas ? Il n’est pas dit : Distinguez mes plaies. Que de scélérats périssent par le fer ! Ainsi donc, après avoir observé que tout, en fait de souffrances, est commun aux bons et aux méchants, le prophète s’est écrié simplement : « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d’une nation impie » ; car si vous distinguez ma cause, vous couronnerez ma patience.

Votre charité voudra bien se contenter, dans ce saint lieu, de cette petite exhortation ; d’ailleurs les jours sont courts et il nous reste encore quelque chose à faire avec votre charité dans la grande basilique.

  1. Voir Cité de Dieu, liv. 22, chap. VIII.
  2. 1Pi. 2, 21.
  3. Jn. 1, 14.
  4. 2Co. 5, 19.
  5. Mat. 21, 7-8
  6. Mat. 5, 10
  7. Psa. 42, 1.