Imprimeur Auguste Jaunin (p. 164-180).

IX


Il y a du soleil et de la joie au bord du Doubs, sur la rive française et sur la rive suisse. C’est dimanche. Les fermes sont bien closes. Dans les pâturages des Franches-Montagnes gambadent les jeunes poulains, et sous les sapins, que trouent avec peine les rayons lumineux, les vaches paresseuses sont mollement couchées, ruminant l’herbe mangée le matin, à la fraîcheur du petit jour. Et, tout au long du dévalement des côtes, sur les dos d’âne que forment les collines, sous les arcades de verdure qui s’étendent au-dessus des sentiers rapides, dans les prairies que piquent comme des étoiles les corolles d’une multitude de fleurs, partout enfin jasent des voix humaines, se déroulent vivement des conversations, éclatent des notes de chants populaires que les échos se renvoient du haut en bas de la vallée. Le Doubs est calme ; très basses sont ses eaux ; les grosses pierres du lit de la rivière montrent leurs têtes, ou noires ou luisantes, et le battement du flot est si faible, si languissant qu’il semble que la source va bientôt tarir.

Il règne une chaleur ardente que tempèrent les ombrages du bord, à l’orée des bois et sous les vieilles futaies. Un vent léger caresse les fronts, un vent très doux qui paraît s’élever du sein de l’onde verte, presque limpide, du clapotis des vaguelettes qui courent les unes après les autres. Mais le grand soleil de juillet met son éclat étincelant sur toutes les choses créées. Aussi loin qu’embrasse le regard, une lumière aveuglante se glisse sur les cimes brillantes des hêtres et sur les feuilles rondes des noisetiers, coule sur les arêtes de rochers et s’en va attiédir l’eau qui invite aux bains voluptueux.

Il y a de la joie et du soleil sur les bords du Doubs. De Biaufond à Goumois, la population se rend au Bief d’Etoz, où une chapelle est consacrée à la Notre-Dame du même nom. Chaque famille qui tient à faire preuve de ses sentiments religieux, y envoie au moins l’un de ses membres, quelquefois plusieurs, selon les circonstances. Jeunes gars et jeunes filles n’ont aucun scrupule de se mettre de la partie ; mais c’est plutôt, à vrai dire, pour appeler la bénédiction de la Vierge sur leurs amours que pour faire cesser la sécheresse qui désole la contrée depuis six semaines.

Il y a du soleil et de la joie sur les bords du Doubs. Les barques glissent sur l’onde tranquille, prenant, tantôt sur la rive droite, tantôt sur la rive gauche, des groupes d’hommes et de femmes qui s’abandonnent au plaisir de vivre. Ceux qui ne peuvent trouver d’embarcations suivent les bords de la rivière, les uns murmurant des prières, les autres causant lentement de choses indifférentes ou se confiant des misères humaines, ce qui soulage leurs cœurs ou les met en émoi. Et il y en a partout, des Echelles à la Goule, car c’est ici que les gens du haut doivent descendre pour aller, à pied, à la chapelle du Bief d’Etoz, située à deux ou trois cents pas, sur la rive française…


Les contrebandiers, qu’on ne reconnaissait pas sous leurs habits, étaient également de la fête. On ose affirmer, sans blesser personne, que ce n’était pas précisément un besoin religieux qui poussait ces derniers dans la vallée du Doubs. Ils y avaient été invités par leur chef, Maurice Delaroche, lequel désirait faire cette promenade pour y noter, peut-être, l’une ou l’autre observation de nature à l’intéresser.

Pendant les trois mois qui venaient de s’écouler, la troupe avait bien employé son temps. Décidément la chance les favorisait. De nouvelles expéditions avaient très bien réussi. C’est donc assez dire qu’ils étaient contents de leur travail et qu’ils usaient et abusaient largement de la vie chaque fois que l’occasion s’en présentait.

Et nonobstant Maurice avait l’air triste. Il en était toujours au même point, malgré les révélations de Pierre Logerot qui avaient cependant circonscrit nettement son champ de recherches. De la ferme où il avait trouvé asile au sommet des Echelles, on ne rencontrait que quelques maisons, habitations isolées de pauvres paysans inoffensifs et près desquelles avait bien passé son père, mais sans s’arrêter, laissant à droite Charquemont et Charmauvillers à gauche. Or Maurice avait exploré minutieusement ce coin de pays, deux lieues d’étendue, un peu plus, et il n’avait fait aucune découverte. Son père, qui connaissait la contrée, n’avait pas eu besoin de s’enquérir autrement du chemin. Il avait dû se hâter de gagner le Doubs.

Était-il maintenant arrivé sur le bord de la rivière ? La chose était probable, presque certaine. Il y avait bien encore l’éventualité d’un accident. Mais son père était homme de sang-froid et l’on eût retrouvé le cadavre. Comme on le voit, le cercle où Maurice opérait se rétrécissait de plus en plus…

C’était donc pour lui être agréable que la plupart des contrebandiers l’avaient accompagné sur le Doubs. Ils avaient une vague idée du but que Maurice poursuivait. D’ailleurs, ils savaient qu’avec lui ils passeraient une agréable journée. Et ils n’étaient pas insensibles au plaisir que l’on pouvait goûter dans la vallée, par un clair soleil et au milieu d’une foule nombreuse.

Jean Gaudat fut quelque peu surpris de les voir arriver. Maurice lui dit leur intention de prendre part au pèlerinage. L’aubergiste ne fit qu’en rire : il ne croyait pas à ces « choses-là ».

— Nous ne vous demandons pas de venir avec nous, observa le jeune homme. Cependant, vous permettrez bien à vos deux enfants de se joindre à notre société.

Cela ne lui plaisait qu’à demi, au vieux Gaudat. Toutefois, quoi qu’il en eût, il répondit :

— Sans doute, s’ils y tiennent.

Consultés à ce sujet, Ali et Yvonnette furent d’accord.

— Alors, préparez-vous. Dans une heure, nous partons.

Et, en attendant, Maurice et ses compagnons se firent servir d’excellentes truites que Jean Gaudat alla chercher dans un réservoir où il mettait parfois le produit de sa pêche. Les hardis contrebandiers arrosèrent leur repas de bonnes rasades, un petit vin d’Arbois qui pétillait dans les verres et coulait comme du feu dans le sang.

À midi, ils traversaient la rivière en bateau. Elle était si basse en certains endroits qu’on aurait pu la passer à gué. Ils étaient dix en tout : Maurice, Emile Brossard, six camarades, Ali et Yvonnette.

La jeune fille ne revenait pas de son étonnement. On l’avait laissée sortir. En vertu de quelles magiques paroles cela s’était-il fait ? Elle ne comprenait pas. Et, pourtant, rien n’était plus simple. Jean Gaudat n’avait pas osé refuser, d’autant plus que son fils, au premier mot, avait aussi manifesté le désir d’être de la partie. La vieille Catherine, en présence du maître, était « une quantité négligeable ».

Yvonnette était gentiment vêtue. Sa robe d’indienne, à petites fleurs bleues sur un fond blanc, seyait admirablement à sa taille gracile qui avait des souplesses d’oiseau. Et, d’une fine collerette en dentelle, un cadeau de Maurice, se dégageait la tête la plus jolie que l’on pût voir ce jour-là sur les bords du Doubs. On y rencontrait un suave mélange de nuances très délicates, la pureté du teint, le rose des joues et l’azur des yeux, que couronnait sa belle chevelure d’or, dont les deux tresses retombaient sur ses épaules. Et quels regards épanouis ! Elle les fixait avec une indicible expression d’amour sur le mâle visage de son grand ami. Elle avait pour Maurice une sorte de respect qui touchait à l’adoration. Toutes les paroles qu’il prononçait, elle les buvait, pour ainsi dire. C’était, en d’autres termes, l’abandon complet de la femme aimante, qui donné son cœur avant qu’on le lui demande, n’ayant plus de volonté à elle, hypnotisée par l’homme qui, au premier coup d’œil, est entré comme un triomphateur dans son existence.

Après avoir traversé le Doubs, les jeunes gens prirent un sentier qui suit la rivière jusqu’à un groupe de maisons que l’on appelle la Charbonnière. Ici, ils s’arrêtèrent. Ali Gaudat, qui connaissait les habitants de l’endroit, obtint facilement une barque pour continuer la promenade.

Le trajet, de la Charbonnière à la Verrerie, se fait encore aujourd’hui par le Doubs. Les sites qui encadrent la profonde vallée attirent tour à tour les yeux. Yvonnette surtout ne se rassasiait pas d’admirer ni d’interroger. Elle voulait qu’on lui expliquât tout et elle s’étonnait de tout. Elle s’imaginait voyager dans un monde nouveau, après avoir oublié les misères du passé. Ah ! quelles actions de grâces, de son âme d’enfant, montaient à ses lèvres pour remercier Maurice de l’aimer ainsi ! Oui, à la vie et à la mort ! répétait-elle, tout bas, ne pensant qu’à lui. Elle lui resterait fidèle, éternellement, même s’il la repoussait. De loin comme de près, elle lui appartenait désormais. Il y a de ces sublimes affections dans les cœurs vierges de vaillantes jeunes filles !

À la Verrerie, il fallut descendre à terre, à cause de l’écluse, qui interrompt la navigation. Mais, immédiatement au-dessous, papa Misel, de la rive française, vint les prendre dans le meilleur de ses bateaux, et après avoir trinqué ensemble chez lui, la joyeuse troupe se dirigea vers la Goule, éloignée d’une demi-lieue.

Le soleil dardait ses plus chauds rayons à la surface de l’eau, qui a, sur tout ce parcours, une immobilité d’océan. La vallée, à partir de la Verrerie, s’élargit quelque peu. On ne voit plus de hauts rochers comme aux Echelles ; les pentes sont boisées, de belles forêts les couvrent de leur dôme de feuillage. Plus de bords abrupts : des prés s’étendent le long de la rivière, qui semble dormir, fatiguée peut-être de la course désordonnée de sa partie supérieure.

C’est que le Doubs, « la rivière sombre, profonde et dangereuse », a déjà fait une longue étape, de sa source à l’endroit où se trouvaient nos promeneurs. Venant « du Jura central, il coule d’abord dans la direction du nord-est, forme, aux Brenets, le Saut du Doubs, de vingt-sept mètres de hauteur », salue, en passant, la coquette villa des ' Sonneurs, à la Maison Monsieur, ce lieu charmant si fréquenté par les habitants de la Chaux-de-Fonds ; puis, après être sorti des gorges de la Mort, il prend sa course vers le nord, en traçant son large sillon entre la France et la Suisse, enveloppe une partie du territoire de celle-ci, oblique ensuite à l’ouest et va rouler ses eaux plus tranquilles dans les campagnes gauloises.

Enfin, après vingt-cinq à trente minutes, ils abordèrent à la Goule, mais sur territoire français. Ayant solidement amarré leur barque, dont ils voulaient se servir pour le retour, ils décidèrent de visiter d’abord la chapelle du Bief d’Etoz ; puis on entrerait dans une auberge pour se restaurer.

À la Goule, le Doubs fait une chute de plusieurs mètres, tombant dans un lit étroit, creusé lentement, aux premiers âges, dans le vif du rocher. Ensuite il s’élance, sauvage et puissant, sur d’énormes blocs de pierre qu’il roule ou au-dessus desquels il bondit, projetant au loin des paquets d’écume. Ce n’est plus de l’eau qui coule, ce sont des flots d’argent liquide.

Un canal, un bief, se détache du courant et conduit la force motrice aux usines d’Etoz. Alors, le martinet forgeait le fer, les meules broyaient les essences huileuses et la scie coupait en planches les grosses billes qui descendaient de la montagne et de Charmauvillers.

La chapelle était pleine de monde et il y avait encore aux alentours toute une foule qui priait, implorant le Ciel qu’il voulût bien envoyer sa pluie à la terre aride, crevassée par la chaleur du soleil. C’étaient des gens de France et de Suisse, hier faisant partie de la même nation, désormais séparés par une frontière que les hommes de Vienne, sans plus s’inquiéter des besoins de ces peuples, ont tracée d’un large coup de plume. Ils n’avaient pas l’air heureux, leurs visages trahissaient les privations, les soucis de toute sorte, la pauvreté de leur existence dans cette contrée de montagnes et de côtes escarpées. Tous se ressentaient de la misère qui sévissait dans le pays, dans presque toute l’Europe, épuisée par vingt années de guerres. Et leur dévotion était sincère, ils avaient l’invincible espoir, en leur foi naïve, que Dieu allait faire fléchir, pour eux, les lois éternelles de l’univers, que des légions d’anges, obéissant à l’ordre divin, verseraient tantôt l’eau bienfaisante qui féconde et fait germer. Et, agenouillés sur le sol dur et chaud, ils ne se lassaient pas en leurs supplications, tournant leurs chapelets, tandis qu’un tintement de cloche, à intervalles irréguliers, jetait dans les airs ses notes éplorées. De l’eau ! De l’eau ! Belle Notre-Dame du Bief d’Etoz ! De l’eau pour les paysans que la Révolution a affranchis, les libérant de l’inhumaine servitude qu’exerçaient sur eux la noblesse et le clergé ! De l’eau ! De l’eau ! Belle Notre-Dame du Bief d’Etoz !

L’origine de ce sanctuaire est au moins très curieuse et mérite d’être relatée ici. La légende raconte qu’un chevalier des environs, de belle et bonne race française, le chevalier Mési-Pierre, comme il chassait un jour dans les forêts qui dominaient le Bief d’Etoz, son cheval, probablement épouvanté par quelque fauve, s’élança du sommet d’un rocher au pied duquel il tomba, réduit en morceaux innommables. Le cavalier n’avait aucun mal. En souvenir de cet événement qui tenait du miracle et pour remercier à coup sûr le Ciel d’une si visible protection, Mési-Pierre fit construire la chapelle du Bief d’Etoz en l’année 1692. Les habitants de la contrée désignent encore l’endroit où l’accident s’est produit par le nom de : Saut Mési-Pierre. C’est à proximité de la chapelle, non loin de la route qui relie ce hameau au village de Charmauvillers, accroché au flanc de la côte. On dit aussi qu’une cavité naturelle existe dans la paroi du rocher : si l’on y jette une pierre et qu’elle reste dedans, c’est un signe infaillible de beau temps ; par contre, si elle retombe, il faut s’attendre à une perturbation de l’atmosphère.

On raconte encore, mais je n’ose rien affirmer, que si la pierre disparaît dans « le trou », les prières du pèlerin sont exaucées ; elles ne le sont point, si la pierre se montre de nouveau. Et la preuve, me disait dernièrement un homme du pays, que cette croyance existe, c’est qu’il est impossible de trouver la moindre petite pierre dans un rayon de cinquante mètres autour du rocher.

Enfin, je dois ajouter, toujours à propos de cette chapelle où l’on voit plusieurs ex-voto offerts par la piété des fidèles reconnaissants, qu’on prétend que les femmes des environs se rendent au Bief d’Etoz pour un autre but. En effet, et des gens fort respectables me l’ont déclaré, les épouses qui souffrent de n’avoir pas d’enfant ne font pas inutilement le pèlerinage. Je donne cette opinion pour ce qu’elle vaut, sans en garantir l’absolue véracité…

Or, ce jour-là, malgré les, ruses calculées des plus adroits pèlerins, toutes les pierres qui pénétraient dans l’excavation n’en voulaient plus sortir. Il en résultait, avec la dernière évidence, que la pluie était encore bien éloignée et que les vœux de toutes ces populations ne seraient pas de sitôt exaucées. Était-ce peut-être la raison qui détermina Maurice et Yvonnette à quitter le Bief d’Etoz avant leurs compagnons ? Nous ne savons trop ; mais toujours est-il qu’ils allèrent s’installer devant l’auberge, en face de la Goule, sous une tonnelle de coudriers.

Les deux jeunes gens étaient heureux de se trouver ensemble, et seuls encore, comme ignorés de la foule qui occupait les tables autour d’eux. Le cabaretier leur servit du vin, avec un pain bis très savoureux. Il ne lui restait déjà plus rien des abondantes provisions qu’il avait préparées pour ce jour de pèlerinage. Et, pendant qu’Yvonnette regardait les barques évoluer sur le Doubs, Maurice, tenant dans l’une de ses mains une main de son amie, semblait observer, depuis un instant, le médaillon qu’elle portait à son cou. Il était en jaspe, aux bords sertis d’un filet d’or.

Se penchant vers elle, il lui dit :

— Yvonnette, permettez-moi une simple question. D’où avez-vous cette parure, que je vois aujourd'hui pour la première fois ?

— Je ne sais pas, je l’ai toujours eue, mais je la porte rarement,autant dire jamais. Aujourd’hui, je l’ai prise, parce que je sortais avec vous. C’est ma mère qui me l’a donnée alors que j’étais encore toute petite. Ce médaillon est beau, n’est-ce pas ? Et il s’ouvre. Vous allez être bien étonné : dedans, il y a une belle femme, si belle que souvent je pense à elle, bien que je ne la connaisse pas du tout.

Et, donnant suite à ses paroles, elle enleva la parure, pressa sur un petit bouton à peine visible et le couvercle sauta. Yvonnette tendit l’objet à Maurice.

Celui-ci jeta un cri, aussitôt étouffé, et une pâleur subite envahit son visage.

— Qu’avez-vous ? questionna la jeune fille, devenue presque inquiète.

Mais Maurice ne répondait pas. Il tremblait de tous ses membres. Un moment, il ferma les yeux, comme pour mieux se rendre compte de ce qui se passait dans son être et dans sa vie.

— Je vous en prie, parlez donc ! insista Yvonnette. Vous me faites peur.

Eh ! ce n’était pas facile pour lui ! En une seconde, tout un vaste horizon venait de s’éclairer subitement. Aussi bien, il avait assez longtemps attendu.

Son amie renouvela l’interrogation. Il fallait donc s’exécuter. Car, quel que fût le terrible mystère dont il croyait maintenant toucher à la solution, il savait que celle qu’il aimait était l’innocence même.

— Ce portrait, dit-il, c’est celui de ma mère.

— De votre mère ?

— Je le jure, aussi vrai que je suis ici.

— Mais, alors, comment est-il entre mes mains ?

— Je l’ignore.

— Je m’en vais, aussitôt rentrée, le demander à ma mère.

Maurice parut réfléchir.

À ce moment, les contrebandiers arrivaient. Il n’eut que le temps de murmurer à l’oreille d’Yvonnette :

— Pas un mot de ce médaillon, ni à votre mère, ni à personne. Il faut que je vous voie : je ferai ensorte que nous passions à l’auberge l’une de ces prochaines nuits. Donc, jusque là, silence.

Et il invita ses compagnons à s’asseoir. Ali Gaudat avait l’air maussade. La disparition de Maurice et d’Yvonnette l’avait contrarié. Mais, que faire ? Emile Brossard, fidèle à la consigne, avait promené la troupe autour de la chapelle du Bief d’Etoz.

Une heure après, la barque remontait contre la Verrerie, traçant un léger sillon dans l’immobilité de l’eau. Maurice s’était mis à ramer, avec Ali, afin de n’éveiller aucun soupçon dans l’esprit du fils de Jean Gaudat, dont il avait remarqué l’allure indécise et les regards qu’il leur avait jetés, à lui et à Yvonnette, durant toute la promenade.

Et le soleil, insensible aux prières des malheureux humains, tombait déjà derrière les collines franc-comtoises, laissant dans les airs comme une clarté de métal en fusion. On ne voyait au ciel pas le moindre petit nuage pour porter aux pieds de la Vierge les vœux ardents des pèlerins qui venaient de quitter la chapelle du Bief d’Etoz.