Au jardin de l’infante/La Tour

Au jardin de l’infanteMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 1 (p. 169-170).

LA TOUR

Mes douze palais d’or ne pouvant plus suffire,
Mon cœur royal étant désenchanté du jour,
Un soir, j’ai fait monter mon trône de porphyre,
Pour jamais, au plus haut de ma plus haute tour.


Et là, dominant l’homme et les cités sonores,
J’ai vécu seul parmi l’azur silencieux
À voir, indifférent, les couchants, les aurores
Mirer leurs ciels dans l’eau déserte de mes yeux.



Pâle je vis, le goût de la mort à la bouche.
La Terre est sous mes pieds comme un chien qui se couche.
Mes mains flottent parmi les étoiles, la nuit.


Rien n’a distrait mes yeux immobiles sans trêve ;
Rien n’a rempli mon cœur toujours vide, qui rêve
Sur l’incommensurable mer de mon ennui ;


Et le Néant m’a fait une âme comme lui.