Au bord des terrasses/4

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 15-17).




MESSES LOINTAINES




Dimanches enfantins, grand’messes de village,
Dans l’étroit banc de chêne où ma grand’mère assise
Penchait sur son gros livre un vieux et doux visage,
Et me montrait comment on se tient à l’église ;

Où le cierge bénit, quand j’allais à l’offrande,
Tout doucement, et droite, à cause de la cire,
Avait des rubans clairs et des fleurs en guirlande,
Houlette d’un troupeau que je croyais conduire !


Où je voyais des rangs de vieilles paysannes
Sans livre, mais aimant des lèvres leur prière,
Usant à deux genoux leurs jupes de basanes,
Et n’ayant pour prie-Dieu que les dalles de pierre.

Je trouvais le temps long, parfois, pendant le prêche.
Et regardais aux murs l’ombre qui se retire.
Saint Sébastien, le bras transpercé d’une flèche,
Ou sainte Agnès, tenant la palme du martyre ;

Puis, au fond de l’autel, une Vierge Marie,
Pour son Assomption s’enlevant sur un globe.
Et des anges volants, à la mine fleurie,
Entrevus dans son voile et les plis de sa robe ;

Me demandant comment et par quel doux mystère
Ces anges, qui n’avaient que la tête et les ailes,
Pourraient jamais marcher s’ils descendaient sur terre,
Exilés un moment des sphères éternelles.


Blancheurs de ma mémoire, où l’orgue chante encore,
Où les coups de serpent succèdent à la cloche ;
L’odeur du pain bénit, l’encens qui s’évapore
Se mêlaient aux tiédeurs de midi qui s’approche ;

On sortait sur la place, et les tilleuls en dôme,
Tout bourdonnants alors de souffles et d’abeilles,
Frais au creux de leur ombre, enveloppés d’arôme,
Semblaient continuer la messe et ses merveilles !