Au bord des terrasses/5

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 19-21).




FEMMES




Si celui qui t’aima, trahi par de plus belles,
Un jour doute de toi, c’est l’injuste retour ;
S’il s’en prend à ton cœur de leurs vœux infidèles,
S’il s’en prend à tes yeux tout éclairés d’amour

Et s’il les fait pleurer, laisse couler tes larmes,
Même tout en souffrant, car elles laveront
Au fond du souvenir les anciennes alarmes
Et l’ombre qu’il voyait aux pâleurs de ton front.


Dans la chaîne des temps, depuis la chute d’Ève,
Toute rose en l’Éden que dorait le matin,
La femme a supporté sans pitié ni sans trêve
Tous les ressentiments de son premier destin ;

Victime de la faute, elle en eut l’esclavage,
Garda l’enlacement du mensonge en ses bras.
Lianes et buissons dans le jardin sauvage
Ont limité toujours sa raison et ses pas !

De la mère à la fille, et des unes aux autres,
Transmettons le fardeau, l’hommage et la douleur,
Et femmes, faisons-nous, pour les femmes, apôtres
Et mesurons leur vie aux peines de leur cœur ;

Puisque le même crime a rendu solidaires
Marthe qui vit le Christ, Psyché qu’Éros aima,
Celles qui n’ont aux doigts que les grains des rosaires
Ou les brillants anneaux que l’amour enflamma ;


Les recluses en Dieu, saintes désenchantées
Glissant au petit jour en l’ombre des arceaux ;
Les mères s’endormant au rebord des berceaux,
Les folles que leur lampe éteinte a déroutées !