Au bord des terrasses/3
PATRIE
a France, dans mes livres d’enfant, apparue,
En zones que coupaient les fleuves écumeux,
Si vaste, mais encore à mes yeux inconnue,
Me semblait un jardin, là clair, ici brumeux.
La mer, sur plusieurs bords, en faisait des rivages.
Et ce mince trait bleu, rien que figuratif,
Que de départs, d’adieux et de vagues naufrages
N’a-t-il pas simulé pour mon esprit naïf !
Tout au centre enfermée, était l’Île-de-France,
Comme un noyau de fruit, plutôt comme le cœur,
De tout ce grand pays, ignorant de l’offense,
Où Clotilde régnait près de Clovis vainqueur.
Des chênes, des forêts de chênes, la Bretagne,
Où les dolmens moussus se souviennent encor.
Où les calvaires vieux dressés dans la campagne
Sont jusqu’aux pieds des Christs fleuris de genêts d’or !
Sous les roses pommiers, la verte Normandie
De l’arche de Noé gardait tous les troupeaux
Et levait sa falaise, en rempart qui défie
Bien plus l’envahisseur que la force des eaux.
Près Tours, Lyon et Dijon, où croît le monastère.
Tous les fruits des vergers, étalés au ciel pur.
Attiraient les oiseaux que mire et désaltère
Le fleuve reflétant la beauté de l’azur !
Plus bas, sous les mûriers où se file la soie,
Et sous les oliviers amis d’antique paix,
Les moissons ondulaient que mûrit et que ploie
Le fort soleil, avec le vent complice et frais.
Les montagnes étaient bornes infranchissables.
Puisque je ne savais alors que mon pays,
Ses rivières, ses prés, ses forêts et ses sables ;
Et des autres n’ayant encore rien appris.
Rien ne m’influençait pour n’aimer que toi seule,
Ô France dont j’étais une chétive enfant,
Me serrant tendrement contre l’antique aïeule,
Les mains pleines des fleurs de son sol triomphant ;
Les yeux pleins du mirage ardent de sa lumière,
Variée au feuillage, aux souffles, aux saisons,
À la longueur des jours que mesure la terre,
À l’infini plongeant des vastes horizons !