Au bord des terrasses/2

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 9-10).
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NOVEMBRE




Arbres parisiens, aux sèves mesurées
Par la pierre, l’asphalte et par le gaz ardent,
Vous portez des oiseaux et des nids cependant.
Et le soleil vous fait des branches empourprées ;

Vous êtes la nature au milieu des palais,
Du morne cimetière et du faubourg alerte,
Vous dépassez parfois les murs d’un souffle frais
Où le hasard d’un fruit met une pulpe verte.


Ce soir, contre ma vitre, entre vos noirs rameaux
Où la feuille en détresse a des révoltes d’aile,
J’évoque un fleuve lent à sa rive fidèle.
Et la paix ancestrale où dorment les hameaux.

Paris, dont la rumeur a tinté dans un lustre.
De quelque choc lointain, sur son pavé heurté,
Paris, je l’entends bien, mais, rêvant de l’été,
Je me crois accoudée à quelque vert balustre.

Une abeille bruit, un liseron penché
Ferme comme un cornet sa corolle de soie.
Le soir rôde, un parfum pénétrant et séché
Jaillit sous l’arrosoir qui met la terre en joie.

L’heure est divine, ainsi qu’un sursis de bonheur
À tous ceux qu’accabla le mal obscur de vivre.
Souvenir d’oasis à goût d’arbre et de fleur.
Malgré la nuit, l’hiver et l’approche du givre !


Paris, 1902.