Au bord des terrasses/1

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 5-8).




FÊTE




Les échos d’une fête invisible
Ont traversé le silence et la nuit :
Bonds de valse en mesure sensible
Et coups d’archet, murmure, plus que bruit.

L’éclat nombreux du lustre qui brûle
S’éteint au tissu des rideaux soyeux,
Et dans le bal le plaisir circule.
Sans que rien dehors le trahisse aux yeux ;


Aux alentours il règne un mystère
Que les astres d’or, dans le ciel ardent,
Cherchent à dérober à la terre,
Et qui resterait caché cependant.

Mais comme l’air qui bruit et chante
Et le flot grondant qui s’étale en pleurs,
Comme l’oiseau sur l’herbe penchante,
Et le sphinx virant au-dessus des fleurs,

Comme la cloche, au clocher transfuge,
Verse aux huis bien clos tous ses Angelus,
Le son ne peut avoir de refuge
Qu’il ne s’en évade et brise son flux !

Et l’évocateur fait un miracle :
Au treillis des sons il tend le tableau,
D’une fête agile en simulacre,
Brûlante de feux, souple comme l’eau ;


Où la danse glisse en salamandre,
Lutin familier de deux cléments
Que leur contraste ne peut surprendre,
Agitant des fleurs et des diamants ;

Des couronnes sur de jeunes têtes,
Aussi des rubans tournoyant au vol.
Et des traînes, comme les comètes
En font évoluer si loin du sol ;

Et des regards ! Ah ! flèches croisées
En mesure, et, sous l’abri des cheveux.
Franges d’or brun ou boucles frisées,
Regards pénétrants comme des aveux !

Tout se révèle par la musique.
Volutes de l’air, frissons d’éventail ;
Le jour blanchit en haut d’un portique,
Puis il se colore ainsi qu’un vitrail ;


Silence et repos ; la fête est morte ;
J’en vois les débris sous mes yeux fermés,
Guirlandes à terre et qu’on emporte,
Et miroirs en deuil, lustres consumés !