Au Pays de Rennes/Le Thabor

Hyacinthe Caillière (p. 39-44).


LE THABOR


Le Thabor est une délicieuse promenade qui, avant 1789, formait le jardin particulier des Bénédictins établis dans les bâtiments de l’abbaye de Saint-Melaine.

On y pénétrait par un passage qui communiquait du cloître intérieur avec le jardin potager, jardin qui est encore privatif à l’hospice des vieillards de Saint-Melaine.

L’évêque de Rennes avait pour promenade une longue allée de tilleuls perpendiculaire à la grille de ce jardin, dont une partie lui servait de potager, et un bosquet qui s’étendait sous la façade Nord du palais épiscopal. Dans le potager une butte ou cavalier permettait de plonger le regard dans le jardin des Bénédictins qui de leur côté dominaient le jardin de l’évêque au moyen des allées hautes établies au-dessus des bassins de l’Enfer et de la Tonnelle.

Un échange fait, en 1793, de l’hôpital de la santé contre les bâtiments et dépendances de l’abbaye de Saint-Melaine, y compris l’évêché, permit à la ville de Rennes d’installer l’hospice des vieillards dans cette abbaye, et d’affecter à son service le jardin potager y attenant.

Les parties du Thabor réservées comme promenades d’agrément pour l’évêque et les religieux furent converties en une promenade publique dont la cour de l’évêché devint l’entrée principale. Plus tard, la ville fit ouvrir une nouvelle entrée par la rue de Fougères, vis-à-vis les terrains où se trouve actuellement la caserne de gendarmerie.

En 1814, le comte de Ferrières, commissaire extraordinaire du roi Louis XVIII, remit l’évêché en possession de la partie de la promenade qui jadis constituait son jardin d’agrément, et la ville ne conserva en 1820 que l’allée de tilleuls perpendiculaire à la grille du jardin des plantes. L’entrée du Thabor fut alors rejetée au Nord jusque dans la ruelle de la Palestine.

Mais M. de Lorgeril, maire de Rennes, voulant rendre la promenade d’un accès plus facile, fit l’acquisition de diverses propriétés au Sud du jardin potager des Bénédictins et fit procéder à la démolition de l’église Saint-Jean située à l’Est de la grille actuelle du Thabor et parallèle à l’église abbatiale de Saint-Melaine ; ces diverses opérations permirent de reporter l’entrée principale de la promenade du côté gauche du portail de l’Église Saint-Melaine, et de créer la place de ce nom.

Depuis 60 ans le Thabor a subi successivement de grandes modifications. L’emplacement de l’ancienne église Saint-Jean a été transformé en un vaste carré, sillonné d’allées sablées et entouré d’arbres. Au milieu, sur un piédestal de granit, se dresse la statue de Duguesclin, érigée en 1825. Cette statue est loin d’être belle et M. le Directeur de notre École des Beaux-Arts devrait bien en offrir une à la Municipalité.

Un peu plus loin, au milieu d’un fer à cheval, s’élève une humble colonne de tuffeau surmontée d’une petite statue de la liberté, par Barré. Elle consacre le souvenir de deux bretons, Vanneau et Papu, tués en 1830, dans les journées de juillet.


Carré Duguesclin au Thabor

Le carré Duguesclin est le rendez-vous des bonnes et des enfants qui prennent leurs ébats sur la pelouse, à l’ombre des marronniers.

De cette esplanade, on monte par une rampe douce sur les glacis de l’Enfer d’où l’on jouit d’un magnifique panorama : on découvre une partie de la ville, la caserne Saint-Georges, Toussaint, le Lycée, la Gare, la Maison centrale et le clocher de l’église Saint-Hélier. Au loin, Laillé, Bout-de-Lande, Pont-Réan, et plus près, vers l’est, Chantepie, le château de Cucé, l’asile des aliénés de Saint-Méen et la verte vallée de la Vilaine. Au haut de l’escalier qui conduit au jardin des Plantes se dresse un chêne dix fois centenaire qui, dit-on, faisait jadis partie de l’ancienne forêt de Rennes.

L’endroit du Thabor appelé l’Enfer est un bassin qui se trouve au milieu des arbres de la partie culminante de la promenade. Au commencement du siècle l’enfer fut le lieu où les bretteurs et les ferrailleurs vidaient leurs querelles. La terre de ce bassin a été bien souvent arrosée de sang.

Au nombre de ces duels il en est un qui est resté célèbre.

Vers 1815, deux amis intimes, déjà d’un certain âge, — pourquoi taire leurs noms ? — MM. Lessard et Lecarpentier se prirent un jour de querelle au café, à propos de politique, et comme tous les deux étaient des bretteurs effrénés, ils s’envoyèrent leurs témoins et le lendemain matin allèrent s’aligner au Thabor.

M. Lecarpentier fut blessé assez grièvement. Son ami au désespoir l’accompagna chez lui et ne le quitta que lorsque le chirurgien eut déclaré qu’il était hors de danger.

M. Lessard retournait chaque jour voir son ami et lui exprimait ses regrets de l’avoir blessé.

« Je te remercie bien, répondait M. Lecarpentier à peine convalescent, mais, tu sais, gredin, je suis plus fort que toi, aussi nous recommencerons, je te soignerai à mon tour, mais nous recommencerons !

Ce duel donne une idée de l’esprit de l’époque. Le jardin des plantes qui, autrefois, était séparé du Thabor par une grille en bois en fait maintenant partie.

De magnifiques serres, construites en 1862 et 1863, sont l’œuvre de M. Martenot, architecte de la ville, qui a également édifié le kiosque élégant dans lequel la musique municipale et celles de la garnison se font entendre le jeudi et le dimanche.

Le 9 Août 1890 a eu lieu la pose, au jardin des plantes, du premier des quatre groupes décoratifs que M. Lenoir, Directeur des Beaux-Arts a offert, à la Municipalité de Rennes pour l’ornement de sa promenade.

Il a pour sujet l’enlèvement d’Euridyce. C’est certainement une œuvre remarquable.

Enfin une grille monumentale, calquée sur celle du parc Monceau, à Paris, a remplacé celle qui existait à l’entrée du Thabor.

En face de cette grille est la rue Saint-Melaine, l’une des vieilles rues de Rennes. Émile Souvestre y demeurait lorsqu’il suivit les cours de notre école de droit.

Il s’en souvint plus tard en écrivant l’un de ses romans les plus intéressants : « Riche et Pauvre » ; une partie de l’intrigue de son livre se déroule rue St-Melaine.

Nous allons maintenant voir la promenade de la Motte, ainsi que les ruines d’un ancien hôtel, rue Saint-Georges, qui fut autrefois l’opulente demeure d’un conseiller au Parlement de Bretagne.

Après cela nous ferons en sorte de découvrir le tombeau de d’Argentré dans l’église Saint-Germain, et nous passerons en revue les divers monuments situés dans la partie Sud-Est de la ville.