Librairie J.-B. Baillère & fils (p. 2-36).

PREMIÈRE PARTIE

L’ATONICITÉ
Barcelone. 1866-1867

Mon attention avait souvent été éveillée par ce fait étrange que, dans des moments où je me croyais dans des conditions physiques et intellectuelles tout-à-fait normales, je me trouvais, sans cause apparente, envahi Peu à peu par une sensation de fatigue difficile à définir. En étudiant cette sensation dans ses moindres détails, j’acquis la conviction qu’elle était le résultat d’une irritation prolongée, mais très-subtile, et dont la perception nette est par conséquent entourée de quelque difficulté. De nombreuses observations me firent constater que le siége principal de cette irritation devait être Un élément anatomique encore indéterminé de la région lombaire, Je ne tardai pas à remarquer que ce genre de Sensations coïncidaient toujours avec les mêmes circonstances, et que, chaque fois que je me trouvais sous cette influence indéfinissable, c’était dans un moment où, durant le cours d’une opération quelconque, mes mains demeuraient longtemps en contact avec des matières végétales intimement unies à des matières animales. Mon attention étant ainsi éveillée, je ne perdis aucune occasion de multiplier mes observations, et j’arrivai bientôt à les contrôler à l’aide d’expériences extrêmement Variées, dans lesquelles je cherchais à provoquer, à arrêter, et à reproduire ces mêmes sensations. Ces expériences me confirmèrent pleinement dans ma première manière de voir, et j’acquis bientôt la conviction que certains corps sont capables d’exercer une influence physique sur le système nerveux. Les résultats que j’obtins étaient si précis qu’ils ont complètement dissipé la crainte où j’étais d’avoir été peut-être le jouet de mon imagination.

Je ne citerai ici qu’une seule de mes nombreuses observations, celle qui m’a le mieux guidé dans mes recherches ultérieures.

Commodément installé dans un fauteuil, j’étais occupé, un jour, à clouer, avec des épingles, sur une planche de sapin, des tissus organiques animaux, dans le but de les étendre et de les faire sécher. Quand je me levai, après avoir terminé ce petit travail, je fus très-surpris d’éprouver dans le dos, et surtout dans les reins, une légère fatigue qui n’était nullement en proportion avec le faible effort que j’avais fait. Le lendemain, lorsque j’eus lestement arraché l’une après l’autre, avec les doigts, les mêmes épingles (environ deux cents), j’éprouvai une fatigue au moins double de celle que j’avais ressentie la première fois, bien que le travail fourni fût moindre que celui du jour précédent. Je n’y aurais peut-être pas fait attention si je n’avais entrepris depuis quelque temps d’observer et d’étudier dans leurs moindres manifestations ces sensations nerveuses dont l’importance est si généralement méconnue. Revenu à mon état normal, je me mis à contrôler ce que je venais d’éprouver. Debout sur mes jambes, j’appuyai les mains sur la planche de sapin contre laquelle étaient encore collés les tissus organiques desséchés. Je m’observai avec une attention scrupuleuse, et ne tardai pas à sentir dans la région lombaire une espèce de vibration irritante excessivement faible, tellement faible qu’il fallait beaucoup de tact pour ne pas la confondre avec des sensations imaginaires. Mais, quelque faible et indéfinissable qu’elle fût, cette sensation existait. Pour contrôler cette observation, je préparai des plaques Carrées de vessie, et en faisant alterner avec ces plaques des planchettes de même grandeur, je construisis un appareil ayant l’aspect d’une pile de Volta. En appliquant Une de mes mains sur cette pile, je réussis au bout de Peu de temps à distinguer la même sensation que j’avais Si souvent observée. Je variai alors ces piles de mille manières : vessie et papier, gélatine et bois, intervention de métaux etc. et, dans presque tous les cas, je perçus très-clairement l’influence mystérieuse que ces appareils exerçaient sur ma personne. Je finis par être tellement familiarisé avec cette sensation, et je la distinguai si facilement, que je ne craignis plus de me tromper. J’essayai alors de voir si cette action physique pouvait se Communiquer à travers des fils conducteurs, et je constatai qu’en attachant à la pile l’extrémité d’une corde de boyau d’un demi-mètre, et en saisissant l’autre extrémité avec la main, j’éprouvais peu à peu la même Sensation que si j’avais placé ma main directement sur la pile. Quand je remplaçais la corde de boyau par un fort fil de fer, je ne ressentais absolument rien. Ce métal Interceptait donc l’action de l’appareil. J’obtins par contre avec un cordon de soie le même effet qu’avec la corde de boyau.

Ce résultat me fit comprendre : 1° que je n’avais pas affaire à de l’électricité ; 2° que j’avais affaire à un agent Physique ayant certains rapports avec cette dernière, car, comme elle, il agissait à travers des fils conducteurs, et son action était interceptée par des fils non conducteurs.

Comme je n’avais encore obtenu de résultats satisfaisants que chaque fois que je mettais une matière animale en contact avec un hydrocarbure, je crus d’abord que l’effet produit était dû au contact d’un corps azoté avec un corps carboné, ou même à une action de l’azote sur le carbone, analogue à celle qui, pour l’électricité, résulte du contact d’un métal électro-positif avec un métal électro-négatif. Je cherchai alors à remplacer les corps organiques azotés par des matières minérales dans lesquelles domine l’azote, et j’obtins de très-bons résultats en faisant agir sur du sucre du cyanure de potassium ou de l’ammoniaque. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir que le cyanure de potassium et l’ammoniaque à l’état de pureté produisent cette action physique spontanément et d’une manière continue, de même qu’un barreau d’acier aimanté jouit continuellement de la propriété d’attirer le fer. Et, ce qui me fit comprendre que l’azote est complètement étranger au phénomène dont je m’occupais, c’est que j’ai trouvé des propriétés identiques à l’essence de térébenthine, au soufre et à beaucoup de sulfures. De plus, cette propriété appartient également à beaucoup de matières végétales, comme la racine de valériane, le Datura stramonium, l’Atropa belladona et, par dessus tout, le sulfate de quinine.

Arrivé à ce point de mes recherches, je ne pouvais plus en douter, j’avais mis la main sur un agent physique possédant une action sur le système nerveux, et c’est par cette action que cet agent s’était fait connaître.

De nouvelles connaissances en physique devant naturellement faciliter la résolution de bien des problèmes encore obscurs, je me mis à chercher parmi les faits physiologiques encore inexpliqués qui me revenaient à la mémoire ceux qui pouvaient avoir quelque rapport avec mes expériences. Je ne tardai pas à m’arrêter aux fièvres intermittents. Je me rappelai que, dans les régions paludéennes insalubres que j’avais habitées, l’effet du sulfate de quinine était devenu un second fléau, que beaucoup de malades, à force de s’être coupé les fièvres avec la quinine, chaque fois qu’ils avaient une rechute, avaient fini par préférer le mal au remède, et qu’enfin, poussés par le désespoir et la misère, ils essayaient de combattre leur affection à l’aide des procédés les plus variés. J’avais remarqué que c’étaient surtout les remèdes appliqués à l’extérieur qui donnaient de bons résultats, et je compris que plusieurs d’entre ceux-ci, réputés infaillibles, devaient dégager l’agent physique qui m’occupait tant alors. J’étais d’autant plus autorisé à admettre l’intervention de cet agent physique, que la première atteinte d’un accès de fièvre intermittente commence à se faire sentir exactement à la même place où l’on ressent ordinairement cette mystérieuse impression, quand on est sous l’influence du nouvel agent.

Un des remèdes extérieurs auxquels je viens de faire allusion, consistait à enduire de térébenthine de Venise on assez large ruban de papier, et à coller ce ruban sur l’épine dorsale, dans toute la longueur de cette dernière. Un autre remède consistait à entourer les poignets du Malade d’emplâtres composés d’un mélange de myrrhe, d’aloès et de térébenthine de Venise. J’ai constaté que Ces emplâtres avaient les mêmes propriétés physiques que mes petits appareils, quoique à un moindre degré. Je me mis alors à la recherche d’un fiévreux et me trouvai bientôt en relation avec un ouvrier catalan qui avait les fièvres tierces depuis deux ans. Nombre de fois on lui avait coupé le mal à l’aide de fortes doses de quinine, mais la fièvre était toujours revenue, et, depuis quelques mois, le découragement l’avait pris. Il ne luttait plus contre la maladie, car il avait fini par prendre la quinine en horreur. Son accès devait revenir le lendemain à midi. Je préparai à la hâte une pile composée de douze plaques de vessie bien planes, de 8 centimètres de large sur 10 centimètres de long, et qui alternaient avec autant de papiers blancs de même dimension. Pour augmenter l’effet de l’appareil, j’avais imbibé les papiers d’une solution de bisulfate de quinine à un demi pour cent, puis je les avais séchés. Je plaçai cette petite pile entre deux papiers non préparés, et j’assujettis le tout avec quelques points de couture. Le lendemain, à 11 heures, l’appareil fut appliqué au malade, directement sur la peau, entre les reins, et maintenu en place au moyen d’une ceinture de laine ; il ne devait être enlevé qu’à 5 heures du soir. L’accès de fièvre ne se présenta pas à midi, et l’ouvrier prit son repas accoutumé avec un très-grand appétit ; il était guéri. La fièvre avait été coupée sans retour par une simple influence physique, et ce n’était pas un effet du hasard, car j’ai guéri de la même manière, coup sur coup, dix-neuf autres fiévreux. Deux ans et demi plus tard le même ouvrier reprit les fièvres tierces. Il ne voulait être guéri que par moi ; j’étais revenu en Alsace ; son directeur m’écrivit. Je lui envoyai un appareil par la poste, et cette fois encore il fut guéri en une séance. Le directeur, que j’ai revu depuis, m’a assuré qu’à la même époque il avait traité trente fiévreux avec le même appareil, et qu’il les avait tous guéris sans aucune exception.

Cette précieuse propriété du nouvel agent physique était une preuve indirecte de son existence. Les fiévreux m’en ont encore fourni une preuve plus directe, car je Constatai que tout malade atteint de fièvres intermittentes ressent un fourmillement très-prononcé dans la Paume des mains, quand on lui fait saisir et conserver Quelque temps dans les mains le fil conducteur d’un de mes appareils.

À partir du jour où j’avais obtenu de si beaux résultats avec les fiévreux, ma découverte n’était plus seulement Une curiosité scientifique, elle était devenue un bienfait, et je me fis un devoir de la livrer à la publicité. Dans la brochure que je fis paraître en octobre 1866, ayant à donner un nom au nouvel agent physique, je m’étais décidé pour celui de fluide vital. Ce nom a été généralement aussi mal interprété qu’il avait été mal choisi, a je me suis empressé de lui substituer celui de fluide organique. Aujourd’hui, je remplace ce dernier nom par celui d’atonicité qui signifie végétativité (de l’adjectif άτονος qui se trouve dans l’expression βίος άτονος — vie végétative). Dans la deuxième partie de cette étude, je justifierai cette dénomination, et, pour donner plus d’unité et de cohésion à mon livre, je me servirai par anticipation du mot atonicité dans les pages qui vont suivre.

Quelques mois après ces premières guérisons, j’eus un insuccès que je dois mentionner ici, parce qu’il est très-instructif. Le docteur Bach, alors professeur à la Faculté de Strasbourg, voulut bien se charger de traiter par ma méthode quelques douaniers atteints de fièvres intermittentes, je préparai pour cet essai des piles en forme de compresse, plus grandes et plus énergiques que celles que j’avais employées jusqu’alors, et, dans le but de rendre ces appareils plus solides, je les introduisis dans des sachets de peau de veau. À ma grande surprise, ces appareils ne produisirent aucun effet appréciable sur les malades ; c’était le premier insuccès que j’eusse eu à enregistrer. J’examinai alors mes nouvelles piles avec une attention scrupuleuse, et je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elles fonctionnaient très bien en dehors des sachets, mais que, dès qu’on les enfermait dans ces derniers, il devenait impossible de percevoir un dégagement d’atonicité. La peau de veau en elle-même est très-bonne conductrice de l’atonicité, mais celle dont je m’étais servi pour confectionner mes sachets était très-grasse et avait été corroyée à l’excès avec de l’huile de baleine ; or, l’huile de baleine est mauvaise conductrice de l’atonicité ainsi que d’un autre agent physique que je décrirai plus loin, et l’une des principales destinations de cette matière grasse, que l’on trouve sous la peau de tous les cétacés et de beaucoup de poissons de mer[1]. paraît être de retenir dans l’animal les différents agents physiques nécessaires à la vie et d’empêcher leur trop grande diffusion dans l’eau. Le spermaceti et la stéarine sont également mauvais conducteurs de l’atonicité.

Mulhouse, 1867.

Ma première publication n’avait guère de valeur en dehors de ce qui y était relatif aux fièvres ; peu de personnes s’y intéressèrent, et je me hâtai de la retirer. Je poursuivis mes recherches avec persévérance, et, penPage:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/19 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/20 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/21 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/22 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/23 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/24 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/25 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/26 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/27 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/28 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/29 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/30 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/31 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/32 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/33 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/34 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/35 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/36 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/37 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/38 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/39 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/40 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/41 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/42 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/43 Page:Ziegler - Atonicité et zoïcité, 1874.pdf/44

  1. Note de Wikisource : Il manque des mots dans la phrase.