Astronomie populaire (Arago)/XXXIV/06

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 770-774).

CHAPITRE VI

les phénomènes astronomiques tels qu’ils se montreraient à un astronome placé sur la lune


Les habitants hypothétiques de la Lune ont été appelés des Sélénites, du nom grec de notre satellite. Nous nous servirons de cette dénomination dans le seul but d’éviter des périphrases.

Remarquons, dès le début, qu’il faut distinguer dans la Lune deux hémisphères, l’un qui se voit toujours de la Terre, l’autre au contraire qui est constamment invisible ; plaçons d’abord l’observateur sur l’hémisphère visible.

Le Sélénite qui habite l’hémisphère de la Lune tourné vers la Terre, doit voir toutes les étoiles du firmament se mouvoir de l’orient à l’occident autour d’un axe passant par le centre du globe lunaire ; le plan perpendiculaire à cet axe s’appelle l’équateur lunaire. Le mouvement des étoiles s’effectue pour le Sélénite avec beaucoup de lenteur. Le temps qui s’écoule entre deux levers successifs est égal à environ 27 de nos jours et 8 heures ; conséquemment la vitesse apparente des étoiles, même de celles qui sont proches de l’équateur lunaire, ne doit guère être supérieure à celle de l’étoile Polaire pour un observateur situé sur la Terre.

Le mouvement apparent du Soleil, comme celui des étoiles, est aussi très-peu rapide ; l’intervalle compris entre deux levers et deux couchers successifs, pour un Sélénite qui n’a pas changé de place, est égal à environ 29 1/2 de nos jours.

Pour un lieu déterminé de la Lune, à un jour continu dont la durée s’élève à environ quinze de nos jours terrestres, succède une nuit continue de même longueur (liv. xxi, chap. xxx). On conçoit, sans de plus amples explications, quelle chaleur on doit éprouver pendant quinze jours de la présence continue du Soleil et quel froid extrême on doit ressentir là où pendant quinze de nos jours consécutifs le Soleil a été au-dessous de l’horizon. Mais ce qui doit particulièrement étonner un Sélénite, ce sont les phénomènes que la Terre lui présente.

Un astronome placé sur la Lune voit la Terre, qui pour lui est un astre brillant ayant un diamètre environ quatre fois plus grand que celui de la Lune vu de notre globe, et une étendue superficielle seize fois plus considérable, présenter des phases comme la Lune en offre pour un habitant de notre globe.

Concevons, maintenant, une ligne menée du centre de la Terre au centre de la Lune, et supposons l’observateur situé au point de rencontre de cette ligne avec la surface lunaire ; cet observateur aura ainsi la Terre à son zénith, il la verra correspondre successivement à des étoiles de plus en plus orientales, mais elle paraîtra à peu près fixe relativement à la ligne qui joint les centres des deux globes, c’est-à-dire relativement à la verticale du lieu que l’observateur occupe.

Ailleurs, le globe éclairé de la Terre sera élevé de 45° au-dessus de l’horizon et restera invariablement dans cette position. D’autres observateurs, convenablement placés sur la surface lunaire, verront la Terre vers la partie orientale de leur horizon près de se lever et ne se levant jamais ; il y en aura, par exemple, qui n’apercevront au-dessus de l’horizon vers le couchant que la partie orientale du disque de notre globe, tandis que la partie occidentale sera couchée, et cette situation d’un astre à demi visible sera permanente pendant des espaces de temps très-considérables.

Les Sélénites ont eu certainement besoin d’une grande pénétration pour découvrir les causes réelles des étranges phénomènes que nous venons de signaler.

La Terre examinée avec une lunette par un Sélénite, lui paraîtra douée d’un mouvement de rotation sur son centre, d’une durée égale à 24 de nos heures ; un tel mouvement amènera successivement en vue les continents et les mers qui composent notre globe. Ces continents et ces mers se distingueront les uns des autres par leur éclat ; les parties les plus brillantes correspondront aux continents, et les parties obscures aux espaces recouverts d’eau.

Notre globe fera donc pour un habitant de la Lune l’office d’une véritable horloge. Si un de ses points a passé à une certaine heure par le méridien d’un Sélénite, il le retrouvera dans ce même méridien après un intervalle de temps égal à 24 de nos heures. La tache terrestre qui a passé par le méridien un certain temps après la première, suivra celle-ci le lendemain, du même nombre de minutes et de secondes, et ainsi de suite.

Les régions polaires de notre Terre devront offrir à un Sélénite une lumière blanchâtre plus ou moins étendue suivant les saisons.

Si, sur la Terre, en passant du nord au midi de l’équateur, on aperçoit de nouvelles étoiles, celles qui forment la Croix du sud, par exemple, combien doit être plus curieux pour un Sélénite un voyage de l’hémisphère invisible de la Terre à celui où notre globe se montre toujours au-dessus de l’horizon et dans une immobilité presque absolue, du moins quand on le rapporte à des repères pris à la surface de notre satellite !

Sur le contour circulaire qui sépare l’hémisphère de la Lune visible de la Terre de l’hémisphère opposé, et à quelque distance de ce contour, notre globe doit se cacher quelquefois aux Sélénites et quelquefois se montrer. La Terre s’y lève et s’y couche mais non pas toutes les nuits.

Dans l’hémisphère de la Lune visible de la Terre, on doit observer des éclipses de Soleil parmi lesquelles des éclipses totales qui peuvent durer deux heures. Il doit y avoir aussi quelquefois de très-petites éclipses de Terre, c’est-à-dire des disparitions de certaines parties de notre globe éclairées par le Soleil dans l’ombre que la Lune projette dans l’espace.

Je ne m’arrêterai pas à reproduire ici la série des considérations à l’aide desquelles des astronomes célèbres ont voulu prouver que l’hémisphère lunaire, que nous ne voyons pas, serait dans l’univers le lieu le plus propre à la création d’un observatoire, celui dans lequel l’ensemble des observations se ferait avec plus de régularité et d’exactitude. Remarquons seulement que ces admirateurs de l’hémisphère lunaire invisible de la Terre, oublient dans leur enthousiasme que de l’observatoire où ils voudraient confiner les astronomes, on ne verrait jamais la Terre, et que l’immobilité relative de notre globe serait cependant pour les Sélénites un objet d’étude important.