Astronomie populaire (Arago)/XXXIV/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 774-778).

CHAPITRE VII

de l’astrologie


L’astronomie a dissipé mille préjugés. Elle a renversé, elle a réduit au néant l’astrologie judiciaire, et même l’astrologie naturelle. A-t-on oublié que Sénèque croyait aux absurdités, bases de ces prétendues sciences ? Faut-il rappeler que Cicéron avait accordé son amitié à Firmanus et à Nigidius Figulus, les deux plus fameux astrologues de son temps ? Faut-il ajouter enfin que les arrêts de mort de Tibère étaient souvent la conséquence des horoscopes tirés par l’astrologue qui ne quittait jamais ce monstre ?

Je n’aurai besoin que de mettre quelques-uns des faits absurdes et honteux enregistrés dans les annales de l’astrologie en présence des résultats magnifiques auxquels est arrivée l’astronomie, pour montrer et les défaillances de l’esprit humain livré à la seule imagination et la puissance de l’intelligence de l’homme qui ne marche qu’appuya sur l’observation rigoureuse.

Stoffler, habile mathématicien, qui eut l’honneur de compter Mélanchthon parmi ses auditeurs à Tubingue, prédit un déluge universel pour l’année 1524. On raconte à cette occasion que les personnes crédules se munissaient de bateaux. Un docteur de Toulouse, nommé Auriol, fit construire un grand navire imitant l’arche de Noé ; mais, comme le remarque Voltaire dans son article sur l’Astrologie de son Dictionnaire philosophique, le mois de février, dans lequel ce déluge devait avoir lieu, fut extraordinairement sec. Le motif sur lequel Stoffler s’était appuyé pour faire sa prédiction, c’était qu’à la date indiquée les planètes Mars, Jupiter et Saturne devaient se trouver en conjonction dans la constellation des Poissons.

Le comte de Boulainvilliers, qui, comme on sait, était fort amateur d’astrologie, et un Italien, nommé Colonne, avaient prédit à Voltaire, suivant ce qu’il raconte lui-même, qu’il mourrait à trente-deux ans. Chacun sait comment cette prédiction se réalisa.

Cardan ayant eu plusieurs insuccès dans ses prédictions astrologiques, finit par annoncer sa mort et se laissa, dit-on, mourir de faim en 1575, à la date calculée, afin que la prédiction se vérifiât.

Catherine de Médicis était vouée à l’astrologie ; elle avait une grande confiance dans Nostradamus, qui lui avait dit, entre autres choses, de se méfier de Saint-Germain. Elle avait son observatoire dans l’hôtel de Soissons. Cette tour existe encore sur la circonférence extérieure de la Halle au Blé.

On donna à Louis XIII le surnom de Juste, parce qu’il était né sous le signe de la Balance. À l’instant de sa naissance (1601), il y avait un astrologue en observation dans la chambre voisine de celle où la reine accoucha.

Si l’astrologie, si l’art de prédire l’avenir d’après le cours des astres était en honneur, il y avait cependant, suivant une étrange inconséquence, un grand danger à passer pour exercer une influence quelconque sur les événements, pour être voué à la magie ou à la sorcellerie.

Sous le règne de Louis XIII, ou plutôt sous celui du cardinal de Richelieu, le fameux curé de Loudun, Urbain Grandier, fut brûlé vif sur la place publique de cette ville, le 18 août 1634, comme coupable de sorcellerie. Le jugement avait été rendu par une commission de quatorze magistrats pris dans différentes juridictions.

La maréchale d’Ancre avait été précédemment condamnée à mort le 8 juillet 1617, comme coupable de sorcellerie, et brûlée le même jour.

L’astrologie était encore très-vivace vers le milieu du xviie siècle. Morin, par exemple, à qui l’astronomie proprement dite doit quelque reconnaissance pour avoir démontré la possibilité d’observer les étoiles en plein jour, professait ouvertement l’astrologie. Morin était si fermement convaincu de la certitude de ce qui lui semblait une science, qu’il se hasarda à faire des prédictions à court terme, c’est-à-dire des prédictions pour lesquelles il pouvait être démenti de son vivant. Par exemple, cet astrologue prédit la mort de Gassendi pour la fin de juillet 1650, « mais jamais, » dit le chanoine de Digne, « je ne me suis mieux porté qu’à la date fatale marquée par la prédiction de Morin. »

Vallenstein, le célèbre général de la guerre de Trente ans, était un grand amateur d’astrologie. Mécontent de Kepler, qui ne lui fournissait pas assez de prédictions au gré de ses caprices, il fit venir auprès de lui un astrologue italien, nommé Seni, qu’il entretenait magnifiquement. Jamais, dans les occasions importantes, il ne prenait un parti sans avoir consulté son astrologue. Il ne paraît pas que celui-ci lui eût prédit que l’empereur Ferdinand le ferait assassiner.

L’esprit de combinaison, la faculté innée d’opérer des rapprochements, ont conduit à de très-brillantes découvertes, toutes les fois que ces opérations de l’intelligence se sont effectuées sur des faits réels et précis. Au contraire, a-t-on combiné, a-t-on rapproché des faits imaginaires ou confus, les conséquences logiques auxquelles on est arrivé sont devenues d’un absurdité palpable.

Il y a eu dans l’antiquité deux espèces d’astronomie : l’astronomie contemplative, celle des Chaldéens ; l’astronomie conjecturale, celle des Grecs. L’astronomie contemplative, malgré son immense durée, n’a produit que très-peu de fruits. Les annales de l’astronomie conjecturale n’offrent guère qu’un long catalogue de suppositions et d’évaluations ridicules. Çà et là seulement on y voit poindre des aperçus ingénieux et vrais ; mais ils se trouvent en si mauvaise compagnie, mais on les appuie sur des bases si fragiles, qu’ils perdent presque toute valeur, même auprès des esprits les plus pénétrants. Il n’y a eu, il ne pouvait y avoir d’astronomie féconde que celle qui s’est constamment appuyée sur l’observation exacte et judicieuse des faits matériellement tangibles par les instruments dont l’homme a pu armer sa vue.